Ville et handicap(s) : actes de la journée du 9 décembre 2011
Étude
La Direction de la Prospective et du Dialogue Public a organisé le 9 décembre 2011 une conférence-débat sur le thème « Ville et Handicap(s) ».
Dossier
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Le terme handicap n'a qu'un siècle d'existence en France. Il s'est imposé progressivement dans les années 1950-60 pour désigner les personnes souffrant d'une incapacité ou d'une déficience motrice ou mentale. Les termes « handicap », « personnes handicapées », voire « personnes en situation de handicap », ont progressivement supplanté « infirme », « invalide », « inadapté », « mutilé », « paralysé » ou encore « débile »... Cette évolution de langage montre bien la volonté d'éviter tous les mots péjoratifs, dévalorisants ou désignant l'absence d'une fonction ou d'une partie du corps. Elle accompagne aussi différentes approches du handicap et en particulier la prise en compte croissante de la personne (avant sa déficience) et de l'environnement (qui est plus ou moins handicapant).
Il n'existe pas de définition universellement admise du handicap
Jusque dans les années 1970, le handicap est considéré sous le prisme de l'atteinte au corps, qu'elle soit d'origine pathologique (maladies), accidentelle (accidents du travail...) ou violente (guerres...). Cette logique sous-tend un objectif de guérison, via la réadaptation ou l'appareillage qui visent à pallier les déficiences et à retrouver un fonctionnement proche de celui des valides. En France, la loi d'orientation en faveur des personnes handicapées de 1975 retient cette logique mais se garde de définir directement le handicap. Elle confie la reconnaissance du handicap à des commissions départementales.
Mais sous l'influence de nombreux courants de pensée, l'approche médicale, centrée sur les déficiences de la personne, laissera peu à peu la place à une approche sociale imputant le handicap autant à l'environnement de la personne qu'aux limites de ses capacités. Considérer le handicap comme une caractéristique, non pas de la personne, mais de son interaction avec l'environnement change profondément la manière d'aborder la question du handicap. Il s'agit donc de lever les obstacles dans l'environnement et d'éviter d'en produire de nouveaux, en prévoyant par exemple, dès la conception, une rampe d'accès que chacun peut emprunter plutôt que des marches d'escaliers.
En France, la loi reconnaît sept types de handicap
Le handicap mental correspond à une déficience altérant le développement intellectuel de la personne (autisme, trisomie 21, syndrome de l’X fragile, etc.). Ce handicap est responsable des difficultés à manier l’abstraction, à conceptualiser ou à faire face à des situations complexes de la vie.
Le handicap psychique fait référence aux conséquences sociales et relationnelles d’une maladie mentale sur une personne (dont les capacités sont par ailleurs normales). Il est possible de réduire voire de guérir cette déficience avec une thérapie appropriée, contrairement au handicap mental. Ce sont les psychoses, schizophrénies, troubles obsessionnels compulsifs, névroses...
Le handicap cognitif désigne les déficiences affectant les capacités à recevoir et traiter une information (lire, parler, mémoriser, comprendre…). Il regroupe les troubles du langage, les troubles spécifiques d'apprentissage (dyslexie, dyscalculie, dyspraxies...), les troubles de la mémoire, etc.
Le handicap sensoriel désigne les déficiences affectant un sens. La déficience auditive (altération légère de la capacité auditive d’une ou des deux oreilles à la surdité) et la déficience visuelle (légère altération du champ de vision ou de l’acuité visuelle à la cécité) sont les plus connues mais la déficience peut aussi affecter l’odorat (anosmie) et le goût.
Le handicap moteur désigne l’altération de la capacité du corps ou d’une partie du corps à se mouvoir. Bien que la personne en fauteuil roulant soit l’archétype du handicap moteur, il recouvre tant la difficulté à faire certains gestes, à saisir des objets, à parler, que la paralysie.
Les troubles de santé invalidants désignent les déficiences causées par la maladie faisant passer la personne atteinte dans le champ du handicap en raison des restrictions d'activité qu'elle occasionne.
Le polyhandicap associe des déficiences motrices et intellectuelles sévères, voire d'autres déficiences, et entraîne une restriction extrême de l'autonomie et des possibilités de perception, d’expression et de relations. La plupart de ces situations sont liés à des malformations et des maladies affectant l’embryon ou le fœtus, ainsi qu’à une grande prématurité.
Actuellement, près de 12 millions de Français souffrent de déficiences
Les déficiences sont « les pertes ou les dysfonctionnements des diverses parties du corps (membres, muscles, organes) ou du cerveau. Elles résultent en général d'une maladie ou d'un traumatisme » (Insee). Les chiffres ci-dessous sont tirés de l'enquête « Handicap-Incapacité-Dépendance » de 1999 :
• 5,18 millions de personnes souffrent d’une déficience auditive (moyenne ou sévère pour 28% d’entre eux et profonde voire totale pour 6%). Pour près de 80%, les déficiences sont multiples, notamment motrices
• 2,3 millions de personnes souffrent d’une déficience motrice. Chez seulement un peu plus d’un tiers, cette déficience est isolée ou prédominante. Emblème du handicap, la personne en fauteuil roulant ne représente que 7% des personnes handicapées moteur ! Si on inclut l’ensemble des déficiences motrices même les plus légères (rhumatismes, arthrose…), la part de personnes concernées grimpe à 8 millions
• 1,7 million de personnes souffrent d’une déficience visuelle (un tiers d’une déficience légère, 55% moyenne et 12% sont malvoyants profonds ou aveugles). Près des 2/3 ont plus de 60 ans. Près d’un tiers est polyhandicapé
• 700 000 personnes souffrent de déficiences mentales ou cognitives
• 85% des handicaps sont invisibles
La définition du public concerné par le handicap conditionne la manière d'appliquer les lois et les politiques
Pour circonscrire le champ du handicap, faut-il considérer les troubles de santé à l'origine des déficiences, les déficiences elles-mêmes, ou encore les incapacités qui en découlent ? Recourir à plusieurs définitions soulève un problème de cohérence dans la politique du handicap. « Les gens peuvent avoir la qualité de handicapés pour une politique et non pour une autre, et sont parfois confrontés dès lors à une divergence de prestation. Généralement, les États résolvent ces problèmes en demandant aux institutions de politique sociale de coordonner leurs activités et non en tentant d’adopter des définitions unifiées. Dans beaucoup de situations qui relèvent de la politique sociale, comme l’absence de revenu par défaut d’emploi, il est difficile de faire la distinction entre les besoins nés du handicap et ceux issus d’autres désavantages comme les mauvaises conditions du marché de l’emploi local ou un faible niveau d’études » (Commission européenne).
Autre conséquence des difficultés à circonscrire le champ du handicap : le manque d'analyses et d'évaluations comparatives. Comment produire des analyses et évaluations comparatives sur les politiques et différentes mesures développées dans le champ du handicap tant que sa définition ne fait pas consensus ? Cette question est posée en préambule par l'Université de Brunel en charge d'une analyse comparative pour la Commission européenne. Elle résonne même comme un avertissement sur la cohérence des différentes politiques menées : « les problèmes de définition revêtent une importance cruciale lorsqu’il s’agit d’élaborer des politiques cohérentes en matière de handicap et de comprendre en quoi l'évolution de ce domaine particulier interagit avec d'autres domaines politiques importants, tels les politiques de lutte contre la discrimination, les programmes d'aide aux revenus et les politiques générales du marché du travail » (Commission européenne).
Considérer les causes du handicap pour agir avec pertinence
Quelle est en définitive la cause du handicap ? Qui rendre responsable du handicap ? La maladie ou l'altération du corps, la personne et ses choix, un environnement hostile, une société discriminante... En recherchant les causes et les responsables, on envisage aussi les processus susceptibles de gommer le handicap. Pour l'approche médicale, puisque la cause est dans l'individu, l'action vise l'individu. Il s'agit d'un système de réparation (médicale ou sociale) ou d'un système de compensation (fonctionnelle ou sociale) si la réparation n'est plus possible. Le handicap est d'abord vu comme un désavantage individuel. Dans l'approche sociale en revanche, la société est mise en cause, les actions sont donc pensées pour la transformer et lever les barrières qu'elle dresse aux personnes handicapées.
Nos sociétés s'efforcent donc d'atténuer ces différents types de dysfonctionnements, organiques et sociaux. Les premiers renvoient aux soins, à l'assistance, à des mesures compensatoires de l'ordre de la solidarité. Les seconds impliquent d'aménager la société pour qu'elle soit accessible à tous, dans un souci d'équité. Mais ces deux manières de raisonner visent finalement le même horizon : il s'agit pour les personnes handicapées de rejoindre la vie ordinaire.
En France, les associations tiennent un rôle crucial dans le champ du handicap. Si elles semblent incontournables, les associations ne constituent pas pour autant une famille homogène et unie. On observe autant de revendications partagées que des positions singulières, voire de profondes divergences. Actuellement, les associations doivent faire face à de nombreuses évolutions. Cela annonce-t-il une métamorphose du champ associatif dédié au handicap ?
Des prestataires de services incontournables
« Aujourd'hui, 90% des 475 000 personnes handicapées accueillies et accompagnées le sont dans les 8000 établissements et services qu'elles gèrent » (J.Priou). En d'autres termes, en France, 90% des services et établissements pour personnes handicapées sont gérés par des associations. En 2000, ces activités emploient plus de 142 000 salariés en équivalent temps plein.
L'État délègue la prestation de services aux associations tout en contrôlant leurs activités et les associations bénéficient du soutien financier de l'État pour assurer ces services et les développer. Certaines ont été créées pour pallier temporairement les carences de l'État ou du marché, elles pensaient rapidement étendre leurs actions à d'autres publics que les personnes handicapées. Mais leur mobilisation et leur professionnalisme les ont conforté durablement dans leur rôle et ont assis leur légitimité. Peu à peu, les associations sont devenues des « partenaires » indispensables à la prise en charge du handicap. Les associations employeurs (soit 22% des associations) gèrent 89% des ressources, les associations sans salarié (soit 78% des associations) se partagent le budget restant.
