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Fred Bendongué, chorégraphe, sur le Défilé de la Biennale de la danse : « Il y a de la vie ici. Il y a de la lumière. Il y a de la jeunesse »

Interview de Fred Bendongué

Portrait de Fred Bendongué assis avec une radio sur les genoux
© Vincent Noclin
Chorégraphe

27 ans du Défilé : chaque semaine, retrouvez l’interview d’une personnalité qui a marqué son histoire

Fred Bendongué est considéré comme un des pionniers du mouvement hip-hop dans la région lyonnaise, mais aussi comme l’un de ceux qui ont œuvré à relier ces cultures urbaines et la danse contemporaine, notamment à travers ses participations aux Défilé de la Biennale dès la première édition en 1996.

Il expose, dans cet entretien, le sens que revêt pour lui cette participation au regard du contexte politique, social et artistique des débuts, et ses attentes pour les suites du Défilé.

Cet entretien a été réalisé dans le cadre de l’enquête sur le Défilé de la Biennale de Lyon, réalisée en 2021 et 2022, à l’initiative de la Métropole de Lyon et de la Biennale de la Danse, dont les résultats sont restitués dans trois cahiers.

L’objectif était de comprendre ce que peut changer un tel événement, sur les participants, les territoires et la métropole ; de questionner la manière dont les grandes évolutions de la société l’impactent ou le questionnent ; de rendre possible enfin une réflexion collective sur l’avenir de cet événement d’exception.

Date : 21/09/2021

Comment avez-vous rencontré le Défilé de la Biennale ?

C’est Guy Darmet et son équipe qui sont venus me chercher dans ma compagnie Azanie, en 1996. J’étais identifié, avec la compagnie Traction Avant à Vénissieux, comme un des pionniers du mouvement hip-hop en région lyonnaise voire en France. Traction Avant visait à projeter la danse hip-hop vers la scène chorégraphique française, comme à travers un de ses premiers spectacles, Kascadanse en 1984. Et puis je m’étais produit juste avant, en 1994, avec ma propre compagnie dans la Biennale de la Danse. J’étais donc étiqueté à la fois chorégraphe à part entière, déjà professionnel, et hip-hop, avec toute cette décennie derrière moi.

Pourquoi selon vous Guy Darmet et le Défilé se sont-ils intéressés au hip-hop ?

Sans ces acteurs, cette population, le Défilé n’aurait peut-être pas pris comme il l’a fait

Je pense que si Guy Darmet est venu nous chercher pour faire le premier Défilé, c’est parce qu’il a vu une connexion directe entre l’histoire du hip-hop, qui vient de la rue, et le Brésil, le carnaval dont il voulait s’inspirer. Il voulait faire un événement de rue, de culture urbaine, et il y avait dans les quartiers lyonnais à l’époque cette émergence d’une culture des banlieues, de chorégraphes, de toute une population et de son mode d’expression. Ce ne sont pas les centres-villes qui pouvaient amener ça ! C’est Vénissieux, Vaulx-en-Velin… Sans ces acteurs, cette population, le Défilé n’aurait peut-être pas pris comme il l’a fait.

C’est important de se situer dans cette histoire-là, parce que c’est ce qui va donner du sens à l’engagement artistique. Pour moi, il ne s’agit pas uniquement d’être dans une commande d’une institution « Biennale de la danse de Lyon », mais aussi de m’inscrire dans cette histoire du hip-hop, des quartiers populaires, qui a commencé avant moi et qui continue.

On peut dire que les histoires du hip-hop et de la danse se sont croisées à Lyon à ce moment-là…

Montrer que l’on était aussi producteurs de culture, revendiquer d’appartenir à une communauté de destin national, français aussi

À l’époque, il y avait des enjeux très forts, qui étaient à la fois artistiques, mais aussi sociaux, politiques et culturels. Ce n’était pas uniquement une histoire de venir se la raconter sur la scène chorégraphique. À partir des années 1980, il y avait, avec la gauche au pouvoir, la volonté au niveau du ministère de la Culture de donner des lettres de noblesse à la culture populaire, et donc d’appuyer et de soutenir des initiatives artistiques au sein des milieux populaires, telle que Traction Avant.

Ici, Marcel Notargiacomo, qui était un acteur culturel de terrain, est à l’origine de cette volonté de passer le hiphop de la rue à la scène, en portant les enjeux de l’époque : ces jeunes qui vont aller sur la scène chorégraphique française, c’est la même jeunesse, la même génération que celle qui a Défilé en 83 dans toute la France, avec la Marche pour l’égalité et contre le racisme. Elle portait la volonté de réunir tous les Français, quelles que soient leurs origines ethniques. C’est cette jeunesse issue de l’immigration, qui était énormément stigmatisée, traquée par le racisme et victime aussi de crimes racistes.

