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Le hip-hop ou les paroles d’une génération de nouveaux artistes

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Image d'un homme dansant faisant du hip-hop

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Rebelle, « contre-culturel », né dans la rue et surveillé de près par elle quant au maintien de son authenticité, le Hip Hop n’en est pas moins un mouvement artistique qui a progressivement su trouver sa place au sein des institutions.

C’est particulièrement la danse, l’une des principales pratiques de ce courant multidisciplinaires (rap, djing/beat-box, danse, graff), qui a su s’imposer sur les scènes les plus officielles, forte de sa capacité à redynamiser une danse contemporaine qui semblait doucement dans des concepts toujours plus abstraits.

Dans son sillage, musiques et arts graphiques s’intègreront aux programmes d’éducation populaires des quartiers.

Dans cet article, retour sur une union de circonstance où chacun a su trouver son compte, sans avoir à trahir ses valeurs et ses missions, dans l’intérêt d’une renouvellement culturel et artistique qui allait marquer les années 90 et plus encore…

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Date : 01/01/2000

Dans le cadre de notre travail consacré au Défilé de la Biennale de la danse, l’édition de cette ressource a été mise à jour en septembre 2023.

La France est le deuxième pays producteur et consommateur de hip-hop dans le monde. Et ce notamment grâce à Sidney Duteil, dit Sidney. Né à Argenteuil en 1955, ce musicien, rappeur, compositeur, va devenir le premier animateur noir de télévision en France et créer la première émission de télévision au monde entièrement hip-hop. C’est Marie-France Brière, directrice des programmes de TF1, qui lui en donnera l’occasion en 1984, grâce à l’émission H.I.P. H.O.P, que la culture Hip-hop va se répandre partout en France et devenir populaire.

Après la pionnière Nova et ses freestyles orchestrés par le disc jockey Dee Nasty, les radios vont suivre le mouvement, et à partir de 1966, Skyrock, une radio FM largement dédiée à la pop, au rock et autres musiques actuelles, devient progressivement majoritairement dédiée au rap, R'n'B et autres genres dérivés de la culture hip-hop. Au sein de l'Hexagone plus que partout ailleurs, le hip-hop rencontre un franc succès et devient le mode d’expression, la voix des populations qui se sentent exclues.

Le hip-hop est une culture de pauvre, et elle doit le rester, mais une culture de pauvre, cela a de l’énergie, c’est pertinent et percutant, cela dérange car la dénonciation des injustices ne fait pas toujours plaisir. En même temps cela est dit avec humour fou, le hip-hop est une culture de fête, de rire, ce qui fait que les jeunes de toutes classes sociales se sentent concernés. -Jean-Pierre Thorn (2000)

 

 

Des grands lyonnais comme les chorégraphes Mourad Merzouki, Fred Bendongué, Samir Hachichi, Zoro Henchiri, Kader Attou qui ont créé ou dirigent des compagnies ; des danseurs comme Erika Delorme, Najib Guerfi, ou Kader Belmoktar, ou des musiciens comme Arésky Hamitouche ont fait rayonner le hip-hop à travers des spectacles qui ont rencontré un succès souvent international. Dix versions, F comme Mouna, Athina, Kelkemo, Anokha, Agwa, Terrain vague, Corps et graphik, Récital, La Parabole du fou II, Demi-lune, Presqu'il ... sont autant de grands moments d’émotion et de danse particulièrement époustouflants. Et désormais les compagnies Traction-Avant, Accrorap Fred Bendongué, Mudanza, la Belle Zanka ou encore Käfig ont acquis une réputation internationale.