Un rôle primordial dans l'élaboration des politiques du handicap
Les grandes associations sont les interlocuteurs privilégiés de l'État dans la définition des politiques publiques en faveur des personnes handicapées. Les projets de textes législatifs et réglementaires intéressant le secteur du handicap leurs sont présentés et sont débattus et ajustés avec elles. S'appuyant sur leur expertise d'usage, elles ont largement contribué à l’élaboration de la loi du 30 juin 1975, dite d’orientation en faveur des personnes handicapées, et de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
Des revendications partagées
L'étude des différents discours des associations (entretiens, sites internet, documentations) révèle de nombreuses revendications partagées et résumées par les formules ci-dessous :
• « La personne handicapée est avant tout une personne », cela implique que la personne puisse vivre pleinement sa citoyenneté ;
• « La reconnaissance du handicap implique un effort pour la société ». Ces efforts doivent se porter sur les aménagements, l'habitat, les transports, les services publics, etc. mais aussi les relations humaines. Le sujet de la lutte contre les discriminations sous-tend cette affirmation ;
• « Rien de ce qui nous concerne sans nous » ou encore « faire avec plutôt que faire pour ». Les personnes handicapées revendiquent d'être écoutées pour définir les politiques et actions les concernant. Certaines sont même plus radicales et affirment que seules les personnes handicapées sont compétentes pour parler d'elles et de ce qui les touche ;
• « La personne handicapée doit être (dans la mesure du possible) actrice de ses ». Cela va de pair avec la demande de plus grande autonomie des personnes dans leurs choix de vie et d'individualisation de l'accompagnement ;
• « Construire une société accessible » ;
• « Intégrer les personnes dans le monde ». Cette revendication co-existe avec l'objectif d'associations souhaitant préserver, voire développer, un secteur spécialisé -durement acquis- qui répond aux besoins des personnes handicapées ;
• « Bénéficier de ressources suffisantes pour vivre dignement » ; les revendications portent à la fois sur les prestations de compensation et les prises en charge ;
• « Les besoins des personnes handicapées ne doivent pas donner lieu à des réponses ponctuelles ou exceptionnelles, mais à des normes générales » ; cela éviterait de payer l'exception au prix fort et peut profiter à tous (ex. trottoirs bien marqués et dégagés, signalétique améliorée...).
Des logiques et des modes d'action différents
Les associations gestionnaires se positionnent dans le cercle d'influence des partenaires extérieurs à l'État, comme les syndicats, les organisations professionnelles ou patronales, les entreprises publiques et privées. Pour ces associations, une logique de partenariat avec les autorités prime : elles multiplient leurs liens à travers les assemblées, les réunions avec les autorités de tutelle, leur participation aux commissions locales d'accessibilité... Mais cela est possible parce que les associations ont œuvré pour renforcer leur représentativité et leur légitimité tout au long de leur développement. Elles n’imposent pas leurs vues à un gouvernement qui les enregistrerait passivement. Il y a toujours confrontation entre les différents acteurs porteurs d’intérêts divers. Elles « ménagent » ces interlocuteurs et ne se situent pas, ou rarement, dans le registre contestataire. Le lobbying est utilisé au niveau national, à la fois collectivement par le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) et individuellement, au niveau de leur siège (rôle d'interpellation), mais aussi au niveau local. Les responsables associatifs rencontrent des élus au cas par cas, en fonction des besoins, des problèmes rencontrés, et des demandes à établir.
Les associations non gestionnaires adoptent une logique plus militante et une plus large palette d'actions selon les institutions et les personnes sollicitées. Elles peuvent aussi bien interpeller les grandes instances nationales, à l'instar de l'Union nationale des moins valides (UNMV) qui a adressé récemment une lettre ouverte au Conseil d'Etat, que mener des actions au plus proche du terrain, comme une démarche de Point de vue sur la ville (PVV) faisant part aux conducteurs de bus de leur revendication auprès du Sytral concernant la suppression des strapontins. Dans ces associations, la méfiance envers les institutions est parfois présente. Les associations considèrent nécessaire d'entretenir des rapports de force pour faire valoir les droits des personnes handicapées. Elles utilisent par conséquent tous les registres de contestation, de dénonciation, de critique, d'attaque (de la conférence de presse à la poursuite judiciaire). Citons pour illustration la devise de l'UNMV, qui est « expliquer, éduquer, exiger ». Elles paraissent plus libres de leurs modalités d'action, même si elles peuvent émettre des demandes parfois identiques à celles des associations gestionnaires.
Enfin, on peut ajouter comme spécificités, et non des moindres, des différences dans la manière de parler, montrer, « mettre en scène » le handicap... Pour sensibiliser l'opinion, certaines cherchent à émouvoir, d'autres à choquer. Certaines privilégient les images positives, d'autres non. Certaines se battent pour l'application de la loi, d'autres revendiquent des nouveaux droits...
Concurrence des opérateurs privés, baisse des ressources et de leur marge de manœuvre, des associations en péril ?
Une des craintes des associations gestionnaires est la tendance à la banalisation du type d'opérateur (public, privé à but non lucratif ou lucratif) dans la gestion des établissements et services. La concurrence du secteur marchand se fait sentir et il couvre déjà de plus en plus le secteur des personnes âgées. Or, si les associations gestionnaires, comme les entreprises, doivent veiller à leurs finances, elles revendiquent leur singularité : un accompagnement plus humain des personnes handicapées. Pour ces associations, les entreprises ne peuvent se substituer à elles et proposer des accompagnements de même qualité.
A cela s'ajoute la tendance à la réduction du nombre d'associations gestionnaires en France. Les financements des petites associations se réduisent, les appels à projets exigent des capacités de réponse importantes... ces associations n'ont donc pas d'autres choix que de se rapprocher des grandes structures. Le souci de l'État de réduire les coûts pourrait aussi le conduire à sélectionner des projets d'opérateurs prenant mal en compte les enjeux d'intégration des personnes handicapées en milieu ordinaire, par exemple privilégier un grand établissement d'accueil à la campagne plutôt que des petites structures en ville.
La transformation de l'action publique est telle que les associations redoutent de devenir des opérateurs. Les appels à projets se multiplient, ils sont synonymes de moyens pérennes pour les associations mais en même temps, ils limitent leur autonomie. Même si les associations impulsent parfois ces appels à projets, le risque est réel. En outre, des logiques administratives et financières de court terme prennent parfois le pas sur des projets associatifs plus ambitieux sur le long terme. L'exemple donné par l'Association pour adultes et jeunes handicapés (APAJH) est parlant : « dans un projet de Centre d'action médico-social ou CAPS, on nous a autorisé 15 enfants et non 25, ce qui a amené à construire un local pour 15 enfants ; quelques années plus tard, l’autorisation nous est parvenue pour plus de places, ce qui oblige à démolir et reconstruire les locaux, ou à déménager ».
La baisse du militantisme et la montée de l'individualisme pèsent aussi sur le monde associatif
Les associations doivent aussi faire face au manque de renouvellement des militants. Certaines peinent à trouver du « sang neuf » qui prendrait le relais et qui faciliterait aussi l'ouverture vers des nouveaux modes d'action. Enfin, les associations se retrouvent dans le constat d’un individualisme croissant. Le changement de comportement des familles est flagrant : elles sont « consommatrices » de services mais ne souhaitent par forcément s'impliquer davantage. Hier, les militants ont créé les structures et aujourd'hui, beaucoup en profitent comme si c’était un droit, un établissement public comme un autre. Par exemple, les parents placent leur enfant dans un établissement, mais ne pensent pas forcément à être adhérent de l'association qui le gère.
Par « représentations », il faut comprendre non seulement les images que nous nous formons de la réalité, mais aussi les imaginaires qu'elles véhiculent. Les représentations sont des manières de comprendre le monde, de s'en forger une image et une idée. Le plus souvent produites collectivement, elles ont une forte dimension sociale et évoluent selon les temps et les lieux. Pourquoi s'intéresser aux représentations du handicap ? D'une part, parce que ces représentations dont nous sommes porteurs, voire prisonniers, déterminent nos rapports avec les personnes handicapées. D'autre part, parce que les représentations influencent les définitions du handicap et donc, les politiques publiques et les différentes mesures déployées en direction des personnes handicapées. Prendre du recul est indispensable : quel est notre rapport à la différence ? Sommes-nous prêts à l'accepter et à nous ouvrir sans restriction à une humanité plurielle ?
Nos représentations du handicap dépendent de notre rapport à ce qui est autre
Le handicap renvoie bien sûr à des situations concrètes mais celles-ci sont définies et interprétées différemment selon les époques et les représentations de l'homme et de la différence qui y ont cours. On peut décrire trois modes possibles de la relation à l'autre ou trois types de rapport du valide à la personne « infirme » puis handicapée (le terme n'est employé en France qu'à partir du XXe siècle) :
• L'Autre : la personne handicapée est considérée comme radicalement différente puisqu'elle est hors-norme, elle est alors frappée d'exclusion. C'était le cas par exemple en Grèce antique où les enfants mal formés étaient considérés comme des avertissements au groupe, ils étaient écartés des lieux de vie et laissés au bon vouloir des Dieux, donc condamnés ;
• Le Même et l'Autre : la personne handicapée est considérée comme un « moi théorique », une forme possible de moi-même. Cette conception monte en puissance notamment avec les progrès de la science (XIXe et XXe siècles). Un autre regard est peu à peu posé sur le handicap car une personne handicapée est considérée comme porteuse de dysfonctionnements susceptibles d'être « réparés » par la médecine ;
• Le Même : la personne handicapée est comme « moi-même ». Une personne n'est handicapée que dans les situations où sa déficience pose problème. C'est ce que sous-tend l'expression « personnes en situation de handicap » : le handicap est le résultat d'une déficience mais aussi, et surtout, de l'environnement physique et humain. Dans cette logique, c'est à la société de s'adapter à la diversité des individus qui la compose.
Le handicap serait-il relatif ?
Avec cette dernière approche, on considère qu'une personne souffrant d'une déficience n'est handicapée que dans certaines situations. Une personne ne pouvant plus marcher n'est handicapée que lorsque se présente un obstacle, et non lorsqu'elle est assise à un bureau et travaille sur son ordinateur. Ainsi, les contours du handicap sont considérablement élargis. Avec une telle conception du handicap (et en oubliant la notion de déficience), la formule « nous sommes tous handicapés » prend du sens : le jeune parent avec une poussette sera en situation de handicap sur des trottoirs encombrés et étroits, la personne allergique se trouve en situation de handicap dans les périodes où les pollens sont nombreux, etc.
Le handicap peut donc être considéré comme relatif. Mais si le handicap n'est qu'une question de degré, comment à la fois accepter sa propre vulnérabilité et ne pas oublier la spécificité de l'autre ? Actuellement, il semble que la société tente d'inclure la personne handicapée, mais en s'efforçant de réduire les handicaps jusqu'à les faire « disparaître ». Le risque d'oublier la différence et ses difficultés est grande et pourrait conduire à exclure au final, par indifférence.
