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Matthieu Gimat, enseignant-chercheur spécialiste du logement social : « Il est temps de réfléchir à une stratégie alternative »

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Portrait de Matthieu Gimat
© Bruno Levy
Enseignant-chercheur spécialisé du logement social

Interview de Matthieu Gimat

Alors que le 82e congrès HLM de l’USH se tiendra à Lyon du 27 au 29 septembre, le chercheur Matthieu Gimat, auteur de la thèse Produire le logement social, Hausse de la construction, changements institutionnels et mutations de l’intervention publique en faveur des HLM (2004-2014)  nous explique le changement de modèle que le secteur HLM a connu depuis le début du 21e siècle.

Au-delà même de l’évolution des modes de financement se dessine toute une nouvelle répartition des rôles entre acteurs institutionnels, jusqu’à des transformations profondes et durables des objectifs visés, tant en matière de construction que d’accompagnement social.

Si la restructuration du secteur n’est pas en tout point critiquable, ses conséquences en chaîne méritent d’être prises en compte à temps, faute de quoi les territoires et leurs habitants les plus précaires pourraient se trouver fort dépourvus une fois la crise advenue…

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Date : 30/06/2022

Sur quel modèle économique le logement social s’appuie-t-il ?

Cette évolution du modèle économique a pour effet que des organismes HLM, qui cherchaient l’équilibre financier, ont aujourd’hui plutôt un objectif de rentabilité

La base du modèle économique du logement social, c’est que l’essentiel du coût de la production neuve est pris en charge par des prêts. La Banque des territoires, filiale de la Caisse des Dépôts et Consignations, est en effet chargée de gérer l’épargne déposée par les Français sur les livrets d’épargne de façon à proposer des prêts aux organismes HLM, avantageux pour deux raisons : leur taux est en général plus bas que les taux commerciaux, et leur durée très longue. Ensuite, les logements construits à l’aide de ces prêts sont loués, et leurs loyers permettent de rembourser les prêts et d’assurer l’entretien du logement. Une fois que le remboursement est terminé, l’argent qui n’est pas consommé par l’entretien rejoint les caisses de l’organisme.

Les prêts ne couvrent pas et, historiquement, n’ont jamais couvert, 100 % du coût des opérations. Il y a en conséquence toujours un apport supplémentaire. Et ce qui a beaucoup changé dans les dernières décennies, ce n’est pas tant les prêts, qui sont restés relativement stables, mais c’est ce qui complète le plan de financement de chaque opération. On avait en effet des subventions apportées par l’État, par les collectivités territoriales et, dans une moindre mesure, par Action Logement.

Depuis les années 2000, ces subventions ont beaucoup diminué, dans le cadre de ce que j’apparenterais à une politique d’austérité, l’État central disant : « On dépense trop d’argent dans le secteur du logement pour trop peu d’effets ». Pour compenser cette diminution, les organismes ont été invités à utiliser leurs fonds propres, c’est-à-dire leurs réserves financières. C’est ce qui explique le développement des ventes de logements sociaux ces dernières années.

Cette évolution du modèle économique a pour effet que des organismes HLM, qui cherchaient l’équilibre financier, ont aujourd’hui plutôt un objectif de rentabilité, pas pour enrichir des gens, mais pour générer des fonds propres.

 

Dans quelle mesure cette recherche de rentabilité et d’autonomie financière pèse sur l’organisation du logement social ? Qu’est-ce que cela a changé au niveau de l’organisation de ces organismes ?

Le fait d’avoir à mobiliser des fonds propres a aussi pu motiver certains organismes à fusionner, pour essayer de gagner en efficacité sur certains coûts de gestion

Ces évolutions ont eu des effets sur l’organisation du secteur HLM. Il y a certes eu en même temps des évolutions législatives, avec notamment la loi Elan qui oblige les organismes HLM à se rapprocher jusqu’à ce qu’ils aient au moins 12 000 logements chacun.