Ce potentiel de talents a pu être révélé et se réaliser grâce à un terreau particulièrement riche dans l’agglomération lyonnaise, constitué d’hommes qui discrètement partagent une profondeur de vue et une certaine habitude de travail en réseau en dehors des cadres institutionnels établis. La dynamique et le nécessaire travail inter-partenarial inhérent à la Politique de la ville ont offert un cadre d’action à cette spécificité lyonnaise. Cette volonté partagée d’agir en faveur des banlieues et de l’intégration de leurs populations a permis à la break dance de passer de la rue à la scène, et de la démonstration de performances individuelles ou de défis à des spectacles chorégraphiés. Cette évolution a demandé à la break dance de s’ouvrir à d’autres mondes culturels et à d’autres formes d’expression et ainsi de sortir d’un enfermement propre à une certaine « culture du ghetto ». Certains pensent qu’en évoluant de la sorte elle aurait perdu son âme d’origine, mais force est de constater que cette évolution a permis une réelle valorisation de la break dance et de fait des jeunes qui la pratiquent.

À travers cette valorisation, c’est bien tout un processus de reconnaissance positive des jeunes issus de l’immigration des banlieues populaires qui s’est joué durant les années 1990.

 

 

1) Génération hip-hop ou le mouv' des ZUP de l’agglomération

 

Les Minguettes, une nouvelle fois pionnières

Vénissieux est l’une des premières banlieues à avoir révélé le mal-être des banlieues à l’occasion des étés chauds de 1981 et 1983. En 1981, la peur de l’expulsion a conduit le pasteur Jean Costil, le prêtre Christian Delorme et un jeune menacé d’expulsion Hamid Boukhrouma, à engager une grève de la faim qui conduira le Président François Mitterrand à abolir la double peine. En 1983, c’est encore de cette ville que sera initiée la Marche pour l’égalité au rythme de Douce France de Charles Trénet, et qui va réunir plus de 100 000 personnes à Paris, pour dire haut et fort le désir de reconnaissance de toute une population de jeunes issus de l’immigration. Le sociologue Ahmed Boubeker parle d’une génération qui prend alors conscience d’un « sort partagé ». Son émergence dans l’espace public, via les émeutes, sera d’autant plus brutale qu’elle rompt avec l’invisibilité de la première génération immigrée.

Et, même si nombre d’artistes sont issus de Saint–Priest où ils ont notamment fréquenté l’école de cirque, c’est encore à Vénissieux, avec notamment Marcel Notargiacomo qu’une génération d’artistes va naître et irriguer l’agglomération puis la région, obtenir une reconnaissance nationale, et permettre l’émergence de grands projets, au premier rang desquels le défilé de la Biennale de la danse.

 

-    Hé !... Il y a un trésor dans la maison d’à côté !
-    Mais... il n’y a pas de maison à côté !
-    Ça ne fait rien. On va la construire !

C’est cette idée des Marx Brothers qui servira
de point de départ à la création de Traction Avant

 

Marcel Notargiacomo est directeur de la compagnie Traction Avant. Agent de développement culturel aux Minguettes dans les années 1980, il décide de créer une dynamique d’expression artistique avec les jeunes du quartier.

Ainsi, Marcel Notargiacomo va vouloir marier le social et la culture et ce dans un souci d’ouverture sur le monde. Son ennemi principal contre lequel il lutte avec acharnement est l’enfermement. Il n’aura de cesse de vouloir ouvrir des portes, croiser des approches et des pratiques diverses, sortir les jeunes de leurs territoires mental et géographique pour qu’ils se construisent leur propre personnalité. Il va créer des ateliers dans une grande exigence artistique et dans un souci de transmission. Les jeunes artistes vont aussi devoir apprendre la pédagogie pour, à leur tour, pouvoir transmettre.

 

 

Dans un texte de 2006, Reboiser l’âme humaine, Marcel Notargiacomo revient sur le contexte et les objectifs qui l’ont conduit à créer Traction Avant. Il décrit comment il perçoit le contexte dans lequel les jeunes évoluent, un contexte marqué par des fêlures considérables, des sentiments grandissants, de peur et d’impuissance face à un horizon humain défaillant. Également des vies monopolisées par l’immédiateté, où seule compte l’intensité des morceaux du temps - rigidités intérieures des logiques de possession de la richesse comme du pouvoir qui nourrissent l’essentiel de nos cauchemars.