Les faits demeurent et même si chacun d'entre nous rencontrent des situations de handicap, certaines personnes vivent durablement avec un membre en moins, des difficultés d'expression, une paralysie, une surdité... Même si les situations de handicap font partie de nos vies à tous, à des degrés divers, le handicap reste malgré tout une menace personnelle. « Fondamentalement, donc, nous sommes dans un rapport d’altérité ambivalent qui renvoie au Même et à l’Autre — « moi et non moi » — non pas alternativement, mais indissociablement » (L.Viévard).
Comment être soi lorsqu'on est handicapé ?
Les personnes handicapées témoignent du double regard de la société sur elles. Soit ce regard est empreint de compassion, voire de pitié : la personne handicapée est vue comme condamnée à une vie de souffrances et de difficultés. Soit il est exagérément positif, la personne handicapée est alors un héros qui a surmonté sa condition. Ce regard est notamment alimenté par la médiatisation des personnes handicapées ayant réalisé des exploits sportifs (ex. Oscar Pistorius), des carrières hors normes (ex. Aimee Mullins), etc. Mais dans les deux cas, ces représentations ne permettent pas de voir les personnes handicapées telles qu'elles sont, ni in-humaines, ni sur-humaines, et surtout de les rencontrer sur un pied d'égalité. Qu'en est-il des représentations et du ressenti des personnes handicapées sur elles-mêmes ? Tout individu humain se construit dans son rapport à l'autre. Comment se construire quand ce rapport est dégradé ? « Il faut une sacrée détermination, un sacré enracinement de soi pour y parvenir. Ou une meilleure insertion sociale et sociétale, une juste reconnaissance de la différence par une authentique acceptation et connaissance de celle-ci – on ne peut reconnaître ce que l'on connaît pas » (M.Nuss).
Et si seule l'expérience pouvait combattre les idées reçues ?
Force est de constater que les idées reçues à l'égard des personnes handicapées sont encore très nombreuses. Elles ont fait l'objet d'un sondage, réalisé par l'Ifop en mai 2006 pour l'Association des Paralysés de France. Et les chiffres parlent d'eux-mêmes. 70% des Français pensent que les personnes en situation de handicap ne sont pas épanouies dans leur vie sociale. Plus alarmant peut-être, seuls 47% des Français estiment que l'intégration des personnes handicapées passe par le comportement de chacun d'entre nous. 82% des Français déclarent ne pas toujours savoir comment se comporter à l'égard d'une personne en situation de handicap.
Les idées reçues se déclinent aussi dans le monde professionnel. Pourtant nombre d'entre elles ne sont absolument pas justifiées comme le montrent ces trois exemples examinés par le site www.cadremploi.fr. A l'idée reçue « une personne handicapée coûte cher, car il va falloir aménager son poste de travail », le site répond : « pas si sûr. En effet, selon l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph), seuls 15% des embauches de personnes handicapées nécessitent un aménagement de poste de travail. Bien souvent, il suffit d'un aménagement simple, comme la mise à disposition d'un fauteuil ergonomique. Inutile de casser les murs à chaque fois ! ».
Les faits balaient l'idée reçue « une personne handicapée est plus absente » car en réalité, « leur taux d'absentéisme est inférieur à celui des personnes valides. 69% des employeurs interrogés estiment qu'ils ne sont pas plus souvent absents que les autres salariés ». Enfin, il est fréquent d'entendre qu'« une personne handicapée aura du mal à s'intégrer dans l'équipe. Anticiper la non-acceptation de la personne handicapée par ses collègues, voilà l'argument type de managers pour ne pas en recruter dans leur service. Or, les faits leur donnent tort. 88% des salariés travaillant avec des personnes handicapées trouvent qu'il est facile de travailler avec elles. La moitié d'entre eux estiment même que ces dernières ont été bien intégrées (sondage Adia / Ifop 2009) ».
Vers la reconnaissance réciproque : « tu es celui-là et j'accepte que tu sois celui-là »
Avant de pouvoir dire cela, une meilleure connaissance du handicap s'impose, comme le recommande Henri-Jacques Stiker. Elle passe à la fois par davantage d'études de toutes sortes (historiques, sociologiques, anthropologiques, médicales, psychanalytiques, etc.) et par la lutte contre les préjugés qui « déforment l'identité »
Mais ce stade n'est bien sûr pas suffisant. Une véritable reconnaissance implique tout d'abord la reconnaissance des capacités des personnes : les capacités de décider, de s'opposer, de s'exprimer... Ensuite, il faut parvenir à une reconnaissance réciproque et donc aussi se reconnaître en l'autre. « Reconnaître l'autre comme un égal en dignité n'est pas toujours facile, mais se reconnaître dans l'autre devient une terrible conquête (...) Car il n'y a pas non plus de reconnaissance mutuelle sans celle d'un manque : l'autre n'est pas plus la plénitude que moi, nous nous reconnaissons parce que nous ne nous suffisons pas, parce que nous sommes insuffisants, faibles, déficients. Dans la lutte pour être reconnu par l'autre et pour reconnaître l'autre, ce dernier va me montrer la part qui constitue sa différence et moi je vais, par le fait même de le reconnaître comme un autre moi-même, lui donner à voir ce qu'il n'est pas. Autant nous devons comprendre que les personnes handicapées revendiquent qu'on ne les traite pas comme des humains ou des citoyens manquants, donc inférieurs, autant il serait dommageable d'éliminer la notion de manque valable chez tous (...)
La reconnaissance du manque et l'échange fructueux qui en résulte aboutissent au dernier sens du mot reconnaissance, c'est-à-dire celui de gratitude (...) Comme dans tout échange il y a appel à rendre grâce, à gratitude, à rendre tout simplement, c'est-à-dire penser l'autre comme capable de recevoir comme de donner »(H-J.Stiker).
La notion de citoyenneté s'étend bien au-delà de la définition civique et politique. Elle comporte désormais une dimension sociale, supposant l'implication dans la vie de la cité, la civilité (politesse, déférence, respect d'autrui), la solidarité, des droits culturels, etc. Mais lorsqu'on l'envisage sous l'angle du handicap, cette définition large de la citoyenneté interpelle tant les déficiences constituent des obstacles à une vie normale...
Emploi : des difficultés persistantes d'accès et de maintien en poste
En France, le taux de chômage des personnes handicapées est en moyenne deux fois plus élevé que le taux des personnes valides. Pourtant, de nombreuses dispositions législatives en faveur de l'emploi des personnes handicapées existent.
La loi de 2005 précise qu'aucune personne, en raison de son handicap, ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou d'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, qu'aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet de mesures discriminatoires notamment en matière de rémunération, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat (art. L.122-45 du Code du travail).
En outre, tout employeur, privé ou public, employant au minimum vingt salariés doit accueillir au moins 6% de personnes handicapées dans son effectif total. Cette obligation peut se concrétiser de différentes façons : l'emploi de personnes handicapées, l'accueil de stagiaires handicapés, le recours à la sous-traitance avec le milieu protégé (entreprise adaptée ou ESAT, établissement ou service d'aide par le travail), la conclusion d'un accord de branche ou d'entreprise prévoyant un programme pluriannuel en faveur des personnes handicapées ou le versement d'une contribution financière à l'AGEPIH (Association pour la gestion des fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées) pour le secteur privé et au FIPHFP (Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique) pour le secteur public.
Comment expliquer les inégalités de fait touchant les personnes handicapées en matière d'emploi ?
Les entreprises privées comme les organisations publiques ne satisfont pas dans l'ensemble l'obligation légale des 6% d'embauche de personnes handicapées et se tournent vers les autres options possibles. Une de leurs difficultés pour embaucher est le déficit de formation des personnes handicapées : les entreprises peinent à trouver, parmi cette population, du personnel qualifié en adéquation avec leurs besoins. Plus de la moitié des personnes ayant une reconnaissance administrative du handicap ne possède aucun diplôme ou le BEPC, contre le tiers pour l'ensemble des personnes de 15 à 64 ans. Les personnes handicapées de niveau bac, bac+2 et bac+3 sont très recherchées, leur taux de chômage est même inférieur à celui de l'ensemble des demandeurs d'emploi pour le même niveau de formation (DARES). Mais pour les autres, le taux de chômage est très important et s'explique notamment par les origines du handicap. « 17 % des handicaps sont la conséquence d’une maladie ou d’un accident liés au travail, et une part importante provient de maladies aggravées avec l’âge. Je pense notamment aux troubles rhumatoïdes, à la déficience visuelle conséquente du diabète, ou encore aux symptômes de la sclérose en plaques qui s’amplifient avec le vieillissement. Or, en caricaturant on peut avancer que la plupart des personnes qui deviennent handicapées en cours de vie sont des personnes qui occupent des emplois peu qualifiés ou qui ont des métiers manuels. Aussi, lorsque que, empêchées par leur handicap, elles ne peuvent plus continuer à travailler, elles viennent accroître le nombre des personnes en recherche d’emploi peu qualifiées et peu diplômées » (E.Frel).
Le retour à l'emploi après une maladie ou un accident peut être très difficile car il est rare que le handicap permette d'occuper les mêmes fonctions qu'auparavant et des aménagements sont presque toujours nécessaires. L'accompagnement personnalisé reste l'un des facteurs de réussite (I.Gazel et N.David).
A ces difficultés, s'ajoute un phénomène de discrimination, alimenté par les préjugés et la peur de la différence. Dans son rapport d'activité de 2010, la HALDE (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité) indique que l'état de santé et le handicap se classent au deuxième rang des critères de discrimination avec 19% des réclamations, après l'origine qui reste le critère le plus souvent invoqué (27%). Concernant le handicap et l'état de santé, un tiers des réclamations se situent dans le champ de l'emploi : accès, aménagements du poste, traitement de la carrière, reconnaissance des diplômes, rémunération, etc.
Éducation : un taux de scolarisation en hausse mais des inquiétudes quant aux moyens réduits des équipes éducatives
La loi de 2005 affirme que « tout enfant, tout adolescent présentant un handicap ou un trouble invalidant de la santé est inscrit dans l’école ou dans l’un des établissements mentionnés à l’article L. 351-1, le plus proche de son domicile, qui constitue son établissement de référence ». Cinq ans après sa mise en application, la loi a permis une augmentation importante de la scolarisation des enfants handicapés en milieu ordinaire. A la rentrée 2010, plus de 200 000 enfants étaient scolarisés soit 50 000 de plus qu'à la rentrée 2005.
