Veille M3 / À la recherche d’un sommeil perdu
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Dormait-on forcément mieux avant ? À partir de l’ouvrage « La grande transformation du sommeil de R. Ekirchun », regard prospectif sur les enjeux de ce temps si utile.
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348 voix pour, 274 contre et 36 abstentions. Après trois ans de travail législatif, c’est sur une majorité relativement large, mais sans consensus, que le Parlement européen accouche le 26 mars 2019 d’une « directive sur le droit d'auteur dans le marché unique numérique ». Quelques heures avant, Emmanuel Macron affirmait son soutien au projet d’un tweet solennel : « Aujourd’hui se joue un combat fondamental pour le droit d’auteur : protéger la création et l’information, c’est assurer notre liberté et défendre notre modèle ».
Pour l’essentiel, deux décisions majeures viennent d’être prises : les plateformes en ligne comme YouTube sont désormais responsables du respect des droits d’auteurs pour les contenus « uploadés », c’est-à-dire mis en ligne, et les organes de presse dont les productions sont citées par des « infomédiaires » tels que Google News devront être rémunérés en tant qu’auteurs.
Malgré le poids des lobbies, et les inquiétudes de celles et ceux qui voyaient dans cette directive le point de départ d’une mise au pas du web, le texte est passé. En attendant sa transposition dans les législations nationales, l’Europe a fait parler sa force, dans un domaine qualifié de souveraineté culturelle, qui s’apparente à un levier d’influence globale, et où les États isolés avaient jusqu’à présent eu du mal à inverser le rapport de force face aux plateformes.
Malgré bien des tentatives de régulation, l’économie numérique de l’information et du divertissement a semblé en effet jusqu’à présent s’appuyer sur les failles d’un cadre juridique toujours à la traîne derrière les usages et les évolutions technologiques. Alors que ses pionniers rêvaient d’en faire un espace de partage libre des connaissances, le web a très vite posé la question de la rémunération des créateurs de contenus qui l’alimentent à grande échelle, et l’arrivée de l’Hadopi en 2009 n’a rien changé à la réalité d’un secteur où la dématérialisation se joue de tout barrage.
De Napster à Deezer, la version on line du monde de l’info en continue et du binge-watching a longtemps cherché son modèle, pour à la fois répondre aux attentes de consommateurs, toujours à la pointe des techniques de contournement, et aux besoins des créateurs, notamment auteurs de musiques ou de vidéos. Pour eux, comme pour un jeune chanteur cantonné aux scènes des cafés-concerts, la promesse de la notoriété remplaçait celle d’un cachet, et pour le reste, on verrait après.
Dans cette supposée ère de la gratuité, les Gafam Google et Facebook se taillent la part du lion, avec un modèle économique basé sur une fréquentation chiffrée en millions de visiteurs quotidiens et monétisée par la vente de cette audience aux annonceurs publicitaires. Et pour attirer le chaland vers cette « industrie de l’accès », quoi de mieux que d’être le relais des derniers scoops ? Comme dans un paradoxe du ver accroché à l’hameçon, les éditeurs de presse sont à l’origine de la valeur, sans réels bénéfices en retour.
Pour s’adapter à un lectorat hyperconnecté, qui prend le métro les yeux rivés sur son smartphone plutôt que sur les meilleures feuilles de son quotidien préféré, la presse a dû réinventer ses savoir-faire. « Cette page a été conçue sans maltraiter ni utiliser aucun humain. » C’est non sans ironie que cette phrase accompagnait le lancement en 2002 de la plateforme Google News (2003 pour sa déclinaison francophone). Depuis, de nombreuses études confirment qu’une majorité d’internautes passent par des sites intermédiaires pour s’informer. Dès lors, l’enjeu est devenu de savoir si oui ou non la citation de contenus (titres, chapôs, photos) constituait dès la page de l’agrégateur un non-respect des règles du droit d’auteurs, qui auraient dans ce cas dû être rétribués.
Le monde des technologies numériques se comprend en tant qu’écosystème. Il est impossible d’envisager les échanges qu’il permet indépendamment des outils qu’il offre. En matière de création artistique, l’arrivée du digital a été un véritable accélérateur de particules, rendant tout musicien ou vidéaste capable de rivaliser techniquement depuis chez lui avec les poids lourds du secteur.
Ces évolutions ont ainsi facilité l’émergence d’artistes indépendants, trouvant les moyens d’obtenir une telle audience que les plus grands distributeurs ou diffuseurs se sont ensuite tournés vers eux, sans les avoir « développés », comme ils le faisaient traditionnellement. Le parcours de Jean-Pascal Zadi, passé de l’autoproduction aux César, en passant par le rachat de sa web-série par France Télévision, ou celui d’Hervé, révélation de l’année 2021 aux Victoires de la musique, sont à ce titre emblématiques.
Pourtant, lorsqu’a émergé le peer-to-peer, même les majors ont vacillé. Alors que l’âge d’or du CD et du DVD leur assurait une croissance exceptionnelle, leurs meilleurs clients se tournaient vers un piratage aussi simple qu’illégal. Il aura fallu laisser passer Emule, Megaupload, The Pirate Bay, T411 et autre Popcorn Time avant de voir se développer le streaming avec Spotify, Netflix ou encore la gratuite et publique Arte.tv, qui rendirent possible un accès licite à un large catalogue d’œuvres musicales ou audiovisuelles, diffusées dans les meilleurs conditions à peine leur production achevée. Le téléchargement illégal n’avait plus lieu d’être, mais la question de la juste rémunération des créateurs semblait rester insoluble.
