[Vidéo] Aux origines du Défilé
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Le besoin de reconnaissance de toute une jeunesse issue de l’immigration s’était déjà manifesté quinze ans plus tôt avec la marche pour l’égalité et sur fond de crise des banlieues.
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Dans le cadre de notre travail consacré au Défilé de la Biennale de la danse, l’édition de cette ressource a été mise à jour en septembre 2023.
Michel Noir qui a réalisé le grand chelem dans les arrondissements de Lyon lors des élections municipales de mars 1989, est élu président de la Communauté urbaine de Lyon le 5 juin 1989. Parmi les quatre priorités pour son mandat (1989-1995), figure l’habitat et le logement social, à côté de l’écologie urbaine, du développement économique, et des déplacements urbains.
Durant son mandat, les dispositifs existants sont renforcés et généralisés. Un service Développement social urbain (DSU) est mis en place. Dominique Mouillaux y voit la marque d’un tournant dans la politique communautaire :
La création du service Développement Social Urbain du Grand Lyon vient concrétiser la volonté des nouveaux élus communautaires de s’investir dans la Politique de la ville. Cette dernière ne sera plus l’addition de projets communaux, mais une vraie politique d’agglomération. La création du service DSU provient ainsi de l’évolution politique de la Communauté urbaine, mais aussi en réponse à la volonté de l’État d’aboutir à un contrat à l’échelle de l’agglomération avec l’affirmation d’une plus grande ambition et d’une plus grande cohérence d’action
Les premières équipes DSU, sur Lyon, Vénissieux, Vaulx-en-Velin ou Rillieux sont les précurseurs des futures équipes de la Politique de Ville. Pierre Suchet raconte :
C’est à partir de 1989 et l’arrivée d’un nouvel exécutif autour de Michel Noir que la question des quartiers d’habitat social devient vraiment un enjeu d’agglomération. Le Grand Lyon propose alors aux communes d’investir en priorité sur ces secteurs alors que la plupart des maires étaient plus préoccupés par la prise en charge de la requalification de leur centre-ville.
Ce ne sont plus cinq quartiers qui sont concernés, mais une douzaine. Outre les premiers quartiers de Vaulx-en-Velin, Vénissieux et de Lyon, auxquels se rajoutent les Pentes de la Croix-Rousse, on compte désormais aussi ceux de Villeurbanne, Décines, Meyzieu, Bron, Saint-Priest, Rillieux-la-Pape, où d’Oullins.
C’est à ce moment-là que le service est créé, et que, dans chaque grand quartier, est mise en place une équipe opérationnelle avec un chef de projet unique sous l’autorité de la Communauté urbaine, de la commune et de l’État.
Cependant, pour des raisons politiques, certaines communes préfèreront avoir aussi un chef de projet municipal et de fait, des binômes se mettent en place, notamment à Vaulx-en-Velin, Vénissieux, Villeurbanne et à Rillieux.
Néanmoins, tous les maires ne s’impliquent pas dans la Politique de la ville. Il faudra attendre la deuxième partie des années 90 pour que leur implication soit généralisée.
Le service DSU (Développement social urbain) coordonne l’ensemble des équipes locales autour des axes stratégiques du Grand Lyon qui sont contractualisés avec les communes concernées et l’État. Le service gère l’élaboration et la programmation financière des projets urbains, permet également des échanges sur l’ensemble des thèmes de la Politique de la ville.
La politique de DSU est véritablement partenariale, elle associe communes, État, Conseil régional, Conseil départemental, bailleurs sociaux, associations. Le partenariat en matière d’habitat fait émerger une culture commune entre acteurs institutionnels et associatifs, éminemment favorable à l’action. Ces acteurs sont convaincus que le principe de la Politique de la ville est bon, qu'il consiste à rechercher des solutions préventives globales, et non sectorielles, aux problèmes sociaux.
L’exemple du groupe de participants formé par Vaulx-en-Velin et pour le défilé de la Biennale de la Danse illustre ce principe.
Sharon Eskenazi, Centre Chorégraphique National de Rillieux-la-Pape (CCN/R), en périphérie lyonnaise, a pour sa part éprouvé la nécessité d’investir cette question de la mobilité à partir d’un projet reposant sur la pratique de la danse. Elle qui est arrivée en France en 2011 avec la double nationalité française et israélienne, qui a vécu dans cette ville où se côtoient plus de 70 communautés et y travaille encore, utilisait déjà cette discipline auparavant, « comme un outil de rapprochement de groupes en conflit ».
En Israël, en l’occurrence, il s’agit vraiment de groupes en conflits, affichés et affirmés, avec une lourde histoire derrière. Quand je suis arrivée en France, cela m’a frappée : même ici, on a des groupes qui ne se parlent pas. Ici aussi, cela existe ! Je me suis dit que ce n’était pas seulement une question de politique ou de géopolitique, c’est quelque chose d’humain. En France, je trouve que c’est même plus difficile, car on n’en parle pas : les conflits ne sont pas affichés. Alors que cela ne s’arrange pas : moi qui suis là depuis 6 ans, je vois bien que les tensions montent.
Animée par l’expérience de la guerre et le sentiment d’urgence que celle-ci engendre, Sharon Eskenazi fonde en 2013 le groupe de danse contemporaine Danser sans frontières (DSF), dont l’objectif est de « faire danser ensemble des filles et des garçons d’origine et de cultures différentes. » L’action s’inscrit dans la continuité de celles menées de longue date par le CCN/R pour lutter contre tout ce qui tient les habitants à l’écart des institutions censées donner accès à la culture et à des valeurs communes.
