L’idée d’une fête initialement joyeuse, heureuse, unanimiste, est un leurre. C’est la durée qui, progressivement, a construit cet événement comme un authentique « lieu-commun ». Durant les premières décennies, la fête oppose de manière plus ou moins frontale, plus ou moins brutale, les dévots de Marie et les laïques. Cette conflictualité mettra cinquante ans à s’estomper : il faudra précisément attendre le début du XXème siècle, avec l’arrivée d’Édouard Herriot au poste de maire, l’année même de l’adoption de la Loi de séparation des Églises et de l’État.
Mais il est vrai, par ailleurs, que l’idée se fait jour, assez vite, qu’on pourrait se partager le terrain. Que cette fête du 8 décembre, date de la fête liturgique de l’Immaculée-Conception, pourrait devenir la fête de la ville, tirant parti d’un patriotisme urbain qui déborderait le clivage croyants/libres-penseurs, cléricaux/anticléricaux, monarchistes légitimistes/républicains. L’idée est là d’un partage de l’espace public, entre le 14 juillet, l’été, et le 8 décembre, l’hiver, voire, comme on a pu le dire « d’un 14 juillet d’été et d’un 14 juillet d’hiver ».
Les uns compteraient leurs lampions républicains, les autres leurs lumignons mariaux. Ils les compteront d’ailleurs réellement, rue par rue, pour « se compter », se mesurer, c’est ce qu’attestent la presse et les archives de l’époque. En fait, ce sont les commerçants qui occuperont et neutraliseront l’espace festif en donnant à voir à tous, sans conditions de croyances ou de convictions, le spectacle de leurs vitrines décorées mises au concours. Les commerçants ont vite compris que le 8 décembre précédait les fêtes de fin d’année et qu’ils pouvaient tirer parti d’une somptueuse quinzaine commerciale, préludant à la célébration de la fête païenne des étrennes. On est bien dans l’ordre hybride d’une célébration religieuse et du spectacle profane et ce dès les années 1880.