Dans le cadre de notre travail consacré au Défilé de la Biennale de la danse, l’édition de cette ressource a été mise à jour en septembre 2023.
Ce texte est issu d’une étude de Millénaire 3. Retrouvez le document entier ici.
Outre l’intervention publique et le renouvellement des pratiques, il faut se pencher sur ce que propose un milieu artistique, de plus en plus étoffé. Les producteurs d’objets aspirant à être considérés comme des œuvres d’art s’éloignent en effet, eux aussi, des cadres ordinaires de la production. Se développent notamment des disciplines nouvelles comme les arts de la rue, alors que des disciplines plus anciennes comme la danse ou le cirque sont revues de fond en comble. Parallèlement à ce processus de révision de pratiques traditionnelles, de nouvelles disciplines apparaissent, issues de la révolution technologique numérique.
Ainsi, outre les possibilités offertes pour la musique et l’image, le numérique a investi le cinéma et développé son propre univers, via les jeux vidéo. Ces productions, qui ne sont pas encore entrées dans le champ de l’art, aspirent sans doute à plus de reconnaissance, comme la bande dessinée en son temps. De plus, en raison de la place prise par les jeux vidéo (à la fois en termes de production et d’usage par le public), la production se segmente.
S’il existe des jeux clairement commerciaux, d’autres sont plus éducatifs, certains sont aussi plus ouvertement créatifs et novateurs. Il est probable qu’ils acquièrent à plus ou moins long terme une place différente dans l’échelle des productions créatives que celles qu’ils ont actuellement. Actuellement, les jeux vidéo sont essentiellement remarqués pour le renouvellement qu’ils ont apporté dans le champ des loisirs, pour leur poids économique et leurs fréquents bonds technologiques.
L’émergence en question
L’émergence de disciplines nouvelles, ou plus modestement d’esthétiques originales, est un processus qui parcourt toute l’histoire des arts. Cependant, ce phénomène va en s’accélérant et il apparaît aujourd’hui comme un point de passage obligé pour accéder, sinon à la reconnaissance du moins à la notoriété. Ainsi, le hip-hop a-t-il acquis une visibilité remarquable en parvenant à « émulsionner » des dispositions a priori peu favorables : une pratique née hors du cadre de formation, produites dans des banlieues déshéritées culturellement, éloignées des instances de légitimation (média, scènes identifiées), etc.
Grâce à plusieurs facteurs, via notamment la Politique de la Ville et la nécessité pour la danse contemporaine de se renouveler, cette esthétique s’est imposée. Bien que très visible, elle peut être considérée davantage comme un courant esthétique inscrit dans une discipline bien connue – la danse – que comme une discipline autonome et entièrement nouvelle.
L’émergence d’acteurs culturels venus d’horizons hétérodoxes
Souvent autodidactes, de nouveaux producteurs se trouvent par exemple parmi les immigrés de la seconde génération ou au sein des amateurs de nouvelles technologies.
Parallèlement au mouvement décrit précédemment, de nouvelles catégories de producteurs émergent, et cherchent à se faire entendre. Ce sont par exemple les enfants des seconde et troisième générations de l’immigration, qui font connaître des pratiques nouvelles comme le hip-hop. Il faut noter que le hip-hop a bénéficié d’une conjoncture favorable : il a été soutenu par la Politique de la Ville et s’est appuyé sur un encadrement exercé par des professionnels venus de la création.
Ces acteurs ont « milité » pour que le hip-hop se « mixe » avec la danse contemporaine notamment. Cette position, qui a parfois été fortement critiquée, en ce qu’elle aurait été une forme de récupération de pratiques originales issues d’un groupe social, a cependant permis que le hip-hop ne se marginalise pas. Cette pratique a au contraire contribué à régénérer et nourrir tout un pan des arts actuels, la danse mais aussi les arts plastiques, les arts visuels, etc.
Les cultures de l’immigration ne se limitent pas au hip-hop. D’autres pratiques culturelles, apportées par les immigrants, sont davantage inscrites dans une pratique traditionnelle et aspirent aussi à la reconnaissance. Même si la reconnaissance de celles-ci est encore en devenir, on peut supposer qu’il y a là un vaste domaine qui ne demande qu’à être rendu visible. Le champ des cultures traditionnelles, locales ou immigrées, est en effet en questionnement depuis quelques années.
On peut aussi remarquer que les artistes ont été aux avant-postes du débat sur la place des citoyens issus de l’immigration, bien avant que la représentation de ceux-ci dans les médias, ou plus largement leur insertion dans la société en général, ne devienne une question centrale.
Comment le champ de l’art se repense sans cesse
La définition du champ de l’art se recompose en permanence sous une triple influence : des propositions créatives qui aspirent à une reconnaissance plus large, des modes de consommation qui se diversifient et ne s’embarrassent pas de catégories préétablies, des dispositifs d’intervention publique, eux aussi renouvelés et diversifiés.
In fine, on constate que la « culture » est une notion en dissémination constante dans nos sociétés, et qu’elle se repense continuellement : gratuité, participation, montée des pratiques amateurs, reconnaissance des cultures hip-hop, contribuent à une extension/redéfinition du champ culturel. Corollaire à ce mouvement, l’individu présente des modes de consommation multiples : il peut aimer le théâtre et lire « Voici », fréquenter les sons et lumière et fabriquer lui-même des vidéo arty, etc.
L’analyse des modes de consommation et des pratiques des individus met en évidence ce phénomène : l’on constate de fréquents bouleversements hiérarchiques et une concurrence (des pratiques, des disciplines, etc.) qui jouent sur ce qui sera ou non (et par qui) considéré comme appartenant au champ culturel.
Aujourd’hui, le champ culturel est un espace polymorphe aux frontières mouvantes, en recomposition constante, dont la définition est sans cesse en débat. Il s’ouvre – ou il subit – les mutations sociologiques, l’impact des nouvelles technologies, qui elles-mêmes agissent sur les modes de consommation, évolutions qui à leur tour retentissent sur le travail des artistes…
Aussi, il n’est probablement plus possible d’envisager le champ culturel comme un secteur « sanctuarisé » : arts, pratiques, usages, modes de consommation et de participation infusent dans de très nombreux domaines de la vie sociale.