Mais on ne peut s'arrêter à ces chiffres car si les enfants handicapés sont effectivement inscrits à l'école, leurs scolarités se heurtent à de nombreuses difficultés et en particulier, le déficit de formation des équipes éducatives et le manque de pérennité des auxiliaires de vie scolaire. « Crainte de ne pas « savoir faire », exigences des parents pour une application stricte de la loi, se sont traduites par un développement exponentiel de la prescription par les MDPH d’aides individuelles, les assistants de vie scolaire individuels (AVS-I), qui sont devenues une quasi condition de la scolarisation. Pour y faire face, le ministère de l’Éducation nationale a adapté le statut des assistants d’éducation afin de permettre à certains d’entre eux de se consacrer à l’accompagnement des enfants handicapés, en milieu collectif principalement mais aussi en classe ordinaire. Compte tenu des contraintes budgétaires, c’est cependant le recours à des contrats aidés qui a été le plus largement développé. Malgré le 1,3 milliard d’euros consacré par le ministère de l’Éducation nationale à cet accueil, l’école peine aujourd’hui à répondre de manière pertinente aux besoins des enfants handicapés » (P.Blanc).
Dans ce domaine aussi, les discriminations existent : les réclamations relatives à l’éducation représentent 8% des réclamations adressées à la HALDE (ex. refus de scolarisation d'un enfant autiste en classe ordinaire, refus d'aménagement des examens, etc.).
Santé : l'accès des personnes handicapées aux soins courants loin d'être assuré
Nous n'aborderons pas ici l'accès aux soins directement liés au handicap. D'après la Haute autorité de santé (HAS), il est assuré pour l'essentiel en France depuis la loi de 1975. Mais ce n'est pas le cas des soins courants, tels que les soins dentaires, gynécologiques, ophtalmologiques, etc.
On trouve tout d'abord des obstacles en matière d'accessibilité dans les transports et les lieux de soins publics et privés, de signalétique insuffisante, de matériels inadaptés et des problèmes de communication entre soignants et patients.
Il existe aussi un manque de formation et d'information des soignants « tant sur les déficiences et leurs traitements que sur l’appréhension globale de la santé chez les personnes dont les déficiences masquent trop souvent les besoins communs à toute personne : prévention des maladies et accidents, dépistages, bonnes pratiques (lutte contre l’obésité et les addictions par exemple), possibilités de recours aux équipes de santé publique (protection maternelle et infantile, santé scolaire, éducation pour la santé…), traitement de la douleur, recours aux soins palliatifs, etc. » (HAS).
On peut ajouter à ce tableau déjà préoccupant, l'organisation complexe et cloisonnée de l'offre de services et de soins, notamment entre les secteurs sanitaire, médico-social et social, et le manque de disponibilité des professionnels aggravé par une démographie médicale défavorable.
Enfin, l'un des principaux obstacles est « invisible » : le handicap prend parfois une telle place dans la vie et l'esprit des personnes handicapées et de leur entourage qu'il est un obstacle à la reconnaissance du droit à la santé globale et de la nécessité d'y accéder.
Jusqu'où étendre les droits des personnes handicapées ? La question taboue de la vie affective et sexuelle
La volonté d'avoir les mêmes droits que les personnes valides paraît tout à fait légitime, mais un domaine suscite pourtant beaucoup de gênes, de crispations, voire de farouches oppositions : la vie affective et sexuelle des adultes handicapés. Faut-il intervenir dans ce qui est habituellement du registre de l'intime ? Certes, de nombreuses personnes connaissent de belles histoires « naturellement », mais pour les autres ?
Des arguments plaident pour la fin du tabou et la possibilité de connaître une vie affective et sexuelle. Le besoin d'aimer, d'être aimé et le désir sexuel sont présents que l'on ait, ou non, « toute sa tête » et un corps « en état de marche » : les personnes handicapées en témoignent, leur entourage et les soignants également. Par ailleurs une vie intime permet aux personnes de se réconcilier avec leurs corps, de retrouver confiance en elles et donc d'être davantage en capacité de créer du lien. De fait, dans les établissements spécialisés, quelques initiatives voient le jour tels que des groupes de paroles sur le sujet, des possibilités de retrouver une intimité, à deux ou seul... Dans certains pays, des services d'accompagnement sexuel ont été mis en place. Pour l'association CH(S)OSE créée par le collectif « handicaps et sexualité », l’assistance sexuelle « consiste à prodiguer, dans le respect, une attention sensuelle, érotique et/ou sexuelle à une personne en situation de handicap ou à permettre – à leur demande – l’acte sexuel à deux personnes qui ne peuvent l’accomplir sans aide ».
Il semble que ce soit ce type de « service » qui empêche un débat apaisé sur le sujet. Les opposants y voient une forme de prostitution légale, qui concernerait en majorité les femmes. Plusieurs questions se posent : « faut-il garantir un « droit à la vie sexuelle », droit qu’il deviendra difficile de dénier à d’autres catégories de population (prisonniers, malades, etc.) ? Et qu’est-ce qu’un « droit à la sexualité » qui implique un « devoir sexuel » pour celles et ceux qui seront chargés de l’assurer ? (...) Croit-on vraiment respecter les personnes handicapées en créant une loi spécifique qui aboutisse, non à résoudre leur légitime demande de liens affectifs et sexuels, leur besoin de reconnaissance en tant que citoyen(ne)s, mais à se débarrasser d’un problème douloureux en fabriquant une solution marchande ? » (S.Salmon).
Chacun se fera une idée mais nul doute que le débat nous concerne tous, valides ou non, et n'est pas près d'être clos. Jusqu'où la société est-elle prête à aller pour garantir aux personnes handicapées une vie digne et une liberté de choix ? Une pleine reconnaissance de la personne handicapée ne passe-t-elle pas par la possibilité de vivre ou non ce qu'elle souhaite, y compris dans ses dimensions les plus intimes ?
Le tournant engagé par la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées est considérable, puisqu'il implique une évolution profonde des modalités antérieures : passer d'une approche « intégrative », qui suppose l'effort de la personne pour s'intégrer, à une approche « inclusive » où c'est à la société toute entière de rendre possible l'accès « de tous à tout ». De fait, une dynamique a été lancée et des progrès, en matière d'emploi et d'accessibilité notamment, sont d'ores et déjà visibles. Mais avant même qu'elle ait pu produire tous ses effets, la loi se heurte à un contexte social, économique et financier difficile.
La loi de 2005 vise l'inclusion, plutôt que l'intégration, des personnes handicapées
Le concept d'intégration présupposant l'adaptabilité de la personne handicapée laisse la place au concept d'inclusion qui suppose l'appartenance à la société de toute personne, quelle que soit sa déficience. Les modalités pour vivre cette pleine appartenance à la société reposent sur trois principes généraux, énoncés dans la loi de 2005 :
• Le principe de solidarité et d'égalité de traitement (non-discrimination) ; « toute personne handicapées a droit à la solidarité de l'ensemble de la collectivité nationale qui lui garantit, en vertu de cette obligation, l'accès aux droits fondamentaux reconnus à tous les citoyens ainsi que le plein exercice de sa citoyenneté » (art. L.114-1 du Code de l'action sociale et des familles) ;
• Le principe de compensation ;« la personne handicapée a droit à la compensation des conséquences de son handicap quelles que soient l'origine et la nature de sa déficience, son âge ou son mode de vie » (art. L.114-1-1 du Code de l'action sociale et des familles) ;
• Le principe d'accessibilité ; « l'action poursuivie vise à assurer l'accès de l'enfant, de l'adolescent ou de l'adulte handicapé aux institutions ouvertes à l'ensemble de la population et son maintien dans un cadre ordinaire de scolarité, de travail et de vie » (art. L.114-2 du Code de l'action sociale et des familles).
La Maison départementale des personnes handicapées, un interlocuteur unique
La MDPH est constituée sous forme d'un groupement d'intérêt public. Les membres du groupement sont obligatoirement le Conseil général, l'État et les organismes locaux d'assurance-maladie et d'allocations familiales. Peuvent s'y ajouter d'autres personnes morales, notamment les organismes gestionnaires d'établissements ou de services destinés aux personnes handicapées. La tutelle administrative et financière du groupement est confiée au Conseil général.
Mise en place en 2006, la MDPH exerce « une mission d'accueil, d'information, d'accompagnement et de conseil des personnes handicapées et de leur famille, ainsi que de sensibilisation de tous les citoyens au handicap » (art. L.146-3 du Code de l'action sociale et des familles).
Au titre de l'accompagnement, la MDPH assure à la personne handicapée et à sa famille l'aide nécessaire à la formulation de son « projet de vie », à l'application des décisions prises par la Commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH), notamment dans les démarches auprès des établissements, services et organismes qui accueillent des personnes handicapées, ainsi que l'accompagnement et les médiations que cela peut requérir. La MDPH met en œuvre l'accompagnement nécessaire après l'annonce et lors de l'évolution du handicap.
L'action de la MDPH repose sur une équipe pluridisciplinaire qui a pour mission d'évaluer les besoins de compensation de la personne handicapée et son incapacité permanente sur la base de son projet de vie et de références définies par voie réglementaire.
Les MDPF aux prises avec des difficultés de fonctionnement
Depuis leur mise en place, les MDPH ont fait l'objet de plusieurs bilans. Des avancées concrètes sont d'ores et déjà reconnues : « progrès de l’accueil et de l’instruction, meilleure continuité de la prise en charge à tous les âges et atténuation des effets de rupture entre régimes enfants et adultes » et de bonnes pratiques « en matière de territorialisation de l’accueil, d’information des usagers sur l’avancement de leurs dossiers, d’accompagnement des 16/25 ans, de capitalisation collective de réflexions sur l’évaluation du handicap et l’instruction des droits » (Inspection générale des affaires sociales).
Mais de nombreuses difficultés sont aussi pointées du doigt : « des orientations qui peuvent s’avérer inadéquates, en particulier pour les enfants ; l’insuffisance de suivi des décisions d’orientation des commissions ; la difficile mesure des capacités d’accès à l’emploi, dont l’évaluation conditionne l’accès à l’AAH pour les personnes ne présentant pas un taux d’incapacité égal ou supérieur à 80% », auxquelles s'ajoutent « une définition insuffisamment normée de la Prestation de compensation du handicap (PCH) et des méthodes d’appréciation non stabilisées, source d’éventuelles inégalités territoriales ; la faible formalisation du fonctionnement de l’équipe pluridisciplinaire et de ses relations avec la CDAPH ».