« N’est-il pas hallucinant que 358 milliardaires se partagent les revenus de deux milliards d’habitants de notre « Cité Terrestre », que chaque finaliste de la Coupe du monde de foot ait empoché l’équivalent de 35 années de SMIC, même si le travail était bien fait et la fête belle ? » -Marcel Notargiacomo.

Marcel Notargiocomo demande jusqu’où la mondialisation accélérée de la vie mise en spectacle abolira la distance nécessaire à la réflexion. « Sommes-nous devenus les spectateurs d’une profanation généralisée du sens du réel, condamnés à théoriser nos impuissances ? » Un contexte terreau fertile pour des idéologies fondées sur la démagogie et l’irrationnel. Pour Marcel Notargiacomo, il semblerait que la conscience individuelle et collective devienne incapable d’appréhender ce qui se passe.

 

 

« C’est cet ensemble d’ingrédients qui participent à la fabrication de notre société, de nos vies, au quotidien qui a marqué et influencé dès l’origine en théâtre et en danse le parcours de la compagnie en inscrivant notre pratique et la réflexion qui la fonde dans un tissu social de proximité et qui se caractérise notamment par 2 axes d’initiatives :

L’un en danse urbaine hip-hop, à partir d’expressions spontanées de jeunes de quartiers par un travail d’ouverture et de confrontation avec d’autres formes d’expressions, pour sortir de situations de ghettos et d’enfermements, pour transformer une énergie destructrice en défi créateur. Pour un acteur de hip-hop « le mot remplace le couteau ». « Nul n’a jamais écrit, peint, sculpté, construit, inventé que pour sortir de l’enfer » disait Antonin Artaud.

L’autre au niveau du théâtre, où notre volonté de jouer des spectacles, notamment en milieu scolaire, participe de ce travail de résistance : raconter des histoires qui ne renvoient pas à une vision simplificatrice de la vie. Cet apprentissage du regard, des codes scéniques, cette proximité de l’image vivante et non pas « en boite » ; cette intelligence de l’émotion du cœur et de l’esprit sollicité par l’acteur ; cette communauté d’attention... contribueront peut-être un jour, à interroger avec lucidité les « spectacles » du monde. Il s’agit aussi de permettre à des enfants, des adolescents, des adultes, d’accéder à leur propre parole, de se penser dans leur propre histoire dans un projet de vie plutôt que de viser à éponger la violence et la fièvre sociale.

Ce parcours de la compagnie depuis 15 ans nous permet de dire modestement mais fortement que si les banlieues ne vont pas bien - et elles n’ont pas l’exclusivité de la mal vie - elles peuvent en moyennant un travail collectif et permanent de proximité devenir aussi un potentiel de créativité, un laboratoire de l’interculturel, une mémoire vivante préfigurant sans doute des configurations à venir de nos sociétés. Parce que l’action culturelle est un des moyens de formuler des repères, de réinjecter du sens et de la sociabilité, il nous semble urgent de secouer nos certitudes et nos enfermements, notamment ceux qui consistent à suspecter, socialement et institutionnellement, la dimension artistique de ce qui se construit, venue des cités aux vies fragiles, avec souffrance, risque, danger ; il y faut, là comme ailleurs du travail, des compétences et quelque chose à dire.

Dans un monde où triomphent bien souvent le bluff et les apparences, nous croyons encore que l’art sert à rendre la vie plus intéressante que l’art, et contribue même modestement à « reboiser l’âme humaine » selon la belle expression du poète Julos Beaucarme. Un défi plus urgent qu’il n’y paraît.

Extrait de Reboiser l’âme humaine, Marcel Notargiacomo, 2006 Marcel Notargiacomo a été nommé chevalier dans l’ordre national du mérite en novembre 2008 en préfecture de l’Isère.

