De l’intérêt des jardins et du jardinage pour l’habitat social et la santé psychique
Texte de Béatrice CHARRE et Mireille LEMAHIEU
De nouvelles formes de jardins se développent et présentent un grand intérêt pour l’habitat social.
Interview de Régis HERBIN
<< Quelqu’un qui est hébergé pour une nuit, quelques jours ou plusieurs semaines doit pouvoir garder son chien, poser une photo, un bibelot, simplement pour se sentir rassuré >>.
Régis Herbin est directeur du CRIDEV, Centre de Recherche pour l’Intégration des Différences dans les Espaces de Vie.
Dans le cadre de la Conférence d'Agglomération de l'Habitat, le Grand Lyon a initié un travail partenarial dans le but de traiter la situation de familles en grande difficulté dans leur environnement. On a pu constater, à cette occasion, qu'une part significative des familles approchées compte un de ses membres comme souffrant de troubles psychologiques ou psychiatriques importants. La nature de ces troubles dépasse les compétences des organismes qui interviennent habituellement en matière d'accompagnement social lié au logement.Pour y remédier, une démarche a été engagée avec les hôpitaux psychiatriques de l'agglomération lyonnaise et avec tous les organismes concernés par la santé mentale. L’objectif étant de concilier le maintien ou l’accès au logement, pour les personnes souffrant de troubles et d’assurer la tranquillité pour tous. Le Grand Lyon copilote ce projet avec l’État, en lien avec un nombre important de partenaires : hôpitaux, bailleurs sociaux, bailleurs privés, CAF de Lyon, associations….Les « 4 familles » de partenaires sont parties prenantes à ce projet (les bailleurs, les hôpitaux, les associations et les familles, les intervenants sociaux et médico-sociaux).
Vous êtes le créateur du concept « Haute Qualité d’Usage ». De quoi s’agit-il exactement ?
La démarche Haute Qualité d’Usage est du même type que la Haute Qualité Environnementale, dans le cadre des aménagements urbains et architecturaux. La HQU a pour vocation d’améliorer l’accessibilité et la qualité d’usage dans le bâti tandis que la HQE gère la question de l’intégration environnementale du bâti. Je donne un exemple de prise en compte de la qualité d’usage. En lieu et place de plans horizontaux qui se terminent par un trottoir ou un escalier, avec, sur le côté, une pente à 5% conçue pour les personnes handicapées, il suffit de faire un parvis légèrement incliné sur tout le long, que personne ne remarquera. Cela ne coûte pas plus cher et c’est plus pratique pour tout le monde !
En fait, vous travaillez à une meilleure prise en compte des handicaps dans l’espace public ?
Aujourd’hui, la démarche HQU n’est plus une simple réponse à des types de handicaps. Elle intègre, certes, ce que des personnes handicapées nous ont appris, mais elle vaut pour tous. Lorsque je travaille avec un aveugle, je suis en fait avec un expert en olfactif, en acoustique, en podotactile, etc. Quelqu’un qui, de par son histoire, a développé bien au-delà de la moyenne certains de ses sens, et dont les indications seront précieuses car efficientes sur tout un chacun. La HQU répond, en fait, à une liste d’exigences d’usage :
- Les exigences en matière de motricité concernent tout ce qui est passage, dénivelé préhension ou autre. La correspondance avec le handicap physique est possible, mais elle est trop restrictive. Il s’agit, par exemple, de respecter des largeurs de passage suffisantes pour que, non seulement une personne en fauteuil roulant puisse passer, mais que les gens ne se sentent pas oppressés par un rétrécissement important du cheminement.
- Le domaine de la perception de l’espace renvoie aux dimensions visuelles, tactiles, olfactives et acoustiques. L’objectif est de faire rentrer les passants dans un certain confort en introduisant des éléments de repère et d’agrément dans un lieu important. Une fontaine d’eau pourra ainsi générer un bruit agréable et servir de point de rencontre.
