Veille M3 / À la recherche d’un sommeil perdu
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Dormait-on forcément mieux avant ? À partir de l’ouvrage « La grande transformation du sommeil de R. Ekirchun », regard prospectif sur les enjeux de ce temps si utile.
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Interview de Delphine Praud
Après un trimestre à réfléchir aux enjeux actuels et futurs de la qualité de l’air que nous respirons, dernière étape auprès de Delphine Praud, épidémiologiste au département Prévention Cancer Environnement de Centre Léon Bérard de Lyon.
Comment évaluer les effets de la pollution sur notre santé ?
Comment explorer une hypothèse scientifique ?
Comment mettre au jour qu’une exposition à tel ou tel polluant est responsable d’une maladie ?
Dans cet entretien, cette experte revient notamment sur les récentes conclusions de l’étude Xenair, qui a suivi plus de 5 000 femmes durant plusieurs années, et partage avec nous son regard sur les risques liés à la pollution de l’air pesant sur notre santé.
N.B. : Retrouvez les précédents articles de ce cycle de veille en cliquant sur les liens hypertextes en gras.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur l’objet de vos travaux ?
Nos travaux sont orientés sur le lien entre l'exposition à la pollution de l'air et le risque de cancer du sein. On travaille spécifiquement sur ce cancer parce que certains polluants atmosphériques sont connus pour être des perturbateurs endocriniens, et qu’environ 80% des cancers du sein sont hormonodépendants. Notre hypothèse était que les perturbateurs endocriniens pouvaient avoir un effet sur le risque de cancer du sein.
Notre étude s'est intéressée en particulier à huit polluants : certains connus pour être des perturbateurs endocriniens comme le cadmium, les dioxines, les polychlorobiphényles (PCB), le benzo[a]pyrène, et d’autres polluants auxquels nous sommes exposés quotidiennement, notamment en milieu urbain, les particules fines PM2,5 et PM10, le dioxyde d'azote (NO2) et l'ozone (O3).
Les cancers étant d’origine multifactorielle, comment peut-on faire le lien entre pollution atmosphérique et risque de cancer ? Dans le cas du cancer du sein, des études statistiques et des modèles permettent-elles de suivre la santé de femmes et de la relier à la pollution de l’air ?
En termes épidémiologiques, on s'appuie sur une cohorte de femmes, la cohorte E3N composée de 100 000 femmes, suivies depuis 1990. Toutes sont nées entre 1925 et 1950, vivent en France métropolitaine et sont adhérentes à la MGEN, donc en majorité enseignantes. Elles avaient entre 40 et 65 ans en 1990 et ne présentaient pas de signes de cancer ou d’autres maladies. Tous les deux-trois ans, elles répondent à un questionnaire approfondi sur leur état de santé et leur mode de vie. Ces données sont ensuite exploitées en tenant compte de leur exposition à la pollution atmosphérique, évaluée en fonction de leur lieu de résidence.
Au sein de cette cohorte, notre équipe a mené l’étude Xenair qui a permis de comparer l’exposition de 5 222 femmes ayant développé un cancer du sein entre 1990 et 2011 et celle de 5 222 femmes n’ayant pas développé de cancer du sein, servant de « témoins ». Chaque femme était appariée à une femme d’âge comparable, de même statut ménopausique à l’inclusion dans l’étude et vivant dans le même département.
Nous avons utilisé leurs adresses résidentielles entre 1990 et 2011 pour les géocoder, c’est-à-dire les placer sur une carte. Nous avons recoupé ces cartes des résidences et les cartes de pollution aux huit polluants étudiés, établies par Thomas Coudon, ingénieur de recherche en expologie environnementale. Pour chaque femme, nous avions donc connaissance de son exposition à la pollution de l’air chaque année jusqu’au diagnostic du cancer du sein.
Ces cartes d’exposition à la pollution de l’air permettent donc de visualiser des disparités spatiales et de les relier au risque de cancer ?
Quelle que soit l'année, on voit que les centres urbains, la région parisienne, l’agglomération lyonnaise et toutes les grandes villes, ont des expositions plus élevées. C’est le cas également de bassins industriels pour certains polluants comme les dioxines. On visualise également des différences significatives au sein même d’une agglomération : vivre à proximité d'un axe routier ou d’un périphérique entraîne une plus forte exposition au dioxyde d’azote et aux particules fines liés au trafic routier.
À l’inverse, cette approche ne permet pas de prendre en compte l’exposome, c’est-à-dire la totalité des expositions depuis notre conception, ou encore d’autres facteurs de risque comme le tabagisme ?
