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Marc Villarubias, chef de projet Jeunesses : « Il y a vraiment l’avant et l’après. Ce Défilé a fait référence »

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Portrait de Marc Villarubias
Ancien membre du comité de pilotage du Défilé pour la Ville de Lyon (1996-2018)

Interview de Marc Villarubias

27 ans du Défilé : chaque semaine, retrouvez l’interview d’une personnalité qui a marqué son histoire

Marc Villarubias a été membre du comité de pilotage du Défilé de 1996 à 2018, pour la Ville de Lyon, où il a d’abord été agent de développement social à La Duchère, sur Lyon 8ème puis sur l’ensemble des territoires lyonnais. Il a œuvré ensuite pour transformer la politique culturelle municipale et animer le volet culture de la politique de la ville, et a travaillé aussi pour la Métropole sur ces mêmes thèmes.

Dans cet interview, il rappelle la référence absolue qu’est devenu dès la première édition le Défilé, ses impacts sur les politiques culturelles, sur la circulation des gens entre les quartiers. Il rapporte aussi l’énergie des quartiers des années 1980-90 ainsi que leur isolement, et la manière dont le Défilé est venu répondre à tout un faisceau d’attentes.

Cet entretien a été mené dans le cadre de l’enquête sur le défilé de la Biennale de Lyon, réalisée en 2021 et 2022, à l’initiative de la Métropole de Lyon et de la Biennale de la Danse, dont les résultats sont restitués dans trois cahiers.

L’objectif était de comprendre ce que peut changer un tel événement, sur les participants, les territoires et la métropole ; de questionner la manière dont les grandes évolutions de la société l’impactent ou le questionnent ; de rendre possible enfin une réflexion collective sur l’avenir de cet événement d’exception.

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Date : 05/10/2021

À quel moment, dans votre parcours professionnel, la rencontre s’est-elle faite avec le Défilé ?

J’ai passé des coups de fil dans les quartiers, auprès de mes interlocuteurs, des associations, des MJC que je connaissais sur Lyon. Le retour était super positif. Il y avait une envie

Mon parcours professionnel, il a commencé sur les Pentes de la Croix-Rousse, au centre social et culturel La Condition des Soies, à la fin des années 1980. J’étais animateur socioculturel sur un site en Politique de la ville, avec tout un tas d’acteurs qui étaient pour beaucoup issus de l’immigration. Une grosse dynamique partait de ce que l’on appelle maintenant la « diversité ». J’ai été embauché ensuite sur le quartier de la Duchère comme agent de développement social. J’ai fait mes armes au cœur de la machine Politique de la ville, qui a beaucoup évolué. À l’époque, c’était de petites équipes.

J’ai travaillé sur les quartiers du huitième arrondissement, beaucoup travaillé sur le démarrage du musée urbain Tony Garnier. Quand, au milieu des années 1990, la Ville de Lyon s’est réorganisée, en croisant des approches territoriales et thématiques, je suis devenu chef de projet culture sur l’ensemble des territoires lyonnais : Pentes, Duchère, Huitième, Guillotière, etc. J’étais donc à l’époque connecté à l’ensemble des territoires en Politique de la ville, à défendre l’intérêt de mobiliser la culture dans le cadre de la Politique de la ville, parce qu’il y avait des expressions, des cultures émergentes liées à ces territoires, qui n’étaient pas encore reconnues.

Quand il y a eu l’appel à projets du ministre de la Culture Douste-Blazy avec la formule « On met un million (de francs) sur des projets », Guy Darmet, à la Maison de la Danse, a proposé de s’en saisir, en l’adaptant au contexte lyonnais. C’est alors que Anne-Marie Comparini, qui était adjointe à la Politique de la ville, m’appelle un jour pour me demander : « Que pensez-vous de ce projet, de faire un Défilé sur le modèle des écoles de samba, qui est proposé par Guy Darmet ? ». J’ai passé des coups de fil dans les quartiers, auprès de mes interlocuteurs, des associations, des MJC que je connaissais sur Lyon. Le retour était super positif. Il y avait une envie. C’était une proposition institutionnelle avec des moyens, qui s’appuyait sur les cultures des territoires, sur un mode participatif. C’était pile-poil dans les attentes exprimées. 