Après que Toumi Djaidja avait été touché par la balle d’un policier à bout portant, il est sorti de son coma et s’est dit : « Nous n’allons pas répondre à la violence par la violence puisque c’est comme ça chaque fois qu’ils nous attendent sur ce terrain-là. Nous allons répondre par une marche pacifique à l’image de Gandhi, en utilisant cette philosophie de la non-violence qui a été aussi adoptée par le Pasteur Martin Luther King. » En 1983, c’est une marche qui réclame ces droits, droit à la dignité, droit à l’égalité des chances. C’était très important. Nous, on aimait cette génération-là des années 80 ! Vous voyez les enjeux ?

Donc, notre présence sur la scène chorégraphique visait à diffuser ce même message : dire au monde aussi qu’on était bien visibles et non pas des invisibles, même si on était issu des communautés minoritaires. Refuser la ghettoïsation, l’enfermement. Montrer que l’on était aussi producteurs de culture, revendiquer d’appartenir à une communauté de destin national, français aussi.

Quand bien même nous étions des enfants d’immigrés, nous étions nés en France. Nous étions Français. Pas des Français à part, des Français à part entière. Et le hip-hop arrive à ce moment-là. Vous aviez deux mouvements pacifiques qui se rencontraient, celui venu d’outre-Atlantique, le hip-hop, par lequel ces revendications rejoignent le terrain culturel, et ce mouvement pour l’égalité et contre le racisme. Moi, je suis né là. Je suis un de ces artistes qui ont émergé à cette époque-là. Dans l’alchimie de cette époque des quartiers périphériques de Lyon.

 

Donc vous arrivez au Défilé avec la volonté de porter cette double histoire : celle du hip-hop et celle de la jeunesse immigrée française ?

Le hip-hop était notre fer de lance, notre cheval de bataille

Oui, on est allé au Défilé de façon militante. Pour la génération à venir, celle de nos cadets. Pour qu’eux aussi puissent se projeter dans un autre avenir que celui auquel on nous avait prédestinés, qu’ils puissent atteindre eux aussi cette égalité des chances, se révéler des artistes et avoir les mêmes droits que n’importe quel artiste « franco-français ». Le hip-hop était notre fer de lance, notre cheval de bataille. Et on était portés par la génération précédente, tout ce qu’elle avait fait pour nous déjà : dans les années 80, voire dans les années 70. Pour moi, devenir danseur, c’était un rêve. Un espoir inimaginable ! Il ne fallait pas y penser !

Vu notre rang social et notre couleur de peau, il ne fallait pas y penser en France. Ceux qui ont vraiment bousculé un petit peu le destin en tout cas, ici en région lyonnaise, c’est Marcel Notargiacomo, et d’autres… Marcel avait demandé au grand chorégraphe Pierre Deloche de bien vouloir mettre en scène ces jeunes des quartiers de Vénissieux et des Minguettes. Pierre Deloche est un chorégraphe contemporain de danses contemporaines, c’est un professionnel. Nous, on était des amateurs.

Le défi qu’on relevait, c’était de pouvoir se dire : « Tiens. Comment on pourrait faire rencontrer ces deux univers diamétralement opposés, deux cultures diamétralement opposées, une qui a un ancrage vraiment populaire qu’on appelle la danse hip-hop et l’autre beaucoup plus élitiste qu’on appelle la danse contemporaine, c’est-à-dire la culture avec un grand C ? » Comment montrer que finalement, l’une comme l’autre se valent ?

Le hip-hop, c’est de la culture, de la danse. Et maintenant créer quelque chose qui soit inattendu, improbable. C’est-à-dire « faire ensemble », construire cette fameuse passerelle pour que nos différences puissent finalement se rencontrer et fabriquer du beau, de l’inattendu, du poétique parce que c’est exactement le même message que la marche de 83 : créer des passerelles et « faire ensemble », qu’on « fasse France ». Il ne s’agissait pas de savoir comment on allait « vivre ensemble ». C’était comment « faire France ensemble ». C’était plutôt ça parce que « vivre ensemble ». On vit ensemble déjà depuis un moment déjà, depuis très longtemps. La France, ancien empire colonial, depuis très longtemps vit avec ces populations-là. Mais comment « faire ensemble » ?