La taille de la cohorte et les questionnaires détaillés permettent d’obtenir suffisamment de données pour minimiser ces risques méthodologiques. Les questionnaires permettent de connaître l’IMC, l’alimentation, le statut tabagique, la consommation d’alcool… C’est-à-dire les facteurs de risque déjà connus qui, dans le cadre de notre étude, étaient des facteurs de confusion.
Ensuite, des méthodes statistiques permettent de montrer s'il y a un lien significatif ou non entre l'exposition et le risque de développer un cancer du sein. Nous n’avons pas pu en revanche remonter à l’exposition que ces femmes ont connue durant leur enfance. Mais tous les facteurs de risque déjà connus (tabagisme, activité physique, prise d’hormones contraceptives ou pendant la ménopause, etc.) ont été pris en compte.
Pouvez-vous nous dresser un bilan de la situation métropolitaine ?
Les études montrent qu’environ 900 000 personnes vivent au-dessus des normes dans la métropole. On estime environ 1 000 décès prématurés liés à l’exposition aux particules fines et environ 500 liés au dioxyde d’azote. L’observation de la qualité de l’air et les connaissances scientifiques ont progressé ces dernières années.
Les liens entre exposition aux polluants atmosphériques et santé sont de mieux en mieux connus et relayés auprès du grand public. Cela peut donner l’impression que la situation s’aggrave, mais depuis 2007, tous les polluants mesurés ont baissé à Lyon, à l’exception de l’ozone O3, lié au changement climatique.
L’effet des réglementations nationales industrielles, notamment pour les dioxines, le cadmium, les PCB, se ressent. Pour les particules fines et les dioxydes d'azote, l’évolution des réglementations pour l’automobile, voire l’évolution des usages de mobilité, est aussi visible sur les courbes. On reste toutefois au-dessus des seuils recommandés par l’OMS définis en septembre 2021. Il faut continuer à faire baisser notre exposition.
Connaît-on les polluants les plus dangereux en milieu urbain ?
On ne peut citer des polluants en particulier sans évoquer les seuils et la durée d’exposition. Certains polluants sont dangereux parce qu’ils s'accumulent dans l'organisme. Des expositions très tôt dans la vie peuvent notamment avoir des effets plus tard : ces polluants deviennent dangereux du fait de leur persistance. Je pense notamment aux PCB, des polluants très réglementés qu’on ne produit plus actuellement, mais que l’on retrouve encore dans l’environnement et les organismes.
L’exposition à des polluants urbains, tels que les particules fines et le dioxyde d'azote, a aussi des effets à court terme. Les pics de pollution s’accompagnent d’une hausse des hospitalisations pour asthme et autre maladie respiratoire, ou encore pour des problèmes cardiovasculaires, sans compter les inconforts respiratoires ou manifestations allergiques qui sont rarement déclarés. Mais nous sommes exposés à ces polluants à des seuils relativement élevés, tout au long de la journée et tout au cours de notre vie. Cette exposition chronique est dangereuse pour la santé à long terme et augmente le risque de développer un cancer.
Dans le cas des cancers, il est difficile de définir exactement les polluants les plus dangereux, car nous sommes constamment exposés à plusieurs polluants. On ne peut écarter un « effet cocktail », c’est-à-dire le fait que ces polluants interagissent entre eux. On considère que le dioxyde d'azote est un marqueur de la pollution de l'air en général. Il est facile à mesurer et a permis de développer des modèles de la pollution de l’air. Mais dans le cas du cancer du sein, plusieurs polluants dans l’air sont vraisemblablement impliqués, et ce n’est peut-être pas le dioxyde d'azote le plus en cause. D'autres polluants sont vraisemblablement corrélés.
Outre les cancers, quels sont les effets à long terme ?
Des études montrent des liens entre la pollution atmosphérique et les maladies cardiovasculaires. Certains polluants étant classés perturbateurs endocriniens, tous les mécanismes hormonaux sont potentiellement concernés. Il y a des suspicions sérieuses d’effets sur la fertilité, la grossesse et le développement des bébés in utero, avec des naissances prématurées, de faibles poids de naissance ou encore des maladies respiratoires chez l’enfant. Cela rejoint la notion d’exposome évoquée tout à l’heure et montre que des expositions à la pollution de l’air peuvent avoir des effets sur la génération suivante.
Est-ce que la pollution atmosphérique pourrait jouer un rôle dans le développement des maladies liées au vieillissement ou d’autres pathologies ?