Les difficultés d'organisation des MDPH allongent les délais de traitement des dossiers et sont sources de frustration pour les personnes handicapées. Les problèmes autour de l'appropriation du « projet de vie » semblent en particulier très vivaces, aussi bien pour les personnes handicapées que pour les équipes des MDPH. D'une part, l'expression du « projet de vie » par les personnes handicapées peut s'avérer difficile en raison de difficultés de communication ou de conceptualisation, ou d'une incapacité à se projeter dans l'avenir, ou d'une pudeur à révéler à un tiers des aspirations qui relèvent de la vie privée, ou encore parce que les personnes handicapées ne s'autorisent pas à exprimer des projets qui leur semblent inaccessibles. D'autre part, l'adéquation entre le projet de vie et les réponses proposées par l'équipe pluridisciplinaire n'est pas toujours au rendez-vous.
Les espoirs se tournent à présent vers la loi n°2011-901 du 28 juillet 2011 visant à améliorer le fonctionnement des MDPH par la consolidation de leur statut (en faisant des actuels groupements d'intérêt public des structures à durée indéterminée) ; par l'adaptation du statut de leurs personnels ; par la mise en place d'une convention pluriannuelle d'objectifs et de moyens et par la clarification de leurs compétences.
Accessibilité : une dynamique est lancée mais suffira-t-elle ?
Le principe d'accessibilité est au cœur de la loi de 2005. Il concerne le bâti et les transports, mais également l'accès au service public, à la justice, à la culture, aux loisirs, etc. Cette approche rejoint à la fois la définition internationale du handicap (CIF), pour laquelle l'environnement est constitutif du handicap (il est soit un facilitateur, soit un obstacle, aux activités des personnes handicapées), et le principe d'égalité de traitement (non-discrimination). Ne pas rendre accessible un lieu ou un service constitue une discrimination à l'égard des personnes handicapées.
Le dernier « point sur la mise en accessibilité » de la Délégation ministérielle à l'accessibilité montre bien qu'une dynamique est incontestablement lancée. Par exemple, au 31 décembre 2010, 83% des schémas directeurs d'accessibilité étaient adoptés ou en cours ; 60% des plans de mise en accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces publics, couvrant 82% de la population, étaient adoptés ou en cours ; le diagnostic d'accessibilité des établissements recevant du public était achevé ou en cours pour plus de 60% d'entre eux ; 62% des commissions intercommunales d'accessibilité, représentant 81% de la population, étaient installées...
Toutefois, à l'approche de l'échéance de 2015 fixée par la loi où tous les établissements recevant du public devront être accessibles, force est de constater que la mise en œuvre du principe d'accessibilité a pris considérablement de retard. L'inquiétude est grande du côté des personnes handicapées, des familles et des associations, comme le dernier rapport du Conseil national consultatif des personnes handicapées en témoigne notamment.
Compensation et ressources des personnes handicapées : une politique ambitieuse dans un contexte contraint
La loi de 2005 a introduit un dispositif de cumul entre les revenus d’activités professionnelles en milieu ordinaire et l’Allocation adulte handicapé (AAH) afin de faciliter l’insertion professionnelle des allocataires. L'AAH a été revalorisée et les conditions d'attribution revues favorablement, d'après le Conseil national consultatif des personnes handicapées. Mais la réforme des modalités d'évaluation des ressources prises en compte pour le calcul de l'AAH, introduisant un nouveau dispositif d'intéressement au retour au travail, est loin de faire l'unanimité car source de « complications administratives » et de « précarisation des droits ».
Les dispositions de la loi de 2005 ont aussi négligé les pensionnés d'invalidité, les accidentés du travail, de la Sécurité sociale ou de la fonction publique. Malgré des progrès notables, l'avancée en âge se traduit toujours par des ruptures de droits et de diminutions de revenus pour les personnes handicapées. En d'autres termes, de fortes inégalités de régimes perdurent entre les différentes prestations (AAH, pensions d'invalidité, allocation supplémentaire d'invalidité, allocation de solidarité aux personnes âgées).
Rappelons que les prestations de compensation visent à financer les coûts des aides nécessaires à atténuer les conséquences du handicap. Cette disposition majeure de la loi 2005 semble particulièrement en péril. « Au fur et à mesure des années, et avec une acuité toute particulière pendant la période 2008-2010, les finances disponibles ont commencé à se réduire de manière constante et importante, ce qui a des conséquences sur les pratiques et l’effectivité du droit à compensation. C’est ainsi que les évaluations et les attributions ont été revues à la baisse et que les modalités de contrôle d’effectivité ont généré des indus importants » (CNCPH). Concrètement, les personnes handicapées rencontrent des difficultés à bénéficier de leur droit à la compensation : délais d'instruction des dossiers importants, aides accordées mais avec des restes à charge importants et dissuasifs, avances des frais, etc.
La loi de 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées vise l'accessibilité à tout, pour tous. Concrètement, en 2015, tout lieu aménagé en vue d'y recevoir du public devra être aménagé pour que toute personne puisse y accéder, y circuler et y recevoir des informations qui y sont diffusées par des moyens adaptés aux différents handicaps. Mais la mise en œuvre de ce principe d'accessibilité privilégie une approche technique de l'accessibilité (mise en conformité des espaces, des bâtiments et des transports). Or, cette approche ne paraît pas suffisante pour répondre aux ambitions de la loi de « changer le regard que notre société porte sur le handicap ». D'autres voies ne sont-elles pas à explorer et en particulier, celles d'élargir notre approche de l'accessibilité et de décloisonner les mondes des personnes valides et des personnes handicapées ?
Une nécessaire, mais insuffisante, mise en conformité des espaces et des bâtiments
Actuellement, lorsqu'on pense accessibilité des personnes handicapées, on pense d'abord aux aménagements de l'environnement : ascenseur, place de stationnement réservé, bus à plancher bas, signal sonore, etc. Cette logique conduit parfois à des situations qui donnent matière à discussion. La démonstration en a été faite notamment par le cabinet d'architecture Atelier Canal. Travaillant pour un concours sur le logement étudiant, le cabinet a montré comment la « réglementation PMR » (personne à mobilité réduite) en vigueur conduit à réduire de moitié les espaces de vie de l'ensemble de ces logements. Dans un logement étudiant de 18 m² les contraintes liées au passage d’un fauteuil roulant imposent de doubler la taille de l’espace cuisine et de la salle de bain, faisant passer la chambre, l’espace de vie, de 12 à 6 m². Il ne s'agit pas bien sûr de s'opposer aux aménagements pour les personnes handicapées mais de réfléchir à des modes de faire différents ou complémentaires. La loi de 2005 est porteuse d'une vision large de la place de la personne handicapée dans la société mais sa mise en application donne une définition étriquée de la notion d'accessibilité.
La ville accessible existe-t-elle réellement ?
Les marges de manœuvre pour améliorer l'accessibilité de la ville aux personnes handicapées sont bien évidemment très importantes. Mais faut-il considérer la notion de ville accessible comme un objectif réaliste ou un cadre pour l'action publique ? Ne vaut-il pas mieux être conscients des limites de l'accessibilité « généralisée » pour envisager comment mieux vivre ensemble (même s'il demeure des zones et des services inaccessibles) ?
Les concepts d'« inclusive design », de « design for all », d' « usage pour tous » consistent à imaginer et concevoir des espaces, des bâtiments et des objets qui répondraient aux besoins de chacun, en offrant même un confort d'usage supplémentaire à l'instar de la télécommande ou du bus à plancher bas. La démarche de « haute qualité d'usage », développée par Régis Herbin, a pour vocation d'améliorer l'accessibilité tout en répondant à une liste d'exigences d'usages, en matière de motricité, de perception de l'espace, de confort, de sécurité, etc. Elle s'efforce aussi de prendre en compte les contraintes économique, technique et esthétique : un éclairage et un choix judicieux de couleurs peuvent aider les personnes à se repérer, une main courante adaptée peut limiter les inévitables marques de mains sur le mur, etc.
Ces approches peuvent être mises en œuvre pour la conception d'équipements neufs mais leurs principes paraissent nettement plus difficiles à appliquer dans des bâtiments existants et des espaces déjà aménagés. Par ailleurs, qu'en est-il du confort de chacun ? En toute objectivité, des aménagements conçus pour l'usage de tous ne pourront être confortables de la même manière pour des personnes handicapées et pour des personnes valides.
Accessibilité universelle ou sur-mesure ?
Un espace ou un bâtiment peut-il être accessible à toutes les personnes handicapées ? Un logement « accessible à tous » est-il autant accessible pour une personne handicapée qu'un logement accessible conçu pour ce seul handicap ?
La solution du « sur-mesure » s'impose naturellement à l'esprit. S'il semble utopique de ne concevoir que des logements sur-mesure, les politiques concernées pourraient privilégier de nouvelles voies afin d'augmenter l'offre de logements accessibles : « développer des concepts de logements plus adaptables et plus évolutifs ; inciter le développement de systèmes d’aides techniques et technologiques amovibles (que l’on installe et désinstalle facilement dans un logement, pour l’adapter) ; repenser l’articulation entre accessibilité universelle et accessibilité sur-mesure (qu’est-ce qui relève de la conception initiale, qu’est-ce qui relève de l’adaptation, quels équipements pour le logement, pour l’immeuble, etc.) » (B.Dury). Dans cette perspective, l'accessibilité apparaît comme une démarche de conception et d'adaptation articulant intelligemment le « pour tous » et le « sur-mesure ».
Rendre accessible ou rendre des services ?
L'accessibilité généralisée, impliquant parfois des aménagements lourds, figés et coûteux, pourrait être « remplacée » par des solutions plus légères, de l'avis des personnes handicapées elles-mêmes. Plutôt qu'un magasin entièrement accessible, une personne rencontrée pour cette étude, se déplaçant en fauteuil, évoque une rampe amovible à l'entrée du magasin, un service de commande par téléphone, une simple sonnette pour demander de l'aide, ou encore une application sur téléphone mobile pour obtenir des informations sur les produits du magasin. Cette logique privilégie l'invention de services d'accessibilité, combinant des équipements, des aides humaines et des outils technologiques, plutôt qu'une accessibilité généralisée. Les services numériques (messagerie électronique, aides à la mobilité, démarches administratives, e-commerce, bornes wi-fi, etc.) s'ils sont bien sûr utilisables par les personnes handicapées, semblent tout à fait à même d'améliorer la communication, l'échange d'informations, la mobilité... en bref, d'améliorer significativement la qualité de vie des personnes handicapées.
