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Camille Devaux, sociologue : « L’habitat participatif, c’est d’abord l’idée de se réapproprier son habitat, de lui donner un sens »

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Sociologue

Interview de Camille Devaux

Habitat participatif, habitat autogéré, habitat groupé, coopératives d’habitants ou habitat en autopromotion : si les appellations peuvent varier en fonction des groupes concernés, elles ont toutes en commun de désigner des organisations de l’habitat qui placent le collectif au cœur de leur projet.

Alors que ces démarches se démocratisent de plus en plus, quels sont les objectifs de celles et ceux qui y prennent part ? Quelles valeurs les animent et quelles relations entretiennent-ils avec les institutions ?

Dans cet entretien, la sociologue Camille Devaux, autrice notamment de L’habitat participatif. De l’initiative habitante à l’action publique, brise quelques clichés et nous aide à mieux comprendre les tenants et les aboutissants de ces modes de vie.

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Date : 04/09/2022

Vous avez étudié les différentes formes d’habitat dit participatif. Malgré cette pluralité, quelle définition globale pourriez-vous nous donner ?

Cela passe par la volonté de partager des choses avec ses voisines et ses voisins

C’est difficile de donner une définition commune tant les projets sont variés. Néanmoins, l’habitat participatif, c’est d’abord l’idée – et la volonté – de se réapproprier son habitat, de lui donner un sens. Et cela passe par la volonté de partager des choses avec ses voisines et ses voisins. L’idée est bien de pouvoir faire partie d’un collectif sans être en « communauté » au sens où tout n’est pas partagé ! Chaque ménage dispose en effet de son logement individuel. Mais l’on va partager des espaces (buanderie, salle de réunion, petit matériel…) et des valeurs, d’intensité plus ou moins forte selon les projets.

S’engager dans un projet d’habitat participatif est-il toujours un acte militant ?

La dimension politique des projets est très variable

Je pense que la première brique, avant d’aller sur le terrain politique strict, est de se réapproprier la question du logement, la sphère du logement, pour arriver à une dimension plus d’habitat. Il y a se loger, qui est un besoin primaire, et puis il y a habiter l’endroit où l’on est, c’est-à-dire s’y sentir bien, pouvoir y recevoir des amis, être en phase avec des valeurs.

La dimension politique des projets est encore une fois très variable. Vous avez des gens, des groupes, qui sont sur l’idée d’avoir un logement confortable et de pouvoir partager des choses avec d’autres, mais qui ne vont pas forcément se dire engagés politiquement ou se dire militants. D’autres, à l’autre bout d’une même chaîne, vont effectivement dire qu’ils sont très militants, mais ce n’est pas la base exprimée forcément. Même si on peut le lire comme cela de l’extérieur, ce n’est pas forcément exprimé comme cela par tous les groupes, et de moins en moins parce que cela se démocratise.

Peut-on alors considérer qu’il s’agit en premier lieu d’une réappropriation du sens que l’on peut donner à notre façon d’habiter ?

Les gens ne vont pas au bout s’ils ne rentrent qu’avec l’objectif de se loger

Oui, c’est vraiment cette idée de « moi, par rapport au logement et à l’habitat, de quoi j’ai besoin, de quoi j’ai envie » et les modalités de cette réflexion sur les besoins passent par l’idée de partager davantage de choses avec ses voisins.

Si vous n’avez qu’une envie, avoir un logement bien confortable, pas trop cher et écologique, et c’est tout, sans rien faire avec les voisins et les voisines, il ne faut pas y aller, c’est clair. C’est la porte ouverte à la dépression, et cela ne marche pas. Les gens ne vont pas au bout s’ils ne rentrent qu’avec l’objectif de se loger, sans l’idée d’être capables d’échanger avec les autres et de participer au collectif. Cela ne fonctionne pas.

 

Selon vous, quel est le socle minimum de compétences ou de savoir-être nécessaires pour ce mode de vie ?

Dans les initiatives des années 2000, on est plutôt sur des profils militants, au sens large

Je n’ ai pas une vision élitiste de ces pratiques, parce qu’il peut y avoir un accompagnement qui fait que des gens  éloignés au départ de cela qui, à la faveur d’une rencontre, via l’école des enfants ou autre chose, des réseaux amicaux mais pas militants, y ont trouvé leur place, des choses à apporter, quels que soient leurs parcours sociaux. Donc pas de profil type dans la théorie, sous couvert d’un accompagnement. Après, on va rentrer dans les facteurs psychologiques : qu’est-ce qui fait que l’on est plus ou moins en capacité de communiquer avec son prochain, de l’écouter, lui faire une place… On peut aller loin dans cette direction, mais c’est une autre question.

