La question de la participation du plus grand nombre à la vie politique s’est imposée comme un enjeu majeur depuis une vingtaine d’années. Les dynamiques institutionnelles de participation sont une première réponse à cette nécessité. Néanmoins, cette offre est insuffisante.
D’une part, les plus précaires, les plus éloignés de la participation, les personnes victimes de discriminations sont souvent exclus de ces espaces. Se rejouent dès lors, des logiques de domination qu’on observe dans d’autres secteurs de la société (au travail, à l’école, dans la rue). D’autre part, cette offre institutionnelle de participation a souvent pâti d’une absence de règles claires. À quoi va réellement servir la participation des habitants ? Les décisions ne sont-elles pas déjà prises, en amont des consultations/concertations ?
L’interpellation citoyenne, via l’organisation collective, n’est pas concurrente avec les dispositifs participatifs mis en place par les institutions. Elle vient en complément, en réponse aux critiques qui sont souvent faites à la démocratie participative : faiblesse du nombre de personnes effectivement mobilisées, sous-représentation des classes populaires, défiance des citoyens envers la chose publique et surtout une capacité transformative de ces dispositifs souvent trop limitée.
À Grenoble, après plusieurs années d’interpellation sans succès des élus municipaux afin d’obtenir une modification du règlement intérieur des piscines municipales, les femmes mobilisées ont finalement décidé de se saisir du dispositif d’interpellation mis en place par la ville. Au lancement de la campagne, en septembre 2018, l’offre de participation de la ville était limitée, générant tensions et quiproquos entre élus et femmes mobilisées dans cette campagne.
L’interpellation s’épanouit dans les espaces politiques où les contradictions d’intérêts sont publiquement exprimées et travaillées avec les responsables. L’organisation citoyenne et les actions collectives sont des composantes inévitables de la démocratie, mais surtout des indicateurs concrets de la vitalité de cette dernière. Dans cette vision, l'émergence de demandes émanant directement des citoyens, la naissance de conflits et l’existence d’un débat public offrent la possibilité de co-construire des solutions créatives à des problématiques hors des radars institutionnels.
À ce titre, il me semble que les services prospectifs ont également un rôle à jouer dans le processus d’émergence d’interpellations citoyennes : observer l’évolution des clivages sociaux/économiques/politiques, identifier les potentielles lignes de fractures, outiller les collectivités afin qu’elles soient en mesure d’accueillir les interpellations citoyennes qui émergeront. La position surplombante des services prospectifs, ainsi que la possibilité pour ceux qui y travaillent d’échapper à l’urgence qui caractérise notre vie politique, sont des atouts à mettre au service des habitants qui souhaitent s’engager et des collectivités qui entendent accueillir au mieux leurs préoccupations.
La difficulté pour les pouvoirs publics est de parvenir à soutenir ces dynamiques, sans chercher à les contrôler ni à « s’affaiblir » en laissant penser que les politiques publiques sont élaborées par « à coups », en fonction des différentes interpellations citoyennes : soutenir et encourager l’interpellation citoyenne, créer des espaces de négociation tout en assumant la fonction d’arbitre des institutions publiques.