Implantée depuis 1998 dans la ville nouvelle de Rillieux-la-Pape — quartier populaire qui fait l’objet d’un des quatre Grands Projets de Ville de la Métropole de Lyon — l’équipe du centre chorégraphique est bien placée pour mesurer les risques de fracturation qui menacent la société locale :
On voit des choses qui s’améliorent sur le bâti, la ville de Rillieux se transforme en termes d’espace et d’urbanisation, elle bouge dans un sens qui est assez positif […]. Mais ce qui se passe dans les appartements est encore moins visible que cela ne pouvait l’être il y a 10/15 ans. Il y a des circulations…, mais chacun reste quand même bien chez soi. La pauvreté est encore plus cachée. Et en étant sur place, on voit bien une montée de l’intégrisme. - Gwenaële Magnet, responsable de la médiation et des actions culturelles dans l’institution.
Le but de DSF, « c’est de se dire que . « Il faut toujours proposer autre chose, ne pas laisser aller tout le monde dans sa direction ». C’est ainsi que très vite, l’idée du voyage s’ajoute à celle de la danse, et que le projet Passerelles voit le jour. Reposant sur des échanges internationaux entre jeunes danseurs, il vise à « faire se rencontrer deux réalités : française et israélo-palestinienne ».
En 2015, les jeunes Français ont d’abord accueilli 24 jeunes Israéliens et Palestiniens, au CCN/R et dans des familles d’accueil ; avant de partir eux-mêmes à 10 en Israël, pour une semaine d’ateliers danse, de visites et de création partagée. Les deux groupes sont ensuite repartis ensemble à Bordeaux, en mai 2017, à la rencontre d’autres jeunes gravitant autour de la Compagnie de hip-hop Rêvolution.
Et parce que l’équipe du CCN/R a la conviction qu’il faut « toujours poursuivre Passerelles », consolider les échanges à travers la répétition des voyages, une création commune est prévue en 2018, dans le cadre de l’année croisée France-Israël, sous la direction de Yuval Pick, chorégraphe et directeur du Centre chorégraphique et avec le soutien de Dominique Hervieu (directrice de la Maison de la Danse et directrice artistique de la Biennale de la danse à Lyon). Le groupe Rilliard DSF et le groupe israélo-palestinien présenteront un spectacle en parallèle au Défilé de la Biennale de la danse de Lyon…, avec l’idée de « partir tous ensemble en juillet en Israël pour une avant-première », si les moyens financiers le permettent.
Partir, plus ou moins loin, permet à la fois de mesurer et d’apprendre à surmonter sa crainte de l’ailleurs, fréquente dans les milieux populaires où l’on n’a guère l’occasion de voyager. Pour les acteurs qui impulsent ou accompagnent ces expériences, l’enjeu vise d’abord à lever ces freins intérieurs, comme le rapporte le responsable jeunesse d’un centre socioculturel, interviewé par Clotilde Talleu dans son rapport sur l’accès à la mobilité internationale des « jeunes avec moins d’opportunités » :
La symbolique d’aller à l’étranger, (…) c’est juste de leur expliquer qu’ils peuvent sortir de leur quartier ou des clichés dans lesquels ils sont enfermés en termes de comportements, parfois. C’est montrer qu’on peut aller vers l’ailleurs, que ce n’est pas négatif. C’est déconstruire un peu toutes ces peurs qu’il y a autour. Le fait de ne pas être où je suis d’habitude, et de ne pas rester figé à l’image que je renvoie ou qu’on a essayé de me coller. C’est essayer de déconstruire un peu tous ces réflexes-là.
Inès Boukhetache (19 ans), danseuse de DSF depuis bientôt deux ans et qui a participé aux échanges internationaux organisés dans le cadre du projet Passerelles, se souvient très bien des appréhensions qu’elle a eues, avec ses camarades, à l’idée du premier voyage :
On a tous eu des réticences par rapport au fait d’aller en Israël, par rapport aux préjugés qu’on avait sur le pays, aux médias, au fait qu’il y ait des conflits, etc. On avait un peu peur, quoi !
Ceci dit, il n’est pas forcément nécessaire d’aller très loin pour agir sur ce qui empêche les uns et les autres de sortir de leur univers familier et de se délivrer de certaines représentations négatives. L’exemple du programme Rêves d’habitants, lancé en 2011 par la Fondation Abbé Pierre au niveau national et reconduit chaque année depuis, est lui aussi instructif quant aux enjeux de ces déplacements de faible amplitude géographique, mais aux puissants effets symboliques.
Accordant rapidement des financements à des groupes d’habitants démunis désireux de mener des actions en faveur du vivre ensemble, ce programme ne « fléchait » pas spécialement l’idée du voyage. Les objectifs des projets potentiellement finançables étaient plus larges : ils visaient aussi bien le renforcement des solidarités, l’échange avec l’Autre et la lutte contre les préjugés, la valorisation des compétences des personnes, de leurs capacités d’organisation ou d’expression, la révélation du potentiel de créativité de chacun, la connaissance de ses droits civiques, la transmission entre générations…
Mais c’est à travers le déplacement physique vers d’autres lieux, dans le cadre de projets collectifs, que les uns et les autres ont choisi d’agir sur toutes ces questions. Le bilan des premières années d’action a d’abord révélé combien s’évader du quotidien était un rêve partagé dans ces mondes populaires — non seulement par besoin de distraction, mais aussi et surtout par soif de découverte et, en ce qui concerne les parents, par désir de transmettre des connaissances et des valeurs à leurs enfants, à travers une expérience vécue avec eux.
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Le besoin de reconnaissance de toute une jeunesse issue de l’immigration s’était déjà manifesté quinze ans plus tôt avec la marche pour l’égalité et sur fond de crise des banlieues.
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