Il n’y a donc pas, pour moi, un socle de compétences. Ce qui est vrai, en revanche, c’est que dans les initiatives des années 2000, on est plutôt sur des profils militants, au sens large, dans toute la diversité que peut recouvrir le militantisme aujourd’hui : surtout des profils aux capitaux social et culturel plutôt importants, mais financier pas tellement, plutôt pas même. Il y a évidemment des personnes plus aisées dans certains cas, c’est parfaitement logique, mais ce n’est pas le trait commun en tout cas.

On peut en tout cas s’attendre à ce que ce soit le choix de gens qui peuvent se détacher de certaines satisfactions matérielles pour vivre plus pleinement leurs idées.

Comment fait-on participer des citoyens sur leurs savoirs d’usage, ce que je sais faire dans mon quotidien ?

Si vous avez un groupe de quinze personnes qui se connaissent via le travail par exemple, ce n’est pas magique, cela ne va pas se faire du jour au lendemain, et sans doute pas tout seul. C’est en cela aussi que l’on peut les accompagner un peu, par des soutiens extérieurs qui vont permettre d’outiller, sur un certain nombre d’aspects, les prises de décisions, la recherche de terrain, etc. Il y a donc des dimensions d’accompagnement qui vont permettre à des gens un peu éloignés au départ d’y venir.

On ne doit donc pas penser que c’est réservé uniquement à une certaine catégorie de population. Il y a des conditions, sans doute, à respecter pour que cela soit ouvert, mais ce n’est pas réservé. On sait très bien que les catégories socio-professionnels les plus aisées  ont davantage de capacités parce que c’est lié à leurs professions, prendre la parole en public, savoir synthétiser, etc., mais c’est tout l’enjeu aussi, justement, de permettre à des gens qui n’ont pas ces facilités-là, ou pas eu la chance qu’on les leur donne, ou de les découvrir, de se dire « Je peux quand même, c’est aussi pour moi ».

C’est tout l’enjeu, plus simplement, de la participation, notamment dans les quartiers Politique de la Ville, ce n’est pas spécifiquement lié à cette question-là. Comment fait-on participer des citoyens sur leurs savoirs d’usage, ce que je sais faire dans mon quotidien ? Et les gens ont des choses à dire, quels qu’ils soient.

Peut-on donc considérer que le frein principal, aujourd’hui, c’est d’oser sortir de la norme et qu’une plus grande normalisation pourrait amener à ce que cela se démocratise et que cela prenne une place relativement importante d’ici quelques décennies ?

Attention à ne pas faire peser sur les groupes plus que ce qu’ils sont en capacité de porter, et à ne pas leur demander de pallier des défaillances de l’État

Oui et non. Il y a une différence entre dire « Personne ne doit se sentir rejeté de ces initiatives-là » et dire « Tout le monde va vouloir y aller dès lors qu’on ne se sent pas rejeté ». J’entends par là que l’on sait, les enquêtes le montrent, qu’il y a pour certains plutôt une aspiration au logement individuel, qui découle d’un certain discours de « diabolisation » sur la densification, ou sur le fait que le logement collectif n’apporterait que des problèmes, etc. Il y a un chemin individuel pour les gens qui le souhaitent, mais cela ne veut pas dire, parce que l’on dit « tout le monde peut y aller », que tout le monde ira.

C’est un point de vigilance important : ne pas considérer que l’on est sur des projets qui vont pouvoir résoudre des problématiques qui les dépassent. J’entends par là que parfois, dans des collectivités, ou même de la part de bailleurs, on a un peu la facilité de se dire « C’est formidable, ils ont envie de tout faire, ils vont régler les problématiques écologiques, la question de la mixité,  du coût du logement,  donc on les soutient ». Attention à ne pas faire peser sur les groupes plus que ce qu’ils sont en capacité de porter, et à ne pas leur demander de pallier des défaillances de l’État, comme des problèmes de redistribution de richesses qui ne sont pas tout à fait leurs affaires et évidemment pas de leur responsabilité. Il ne faudrait pas, par facilité, se dégager de responsabilités qui sont pour moi des responsabilités publiques et politiques sur un certain nombre de sujets.