 

Quelles étaient ces attentes ?

Les acteurs du hip-hop avaient cette énergie, cette force, qui vient du besoin de reconnaissance

Au sein des cultures urbaines qu’on appelait encore le hip-hop, des gens étaient sur de la musique, sur de la danse, sur du graphe et des arts plastiques, sur du théâtre. Il y avait aussi toutes les cultures issues des différentes migrations, beaucoup de choses au total d’un point de vue culturel qui émanaient des quartiers, portées par des acteurs qui ne trouvaient pas leur place. Il y avait plein de choses montrées dans les quartiers, mais ça restait en circuit fermé. Cela faisait émerger une interpellation sur la place des institutions culturelles. En tant qu’artistes, ils avaient tapé à toutes les portes des institutions culturelles pour dire « Reconnaissez ce qu’on fait ».

Moi, en tant qu’agent de développement culturel dans le cadre de la Politique de la ville, j’étais porteur de ça. Il y avait des groupes de travail dans tous les quartiers, hyperactifs, où des gens pouvaient crier leur besoin, leur volonté, leur envie d’être reconnus. Les acteurs du hip-hop avaient cette énergie, cette force, qui vient du besoin de reconnaissance. Avec tout un tas d’acteurs, ils butaient sur le plafond de verre de la reconnaissance institutionnelle.

À l’époque, il y avait aussi des questionnements sur la manière dont l’action culturelle peut changer l’image du quartier, participer au développement du territoire par la participation des gens. Tout un tas de choses qui étaient vraiment portées par les acteurs du territoire, ce qui est peut-être moins le cas aujourd’hui. Il y avait encore, à l’époque, beaucoup de leaders sur des territoires, des leaders habitants, des grandes gueules issues de l’immigration, des syndiqués, des militants, qui avaient de l’envie, de l’espoir, de l’énergie…

Ces profils ont disparu ?

Il y avait tous les acteurs culturels et artistiques issus de l’immigration, issus du hip-hop au sens large, qui étaient plutôt des jeunes qui avaient cette envie de faire des choses

Oui, pour plein de raisons différentes. Il n’y a plus de porteurs comme ça, qui retournaient les tables au sens propre et figuré dans les réunions quand ça n’allait pas, mais qui étaient moteurs, pour être porte-parole et pour fabriquer. Sur les Pentes de la Croix-Rousse, il y avait Malek Cherifi par exemple de l’association Kassou. Il y avait des structures solides, en capacité de porter et de tenir ça.

Et puis il y avait tous les acteurs culturels et artistiques issus de l’immigration, issus du hip-hop au sens large, qui étaient plutôt des jeunes qui avaient cette envie de faire des choses. Tous ont joué un rôle important pour préparer le terrain. La Politique de la ville, par ailleurs, commençait à être un peu plus structurée en termes de politique publique, avec un réseau lyonnais métropolitain.

Le projet de défilé répondait-il bien à toutes ces demandes ?

Dans le centre-ville, il y avait presque une appréhension sur ce qui allait se passer, avec cette descente des territoires

Oui. Il faut aussi voir qu’à l’époque, les quartiers étaient éloignés, périphériques, loin. Là, c’était une proposition dans le centre-ville, dans l’espace public, portée par l’institution, avec des moyens financiers.

Du coup, j’ai fait un retour à Anne-Marie Comparini, en disant que les gens avaient envie. C’est parti comme ça. Il y a eu un appel à projets. Dans les projets, beaucoup venaient des quartiers lyonnais. C’était l’expérimentation la plus totale et la plus folle parce que personne n’avait de référence sur ce que ça pouvait produire. Il y avait déjà toutes les questions : « Où est-ce qu’on va fabriquer, qu’est-ce qu’on fait, où est-ce qu’on répète ? »

La préparation du Défilé avait posé plein de questions. La presse, quelques jours avant le Défilé, titrait, « La banlieue descend rue de la République. » Dans le centre-ville, il y avait presque une appréhension sur ce qui allait se passer, avec cette descente des territoires. Denis Trouxe, qui était l’adjoint à la culture, le matin, quand on était en train de se préparer, avait super peur, à la fois que peut-être des choses se passent mal, mais aussi que ce soit nul, ou ridicule.