 

La fabuleuse histoire de Fred Bendongué

 

Fred Bendongué sera l’un des artistes qui fera ses premiers pas au sein de la Compagnie Traction Avant. Soutenu par Marcel Notargiacomo, il va travailler d’arrache-pied, prendre des cours de danse classique, de danse contemporaine, de danse jazz et s’initier aux claquettes... En 1991 le chorégraphe Roland Petit l’invite comme soliste pour sa création « Mer Méditerranée ». Ce que Fred Bendongué a retenu de ces expériences tient dans ces quelques mots : « s’exprimer c’est avoir des convictions, sinon c’est comme parler pour ne rien dire ! ». En 1992, il crée la compagnie Azanie et présente son premier solo.

Il travaille sur les racines de la break dance, sur la signification de l’expression hip-hop et sur son évolution par le métissage culturel. Guy Darmet, directeur de la Maison de la Danse de Lyon lui fait confiance en le programmant. Il remporte alors un vif succès auprès du public. Depuis, Fred Bendongué se penche sur l’histoire des peuples africains, les grands auteurs et défenseurs de la cause black, et cette exploration va à être à la source de ces nouveaux spectacles.

Il s’initie à la capoeïra Angola et rencontre Rui Moreïra, danseur de la compagnie de Belo Horizonte « Grupo Corpo ». Ils créent ensemble, en 1999, D’une Rive à l’autre, une pièce qui obtient un succès international. En 2001, il va à la rencontre du continent Africain et anime des ateliers autour de la création artistique. En 2003, il fonde une nouvelle compagnie, Compagnie Fred Bendongué et poursuit son travail de recherche et de création.

Fred Bendongué est le premier chorégraphe français à recevoir un Bessie Award aux Etats-Unis en 1996.

 

 

Areski Hamitouche ou la passion d’associer des univers qui n’ont pas habituellement l’opportunité de se rencontrer 

 

Jusqu’en 2002, Areski Hamitouche était chargé de la direction musicale de la Compagnie Azanie qui avait la particularité de présenter des créations danse avec des musiciens en live.

On a fait cinq créations en dix ans d’existence, et on a monté la Bande qui a pas mal tourné au niveau national et européen. J’ai quitté Azanie après la Biennale 2002 et j’ai créé Compagnie Mudanza avec une partie de l’équipe qui constituait Azanie. L’idée principale est toujours de lier ces deux formes d’expressions que sont la danse et la musique.

Au niveau de la création musicale, je fonctionne beaucoup en associant des univers et en particulier ceux qui n’ont pas l’opportunité de se rencontrer. Je fais beaucoup de recherches sonores. Par exemple, la dernière création danse que j’ai faite pour la Cie Azanie était une association entre le monde lyrique et le monde afro.

Cie Mudanza a une ligne directrice qui se définit en une phrase : " de la scène à la rue, de la rue à la scène ". Nous fonctionnons en collectif avec une volonté de fédérer un ensemble d’associations, d’individus artistes, d’institutions, autour de différents projets. Ces individus et associations peuvent s’interpeller, se solliciter en fonction de leurs compétences. Notre domaine d’inspiration est la diversité des formes d’expression traditionnelles profanes et populaires que nous mettons au service d’une écriture contemporaine. Nous avons développé en particulier une relation très forte avec le Brésil et Cuba. -Lettre d’information du Gazomètre n°52. Hiver 2004 - Entretien avec Areski Hamitouche.

 

Pourquoi t’es-tu intéressé à la break dance ?

 