 

Comment réagissaient les institutions culturelles à l’époque à ces ambitions ?

Nous sommes des autodidactes à la base et nous voulons démontrer notre volonté, notre force créative

Au milieu des années 80, la DRAC a accompagné des projets de Traction Avant, mais ça ne s’est pas fait tout seul ! Les institutions étaient beaucoup plus préoccupées par la rénovation et la démolition des quartiers que par la culture.

J’ai des souvenirs, quand j’accompagnais Marcel Notargiacomo à des rendez-vous à la Région ou autre : j’étais très admiratif de sa ténacité face au mépris qu’il y avait en face de lui. Mais il ne se laissait pas abattre, il insistait. Il avait des convictions, il croyait en nous. Les institutions ne croyaient pas en nous, du tout. Les institutions comme les médias voyaient de très haut ce mouvement culturel. Ils voyaient cela comme une mode. Nous, on avait bien compris que c’était une autre culture et qu’elle allait s’enraciner profondément.

Non, les institutions n’ont pas accompagné de suite les initiatives, les projets. Il a fallu démontrer, faire nos preuves. Il a fallu du temps. Au milieu des années 1980, la DRAC a commencé à avoir l’intention d’accompagner certains projets de Traction Avant, puis est venue la ville de Vénissieux… Alors, ce n’étaient certainement pas des grands financements, mais c’était déjà un soutien qui était une forme de reconnaissance. Et ça, c’était important.

Mais en 1996, il fallait encore forcer les portes des théâtres pour qu’on ait un droit de cité ! Toujours, bien qu’on ait déjà une décennie passée derrière nous, qu’on ait fait nos preuves. L’objectif de Traction Avant, c’était de forcer les portes des théâtres. Justement pour donner un droit de cité à ce langage-là. Et, en effet, ce langage va devenir une véritable ressource artistique pour le développement de l’art chorégraphique français. Parce qu’il amène une autre réalité sur scène, sociale et culturelle. Il fait découvrir à la France une génération talentueuse de danseurs et de chorégraphes ou de futurs chorégraphes et qui ne sont pas forcément blancs.

Quand on va au Défilé en 1996, c’est avec ces enjeux : nous sommes des autodidactes à la base et nous voulons démontrer notre volonté, notre force créative. Si cette force est bien dirigée, tels qu’on a été dirigés par Marcel Notargiacomo et Pierre Deloche, nous allons pouvoir montrer qu’effectivement, « ces gens-là » sont vraiment porteurs de culture.

Comment avez-vous vu évoluer le Défilé depuis cette période des débuts ?

Bien sûr, le Défilé a évolué. Il s’est installé dans le paysage, c’est devenu une institution. Et il y a un risque, pour ceux qui sont là depuis le début, comme moi en tous cas, de rentrer dans des automatismes, une lassitude, une paresse… En 2002, j’ai arrêté de participer. J’ai eu le sentiment de perdre un peu le sens. Je trouvais difficile de continuer un travail en profondeur auprès des populations, des territoires qui m’ont porté jusqu’ici.

Qu’est-ce qui vous manquait ?

Ce travail en profondeur, avec les populations et les territoires. Au bout d’un moment, on se coupe.  On fait des projets, on se centre sur « l’événement »… Je ne dis pas qu’il faut être dans du « socio-culturel », même si le hip-hop à l’origine est bien un phénomène social et culturel. Mais cette culture urbaine, celle qui m’anime, elle n’est pas née de grands chorégraphes, de professionnels ou de spécialistes de la danse. Elle est née de la population, d’une culture vraiment populaire.

Après, l’institution se l’est appropriée, l’a intégrée. Donc c’est important d’être avec cette population qui est celle qui porte cette culture. Le Défilé est allé vers une plus grosse production, avec l’idée d’exister sur le territoire national, international même… Le curseur a été un petit peu déplacé. Le public issu des quartiers défavorisés, le public empêché, on l’a moins vu, les participants étaient, de plus en plus, issus des classes moyennes et aisées… mais ça ne veut pas dire que ces personnes-là aussi n’avaient pas droit au Défilé, à la fête ! Mais je ne voulais pas vivre cette coupure, j’ai eu besoin d’arrêter pour repenser ma participation, ce qu’était le Défilé pour moi, ce que je pouvais faire.

 

Mais vous avez continué à participer ensuite ?