Bien que cette directive affiche sur le papier des intentions louables, elle a, pendant les trois ans de discussion qu’ont exigé sa préparation, réussi l’exploit de conjuguer face à elle un front des contraires. Si le lobbying intensif des plateformes n’a rien d’étonnant, il est à noter que pour une partie de l’opposition au texte, deux articles allaient à l’encontre des buts affichés.
L’article 11, devenu dans la version votée l’article 15, introduit un droit voisin permettant sur une durée de deux ans après publication aux éditeurs et aux agences de presse d’être rémunérés en échange de la diffusion de leurs productions sur des agrégateurs tels que Google News ou des réseaux sociaux tels que Facebook. Même si l’article précise ne pas concerner les usages privés sans buts commerciaux, les hyperliens ou les citations brèves, il n’a pas réussi à convaincre certains représentants des journalistes qui y voient un renforcement des droits des entreprises sans garanties concrètes pour les auteurs eux-mêmes.
L’article 13, devenu l’article 17, rend responsables les plateformes des contenus mis en ligne : « Un fournisseur de services de partage de contenus en ligne doit dès lors obtenir une autorisation des titulaires de droits […], par exemple en concluant un accord de licence, afin de communiquer au public ou de mettre à la disposition du public des œuvres ou autres objets protégés. » Mais en dehors de ces accords, le devoir de contrôle exige le renforcement de filtres automatiques, sensés détecter les violations de copyright. Pour ses détracteurs, cet article ouvre ainsi la porte à un tri grossier, aboutissant à une forme de censure et à une limitation excessive des formes possibles d’expression en ligne.
On s’en rappelle peu, mais lors de la négociation des accords du Gatt en 1993, c’était déjà au niveau du Parlement européen que la France avait d’abord défendu son concept d’exception, plutôt que de spécificité culturelle. Pour nombre d’observateurs, ce vieux pays, d’un vieux continent a régulièrement cherché à faire de la construction européenne le marchepied d’un retour au premier plan sur l’échiquier international, au service de son propre leadership, et grâce à une puissance démultipliée.
À ce titre, ce membre permanent du Conseil de sécurité de l’Onu a toujours vu son rayonnement dans les arts comme un outil de soft power, dont la pertinence n’a fait que s’amplifier avec la révolution numérique. Persuader plutôt que convaincre, séduire les opinions, rallier à ses valeurs les populations des nations rivales, sans tirer la moindre balle, même juste pour faire peur : c’est bien là le fond de ce qu’avait décrit l’Américain Joseph Nye, à l’origine du concept de puissance douce. Mais pour y parvenir, encore faut-il avoir à sa disposition une capacité à créer des messages et à les diffuser.
Lors des négociations de 1993, le combat avait été bien plus violent que le sujet n’aurait pu le laisser supposer. Au lendemain de la Chute du Mur, il s’agissait bien pour la France d’entraver l’hyperpuissance américaine, pour encourager l’émergence d’un monde multipolaire où l’Europe aurait son mot à dire. Alors que le troisième millénaire fête à peine ses 20 ans, la culture française, en tant que secteur économique, affiche une santé insolente, que la pandémie ne devrait remettre en cause que de manière conjoncturelle. Sixième puissance économique mondiale, l’Hexagone exporte ses musiques et ses séries grâce aux plateformes de streaming, ses jeux-vidéos, sa mode, son design ou encore ses architectes. En 2018, l’ensemble des branches de la culture pesait 47 milliards, avec plus d’un demi-million d’emplois directement concernés.
Au niveau européen, le secteur représentait avant le Brexit et la crise sanitaire 4,4 % de l’ensemble du PIB, plus de 7 millions d’emplois et un chiffre d’affaires de plus de 600 milliards d'euros, avec une balance commerciale affichant près de 30 milliards d’euros de bénéfice. Quelques mois après le vote de la directive, si Josep Borrell et Ursula von der Leyen invitent l’Union européenne à agir en tant que puissance, sans idéaliser les effets du soft power, il n’empêche que celui-ci reste, pour l’UE, l’un des principaux atouts en main.
Dans sa quête de compromis, le texte reconnaît lui-même ses limites, dès son troisième considérant : « La législation en la matière doit résister à l’épreuve du temps afin de ne pas entraver l’évolution des technologies […] Une insécurité juridique subsiste, tant pour les titulaires de droits que pour les utilisateurs, en ce qui concerne certaines utilisations, notamment transfrontières, d'œuvres et autres objets protégés dans l'environnement numérique. […] Il est nécessaire, dans certains domaines, d'adapter et de compléter le cadre actuel de l'Union en matière de droit d'auteur, tout en maintenant un niveau élevé de protection du droit d'auteur et des droits voisins. » En bref : « On verra si ça marche, sinon faudra s’en reparler ».
En France, la ministre de la culture Roselyne Bachelot finalise actuellement le projet de loi relatif à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique, qui s’inscrira dans le processus de transposition de la directive au droit français. Il est encore tôt pour mesurer l’ampleur de la bascule.
L’Europe s’est-elle donné les moyens de protéger sa culture et celles et ceux qui la font vivre ? A-t-elle préservé la qualité de l’information sur laquelle s’appuie le débat démocratique ? A-t-elle posé les jalons d’une stratégie de puissance inédite, ou pris le risque de fragiliser la liberté de création, au nom des intérêts d’un secteur économique au marché aussi concurrentiel que rentable à l’échelle mondiale ? C’est encore peut-être au niveau de chaque État que se résoudra cette équation, dont l’inconnue reste sans doute la définition d’une identité culturelle commune suffisamment identifiable pour être correctement défendue.
Après avoir été formellement discuté par le Conseil de l'Union européenne, le texte définitif porte le nom de "Directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE" :
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