« Tout est parti de mon quartier des Minguettes à Vénissieux où il y a quelques années, il n'y avait pas grand-chose à faire. Nous étions livrés à nous-mêmes, entre copains, il n'y avait pas de structures qui proposaient d'activités. À travers les médias (TV, magazines...), on a pris conscience que des choses bougeaient, on a vu des danseurs et cela nous a touchés directement. J'ai commencé à m'influencer de mouvements de break dance et les introduire dans ce que je faisais. La break dance est arrivée dans les banlieues et a bouleversé les jeunes ; tous les Maghrébins, les Noirs se sont mis à faire ce style de danse, car il correspondait à une force réelle, il dérangeait, il était perturbant pour les spectateurs. La break dance n'est ni harmonieuse, ni douce ; ce nouveau langage semble avoir fait réfléchir les gens. C'est aussi ce qui m'a intéressé dans la break dance ; car j'aime déranger les gens. La break dance a été pour moi un moyen d'évoluer ; ça a été un point de départ. L'aventure avec Traction Avant Compagnie a commencé en 1984, lorsque Marcel Notargiacomo a fait passer une audition à des breakers afin de monter un spectacle. On a commencé par travailler avec un chorégraphe, Pierre Deloche, puis nous avons monté notre premier spectacle qui a tourné dans différents lieux. L'enseignement est venu dans un deuxième temps. Nous sommes les premiers à avoir découpé les mouvements de break pour les enseigner. Au départ, c'était très intuitif, très spontané. (…)

Grâce à Marcel Notargiacomo et Sumako Koseki, la chorégraphe, on a créé Un break à Tokyo, mélange de break et de buto. Le mélange, le métissage m'a intéressé, car break et buto sont deux univers opposés, antinomiques. J'ai aimé cette énergie car c'était la mienne, je me suis retrouvé. Traction Avant Compagnie, c'était comme ma famille, je me sentais protégé ; lorsque je faisais quelque chose, j'avais une structure, des gens compétents autour de moi, comme Marcel. Mais j'ai senti que je pouvais tourner en rond ; d'ailleurs, j'ai eu des critiques de Marie-Christine Vernay, journaliste à Libération. À propos de Un break à Tokyo, elle disait : "Samir absent". J'ai commencé à flipper. Je me suis posé des questions : "Quelle est la solution ? Quelle est la sortie ?" Il fallait que j'aille plus loin. On m'a conseillé de tenter un dossier avec le ministère des Affaires étrangères, pour la Merce Cunningham School de New York. »

Ça a marché. Samir Hachichi est parti danser à New York où il a appris différents styles et où il s’est forgé le sien.

Entretien avec Samir Hachichi, danseur à Traction Avant Compagnie Vénissieux. Propos recueillis par Benoît Guillemont, février 1992.

 

 

En 1996, Jean-Pierre Thorn réalise un film en trois temps sur le mouvement hip-hop dans la région lyonnaise. On y rencontre notamment les artistes de Saint-Priest, Kader Attou de la Compagnie Accrorap et Nicolas Pruvost de la compagnie Street boy’z ainsi que Zoro Ouanes Henchiri de Traction avant à Vénissieux. Ils disent la triste réalité de la vie au quotidien dans la cité et combien la danse leur permet d’en sortir.

 

De la rue à la Maison de la danse en passant par la MJC : le break monte sur scène

 

Que ce soit à l’occasion de manifestations, comme l’étape de la caravane des quartiers ou quartiers en coupe à Lyon, ou à l’occasion de festivals comme les rencontres de la Villette ou Danse Ville Danse d’abord à Villefranche-sur-Saône puis à la Maison de la danse de Lyon, les danseurs de hip-hop vont monter sur scène. C’est une évolution majeure.

Certains diront qu’en quittant le bitume de la rue, en s’organisant non plus en cercle avec autour des participants potentiels, mais devant un public immobile, le hip-hop va perdre son âme. D’autres diront qu’en évoluant ainsi en s’ouvrant sur de nouvelles mises en valeur, le hip-hop va s’enrichir et conquérir de nouveaux publics.

Michelle Luquet, aux commandes de la Maison de la danse avec Guy Darmet conclut qu’il y a toujours eu des sectaires et des intégristes, que cela ne l’intéresse pas et que seule compte la qualité des groupes. Et, Jean-Pierre Thorn explicite la spécificité lyonnaise en la comparant au mouvement qui se vit à Paris, beaucoup plus comme une forteresse en dehors de tous les circuits culturels.