On voit par exemple que sur des questions comme l’énergie, l’autoproduction devient de plus en plus une démarche d’efficience, d’organisation du mode de vie, là où avant cela pouvait être considéré comme des approches radicales de recherche d’autonomie. On retrouve ce phénomène dans les nouvelles générations qui s’emparent de l’habitat participatif. Comment expliquer cette évolution ?

Il y a tellement de problèmes à résoudre qu’il y a une variété de formes de militantisme qui sont pratiquées

Je pense que l’on est aussi sur un militantisme qui se diversifie. On peut être militant sans se dire qu’on l’est. Il n’y a pas forcément l’idée de l’étiquette « Je suis militant », et pour autant, dans le quotidien, les gens ont des pratiques que l’on peut qualifier de militantes, dans le sens de dénonciation et action en faveur d’une situation qui semble problématique.

Cela peut être sur des questions de logement, sur des questions d’écologie, avec le recours à des énergies plus vertes, ou pour du soutien aux migrants… Je dirais qu’il y a tellement de problèmes à résoudre qu’il y a une variété de formes de militantisme qui sont pratiquées, sans pour autant être revendiquées. Quand on est engagé dans une association, qu’on aide des enfants à apprendre à lire, par extension, je considère qu’il y a une forme de militantisme, en tout cas un engagement politique, un engagement au service de la cité.

 

Et cela ne traduit pas, d’après les témoignages que vous avez pu recueillir, une forme de rupture ou de recherche de repli sur soi ? Est-ce pour vous un signe d’archipellisation de la société, ou au contraire du renouvellement des solidarités ?

On ne peut pas dire que ce soit du repli sur soi. C’est plutôt le contraire et c’est plutôt bien vu, en règle générale, de la part des collectivités

Vous avez toujours des gens, des groupes qui ont envie d’être entre eux et qui ne s’intéressent pas trop aux autres, mais ce n’est pas spécifiquement lié à l’habitat participatif. C’est la vie, et il y a des gens qui aiment moins les gens que d’autres. C’est comme cela.

Je pense que ce serait faire un procès injuste que de parler de l’entre-soi, parce que l’on est quand même beaucoup sur des initiatives qui souhaitent être ouvertes au quartier, avec par exemple des mises à disposition de salles de réunion qui peuvent accueillir des associations, des spectacles, des expositions, etc., avec des gens qui justement sont engagés dans la vie du quartier, tout ce que j’évoquais, le cours de soutien, l’accueil des migrants, l’énergie verte, les Amap. On ne peut pas dire que ce soit du repli sur soi. C’est plutôt le contraire et c’est plutôt bien vu, en règle générale, de la part des collectivités qui apportent leur soutien et qui, de manière légitime, refuseraient de soutenir une communauté repliée sur elle-même, et c’est normal. On ne va pas donner de l’argent public à des gens qui n’ont rien envie de faire, sinon être entre eux, dans leur bulle. De mon point de vue, cela n’aurait pas de sens.

Vous avez étudié l’habitat participatif en zone urbaine. On est alors loin des clichés de la communauté de néo-ruraux. Qu’est-ce qui a amené ces personnes à considérer que c’était possible aussi dans ce cadre-là

C’est aussi une réponse à un besoin particulier à un moment donné, comme par exemple le confinement

Ce sont des gens attachés au milieu urbain et qui se disent « Cela n’est plus possible de se loger par soi-même, tout seul, dans son coin, dans un milieu urbain », milieu urbain dans lequel les individus ont pu avoir des expériences de logement collectif qui ne les ont pas satisfaits, parce que trop d’anonymat, parce que trop d’individualisation de ce qui potentiellement pourrait être un collectif, dans un ensemble immobilier collectif.

Ils peuvent donc se dire « Je ne peux pas quitter la ville parce que c’est le lieu où je peux faire des choses facilement, je ne suis pas obligé d’avoir ma voiture, les enfants vont à l’école à pied, j’ai des activités, etc. », mais en même temps « Je ne veux pas être dans l’anonymat dans mon immeuble, j’ai envie de connaître mes voisines et mes voisins, de pouvoir partager des choses eux ».

Je pense que c’est aussi une réponse à un besoin particulier à un moment donné, comme par exemple le confinement, à partir de deux dynamiques qui se complètent : en milieu rural, une dynamique plus « écovillage », communautaire, on peut le dire comme cela, et puis des projets plus urbains, dans le cadre d’un accès au logement devenu de plus en plus compliqué, pour des classes moyennes, souvent des familles au départ, mais pas seulement.

Est-ce que vous avez néanmoins constaté un lien particulier avec la ruralité, une relation renouvelée entre la ville et la campagne, pour les personnes que vous avez rencontrées ?