 

Et vous-même, vous n’aviez pas d’appréhension ?

Et puis il y a eu ce premier Défilé, le jour J, rue de la République. Le monde présent, c’était la folie

Un tout petit peu quand même, parce que quand on est sur une première, on ne sait pas ce qui va se passer. Mais j’avais vu tous les groupes répéter, la super énergie, l’envie. La question était plus pour moi : est-ce que le public allait venir pour voir ?

Et puis il y a eu ce premier Défilé, le jour J, rue de la République. Le monde présent, c’était la folie ! Je ne sais plus, 100 000 personnes. Ces chiffres étaient du jamais vu sur la rue de la République, de l’Hôtel de Ville à Bellecour. Il n’y avait pas les barrières comme maintenant, donc c’était l’envahissement de la rue. Et puis les familles... C’était fou. En deux heures de Défilé, tout a basculé. Y compris la manière de voir le volet « culture de la Politique de la ville ».

Je me souviens, Denis Trouxe, avec qui j’avais eu plusieurs rendez-vous avant, il ne comprenait pas ce qu’était la culture dans les quartiers, la Politique de la ville, ce que voulait dire mobiliser l’institution culturelle dans les quartiers. Il est vrai que le volet « Politique de la ville » était encore, disons un truc à part. À la fin, il est venu me voir : « On a bien travaillé, c’était super ». C’était la réappropriation totale, la bascule. Pour moi, il y a l’avant et l’après.

La formule « La banlieue vient défiler au centre le Lyon », utilisée y compris alors par la presse, était-elle juste ?

Avant le Défilé, quand on parlait de travailler en s’appuyant sur les territoires, personne ne comprenait rien

Oui. Le programme de Douste-Blazy était un projet culturel de territoire destiné aux quartiers de la Politique de la ville. À l’époque, les gens étaient enfermés dans leurs quartiers, on avait cette volonté d’ouvrir. Avec le Défilé, on avait de l’inter-quartier, de la circulation, tous les quartiers qui se retrouvaient dans le centre, le tout avec des moyens financiers, un portage institutionnel, l’accès à l’espace public, la valorisation des cultures issues des territoires… Tout était d’un coup posé là, et ça marchait.

Le Défilé, il répondait aussi au besoin de reconnaissance dont j’ai parlé, il montrait tout l’intérêt en termes de création de tout un réseau d’acteurs qui étaient impliqués depuis longtemps sur ces territoires et souffraient d’être dévalorisés. Il donnait une visibilité à des territoires et à leurs habitants et leurs habitantes, il ouvrait le centre-ville et leur donnait une place.

Pour moi, je le répète, il y a vraiment l’avant et l’après. Ce Défilé a fait référence. Avant le Défilé, quand on parlait de travailler en s’appuyant sur les territoires, sur des modèles participatifs, de valorisation, qui s’appuient sur la diversité de la création, personne ne comprenait rien, donc on n’avançait pas. Et, d’un coup, on avait une référence en disant : « Vous avez vu le Défilé ? C’est possible. » Du coup, ça a basculé. C’était un outil, une référence pour dire « Mais si, c’est possible. » Et tout le monde avait vu. Ça m’a aidé ensuite quand j’ai travaillé sur la Charte de coopération culturelle de la Ville de Lyon.

 

Quels étaient les objectifs du Défilé ?

À l’époque, ces objectifs étaient ceux du volet culture de la Politique de la ville, faire du développement social à partir de ce que sont les gens, reconnaître des identités, faire reconnaître des territoires, favoriser la circulation, l’insertion, l’intégration, fabriquer la ville avec plus de relations entre tous ces acteurs. La « culture » dans les quartiers, ce n’était pas grand-chose en fait, c’était de la sous-culture ou de la culture des territoires.

Après l’évènement, les participants avaient-ils l’impression d’avoir acquis quelque chose ?