Il y a eu sur la région lyonnaise des échanges, non pas pour que les artistes perdent leur spécificité, mais pour qu’ils acquièrent des éléments qu’ils ne possédaient pas, comme l’utilisation de l’espace, l’écriture scénographique, la construction d’un propos. À Paris, on est plus dans le style, c’est-à-dire dans le travail individuel du danseur, avec un repli sur soi, une peur de perdre son identité.

 

Une profusion d’ateliers et de spectacles de cultures urbaines

 

Si le hip-hop se révèle un fabuleux moyen d’expression, il est également pour les animateurs des associations de quartier (MJC, centres sociaux…) une belle occasion de mobiliser les enfants et les jeunes sur des activités qui les motivent et les canalisent. Par ailleurs, la pratique du hip-hop permet de développer des aptitudes diverses depuis l’écriture jusqu’à la danse en passant par l’expression graphique, le tag et le graff.

Les textes, la force des mots, le sens des propos comme les techniques, souvent difficiles, propres aux mouvements et figures de la break dance, sont autant de supports éducatifs et pédagogiques. Au niveau plastique aussi, il est indispensable de travailler et de progresser pour devenir un virtuose de la bombe aérosol, et cette pratique qui nécessite adresse et entraînement constitue une véritable technique artistique.

En effet, le graff fait intervenir de nombreuses notions plastiques - stylisation, géométrisation, équilibre… - et peut se trouver également en relation avec d’autres domaines artistiques comme l’infographie, la photographie, la bande dessinée, etc. On mesure alors toute la dimension de cette matière dans un objectif éducatif en centre de loisirs comme en milieu scolaire.

Le hip-hop, cette culture parallèle où pointent l’attrait de la liberté et le ton de la révolte, peut ainsi être utilisé comme une jonction entre le monde scolaire et les réalités de la rue, et peut s’avérer d’une grande richesse éducative. De plus, et c’est essentiel, proposer des ateliers de pratiques de cultures urbaines, c’est proposer une activité motivante pour les jeunes.

Enfin, et comme toute activité collective, les ateliers de hip-hop permettent de sensibiliser les jeunes à certaines règles et disciplines nécessaires à la vie en collectivité mais aussi de les inciter à s’écouter, échanger et s’ouvrir à d’autres cultures et ainsi à développer leur curiosité. Ce fantastique moyen de pouvoir renouer des liens, échanger et construire de nouvelles relations à partir d’une activité qui raisonne avec le mot « plaisir » va être grandement utilisé par les associations de quartiers.

Les MJC vont notamment développer ces possibilités de pratiques artistiques. La DRAC (direction régionale des affaires culturelles) comme la DRJS (direction régionale de la jeunesse et des sports) vont d’ailleurs largement faciliter ces expériences. Les associations engagées dans cette dynamique recevront même un label du ministère de la culture. Les grands équipements culturels seront même contraints à s’engager sur des expérimentations pour s’ouvrir à un public plus large, à l’exemple de la Maison de la danse.

On est dans une politique de reconnaissance et de lien avec toute une jeunesse que l’on croyait avoir perdue, et dans un processus profond d’insertion, d’intégration et de lutte contre l’exclusion.

 

Affiche caravane des quartiers solidaire multiculturelle fraternelle Béatrice Castoriano, Joss Dray, Mehdi Lallaoui

 

C’est dans ce même esprit que Lyon va accueillir la caravane des quartiers en août 1997 qui sera aussi l’occasion de valoriser les nombreux groupes de hip-hop émergeant dans l’agglomération. Comme pour le défilé, l’objectif poursuivi à travers l’accueil de la caravane des quartiers est aussi de mêler les musiques, les rythmes, les voix, les cultures, les expressions artistiques, les Lyonnais et de partager des rires et de belles émotions.

Mais cette fois, ce ne sont pas les artistes et amateurs des quartiers périphériques qui sont allés au centre de la ville mais la population de toute la ville qui était invitée à se rendre dans l’un des quartiers. Cinq jours de spectacles ont ainsi été organisés pour fêter la fin des nombreuses animations de l’été et pour tout simplement faire la fête avant de se remettre dans le tourbillon de la rentrée, de l’école, du travail et du quotidien.