L’idée était de se dire que ce n’est pas parce que l’on vit en ville que nécessairement, il faut aller en hypermarché le samedi à 14 heures

Oui, souvent on est sur des logiques d’Amap, effectivement, de circuits courts, de retour à une forme de local, au sens large : production locale, mais aussi vie locale, investissement local. En ce sens, oui. Après, une bonne partie des groupes que j’ai rencontrés ne se posait pas la question de se dire « On va aller dans le rural ». Pour le coup, l’attachement à l’urbain était réel, mais l’idée était de se dire que ce n’est pas parce que l’on vit en ville que nécessairement, il faut aller en hypermarché le samedi à 14 heures.

 

Vous évoquez dans vos travaux une « idéologie du soupçon » à l’égard de pouvoir publics, qui semble se dissiper, avec au contraire une recherche de reconnaissance et même une recherche de financement. Est-ce que vous pouvez nous parler de la nature de cette évolution et les réponses que peuvent apporter les pouvoirs publics à ces attentes ?

On constate un processus d’acculturation réciproque

Au départ, il y avait plutôt l’idée de se dire « On ne va pas aller vers des partenaires publics parce que ce que l’on souhaite, justement, c’est faire du logement différemment et sortir des filières classiques ». Mais il y a eu un moment, je dirais avec un processus d’interconnaissance mutuelle, où le partenaire n’a plus été vu comme une figure à éviter, et de la même manière, les acteurs institutionnels, que ce soient des collectivités ou des bailleurs, avec quelques pionniers au départ, bien entendu, ont fait preuve d’ouverture d’esprit, à l’égard de ces groupes qui ont dû se battre pour montrer qu’ils n’étaient pas une communauté fermée. J’ai entendu des discours d’élus sur les hippies chevelus !

C’est aussi un travail de lobby important, des contacts, souvent des acteurs, que j’ai appelés dans ma thèse les acteurs-relais, qui sont à la fois du monde associatif et à la fois du monde plus institutionnel, et qui permettent de forcer un peu la voie de « l’habitat participatif », entre guillemets parce qu’il n’a pas toujours été appelé comme cela.

On constate un processus d’acculturation réciproque et des groupes qui, à moins d’être très riches, ont aussi pris conscience que le soutien public était nécessaire, pour l’accès au foncier, pour le financement des espaces communs, pour l’accompagnement. C’est un cheminement qui a été progressif, qui remonte à 2010 à peu près, depuis les rencontres nationales de Strasbourg où l’on a eu, pour la première fois, une vraie implication de la communauté urbaine de Strasbourg, de la Métropole aujourd’hui, dans le soutien aux projets, pour aider les groupes à les faire aboutir.

Cela s’est traduit par une prise en compte par le législateur de ces modes de vie, notamment dans la loi Alur. Peut-on y voir le signe d’une nouvelle forme de reconnaissance entre ces collectifs et les pouvoirs publics ?

Il y a eu une forme de démocratisation qui s’est opérée dans les esprits d’une manière générale

C’est un gros travail, quand même, qui a été mené par le mouvement d’habitat participatif, avec une implication sur le juridique qui a été très forte. Le ministère ne maîtrisait pas forcément très bien, au départ, les problématiques, et était en demande, je dirais, de l’ingénierie des groupes et des collectifs.

J’avais participé aux consultations préalables à la loi Alur, c’est du temps de Cécile Duflot bien entendu, mais il y avait, il me semble, une vraie écoute et l’envie d’essayer de développer un certain nombre de choses. Il y a encore des points de blocage, en matière de financement en particulier, mais cela a le mérite, de mon point de vue, de faire exister le sujet sur la scène nationale.

Maintenant, comme vous le dites, l’habitat participatif évoque des choses aux gens, quels qu’ils soient. Quand j’ai commencé ma thèse, personne ne savait de quoi je parlais. Là, quand je dis que j’ai travaillé sur ce sujet, on me répond « Ah oui, je connais quelqu’un qui… ». Il y a eu une forme de démocratisation qui s’est opérée dans les esprits d’une manière générale. Cela a permis de donner de la légitimité à quelque chose qui était encore parfois vu de manière un peu caricaturale. Cela a eu le mérite de motiver des partenaires un peu frileux, notamment les bailleurs sociaux qui se sont sentis plus sécurisés, mieux outillés.