Raisonner en termes de services implique aussi de répondre à l'une des grandes appréhensions des personnes handicapées : la « panne d'accessibilité », c'est-à-dire l'ascenseur bloqué de la station de métro, le bus dévié de son tracé habituel pour cause de travaux, tous ces imprévus qui peuvent être lourds de conséquences lorsque l'on a déjà du mal à se déplacer, se faire comprendre, se repérer... Dans ce cas, garantir l'accessibilité peut prendre la forme d'une assistance humaine, d'un service numérique, ou encore d'une combinaison des deux, afin de répondre en temps réel au S.O.S d'une personne handicapée.
Laisser davantage « les commandes » aux personnes handicapées
Pour bien vivre la ville, la personne handicapée doit tôt ou tard « se lancer », « s'y frotter ». Il ne s'agit pas bien sûr de prendre des risques inutiles, mais de s'interroger sur les conditions à réunir pour favoriser cette expérience de la ville.
Les associations tendent à mettre en avant l'importance de l'autonomie des personnes handicapées. Force est de constater que les personnes handicapées développent des connaissances sur leurs besoins d'accessibilité, d'accompagnement, de services... Pourquoi ne pas leur laisser davantage de liberté de choix ? La mère d'un enfant autiste rencontrée pour cette étude aurait préféré une prise en charge éducative pour son enfant plutôt qu'une prise en charge psychanalytique, un autre mode de transport plutôt que celui proposé par le département... Ces choix n'ont pas été possibles en raison des systèmes d'organisation de prise en charge.
Ces souhaits semblent assez proches d'un service développé par l'association britannique « In Control » en partenariat avec les pouvoirs publics. Les bénéficiaires d'allocations (personnes âgées et handicapées notamment) peuvent s'impliquer aux côtés de l'association dans l'organisation de leurs aides et la répartition de l'argent perçu et ainsi, choisir leurs services plutôt que de simplement les utiliser. Parmi les personnes bénéficiant de ce système, 76 % affirment que leur qualité de vie s’est améliorée.
Cet exemple illustre qu'il est possible de considérer les usagers comme acteurs de leurs prises en charge. Cette logique entre dans le champ de l'innovation sociale, évoquée dans la partie dédiée à l'innovation. Ceci suppose la mise en place d'un accompagnement à la fois neutre, adapté et complet, qui donnerait les bases de connaissances nécessaires à la réalisation de ces choix.
Partager les vertus de la lenteur ?
De nombreuses déficiences peuvent ralentir la mobilité, l'expression, la compréhension... Ce décalage de rythme de vie complique considérablement la vie des personnes handicapées : certaines ne peuvent tout simplement pas demander un renseignement à un inconnu ou participer à une réunion. Nombre de personnes valides n'ont pas la patience, la volonté, la politesse, ou simplement la lucidité de ralentir leurs propres rythmes pour entrer en interaction avec une personne handicapée.
Les personnes valides sont-elles prêtes à expérimenter un autre rapport au temps et à goûter aux vertus de la lenteur ? L'accélération de notre société (travail, transport, consommation...), comme les frictions temporelles entre les générations et entre personnes handicapées et valides invitent à questionner notre rapport au temps. Certains indices le montrent bien. Citons par exemple l'initiative italienne « Città Slow » ou « Villes lentes » qui vise l'amélioration de la qualité de vie en faisant reprendre conscience du temps et le best-seller du journaliste Carl Honoré traduit en plus de vingt langues « Éloge de la lenteur » (2007) qui propose « de trouver un meilleur équilibre entre activité et repos, travail et temps libre. Chercher à vivre ce que les musiciens appellent tempo giusto, la bonne cadence, en allant vite lorsque notre activité l’exige et en se ménageant des pauses dès qu’on le peut »...
Quant aux personnes handicapées marginalisées par leurs rythmes de vie, l'idéal serait de pouvoir, quand elles le souhaitent, accéder à des modes de vie plus en phase avec le rythme qui domine dans notre société. Par ailleurs, leur rapport au temps singulier peut enrichir le fonctionnement de la ville et de ses services, et aider les personnes valides ainsi à « ne plus subir le temps » et à « prendre le temps de vivre » (Mission « temps et services innovants » du Grand Lyon). Préserver des lieux et des moments aux rythmes plus lents est une perspective qui profite à tous. Même si leur organisation n'a pas été pensée comme telle, l'exemple des gares lyonnaises est intéressant. La gare de Perrache, en bout de ligne et d'une configuration plus simple, est souvent préférée par les familles et les personnes âgées car elle permet de prendre le temps de trouver son train, s'occuper de ses bagages et s'installer à son rythme. Tandis que la gare de la Part-Dieu jugée plus rapide, plus fréquentée et stressante, convient très bien aux déplacements professionnels, aux correspondances, aux touristes... Comment décliner cette logique aux déplacements en ville, à la consommation, aux loisirs, à la culture, etc. ?
L'innovation permet de compenser certains handicaps et maladies invalidantes et d'améliorer incontestablement la qualité de vie des personnes. Si on pense spontanément à des technologies, l'innovation peut aussi se penser dans une dimension sociale. Bien sûr, innover dans le domaine du handicap n'est pas neutre. La course à l'innovation ne risque-t-elle pas de nuire aux relations humaines qui sont une dimension essentielle de l'accompagnement des personnes handicapées ? Les innovations qui permettent de compenser un handicap sont-elles susceptibles d'être utilisées à d'autres fins, plus discutables ?
Adapter des innovations existantes au handicap et innover pour le handicap
Le secteur du handicap bénéficie de recherches menées pour d'autres applications. L'informatique, l'électronique, la mécanique, etc. produisent des innovations qui sont tout à fait à même de répondre aux besoins des personnes handicapées. On peut citer par exemple les logiciels dits de « lecture d'écran » rendus possibles par les progrès de la synthèse de parole, au croisement de la linguistique, de la phonétique, du traitement du signal et de l'électronique ; les bras articulés qui reposent sur les résultats de la recherche en robotique, électronique, mécanique et intelligence artificielle ; les implants cochléaires qui se sont considérablement améliorés ces dernières années grâce à la miniaturisation électronique et au progrès du traitement du signal sonore, etc.
L’innovation dans le handicap ne se réduit pas pour autant à l’adaptation d’innovations existantes. Le handicap constitue aussi un champ de recherche et d'innovation à part entière puisqu'il pose des questions d'usage, d'accessibilité et d'acceptabilité spécifiques. Plusieurs équipes dédiées au champ du handicap ont assuré des progrès technologiques remarquables, comme les mises au point de la parole synthétique, de la reconnaissance de caractères... Citons aussi les interfaces cerveau-machine, des équipements capables de traduire l'activité cérébrale en actions sur un ordinateur, comme celles développées au Centre de recherche en Neurosciences de Lyon, qui représentent, pour les personnes privées de leurs capacités à communiquer et à se mouvoir, un véritable espoir de sortir de leur enfermement (K.Jerbi).
Le design universel, une démarche d'avenir ?
Les exigences des personnes handicapées (usage, accessibilité, ergonomie, etc.) constituent de véritables défis pour les concepteurs de produits et de services, mais y répondre permettrait aussi de satisfaire un public plus large. C'est dans cette logique que s'inscrit aujourd’hui le concept de « design for all » appelé aussi « design universel » ou « conception pour tous ».
Le design universel vise à répondre aux besoins du plus grand nombre d'utilisateurs. Il implique donc une connaissance approfondie des personnes, de tous les âges et dotées d'aptitudes diverses. Le principe est qu'il n'existe pas d'usage moyen, ou spécifique, mais une multitude d'usagers qui s'intéressent au produit (au sens large) pour des usages différents. La volonté de ne pas stigmatiser les personnes handicapées est bien présente, d'autant plus que tous les usagers, quels qu'ils soient, peuvent être confrontés à des situations handicapantes.
Le design universel implique d'intégrer les difficultés d'usage dès la conception initiale des produits et des services. Issue des pays anglo-saxons, cette approche est encore peu développée en France. Les rapports traitant du handicap soulignent en effet le peu d’intégration de cette démarche dans les laboratoires et les entreprises. Par ailleurs, la faisabilité et l'acceptabilité de cette démarche sont encore discutées. Par exemple, les personnes valides sont-elles prêtes à renoncer à des smartphones de petite taille, au design pointu et personnalisable pour des téléphones portables répondant à des choix ergonomiques, fonctionnels et de design établis pour le plus grand nombre ?
Le handicap, un moteur pour l'innovation sociale ?
La question peut surprendre tant l'innovation est pensée le plus souvent sur le mode technologique. Mais la notion d'innovation sociale monte en puissance ces dernières années. La 27ème Région la définit simplement par la formule « l'innovation par les gens, pour les gens ». Plus précisément, la plupart des chercheurs la considèrent comme « une réponse nouvelle visant le mieux-être des individus et/ou des collectivités. Elle se définit par son caractère novateur et son objectif qui prévoit des conséquences sociales positives » (J. Cloutier). Il peut s'agir d'une procédure, d'une organisation, d'une institution comme d'une technologie ou d'un produit.
Bien sûr, le handicap conduit à produire ces différentes formes d'innovation : soit centrées sur l'individu (les changements se manifestent d'abord au niveau individuel), soit orientées sur un territoire déterminé (selon les auteurs, elles contribuent à résoudre les problèmes économiques et sociaux, à améliorer la qualité de vie ou encore à prévenir les problèmes sociaux), soit destinées au milieu professionnel (améliorer le mieux-être des salariés et donc la productivité de l'entreprise).
Ces innovations ne sont pas forcément techniques, coûteuses ou « révolutionnaires » mais elles concourent au mieux-être des personnes concernées, de leur entourage et de la société toute entière. On peut citer comme exemple, le site www.covoiturage-grandlyon.com utilisé aussi par les personnes handicapées pour réaliser des trajets dans l'agglomération ; la démarche du Conseil général du Rhône visant à faciliter l'accès aux collections des musées du département via notamment une expérimentation tactile des objets d'art ; le projet d'application iDact pour iPad qui offre aux personnes malvoyantes une cartographie des transports et des lieux publics adaptée à leur handicap...