Entre le 27 et le 31 août 1997, la ville de Lyon, et plus particulièrement les délégations de l’animation culturelle et de la politique de la ville respectivement confiées par le Maire de Lyon, Raymond Barre, à ses deux adjointes, Michèle Mollard et Anne-Marie Comparini, a ainsi organisé cet accueil exceptionnel de la caravane des quartiers.

Et la caravane, ce n’est pas tout à fait un événement comme les autres. Certes ce sont des artistes qui arrivent présenter des spectacles, mais ils sont accompagnés d’une équipe de caravaniers qui suit la caravane pour monter les chapiteaux et surtout pour aller à la rencontre des habitants des quartiers et des villes qu’ils traversent. Ainsi, c’est plus d’une centaine de personnes qui s’installent dans un tourbillon de musiques et de couleurs.

L’autre particularité de l’évènement est la préparation de l’accueil, car c’est tout le quartier qui se doit de préparer l’arrivée de la caravane. La réussite de l’étape repose avant tout sur la rencontre des caravaniers et des habitants du quartier. Dans le domaine artistique aussi, si la caravane est l’occasion d’accueillir des spectacles, elle est aussi l’occasion d’en produire.

Ainsi et notamment pour l’ouverture de l’événement, ce sont notamment les jeunes danseurs hip-hop lyonnais qui ont donné le ton. Ils ont été suivis par les chevaucheurs et l’Équipe à Jojo, le spectacle haut en couleur Galicia tropical de Manu Chao, les bidons de Générik Vapeur, la chanteuse raï Zahouania et Arno dans une ambiance particulièrement festive place du 8 mai, dans le quartier des États–Unis au cœur du huitième arrondissement de Lyon.

Là encore, l’agglomération lyonnaise va s’inscrire dans la dynamique de la valorisation des cultures et des quartiers. L’installation de la caravane n’est pas un hasard. Elle marque la volonté des acteurs et des financeurs de la Politique de la Ville d’agir en ce sens. Le projet est soutenu dans le cadre de la Politique de la Ville par l’État, la région Rhône-Alpes, le Grand Lyon et la Ville de Lyon.

 

L’ethnologue Virginie Milliot-Belmadani qualifie d’expérimentation pluraliste la politique en faveur des cultures urbaines qui se sont déployées dans les années 1990 dans l’agglomération lyonnaise et précise le sens qu’elle donne à cette pluralité :

« Toute reconnaissance de la diversité suppose une négociation du commun ; La voie pluraliste est une expérimentation de cette tension entre diversité et viabilité des institutions. Elle entraîne nécessairement des conflits, des confrontations, parce qu’elle impose un format à la visibilité des différences. Dans ce cadre de reconnaissance formelle, se reproduisent également des logiques d’acculturation et une certaine forme d’aliénation sémantique de la différence. Mais dans ce cadre imposé, se développent également des résistances et des échanges, des négociations qui engendrent une progressive transformation du cadre lui-même. Ce qui s’expérimente sur le terrain de ces politiques culturelles, c’est ainsi une nouvelle manière de concilier intégration et pluralisme… »

 

Danse Ville Danse

 

Les premières rencontres nationales de danses urbaines ont eu lieu à la Villette en 1996. Depuis, chaque année, le parc de la Villette poursuit son investigation des formes artistiques issues des villes et des banlieues. Il accueille, pendant six semaines, une centaine de spectacles et quelque 2 000 artistes de tout horizon : danse, musique, théâtre, cirque, vidéo et arts graphiques. Ce grand rendez-vous est avant tout celui du métissage.

 

Illustration personnes en train de danser

 

Danse hip hop, théâtre, concerts, débats, chantiers... Du monde des affaires à la biosphère, tout parait prêt à imploser. Il est urgent de réapprendre à être, autrement que par l’avoir. Plus que jamais la pensée, l’imaginaire et le sensible nous sont indispensables. Les artistes hors normes des Rencontres les mettent énergiquement en œuvres hybrides, urbaines, métissées, en ouverture à un monde meilleur...