Mais le fait d’avoir à mobiliser des fonds propres a aussi pu motiver certains organismes à fusionner, pour essayer de gagner en efficacité sur certains coûts de gestion par exemple, ou pour rationaliser leur organisation territoriale. Dans certains cas, des fusions ont pu être organisées pour permettre la circulation des fonds propres entre territoires. En effet, des organismes intervenaient sur des territoires où leur patrimoine existant produisait des fonds propres, mais où le besoin en constructions nouvelles était faible. D’autres, intervenant dans des territoires où la demande en logement social était plus forte, manquaient de fonds propres. La logique a été de dire : « On va fusionner entre nous, et comme ça, on va pouvoir faire circuler des fonds propres à une échelle plus large ».

Cela a-t-il changé les stratégies de ces différents acteurs au niveau foncier ?

Les organismes ont moins de maîtrise sur la production de leurs opérations neuves

Les réorganisations des organismes HLM ont permis à certains d’entre eux de s’affirmer comme des acteurs de l’aménagement urbain. Ils ont ainsi pu accéder à de grands terrains faisant l’objet de projets urbains, en particulier dans les plus grandes villes, pour y mener des actions de dépollution et d’aménagement, et parfois revendre ensuite des parties de ces terrains à des promoteurs immobiliers.

Pour les organismes qui n’ont pas développé ce genre de stratégies, l’accès à des opportunités foncières publiques était très important. En effet, un certain nombre de villes constituaient des réserves foncières et les cédaient ensuite pour des coûts relativement contenus à des organismes HLM. Dans certains cas, il y a des collectivités qui n’ont plus eu les moyens de le faire, étant elles-mêmes sous pression financière. Cela les a encouragées à développer un certain nombre d’outils réglementaires, qui visent à insérer des logements sociaux dans les opérations de promotion immobilière privée. Une ville a en effet le droit d’établir un secteur de mixité sociale dans lequel, pour chaque nouvelle opération de plus de tant de logements, il faut que 15, 20 ou 30 % de ces logements soient des logements sociaux. Et cela a eu un effet très direct sur le secteur HLM, parce que cela veut dire que sur ces terrains-là, les bailleurs doivent intervenir en collaboration avec un promoteur immobilier.

C’est ce qui explique, en partie, le développement de la « VEFA HLM », dans lequel les organismes ne construisent plus leurs logements eux-mêmes, mais les achètent à des promoteurs immobiliers. Cela fait que les organismes ont moins de maîtrise sur la production de leurs opérations neuves. Aujourd’hui, c’est un mode de production du logement social qui est devenu très important et qui est dominant dans certains territoires, en Île-de-France notamment. Il y a des avantages : cela a permis de produire beaucoup de logements sociaux. Mais il y a aussi des inconvénients, certains bailleurs considérant que les logements qu’ils achètent dans ce cadre-là ne sont pas adaptés à l’usage auquel on les destine, ou pas d’assez bonne qualité. Il y a aujourd’hui un vrai débat autour de cette question de la spécificité de la maîtrise d’ouvrage par les organismes HLM.

Enfin, une autre évolution importante dans l’accès des organismes HLM à des terrains réside dans l’identification des résidus de constructibilité. Un certain nombre d’entre eux ont lancé des études pour trouver dans leur patrimoine des terrains qui pouvaient être constructibles, typiquement dans les tissus urbains issus des opérations des années 1960-1970. Les opérations de rénovation urbaine ont été un accélérateur de ce mouvement. Dans certains contextes, les organismes HLM ont pu se dire que cela valait le coup de restructurer un petit peu le parcellaire et le tissu viaire, et d’essayer de construire sur ce terrain qu’on possède déjà, pour réduire les coûts.

 

Qu’est-ce que l’action récente du législateur indique sur l’évolution de la société et de la place du logement HLM dans la politique de l’habitat ?

Malgré les à-coups et les injonctions contradictoires, les évolutions législatives à l’échelle nationale sur la question de la production me semblent très cohérentes : on veut qu’il y ait toujours plus de logements sociaux et on veut que cela coûte aussi peu cher que possible à l’État et accessoirement aux collectivités. On perçoit bien que cela relève un peu du fantasme, mais c’est bien le fil directeur des vingt dernières années.