Des études sont en cours et évoquent un lien éventuel entre pollution atmosphérique et maladies neurodégénératives, entre pollution et troubles autistiques… Cela reste à approfondir.
Les effets les plus importants restent les maladies cardiopulmonaires, parce que les particules touchent les organes respiratoires en premier. Elles pénètrent dans l'organisme par la respiration, gagnent les poumons et les particules les plus fines pénètrent plus profondément et sont distribuées auprès des différents organes.
Quels types de cancers sont générés par la pollution de l’air ? Quelle part de l’ensemble des cancers cela représente-t-il ?
Le Centre International de Recherche sur le Cancer classifie les polluants en fonction de leur cancérogénicité. Il se base pour cela sur les études épidémiologiques et sur les études sur l'animal et sur les cellules in vitro. Des bases solides scientifiques sont nécessaires pour pouvoir conclure sur le sujet.
Une très grande partie des études a porté sur le cancer du poumon. Le CIRC a réuni des preuves suffisantes pour classer la pollution de l'air comme cancérogène certain pour le cancer du poumon. La proportion de cancers générés par la pollution de l’air est estimée à 4% en France et cette estimation est essentiellement basée sur des études réalisées sur le cancer du poumon. Cette estimation est vouée à évoluer, car la communauté scientifique met au jour des effets de la pollution sur d’autres types de cancers, tels que le cancer de la vessie et le cancer du sein. Plus il y aura d’études et plus le CIRC pourra statuer sur les risques liés à l’exposition de l’air.
L’étude sur le cancer à laquelle vous avez participé a été dévoilée au grand public en octobre dernier. L’impact de la pollution de l’air sur le cancer du sein est désormais avéré ?
Effectivement, notre équipe a montré des liens entre l’exposition à cinq polluants de l’air et le risque de cancer du sein. Les polluants mis en cause sont le dioxyde d’azote, les particules fines PM2,5 et PM10, le benzo[a]pyrène et les PCB. Si les femmes de la cohorte avaient été exposées au dioxyde d’azote à des taux inférieurs aux seuils recommandés par l’OMS, 9% de ces cancers du sein auraient pu être évités.
Quelles sont les origines de ces polluants ?
Le dioxyde d’azote provient essentiellement du trafic routier. Les particules fines PM2,5 et PM10 sont émises lors des phénomènes de combustion ou à la suite de réactions chimiques dans l’atmosphère. Elles sont issues du secteur résidentiel et du trafic routier.
Le benzo[a]pyrène est un perturbateur endocrinien qui se forme lors de la combustion incomplète de matières organiques (ex. végétaux brûlés à l’air libre, gaz d’échappement automobile ou fumée de cigarette).
Les PCB sont des polluants organiques persistants, c’est-à-dire des substances qui se désagrègent très peu dans l’environnement. Ils sont connus pour être présents dans l’alimentation, et surtout dans les produits d’origine animale, mais les plus légers d’entre eux se retrouvent aussi en suspension dans l’air. Ils sont également considérés comme des perturbateurs endocriniens.
Comment poursuivez-vous vos recherches actuellement ? Quelles sont les études à venir sur le sujet ?
Après avoir étudié l’exposition à chaque polluant pris individuellement, nous avons engagé une étude qui s’intéresse davantage à la corrélation entre les polluants : NO2 et particules, NO2 et ozone…
Dans l'étude Xenair, nous nous intéressions à l'exposition à l'adresse résidentielle. Nous avons pour projet de prendre en compte les expositions à l'adresse professionnelle et durant les trajets domicile-travail, car ce sont les moments où la pollution est potentiellement la plus élevée.
Une étude va aussi explorer tous les moments-clés du développement hormonal chez la femme : au moment du développement in utero, pendant la puberté, pendant les grossesses. Pour considérer ces expositions antérieures, nous avons récupéré les adresses des femmes depuis la grossesse de leur mère. Cette étude est assez complexe puisqu’avant 1990, les mesures de pollution de l’air étaient limitées, voire n’existaient pas. On essaie de pallier ce problème en développant des proxys, c’est-à-dire en utilisant d'autres données (densité de population, statut urbain/rural, etc.) pour estimer l'exposition des femmes pendant ces périodes-là.
Une autre étude envisagée va se concentrer sur les particules. Il s’agit de ne pas considérer leur taille comme cela est fait classiquement, mais leur type, car certaines peuvent être plus ou moins toxiques, variables en fonction de la météo, présentes en bord de mer et rares dans les terres, présentes dans le Sud de la France et absentes dans le Nord, etc. Par exemple, lors des épisodes de nuages de sable du désert, on peut observer un gradient nord-sud très net.