Édito des rencontres de la Villette

 

Avant ces rencontres nationales, Villefranche-sur-Saône en 1992 puis Lyon en 1993 allaient organiser les premiers festivals de danse urbaine en région Danse Ville Danse. Les groupes qui se réunissent tout au long de l’année aux quatre coins de la région peuvent se retrouver et se produire sur une vraie scène grâce à ces rencontres de danses urbaines.

Au cours d’une émission de Radio pluriel, Gilberte Hugouvieux (ISM) présente le travail effectué avec les amateurs et les jeunes professionnels de la danse dans les différents quartiers de l’agglomération et les enjeux de Danse Ville Danse. Philippe Delpy (FAS) souligne l’intérêt des pratiques culturelles dans un processus d’intégration et Françoise Bernillon (FAS) montre l’importance de l’expression permise par la danse et dans la construction des rapports sociaux. Benoît Guillemont apporte l’éclairage de la DRAC.

 Emission : Danse ville danse - Réalisateur : Olivier Flandin Radio : Radio Pluriel - Diffusé le 01-12-1993 - Durée 20:00 minutes 

 

1998 : Quartiers en coupe et coupe du Monde

 

En 1998, la coupe du Monde de football se déroule en France. La Ville de Lyon organise « Quartiers en coupe ». L’objectif est d’allier lien social, culture et sport en invitant les habitants des quartiers à partager sur l’espace public un temps fort en trois séquences, des tournois et animations sportives, des spectacles essentiellement de culture urbaine et la retransmission d’un match sur écran géant, et ce dans une ambiance festive et conviviale.

En grande majorité, les formes artistiques présentées relèvent de la culture urbaine, du hip-hop. Là encore, l’occasion est donnée aux groupes locaux de se produire devant du public. L’opération est portée par l’adjointe au Maire de Lyon déléguée à la Politique de la ville, financée dans ce cadre et mobilise plus de quarante associations pour cinq évènements.

Et le 12 juillet, après la présentation du spectacle de l’association Kassou et la grande animation de la bande de la Compagnie Azanie, plus d’un millier de spectateurs, les yeux rivés sur l’écran géant installé devant le Gros Caillou du boulevard de la Croix Rousse, vont regarder la France gagner face au Brésil grâce à un doublé de Zidane et un but de Petit, grâce à une équipe Black Blanc Beur.

 

 

On se plaît alors à croire qu’au-delà des différences de ses populations et de ses territoires, la France est unie, que le temps des discriminations est terminé.

Selon Ludovic Lestrelin, maître de conférences en Staps, cette équipe de 1998 était perçue comme le reflet de la diversité, mais c'était un discours totalement reconstruit, artificiel. Les grands sports, surtout le football, peuvent générer des mouvements collectifs très forts, mais temporaires. Le succès joue un grand rôle dans ce sentiment, également. La France s'est reconnue dans son équipe en 1998 parce qu'elle est allée au bout.

Il semble en effet que l’on ne construise pas du patriotisme sur du football. Le philosophe Alain Finkielkraut nous rappelait déjà en 1998 ce qui « fait communauté » et qu’il ne faut pas confondre l’identification à une équipe de foot et l’adhésion à une culture, à une langue, à des valeurs.

La magie Zidane ne semble plus en capacité d’occulter l’ampleur de la fracture sociale, des discriminations et des préjugés raciaux. La portée universelle du modèle politico-sportif d’intégration à la française semble avoir des limites.

À travers l’exemple de l’évolution du hip-hop et particulièrement de la danse urbaine dans l’agglomération lyonnaise et sa région, ou celui de la coupe du Monde de football de 1998, on voit bien que le désir de reconnaissance est fort, que les envies de vivre ensemble dans un contexte apaisé, de rencontres et d’élans partagés sont tenaces mais qu’ils ne franchissent pas les obstacles constitutifs de la fracture sociale.