Cela n’empêche pas les gouvernements successifs de souffler le chaud et le froid. On l’a vu au cours du dernier quinquennat, avec un moment de pression intense sur le secteur HLM en 2017-2018 avec la réduction de loyer de solidarité (RLS) et la loi Elan, suivi d’un discours un peu plus nuancé ensuite. Le gouvernement a pu donner l’impression qu’il se rendait compte qu’il avait tapé un peu fort, en constatant les effets en cascade de la RLS sur le volume de logements sociaux produits, les dynamiques de la promotion immobilière et l’activité dans le secteur du bâtiment.

Mais les évolutions législatives des dernières décennies ont aussi porté sur la question du peuplement : à qui doit-on réserver le logement social ? Si l’objectif de renforcement de la mixité sociale reste prégnant, on observe néanmoins une tendance sur le long terme au renforcement de la vocation d’accueil par le parc Hlm des ménages les plus démunis. C’était présent dans la loi Dalo, mais aussi dans la loi Égalité et Citoyenneté de 2017.

Or il y a ici une vraie contradiction entre les évolutions concernant la production et celles concernant le peuplement. En effet, si l’État consacre moins d’argent au le développement du logement social, cela rend de plus en plus compliqué le fait de faire des logements à bas loyer.

Est-ce que l’on peut imaginer que finalement le privé redevienne, malgré l’attractivité des métropoles et la flambée des prix de l’immobilier, un acteur du logement des plus pauvres, très concrètement ?

Les avantages qu’on propose aux investisseurs institutionnels pour venir dans le secteur intermédiaire ne seraient-il pas plus utiles dans le secteur social ?

Il existe un parc locatif privé, souvent dit « social de fait », qui accueille des ménages modestes, mais souvent dans de très mauvaises conditions. Au cours des dernières décennies, l’État a essayé d’encourager à l’aide de différents dispositifs l’émergence d’un parc locatif privé à vocation sociale de meilleure qualité. C’est important, car cela peut permettre de loger plus de gens dans de meilleures conditions… Mais il faut voir à chaque fois combien d’argent est engagé dans ces opérations et si les résultats sont aussi satisfaisants que si l’argent avait été investi dans le logement social.

Le dispositif de ce type le plus important est l’incitation fiscale à l’investissement immobilier. On aide en effet des ménages à créer des logements, en échange de quoi on leur demande de les louer pendant une certaine durée en dessous de niveaux de loyers donnés. C’est un dispositif qui a un coût très important en termes de manque-à-gagner pour les recettes fiscales de l’État, et dont les résultats sont assez mitigés en termes de capacité d’accueil. D’abord parce que les logements n’ont pas toujours été construits là où étaient les besoins, ensuite parce que les plafonds de loyers sont plutôt des plafonds intermédiaires que sociaux, et enfin parce que tout le volet de l’accompagnement et de la gestion sociale de long terme, que les organismes HLM sont capables de mettre en œuvre, les ménages n’en ont la capacité. Il y a d’autres dispositifs qui reposent globalement sur les mêmes principes, comme par exemple Loc’Avantages, qui est en train d’être mis en œuvre par l’Agence nationale de l’habitat.

L’autre option que l’on a développé ces dernières années, c’est d’aller chercher des investisseurs institutionnels, avec la création en 2014 du logement locatif intermédiaire, qui pourrait répondre aux besoins en logement d’une partie des gens qui ont du mal à se loger dans les métropoles, notamment les jeunes actifs, les étudiants, etc. On voit bien qu’il y a un intérêt de ces acteurs pour le secteur de l’immobilier aujourd’hui et de nombreuses opérations ont été initiées. Mais ce sont des acteurs à but lucratif, qui, en termes de gestion, de niveau de loyer, vont surtout essayer de maximiser leur rentabilité. On peut aussi s’interroger sur la pérennité de la vocation sociale de ce parc, dans la mesure où sa revente est peu encadrée. Là aussi, dans ces tentatives de captation par l’État de ressources auprès des acteurs privés, il y a de l’ambiguïté : les avantages qu’on propose aux investisseurs institutionnels pour venir dans le secteur intermédiaire ne seraient-il pas plus utiles dans le secteur social ?