On mène aussi des études pluridisciplinaires avec des équipes travaillant sur les modifications de comportement de mobilité, ou autres, permettant de diminuer son exposition.
Envisagez-vous de mesurer l’effet sur votre cohorte du premier confinement en 2020, où pendant huit semaines les Français sont restés chez eux ?
Nous n’avons pas encore collecté les données de 2020 et notre méthodologie fait que nous lissons les expositions de manière annuelle. Mais Santé publique France (2021) a montré l’effet positif du confinement sur la pollution de l’air et suggère que le télétravail pourrait être un levier d’action. Le confinement a permis en particulier de faire diminuer les concentrations de dioxydes d’azote dans l’air, mais n’a pas eu d’effet significatif sur les particules fines dues au secteur résidentiel, dues au chauffage notamment.
Si les travaux de recherche ont clairement établi les risques de la pollution atmosphérique pour notre santé, le grand public est-il suffisamment conscient des risques encourus, de sa vulnérabilité ?
L’intérêt est évident : les gens sont vraiment intéressés par les effets de la pollution et plus largement du changement climatique. Les pics de pollution et les événements, tels que les accidents industriels, focalisent l’attention sur des pollutions ponctuelles. Les risques liés à une exposition chronique sont plus complexes à saisir. C’est une exposition subie : on est tous exposé et il est difficile de ne pas l’être finalement. Diminuer son exposition à la pollution atmosphérique est plus complexe que faire face au risque tabagique, où l’arrêt du tabac relève d’une solution individuelle.
Dans le cas de la pollution atmosphérique, on s'attend à ce que des mesures politiques, des réglementations soient prises. On touche aussi aux changements de comportement. Les deux types de leviers doivent être coordonnés : diminuer le trafic routier en ville et utiliser davantage les transports en commun, le vélo et la marche à pied, implique que les moyens soient mis en place pour que chacun puisse changer de comportement de manière effective. À titre individuel, il est possible de limiter sa contribution à la pollution atmosphérique, en privilégiant par exemple les modes doux, et son exposition, en évitant par exemple les efforts intenses dans des zones fortement polluées.
Des efforts en matière de communication ont été faits. L’étude de Santé publique France de 2016 était assez parlante car elle estimait le poids de la pollution de l'air en termes de mortalité et annonçait que 48 000 décès par an étaient évitables. Nous avons présenté nos résultats de la même manière, et estimé que 9% des cancers du sein auraient été évités si la pollution au dioxyde d’azote avait été réduite en-dessous des seuils recommandés par l’OMS. Ce n’est pas négligeable.
Un des signes de l’intérêt du grand public pour le sujet est la multiplication des mesures citoyennes de la pollution de l'air, notamment grâce à la démocratisation des microcapteurs et à l’accompagnement de ces démarches de science participative par des chercheurs et spécialistes. Quel regard portez-vous sur ces initiatives ?
D’une part, c'est intéressant pour les individus engagés dans ces démarches. Ils peuvent ainsi se rendre compte exactement de leur exposition et des pratiques les plus problématiques. Petit à petit, ils se sentent davantage concernés et impliqués.
D’autre part, ces démarches permettent d’obtenir des données, capitalisées par exemple au sein de la Captothèque. En reflétant l’exposition d’un individu mobile, passant d’une rue très exposée à un parc, d’un quartier à un autre, ces données viennent compléter les mesures réalisées par Atmo avec des capteurs fixes. C’est très intéressant pour la recherche.
En revanche, ces démarches doivent être accompagnées pour ne pas susciter davantage d’angoisse ou d’inquiétude. D’autant plus que tous les individus n’ont pas forcément d’alternatives pour diminuer par exemple leur exposition à la pollution de l’air lors de leur trajet domicile-travail.
La psychologie environnementale a mis en évidence le rôle des liens avec la nature pour comprendre notre rapport aux enjeux environnementaux et notre inclinaison à adopter des comportements pro-environnementaux. Est-ce un paramètre que vous pourriez prendre en compte ?
Nombre d’études montrent les bénéfices pour la santé en général d’un contact régulier avec la nature. Les aspects purement psychologiques sont en-dehors de notre champ d’expertise. Mais prendre en compte à l’avenir l’exposition durant les temps libres permettrait de refléter de manière la plus juste possible l’exposition globale d’un individu.
+ d’infos sur les risques de cancer en lien avec des expositions environnementales sur le portail d’information du Centre Léon Bérard : https://www.cancer-environnement.fr/
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