Daniel Priolo : Changement de comportement et contradictions internes
Interview de Daniel Priolo
Enseignant-chercheur en psychologie sociale
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Texte d'Olivier OULLIER
Chaque jour dans le monde, nos institutions s’emploient à prendre des décisions, qui, en théorie, doivent améliorer le quotidien des citoyens, favoriser l’intérêt général tout en préservant les finances publiques.
Quel que soit le domaine - santé, éducation, vivre ensemble, sécurité, économie, finance ou encore développement durable - c’est (trop) souvent ainsi que l’on procède : une question ou un problème surgit, on demande à une poignée d’experts de produire un rapport, d’autres experts sont auditionnés avant de prendre des mesures. Au mieux, le rapport évalue l’impact potentiel de la nouvelle politique sur les pratiques grâce à des statistiques passées et des prédictions issues de modèles qui ont leurs limites.
En revanche, les données comportementales, l’expérimentation et l’évaluation rigoureuses ne font pas partie du modus operandi habituel. Avant sa mise sur le marché, un traitement médical est mis à l’épreuve de tests méthodiques et rigoureux afin d’en minimiser les risques. Pourquoi ne fait-on pas de même avec les propositions de mesures quand elles visent à faire évoluer les comportements quotidiens d’un très grand nombre de citoyens ?
En général, aucune mesure ni simulation réelle à petite échelle n’est effectuée. De la même manière, on effectue encore plus rarement un « contrôle » - une observation d’une partie de la population sur laquelle on n’applique pas les interventions préconisées - pour comparer et évaluer l’impact effectif du changement imposé.
Tel est le paradoxe : les réformes visent à réglementer ou modifier le comportement des citoyens et les derniers experts consultés dans leur processus d’élaboration et de mise en oeuvre sont ceux qui justement étudient le comportement humain et savent comment le changer.
Pourquoi ne pas commencer par faire appel aux comportementalistes ? C’est le cas ailleurs dans le monde, où les Nudges Units gouvernementales (et privées) fleurissent. Leur but est d’avoir recours à des méthodes et résultats issus de psychologie, économie comportementale et neurosciences pour changer le comportement en douceur et souvent à bas coût. Cela permet d’améliorer l’efficacité des politiques publiques dans leur développement, mise en œuvre et évaluation.
Nombreux sont ceux qui présentent ces nudges comme une nouvelle théorie. Il n’en est rien. Les nudges sont une pratique qui donne des résultats en remettant au goût du jour des connaissances en psychologie expérimentales vieilles de plusieurs décennies pour certaines.
Une des leçons principales des sciences du comportement est que les arguments rationnels seuls ne fonctionnent pas pour modifier les habitudes des citoyens. Il en est de même avec les décideurs publics. Informer que fumer tue est nécessaire, mais en aucun cas suffisant pour lutter contre le tabagisme. Dire que les sciences comportementales font économiser de l’argent public en permettant d’optimiser les réformes ne suffit pas.
Il existe trois principaux défis à surmonter pour convaincre les décideurs publics d’avoir recours à ces méthodes.
Le premier est, pour les politiques, de comprendre que ce qu’ils considèrent comme évident doit très souvent être revisité ou traité différemment parce que les environnements et les comportements changent en permanence.
Deuxièmement, des preuves scientifiques de l’(in)efficience de réformes ne s’obtiennent pas du jour au lendemain. Tester, lorsque c’est possible, peut prendre du temps. Un temps expérimental qui n’est que rarement compatible avec le temps électoral dans une époque où les élections se succèdent quasiment chaque année, et avec elles le besoin de pouvoir montrer des résultats.
Troisièmement, imaginez que vous êtes en charge d’une ville. Les résultats d’une étude que vous avez financée révèlent que durant votre premier mandat, certaines des décisions prises n’étaient pas optimales. Idéalement, le fait que vous soyez capable de faire amende honorable et corriger le tir devrait faire de vous un meilleur maire. Dans le jeu politique tel qu’il est pratiqué aujourd’hui, nous savons que ce sera utilisé contre vous. Par conséquent, il n’y a aucun intérêt personnel à potentiellement fourbir les armes des concurrents.
Pour parvenir à changer le comportement des citoyens, il serait opportun de commencer par modifier celui de ceux qui nous dirigent afin que l’on puisse mieux élaborer, mettre en œuvre et évaluer les politiques publiques grâce aux sciences comportementales.
Et pour ce faire, le premier pas incontournable est d’adopter une politique de rigueur… méthodologique.
Nudge, la méthode douce pour inspirer la bonne décision, Richard Thaler et Cass Sunstein, éditions Vuibert, 2010.
Interview de Daniel Priolo
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