Enfin, il est important de noter que, dans son fonctionnement actuel, l’encadrement des loyers n’est pas prévu pour produire des loyers sociaux. C’est un dispositif qui vise à limiter la spéculation sur les loyers, mais pas à baisser les loyers au point que ceux-ci deviennent accessibles aux ménages les plus démunis.

 

Quels sont concrètement les leviers à disposition pour aller, peut-être pas uniquement sur le terrain du logement social, mais globalement pour créer suffisamment de logements abordables ?

Je crois qu’il y a un mythe actuellement dans la façon dont l’action publique est menée, selon lequel on pourrait produire du logement abordable sans mettre d’argent public pour ce faire, en captant les fonds d’investisseurs privés ou l’épargne des ménages les plus aisés. Il me semble que ce que montre l’histoire du logement social en France, c’est que tant qu’il n’y a pas un acteur tel que l’État qui arrive à mettre des sommes très importantes, on n’arrive pas à avoir une production de logements abordables en quantité suffisante.

Mais si on n’a pas assez de logements sociaux, pourquoi les vendre ?

Il y a tout un ensemble d’effets de la politique de vente qui n’ont pas forcément été bien anticipés par le législateur

Il y a une originalité du modèle de la vente de logements sociaux en France. Par exemple, en Angleterre, on a vendu des logements sociaux en très grande quantité à partir des années 1980 et l’argent produit par ces ventes a été utilisé en très grande partie pour des choses autres que la politique du logement. Ainsi, le nombre de logements sociaux en Angleterre s’est effondré.

En France, la logique n’est pas du tout celle-ci : les organismes vendent, gardent l’argent et le réinvestissent. L’argument fréquemment répété consiste à dire qu’un logement vendu va permettre de dégager des fonds propres nécessaires pour la construction de deux, trois ou quatre autres logements.

Dans les faits, on reconstruit des logements, mais avec des caractéristiques très différentes de ceux qui ont été vendus. Les localisations changent, les typologies, mais aussi les niveaux de loyer : on vend souvent des logements anciens à bas loyer, alors qu’on ne sait plus aujourd’hui produire des logements neufs avec de tels niveaux de loyers.

Il y a aussi tout un ensemble d’effets de la politique de vente qui n’ont pas forcément été bien anticipés par le législateur et qui sont importants. Quand un organisme HLM vend des logements sociaux dans un immeuble, il devient copropriétaire. Cela peut créer des copropriétés au fonctionnement complexe, ou limiter la capacité des organismes HLM à intervenir sur le patrimoine quand il y a des problèmes, ce rôle revenant au syndic dans une copropriété.

 

Chaque année, on a plus de logements sociaux, l’État intervient moins, le secteur se réorganise. Donc où y-a-t-il un problème finalement ?

On arrive aux limites du système, il est temps de réfléchir à une stratégie alternative

Depuis le début des années 2000, les gouvernements successifs mettent en effet une pression croissante sur le secteur HLM, en demandant aux organismes d’engager toujours plus de fonds propres. On pourrait se dire qu’à force, le système aurait déjà dû s’effondrer. Mais on a eu à la place quasiment quinze ans pendant lesquels des quantités de logements sociaux très importantes ont été produites.

En fait, tout cela s’est fait au prix d’une tension très forte sur les financements et l’organisation des organismes HLM, qui n’est pas sans effet sur ce qui est produit concrètement par le secteur, puisque les logements sociaux ont des loyers plus élevés que ceux qu’on produisait dans les décennies précédentes. Il y a aussi des limites à cette capacité d’absorption des réformes : la RLS décidée en 2017 s’est traduite par une contraction des dépenses d’entretien et de la production neuve. Et surtout, la question qu’il faut poser, c’est celle de la pérennité de ce modèle, qui se maintient grâce aux surplus d’exploitation d’un parc existant dont il va falloir accentuer la rénovation thermique ; grâce à des dispositifs mis en place par la Banque des Territoires qui ont lissé dans le temps, mais pas supprimé, les effets des réformes de 2017-2018 ; et grâce à des ventes qui ont déjà concerné une part importante du patrimoine vendable des organismes HLM. On arrive aux limites du système, il est temps de réfléchir à une stratégie alternative.