Retrouver la sensation de tirer les habitants vers le haut avec des projets vraiment très conséquents, où il y a un enjeu artistique fort

Oui, mais différemment. En me demandant comment je pouvais à nouveau être au service de la population, en cherchant à me réinventer, à ne pas tomber dans des automatismes, des facilités. Retrouver la sensation de tirer les habitants vers le haut avec des projets vraiment très conséquents, où il y a un enjeu artistique fort. On travaille. On va au fond des choses. Alors, oui, on va distraire ! Ça, c’est clair. Oui parce que hip-hop est une fête, bien entendu. Comme disait Marcel Notargiacomo, c’est une fête contestatrice. Elle a des choses à dire. Il s’agit de dire des choses à travers nos thématiques.

Donc vous avez participé plus ponctuellement, en fonction des enjeux, du sens que vous pouviez trouver ?

C’était une façon de dire qu’il y a de la vie ici. Il y a de la lumière. Il y a de la beauté. Il y a de l’énergie. Il y a de la jeunesse

Exactement. Par exemple autour de la pérennisation du lien avec la population, du travail entre deux Défilés. Comment on fait en sorte de pérenniser l’énergie qu’on fait émerger ? Comment entretenir le lien, au lieu de dire « Bon ben au revoir, on reviendra vous chercher pour la prochaine édition… » ? Pour que le Défilé profite à la population, ce qui a un véritable impact, c’est la pérennisation. S’il n’y a pas de pérennisation, il n’y a aucun impact.

Pour que l’on puisse travailler sur un territoire, il nous faut du temps. Ce temps-là est possible si on l’anticipe. Si vous voulez faire un Défilé au mois de septembre de l’année N + 1, il faut que l’année N-1, vous ayez cette année complète pour travailler avec le territoire. Un chorégraphe n’est pas spontanément légitime sur un territoire. Ce n’est pas parce que Fred Bendongué vient de Vénissieux qu’il peut aller dans les MJC. Il faut s’apprivoiser des deux côtés. On ne peut pas débarquer comme ça.

On ne peut pas non plus demander aux acteurs locaux, de terrain en tout cas, de venir faire le Défilé au mois de janvier pour le mois de septembre. Ce n’est pas possible. Donc, s’il n’y a pas un travail sur une année, ça ne sert à rien. En 2010, on a demandé ça, avec Traction Avant effectivement, et Marcel Notargiacomo. J’ai bien voulu le faire pour Traction Avant en 2010.

Après en 2014, je l’ai fait pour Tarare, mais là aussi parce qu’il y avait des enjeux intéressants. Vous savez, au départ, Tarare faisait partie des villes de la métropole qui étaient inconnues. Donc c’était une façon de dire qu’il y a de la vie ici. Il y a de la lumière. Il y a de la beauté. Il y a de l’énergie. Il y a de la jeunesse. C’était important que cette ville montre qu’elle existe à travers des challenges comme celui-ci, qu’elle affirme cette lumière aussi, cette vitalité, comme les autres.

Donc là, il y avait un vrai défi à relever. C’était intéressant et c’était la première fois que Tarare participait au Défilé des Biennales de la danse depuis 1996 et on l’a reconduit ensuite en 2016. Entre-temps, entre deux Défilés, nous avons continué à faire pousser les fleurs ici à Tarare, justement à partir de cette aventure-là, de la développer en intégrant d’autres personnes qui n’avaient pas pu participer au Défilé en 2014, notamment dans le cadre d’autres rendez-vous culturels de la ville tels que l’événement « Les Mousselines », tous les cinq ans. Là encore, c’est toute une parade dans la rue.

Toutes les associations qui participent défilent dans la rue et célèbrent le fameux textile que l’on appelait la mousseline, qui était l’un des fleurons du textile français, fabriqué à l’époque à Tarare ! C’est super intéressant et on a continué. Donc, c’est pérenniser, justement, cette démarche. Trouver cette dynamique en embarquant, en entraînant de nouvelles personnes et en les rendant visibles sur notre territoire. C’est aussi aux villes de faire tout ce travail-là, cet « entre deux Défilés », de ne pas s’y intéresser juste lorsque les projets passent en commission. Vous voyez ? Ça devient plus qu’une anecdote. Ça devient une histoire de ville et une histoire de vie pour certains, qui n’auraient jamais pu penser à faire ça.

 

Fred Bendongué animant une répétition de danse pour le Défilé de la Biennale, en arrière plan, des personnes marchant ensemble dans des lignes avec les bras tendus haut dans l'air
Répétition pour le Défilé de la Biennale de la danse© Compagnie Fred Bendongué // DR

Et quand vous avez participé en 2018, c’était également autour d’enjeux qui vous tenaient à cœur ?