Le premier Défilé faisait un référentiel pour tout le monde

Oui. C’était très fort. Il y avait un sentiment de fierté. En plus, ça passait à la télévision, c’était en direct, et puis rediffusé, multidiffusé. Le premier Défilé faisait un référentiel pour tout le monde. On en parlait à des associations ou à une MJC sur un quartier, elles savaient ce que c’était. On en parlait aux habitants, ils savaient ce que c’était. On en parlait à un artiste, on en parlait à un élu, ils savaient ce que c’était. Tout le monde savait.

Vous avez vu ensuite des évolutions du Défilé ?

Les acteurs de la Politique de la ville peuvent regretter que ça touche moins les habitants du périmètre stricto sensu des quartiers de la Politique de la ville

Avant, les quartiers étaient vraiment chacun dans leur coin, il n’y avait pas de circulation, c’était associé à un sentiment fort de relégation. Les gens étaient dans leur quartier, ils y restaient. Traverser la métropole pour aller répéter, c’était inimaginable. Aujourd’hui, des habitants du centre vont aller répéter à Vaulx ou à Bron. Les mobilités qui se sont créées en 25 ans au sein de la métropole n’existaient pas. La manière d’appréhender l’espace métropolitain a beaucoup bougé. Au début, le périmètre de travail des groupes était tout petit, aujourd’hui, ils sont de taille plus importante, se sont élargis à la région, c’est une grande évolution.

C’est du territoire et des réseaux qui se mélangent, des modes de fonctionnement qui sont complètement différents. Les réseaux sociaux ont amené aussi la construction de communautés qui sont prêtes à se mobiliser, à suivre un artiste, ou qui ont une belle expérience, et veulent continuer. Tout s’est ouvert, en fait, et c’est positif, d’une certaine manière. Du coup, il y a une mobilité qui n’existait pas et c’est moins territorialisé, ancré dans le territoire.

Les acteurs de la Politique de la ville peuvent regretter que ça touche moins les habitants du périmètre stricto sensu des quartiers de la Politique de la ville, mais ça a quand même créé des ouvertures, des circulations, des mobilités, ce qui est une belle chose. Même s’il y a eu quelques dérives, avec parfois des projets sur lesquels il n’y avait quasiment personne de ces quartiers.

Et puis, au début, des groupes pouvaient réunir 80 personnes, c’était le cas de la compagnie Azanie, aujourd’hui il en faut plus de 150-200, avec tout un tas d’exigences, des acteurs plus professionnels. C’est aussi l’investissement de Lyon et de la Métropole qui ont bougé, avec le transfert de la compétences grands événements culturels et le fait qu’à Lyon, il existe de nombreuses actions sur le volet « culture » de la Politique de la ville, des dizaines de projets soutenus tout le temps, ce qui relativise la place du Défilé.

 

Le comité de pilotage du Défilé était-il, comme le Défilé, quelque chose d’inédit, d’original ?

Tout ça n’aurait pas existé s’il n’y avait pas eu Guy Darmet et sa dimension visionnaire

En tout cas, c’était une des premières fois où il y avait un comité de pilotage aussi large et diversifié sur un événement. C’est la première fois aussi que l’ensemble des collectivités étaient parties prenantes, du côté Politique de la ville et du côté culture.

Il y avait cette volonté d’avoir des représentations des deux côtés, et d’avoir des élus et des techniciens. L’État, c’était la préfecture, la Politique de la ville et la DRAC. La Ville de Lyon, c’était l’élu à la Politique de la ville et l’élu à la culture, voire aussi l’élu aux événements.

Sur les premiers comités de pilotage, il y avait des positions tranchées entre la culture et la Politique de la ville, chacun tenait ses arguments, mais avec une volonté de ne pas bloquer la machine. C’était utile aussi, parce que adjoints à la culture étaient confrontés à des artistes ou des créateurs qui posaient des questions légitimes sur leurs moyens de financement, leur statut, le manque de lieux de diffusion. Ils étaient confrontés à des gens qui parlaient de ce qu’ils vivaient, donc il y avait une acculturation réciproque. Mais tout ça n’aurait pas existé s’il n’y avait pas eu Guy Darmet et sa dimension visionnaire sur l’accompagnement du hip-hop et les connexions à établir à partir de là.