L'innovation technologique au détriment de l'humain ?
Si l'apport des aides et des aménagements techniques est incontestable, ces dispositifs posent aussi question. La personne handicapée a-t-elle aujourd’hui le choix de s'équiper ou non, d'être appareillée ou non, de bénéficier d'aides techniques plutôt que d'assistance humaine ? Un équipement technique croissant, même s'il répond à des besoins et facilite le quotidien de la personne handicapée, n'a-t-il pas ses limites ? A l'avenir, la technologie ne risque-t-elle pas de s'ériger en impératif ?
« Il faut distinguer ce qui permet l'autonomie et ce qui relève de l'accompagnement. Accompagner ce n'est pas seulement aider ou suppléer à une capacité, c'est aussi partager (ce qu'indique l'étymologie de ce terme accompagner). Évidemment, tout ce qui favorise l'autonomie motrice ou fonctionnelle est souhaitable et profitable pour les personnes en situation de handicap. Mais dans ce cas, il n'y a pas besoin d'interactions ou de rapports humains, juste besoin d'une suppléance à une fonction qui fait défaut. La personne récupère une fonction qui était la sienne » (P.Ancet). « Ce qu’il manque à quelqu’un qui est en perte d’autonomie, outre l'aide à la réalisation de quelques tâches routinières, c’est aussi et surtout une relation sociale » rappelle G.Comtet.
Conscients des excès possibles en matière de « technicisation » du handicap, des professionnels tirent d'ores et déjà la sonnette d'alarme pour l'avenir. « La technique laisse beaucoup plus de libertés. Mais la contrepartie sera peut-être que, le jour où l'on aura de bons moyens de compensation des handicaps, on demande aux personnes handicapées de travailler comme les autres, de se montrer productives et efficaces, de se débrouiller pour le quotidien... » (P. Ancet). Le risque de faire porter le poids de l'insertion sociale à la personne handicapée, et non aux personnes valides, qui seraient donc dispensées de changer leur manière d'être et l'environnement, est réel.
De compenser à « augmenter », il n'y a qu'un pas !
En effet, ce qui permet de compenser un handicap est souvent susceptible d'augmenter les capacités d'un être humain, même si celui-ci ne présente pas de déficiences. Pourra-t-on résister encore longtemps à cette tentation ? Si nous avons demain la possibilité d'entendre aussi loin que nous le souhaitons, de courir ou de porter des charges sans connaître la fatigue, pourquoi conserver les fonctions dont nous disposons ? Mais à l'inverse, « est-ce parce que l’on peut faire une innovation que nous devons la mettre en œuvre ? La frontière entre « je peux » et « je dois » est ténue. C’est le passage de l’ingénieur à l’homme politique ; de la technique à l’éthique » (B. Jacomy).
Une régulation semble possible... mais jusqu'à un certain point, car ces technologies sont ou seront sur le marché et le fait même qu'elles puissent exister nous transforme. « Ce n'est pas seulement le fait d'être utilisé qui est important : la science et la technique transforment notre façon de penser et d'éprouver notre propre corps. A partir du moment où les moyens de nous augmenter existent, on ne va pas les éviter mais les choisir. Comment tolérer de devenir vieux, avec des difficultés pour se déplacer, quand on voit ce qu'un exosquelette pourrait nous apporter et que d'autres l'utilisent ? » (P.Ancet).
Franchir ce cap serait nécessairement lourd de conséquences. Car, comme souvent en bioéthique, cela pose des problèmes de limites quant à la nature de l'humain. « Reste-t-on humain lorsqu'on est équipé d'un exosquelette ou d'yeux artificiels ou d'autres choses que nous inventerons demain ? » (P.Ancet). La question reste posée...
Solidarités nationale, associative, familiale... s'articulent et se complètent dans le champ du handicap. Toutes sont conditionnées par un certain nombre de facteurs : les moyens disponibles, la définition des bénéficiaires et les modalités de mise en œuvre... On peut ainsi distinguer des solidarités « choisies » et des solidarités contraintes, des solidarités bénéficiant à tous et d'autres plus confidentielles, des solidarités basées sur un simple constat d'interdépendance des hommes et d'autres motivées par des valeurs, etc. Mais dans le contexte actuel de crise, les solidarités semblent menacées. Comment réduire l'écart entre le principe de solidarité auquel les individus sont attachés et ses moyens d'application, financiers, humains et matériels ?
L'émergence de la solidarité nationale envers les personnes handicapées est le fruit d'une longue histoire
Dès le XVIIIe siècle, les Lumières affirment l'idée d'interdépendance entre les hommes et le devoir d'assistance réciproque. Marquant une rupture avec les idées chrétiennes, la Révolution puis la République affirment plus concrètement le rôle de l'État, et non de l'Église, de l'individu ou de la société, dans la cohésion nationale et la protection des plus faibles. La notion de dette à l'égard de ceux qui sont hors d'état de travailler voit peu à peu le jour. C'est en son nom que l'État doit organiser les systèmes d'entraide et son corollaire, en déterminer les bénéficiaires. Le 19ème siècle et l'arrivée des sciences sociales viennent réaffirmer l'importance des liens reliant tous les hommes et donc la dépendance des individus avec leur groupe.
En accord avec la doctrine du solidarisme, monte en puissance l'idée que la solidarité est un devoir moral de l'individu, devoir transcrit dans la loi et auquel il ne peut se dérober. Ainsi, la solidarité a été institutionnalisée par l'État pour les malades (loi sur l’Assistance médicale gratuite du 15 juillet 1893), pour les orphelins (loi instituant le service aux enfants assistés du 27 juin 1904) pour les personnes âgées et handicapées (loi d’assistance aux vieillards, infirmes et incurables du 14 juillet 1905). Précisons que cette loi amalgame tous les handicaps et qu'une seule prise en charge est prévue : l'hébergement en hospices.
Mais dans la première moitié du XXe siècle, l'idée de contrat social fondé sur des institutions d'assurances fait son chemin. « Une première loi de 1928, complétée par un deuxième texte de 1930, rend obligatoire l'affiliation à un régime général d'assurances sociales. Cette loi prévoit la couverture du risque maladie, l'allocation-maternité, la couverture du risque d'invalidité, l'institution de pensions de retraite et la mise en place d'un minimum vieillesse. Un autre texte de 1932 oblige les employeurs à s'affilier à des caisses d'allocations familiales » (S.Paugam). La création de la Sécurité sociale au lendemain de la seconde guerre mondiale marque un changement d'échelle et réintroduit l'idée que l'individu adulte a des droits en tant que citoyen, notamment celui de bénéficier d'une protection sociale. Mais dans les pays industrialisés de l'après-guerre, ce droit repose sur des conditions précises : il faut à la fois appartenir à une communauté nationale; remplir son devoir de citoyen, travailler et payer ses impôts. Cela écarte donc une grande majorité de femmes et de personnes malades ou handicapées.
Le nombre des invalides de guerres et des accidentés du travail, en lien avec l'industrialisation croissante, ont aussi largement contribué à une prise de conscience de la société. Celle-ci va se sentir « responsable » et donc tenue de réparer, voire de compenser. L'idée de dette sociale prend donc de l'ampleur. L'instruction obligatoire, instituée par la loi de 1882 puis élargie peu à peu jusqu'à l'âge de 16 ans en 1959, vient aussi corroborer la volonté d'intégration dans la société des personnes, quels que soient leur état de santé ou leurs capacités.
Enfin, on ne peut oublier le rôle majeur des associations au XXe siècle. Par leur militantisme et leur participation à l'élaboration des lois et mesures relatives au handicap, elles contribuent largement à fixer le cadre juridique de l'action des pouvoirs publics et à asseoir le principe de solidarité et d'égalité de traitement (non-discrimination). Ce principe est un fondement de la loi 2005 : « Toute personne handicapée a droit à la solidarité de l'ensemble de la collectivité nationale qui lui garantit, en vertu de cette obligation, l'accès aux droits fondamentaux reconnus à tous les citoyens ainsi que le plein exercice de sa citoyenneté » (art. L.114-1 du Code de l'action sociale et des familles).
Les solidarités familiales sont très fortes dans le champ du handicap
Longtemps, les solidarités familiales ont été pensées comme naturelles : elles relevaient des devoirs liant les membres d'une même famille (alimentation, soins, éducation, etc.). Pourtant, les solidarités familiales ne sont pas exemptes de contraintes (ex. obligation d'assistance entre parents et enfants) ou d'ambiguïtés (ex. écarts de traitement entre membres d'une même famille). En outre, dans la mesure où elles dépendent fortement des caractéristiques socio-économiques et culturelles des familles, ces solidarités familiales sont de nature à renforcer les disparités sociales.
Ces caractéristiques ne doivent pas nous égarer, le rôle des solidarités familiales a été et demeure considérable dans l'assistance des personnes handicapées, en particulier jusqu'au XXe siècle avant que la solidarité nationale ne s'organise. Les personnes handicapées rencontrées dans le cadre de cette étude ont décrit un entourage très actif : « j’ai eu la chance d’être très entourée et d’avoir un environnement familial extraordinaire » (J.Dublanchy) ; «Ma femme s’est occupée des différentes démarches notamment auprès de la sécurité sociale, ça a été un travail très lourd » (J-F. Cart-Tanneur) ; « Je suis bien entourée et ne me sens pas du tout abandonnée » (J.Limousin).
De nombreux auteurs ont décrit le délitement des solidarités familiales en raison de l'éclatement des familles, de la mobilité des individus, de la montée de l'individualisme, etc. Mais mieux vaudrait parler de réorganisation car les enquêtes montrent qu'elles sont toujours actives, en particulier lorsque les dispositifs nationaux peinent à assumer leur rôle, comme dans le cas de la scolarisation à domicile d'enfants handicapés ou du maintien à domicile de personnes âgées et/ou handicapées.
Le système de solidarité va-t-il résister au contexte économique incertain et à l'accroissement du nombre de personnes dépendantes ?
La crise actuelle, le montant de la dette publique, l'engagement européen de la France... de nombreux facteurs conduisent le gouvernement à limiter ses dépenses dans tous les domaines, y compris celui des solidarités. D'ores et déjà, les effets semblent se faire sentir : les dépenses en faveur de l'accompagnement des personnes handicapées et des personnes âgées n'augmentent pas autant que les besoins. La concurrence du secteur marchand, investissant le champ de l'autonomie, s'accentue et pourrait exclure des personnes handicapées les plus en difficultés. En outre, les dépenses liées à la prise en charge de la dépendance sont appelées à augmenter fortement en raison du vieillissement de la population. Comment y faire face ? C'est l'objet du « grand débat national sur la dépendance » qui n'a pas encore trouvé son aboutissement.