Il ne s’agit pas de faire de la politique. On reste dans l’artistique et on propose de regarder l’histoire à travers un autre angle

En 2018, ce sont les universités qui nous ont sollicités. On travaillait avec l’université Lyon 3 sur un de mes solos, Mama blues, qui était un hommage aux contingents étrangers de la Grande Guerre de 14-18, notamment à ces soldats noirs américains qui ont amené le jazz en France. À partir de là, on nous a proposé d’imaginer le Défilé de la Biennale qui réunirait les trois universités de Lyon, Lyon 3, Lyon 2 et Lyon 1. Et le Défilé parlait de la paix.

Donc on a fait le lien, entre la paix, ces soldats, mais aussi le mouvement hip-hop : des années plus tard, qu’est-ce qui traverse l’Atlantique et qui vient avec une énergie incroyable, qui est synonyme de liberté, d’émancipation ? C’est le hip-hop ! Des années après le jazz. Et cette histoire concerne les quartiers populaires : c’est l’occasion de rappeler que ces soldats noirs américains, ils ont diverti un peu les tranchées, mais quand même, ils se sont battus pour la France, pour préserver nos valeurs aussi. Ce ne sont pas seulement les Américains, mais des Africains, des Amérindiens, des Asiatiques.

Rappeler aussi ce qu’a été l’apport de ces communautés-là, qui ont fait la France aussi, c’est important. Et élever tout cela en poétique bien entendu, il ne s’agit pas de faire de la politique. On reste dans l’artistique et on propose de regarder l’Histoire à travers un autre angle, de compléter le « récit national ».

Quand vous défilez dans la rue, il y a un message que vous transmettez l’air de rien. Même si c’est festif, vous transmettez un message. Vous pouvez dépasser aussi des codes. Vous vous amusez à renverser les codes. On a fait quelque chose de magnifique. C’était super. On était bien accompagnés. Je trouve que c’était un des plus beaux Défilés.

Et si on pense à l’avenir du Défilé, quels sont les points qui vous semblent importants à développer ? Votre Défilé idéal en quelque sorte ?

Il y a une nouvelle génération qui arrive maintenant, qui est juste après, derrière nous, qui renoue un peu avec les fondamentaux

Je n’ai pas la vérité absolue ! Mais si je devais réfléchir comme ça, il me semble qu’il faut sans arrêt repenser le lien entre l’art et les quartiers populaires. C’est l’ADN du Défilé. Ça passe par le lien avec la Biennale, le fait que les chorégraphes du Défilé soient aussi considérés comme des artistes, en étant programmés dans la Biennale, comme c’était le cas au début, et ne soient pas vus comme des animateurs.

Des artistes à part entière, qui vont au contact de la population, font le Défilé, mais sont aussi reconnus par l’institution, dans laquelle ils peuvent amener ce public qui les suit. Je crois qu’il faut remettre l’art au cœur du Défilé parce que c’est un Défilé artistique de chorégraphes. Il faut le remettre là, le sens de « pourquoi tu fais le Défilé », le sens de ce que tu as à dire, le sens de l’art. Qu’il y ait une réelle réflexion sur ce qu’on fait avec le territoire.

Il faut également faire attention à ce que ça ne devienne pas le Défilé des structures, les mêmes structures que l’on met en avant, qui reviennent, mais que ça reste le Défilé des gens, avec des projets pour les gens. Il faut pouvoir faire varier les villes participantes, les structures, les chorégraphes. Ne pas être dans une logique d’automatismes, de places acquises, pour pouvoir laisser apparaître les jeunes, les nouveaux. Et notamment la nouvelle scène hip-hop !

Il se passe énormément de choses dans le hip-hop aujourd’hui. Ce n’est plus la scène des années 90, ni la même esthétique, ni les mêmes musiques, ni les mêmes danses. Il y a une nouvelle génération qui arrive maintenant, qui est juste après, derrière nous, qui renoue un peu avec les fondamentaux : des formes de culture assez subversives qui viennent renverser les codes de la société, les codes culturels, socioculturels. Qui viennent nous interroger. Ils ont conscience qu’il y a une histoire, mais ils renouvellent ce désir de changement, de progrès social, etc.

La jeunesse d’aujourd’hui n’est pas que perdue sur Internet. Ils viennent avec des questions, avec du contenu ! Il y a le Krump, le NewStyle, … ce sont les nouvelles propositions esthétiques, et c’est avec eux que j’ai envie de bosser aussi.