Les premiers retours d’expérience, ont contribué à ce rapprochement. Quand vous avez un organisme qui dit « Dans telle ville, il y a un organisme HLM qui s’est engagé dans tel projet, le collectif a été formidable et tout s’est bien passé », pour les collègues dans la salle, vous allez peut-être lever un frein primaire chez certains, qui vont se dire que « C’est possible, d’autres ont essuyé les plâtres avant nous, on peut y aller, il y a une loi ». C’est l’aboutissement d’un travail très intense du côté du mouvement et une écoute du côté du ministère à ce moment-là, avec l’envie de débloquer des choses.

 

Vous évoquez les logements HLM. Dans quel cadre les bailleurs acceptent-ils de soutenir de tels projets ?

Le plus important est que l’on ne fasse pas croire à un groupe d’habitants qu’il va pouvoir s’impliquer et qu’à la fin, on ne le consulte que sur la couleur de sa moquette

Cela dépend vraiment des situations. Le premier projet de coopérative d’habitants, qui est de chez vous, de Villeurbanne en l’occurrence, s’appelle le Village Vertical. Il y a eu un vrai travail en collaboration avec le bailleur, qui est une coopérative d’HLM, où le groupe a eu toute sa place dans la programmation. Il y a eu un vrai engagement du groupe. Après, c’était son souhait.

Vous avez d’autres groupes, qui peuvent s’être constitués de manière spontanée ou avoir été constitués par des groupes HLM, qui vont se saisir davantage des projets avec des scénarios, scénario 1, 2, 3 : « Qu’est-ce que vous aimeriez ? Quelle est la limite que vous voulez mettre à votre implication ? » etc. C’est très variable.

Le plus important est que l’on ne fasse pas croire à un groupe d’habitants qu’il va pouvoir s’impliquer et qu’à la fin, on ne le consulte que sur la couleur de sa moquette. Là, généralement, cela ne se passe pas bien. Il faut que le partenariat soit clair au départ. Et cela marche, il y a des projets, il y a même des projets d’envergure dans certains territoires, je pense notamment à Toulouse, avec le Groupe des Chalets et l’écoquartier La Cartoucherie. Il y a eu un projet de coopérative d’habitants, au sein d’un îlot de près d’une centaine de logements, qui fonctionne. Mais c’est de l’écoute de part et d’autre, et un contrat, pas forcément écrit, mais un contrat formel au départ de qui s’engage à quoi, où est-ce qu’on met de l’implication des habitants, si on en met, quel est le rôle de l’organisme, et qui décide à la fin.

Au Village Vertical, les habitants sont en co-maîtrise d’ouvrage. Cela veut dire que le bailleur n’est pas supérieur au groupe et inversement d’ailleurs, ils sont vraiment à égalité.

Comment se situe ce type d’habitats en France par rapport à nos voisins européens ? Il est vrai que spontanément, on pense plus à un modèle qui correspond à l’Europe du Nord. Est-ce que c’est quelque chose que vous avez pu voir ?

À la différence d’autres pays, les projets ne se comptent pas en milliers

Les inspirations viennent beaucoup d’Europe du Nord, effectivement, avec le cohousing, en sachant que l’on est sur des volumes qui sont quand même plus importants, avec parfois des centaines de logements. Les inspirations viennent également du côté de la Suisse, de Genève, avec les coopératives d’habitations, mais aussi du Québec où le modèle coopératif est bien développé dans le logement.  

Ce sont les inspirations que l’on a, principalement. Par ailleurs, il y a une forme de géographie : du côté de Lyon, ils sont allés regarder en Suisse ; du côté de Strasbourg, ils sont plutôt allés regarder en Allemagne et en Belgique puisque c’est dans ces pays-là qu’il y a aussi des projets de longue date, accompagnés, institutionnalisés, avec des terrains réservés, etc.

Même dans un contexte de relatif essor aujourd’hui, en France, cela reste quand même dans des proportions inférieures aux exemples que vous avez donnés, qui restent les véritables références européennes.

On est en dessous de 1 % de l’offre de logements existants. Il n’y a pas de comptabilité qui est tenue dans la statistique publique, donc on ne fait qu’approcher les chiffres à partir du recensement fait dans et par les réseaux. Mais à la différence d’autres pays, les projets ne se comptent pas en milliers.

Concrètement, quels sont les bénéfices ressentis ou obtenus par les habitants

Tout le monde a besoin de sentir qu’il y a des gens qui comptent sur nous

Il y a plusieurs aspects. Le premier bénéfice est, je pense, l’absence d’écart entre ce que l’on mettait dans le projet, sur le plan intellectuel, et ce que l’on y trouve. On a l’idée d’être en phase avec ses valeurs, de se dire « Voilà, je vis comme je pense qu’il est nécessaire de vivre », de manière plus écologique, avec plus de solidarité, etc. Tout ce que l’on a évoqué précédemment.