Débattu depuis 2007, la mise en place du « 5ème risque » de protection sociale devrait répondre au souhait de réformer les circuits de financement de la dépendance, jugés trop complexes et n'étant pas de nature à favoriser la gestion à long terme de la solidarité nationale dans la perspective d'une augmentation du nombre de personnes dépendantes. « Il s'agirait, à l'échelle de la Nation, d'ajouter la couverture d'un 5ème risque aux quatre risques existants gérés par la Sécurité sociale (maladie, accidents du travail et maladie professionnelle, famille, vieillesse). Ce 5ème risque assurerait la convergence entre les prestations concernant respectivement les personnes âgées (allocation personnalisée d'autonomie, APA) et les personnes handicapées (prestation de compensation du handicap, PCH), prestations toutes deux gérées par le Conseil général » (Ph.Camberlein). La question de son financement, de la définition de la part de la solidarité nationale et de celle de l'individu, a fait l’objet de différents rapports et de négociations avec les partenaires sociaux ces dernières années. Mais il semblerait que l'autorité publique ait renoncé pour le moment, pour des motifs économiques, à toute convergence des dispositifs prenant en compte la dépendance.
Miser davantage sur le solidarité familiale et la prévention ?
La pleine appartenance à la société des personnes handicapées implique bien davantage que l'octroi d'un revenu minimum d'existence et le droit à la compensation du handicap. Il s'agit de rendre concret la principe d'accessibilité de tous à tout et de poursuivre les efforts des politiques publiques récentes privilégiant l'accès au droit commun plutôt que le renforcement de droits spécifiques. La mise en œuvre de ces ambitions et leur pérennité pèsent sur l'ensemble des solidarités. Ces tensions, liées au contexte économique et financier, nous invitent à questionner, voire à réorganiser, les différentes solidarités. Différents leviers d'action, relevant parfois de registres très différents, font débat.
Réinvestir la solidarité familiale fait par exemple partie des préconisations de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) via une hausse substantielle des facilités accordées aux aidants familiaux s’occupant de personnes dépendantes (aménagements du temps de travail, congés augmentés), mais aussi des mesures pour préserver la santé des aidants (services de soutien tels que des formations, de l'accompagnement psychologique...).
« Désinstitutionnaliser » le handicap est une autre piste possible. Il s'agit par exemple de renforcer les dispositifs permettant le maintien au domicile des personnes handicapées comme des personnes âgées. Cette logique répond au souhait de nombreuses personnes mais une approche unifiée de la dépendance présente aussi le risque de concentrer les aides sur les gestes essentiels de la vie quotidienne (lever, repas, toilettes, soins, etc.), et de négliger le besoin de relation, de distraction, d'apprentissage, etc.
Enfin, coordonner une politique de prévention visant à retarder l'arrivée des facteurs entraînant la situation de dépendance semble être un des axes à privilégier pour les départements d'après l’Assemblée des départements de France (ADF).
Explorer d'autres sources possibles de financement ?
Renforcer la solidarité nationale et donc trouver de nouvelles sources de financement de la dépendance sont des pistes défendues notamment par le Conseil économique, social et environnemental et les départements qui gèrent l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et la prestation de compensation du handicap (PCH). L’ADF considère que le vieillissement de la population et donc l'augmentation du nombre de personnes dépendantes ne constituent pas un défi insurmontable pour les finances publiques. Elle écarte le recours à l’assurance privée pour financer la perte d'autonomie et recense plusieurs pistes renforçant la solidarité nationale et impliquant des choix politiques forts. Il s'agit d'une part de « dégager des ressources par activation ou correction des recettes actuelles » (ex. aligner le taux de CSG des pensions de retraite sur celui des revenus d’activité) et d'autre part, d' « instaurer de nouveaux prélèvements équitablement répartis » (ex. création d'une seconde journée de solidarité pour dégager 2,3 milliards d'euros potentiels).
Tous ces propositions visant à maintenir, voire renforcer la solidarité nationale, engagent naturellement l'ensemble des citoyens. Il est difficile aujourd'hui d'envisager leurs faisabilités et leurs effets à long terme. Mais elles convergent vers un même principe : la solidarité ne peut dépendre des moyens qu'on veut bien lui octroyer, elle doit trouver les moyens nécessaires à sa réalisation.
• La synthèse des travaux : Ville et Handicap(s)
• Handicap et innovation
• Handicap et mécanismes de solidarité
• L’innovation, un processus à décrypter
• Robotique et marché des technologies de la santé
• Regard sur le handicap
• Accessibilité : l'usager dans le processus d'innovation
• Le handicap dans l'entreprise
• Ville et handicap : en finir avec l'accessibilité
• Comment maintenir à domicile les handicapés souffrant de troubles psychiques ?
• L’évolution de la prise en compte des personnes handicapées dans l’entreprise
• Travail et handicap : la politique du Grand Lyon
• Attentes et espoirs dans le domaine de la robotique d’assistance
• La Haute Qualité d'Usage (HQU) pour améliorer l'accessibilité et la qualité dans le bâti
• Les fonctions du robot dans notre quotidien
• Les apports des neurosciences au monde de la robotique
• Les solidarités en faveur des personnes handicapées
• Témoignage sur l'accessibilité dans la ville et sur la citoyenneté des personnes handicapées.
• Divergences et convergences des approches du handicap - Partie 1 : Qu'est ce que le handicap ?
• Divergences et convergences des approches du handicap - Partie 2 : La convergence des politiques publiques et des législations
• Solidarité et handicap : dans quel sens allons-nous ?
• La robotique d’assistance : un véritable secteur d’avenir ?
• La famille associative du handicap à Lyon : comment elle se structure, quel est son répertoire d'actions
• L’évolution des représentations du "handicap" : le handicap à travers l’altérité
• Les fondements théoriques de la solidarité et leurs mécanismes contemporains
• De nouvelles façons de conduire des politiques publiques
• ADF (Assemblée des Départements de France), 55 propositions pour relever le défi de la dépendance, 2011
• Pierre Ancet, "L’ombre du corps", dans Handicap : l’éthique dans les pratiques cliniques, 2008
• Paul Blanc, La scolarisation des enfants handicapés, 2011
• Gérard Bouvier, L’approche du handicap par les limitations fonctionnelles et la restriction globale d’activité chez les adultes de 20 à 59 ans, 2009.
• Philippe Camberlein, Politiques et dispositifs du handicap en France, 2011.
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• Philippe Thoumis, Recherche technologique et diffusion de l’innovation au service du handicap, 2004
• Vie publique, Prestation de compensation du handicap : bilan à cinq ans, 2011
• Myriam Winance, "Handicap et normalisation. Analyse des transformations du rapport à la norme dans les institutions et les interactions", Politix, 2011
• WSA-AGEFIPH, Salariés handicapés : l’entreprise, telle qu’ils la voient, telle qu’ils vivent..., 2006
Étude
La Direction de la Prospective et du Dialogue Public a organisé le 9 décembre 2011 une conférence-débat sur le thème « Ville et Handicap(s) ».
Article
Résultat des réflexions apportées sur la question du handicap par la société en général et les politiques publiques en particulier.
Interview de Jean-François CART-TANNEUR
Responsable de la mise en oeuvre de l'accord « handi-accord » chez Renault Trucks
Interview de Gerald COMTET
Animateur du Cluster I-Care Rhône-Alpes
Interview de Benoit Eyraud
« Notre société valorise énormément la personne autonome et dévalorise celles qui ont besoin d’assistance. Ce serait nier le fait que l’individu le plus rationnel, libre et fort dépend d’énormément de soins ».
Étude
Qu’est-ce que le handicap ? Même si un consensus semble être atteint sur les termes à employer pour désigner les réalités de la déficience et de ses conséquences le débat n’est pas clos pour autant.
Étude
La déficience, le handicap sont générateurs de différences. Dans une société valido-centrée, quelle est la place des personnes handicapées ?
Étude
La question du handicap est multiple. Multiple par son vocabulaire, par ses définitions et par ses représentations.
Étude
Quels sont les moteurs de l’innovation dans le domaine du handicap ?
Étude
Comment le monde associatif du handicap se structure-t-il dans l’agglomération lyonnaise ? De quels moyens use-t-il afin de réaliser ses objectifs?
Étude
La robotique d’assistance semble promue à un bel avenir et va engendrer des modifications dans notre rapport au handicap et au vieillissement.
Étude
Depuis la loi de février 2005, la personne handicapée n’est plus confinée dans l’espace privé, familial, mais pleinement intégrée dans la sphère publique.
Étude
À l’approche de l’échéance de 2015 de la « loi handicap », cette étude se propose d’ouvrir de nouvelles pistes de réflexion pour une meilleure intégration des personnes handicapées dans la ville et dans la société.
Interview de Louis , La Source de l'Arche à Lyon
« Sans le travail, je ne serais pas là. C’est très important de pouvoir travailler. Je suis un citoyen à part entière ».
Article
Négocier et construire ses appartenances c’est faire une série de choix qui influent sur notre point de vue sur le monde et la position où l’on nous situe dans la société. Ces processus complexes sont au cœur des apports des sciences humaines et sociales.
Interview de Sebastian Roché
Directeur de recherche au CNRS
Article
Cette enquête se base sur des initiatives réalisées en France autour de l'idée de "fabriquer du commun", et interroge la création et le développement du sentiment d'appartenance nationale.
Habiter, se loger, va de pair avec la vie en société et le droit à un habitat, adapté aux besoins de chacun, fait partie des besoins fondamentaux énoncés par le droit
Interview de Jean FURTOS
Psychiatre, directeur scientifique de l’Observatoire Régional sur la Souffrance Psychique en rapport avec l’Exclusion - Observatoire National en Santé Mentale et Précarité (ORSPERE-ONSMP).
Texte de Jean FURTOS
Jean Furtos témoigne de son expérience et éclaire sur quelques principes qui peuvent guider l'action.
Interview de Nawel Bab-Hamed
Chargée d'études sociologiques, culture & modes de vie à l'agence d'urbanisme de l'aire métropolitaine lyonnaise (UrbaLyon)
Les métiers du prendre soin souffrent d'un fort turnover. Pourtant, les facteurs d'engagement dans ces métiers très humains ne manquent pas. Alors, que se passe-t-il ?