Après, concrètement, on a la question de l’entraide, l’existence d’un collectif comme étant un soutien, avec lequel on peut partager des choses. Cela va de se rendre service – « Qui va garder les enfants, je suis coincée en réunion » – à une personne plus âgée qui a du mal à faire ses courses, et que l’on va aider.

Il y a aussi la question de l’accessibilité du logement, quand les surfaces obtenues, dans le cas où le montage financier fonctionne - ce qui n’est pas toujours le cas - permettent d’avoir un logement qui n’est pas forcément plus grand au niveau individuel, mais qui permet de profiter d’espaces dont on ne pourrait pas profiter en milieu urbain notamment, avec des salles de réunion, des chambres d’amis communes, un jardin, ce genre de choses et d’autres qui peuvent être mutualisées. Plutôt que tout le monde achète sa perceuse, il y a une perceuse pour tout le monde. Là, de fait, il y a une dimension économique qui peut entrer en ligne de compte.

Mais le plus important je pense, c’est à la fois se retrouver et vivre en concordance avec ses valeurs, ne pas avoir l’impression d’être en décalage entre ses idées et sa vie quotidienne, et la présence d’un collectif perçu comme soutien, et au sein duquel on a aussi le sentiment d’être utile, de pouvoir aider les autres. À part quand l’on est totalement misanthrope, tout le monde a besoin de sentir qu’il y a des gens qui comptent sur nous, d’une manière ou d’une autre.

 

Ces collectifs semblent développer des pratiques un peu en avance sur leur temps, par rapport aux enjeux de sobriété par exemple. Est-ce que vous avez l’impression que de façon très pragmatique, ces communautés expérimentent des fonctionnements vers lesquels nous nous tourneront de plus en plus ?

Il y a en effet une forme d’essaimage aussi, par petites touches, dans des projets de logement tout à fait classiques

On va y venir de plus en plus, finalement, vers du logement avec du collectif et du partage. Mais on peut être sobre sur le plan énergétique sans forcément aller jusque-là, c’est-à-dire accepter des prises de décision en collectif, être capable de passer un certain temps en réunion pour être sûr que tout le monde est bien en accord avec la décision qui a été obtenue. Il y a une dimension du collectif qui n’est pas nécessaire à la sobriété, mais oui, les projets que l’on évoque sont plutôt dans cette perspective-là.

Ce que l’on voit, c’est qu’il y a en effet une forme d’essaimage aussi, par petites touches, dans des projets de logement tout à fait classiques. Je pense à des bailleurs ou à des promoteurs qui vont mettre une salle commune, voire des espaces partagés, du compost en pied d’immeuble, parfois des voitures partagées même, entre différents habitants. Évidemment, on ne peut pas dire que la transition écologique va faire que demain, nous allons tous vivre dans un habitat participatif, mais cela fait un peu tache d’huile chez les praticiens traditionnels du logement.

Un certain nombre d’associations agrègent ces communautés et portent leur parole. Comment qualifier les liens qui unissent ces différents réseaux ?

Ces dernières années, il y a eu après une vraie structuration du réseau au niveau national

Au début, c’était assez compliqué entre les réseaux parce qu’il y avait des sortes de conflits de légitimité, qui étaient liés à des filiations un peu différentes, entre plutôt l’autopromotion strasbourgeoise et la coopérative d’habitants, avec une vraie démarche anti-spéculation, qui par conséquent heurtait un peu la logique de la copropriété, par définition, qui était plutôt portée par l’autopromotion.

Petit à petit, les chemins se sont croisés. Tout le monde a son identité, au niveau régional, même parfois au niveau local, et ces identités sont évidemment maintenues, mais ces acteurs sont conscients de la nécessité de s’unir s’ils veulent peser : il faut jouer quand même un peu collectif. C’est cela qui explique aussi que la bannière « habitat participatif » ait été retenue.

Ces dernières années, il y a eu après une vraie structuration du réseau au niveau national, avec des instances qui regroupent des réseaux locaux ou régionaux, mais il y a maintenant une identité au niveau national, dite du mouvement de l’habitat participatif, avec Habitat participatif France, qui s’est donné les moyens d’une structuration associative très professionnelle. Il y a eu du chemin.