- Aborder la psyché passe par la prise en compte de la mémorisation et de l’orientation. C’est sur la communication, la simplicité des espaces et le sentiment de sécurité que l’on va jouer. Le travail que nous avons mené au Louvre est une bonne illustration. Qui peut imaginer, en se promenant dans le sous-sol, que, si nécessaire, des escaliers vont apparaître comme par miracles et que des vérins hydrauliques vont soulever les pavés des trottoirs extérieurs ? Les règles de sécurité peuvent être parfaitement respectées, si les issues de secours sont camouflées dans les murs pour des raisons esthétiques, le taux d’angoisse des visiteurs restera extrêmement fort…
- La prévenance s’attache à rendre les espaces plus « surs et confortables ». Les arêtes et angles trop pointus, les bornes d’accueil effilées et coupantes vont être arrondis pour diminuer les risques et le ressenti d’agressivité. Des mains courantes vont être ajoutées là où les personnes à équilibre précaire ont besoin de se tenir, des bancs plus pratiques que design vont être installés pour les plus fatigables, etc.
- Enfin, dernier point, le champ de l’adaptabilité : comment adapter tel ou tel espace de vie en tenant compte de l’évolutivité des besoins des gens dans le temps ?
Comment cela se traduit-il pour une personne handicapée psychique ?
Communiquer avec quelqu’un atteint d’un handicap psychique, sensoriel ou mental passe davantage par le biais du langage symbolique que par les outils classiques. J’ai assisté à la scène suivante dans une maison de retraite : une personne âgée se dirigeait vers la porte de sa chambre, s’arrêtait net, repartait en direction du mur du couloir, s’arrêtait net, et ainsi de suite toute la journée. Le personnel la considérait comme souffrant de désorientation. J’ai essayé de comprendre. Les portes des chambres, peintes en marron foncé, se trouvaient légèrement en retrait du couloir. Celui-ci, peint en blanc, était éclairé par des luminaires fixés sur les murs. Depuis la nuit des temps, tout être humain a le réflexe de se diriger vers la lumière et de fuir les zones d’ombres, potentiellement dangereuses ! Cette personne allait vers les luminaires et se retrouvait face à un mur. Elle approchait la porte de sa chambre et se trouvait devant un renfoncement sombre, inquiétant. Sans connaître sa problématique psychique, voici comment l’espace semblait influer sur elle. J’ai proposé d’ôter les luminaires des murs pour les poser au-dessus des portes, de manière à créer une touche lumineuse devant chaque chambre. Les murs du couloir ont été repeints d’une teinte plus chaude et les portes blanchies. L’effet a été immédiat sur la personne, qui retrouve désormais sans difficulté le chemin de sa chambre. Maintenant, elle ne veut plus en sortir, mais c’est un autre problème…
Vous essayez de mettre en cohérence l’« architecture invisible » de l’espace et l’aménagement visible ?
Oui, et pour cela nous avons mis en place le système ORISENS (orientation sensorielle), qui intègre la dimension symbolique. Les collectivités locales ont tendance à concevoir les aménagements urbains en catégorisant les gens : voilà pour le handicap moteur, voilà pour le handicap visuel, maintenant il faut s’occuper du handicap mental... Parfois, pour que ce soit utilisable par certains, il faut détruire ce qui a été construit pour d’autres ! Pourquoi ne pas plutôt réfléchir à un usage unique ? Pour être en mesure de le faire, nous intervenons dans le cadre d’une Assistance à Maîtrise d’Usage en nous appuyant, entre autres, sur les réactions de groupes d’usagers. Notre rôle est de faire l’interface entre le maître d’ouvrage, le maître d’œuvre, les entreprises de réalisation et les usagers. Nous servons de traducteurs. Les revendications des usagers deviennent des critères d’exigence qualitatifs. La prise en compte du handicap mental et de la désorientation, développé dans notre système ORISENS, en est un. Pour tout système d’orientation et de repérage, nous nous sommes donnés comme contrainte d’aider quelqu’un qui oublie tout renseignement au bout de dix secondes. Attention, ce n’est pas spécifique au handicap mental : la plupart des gens ne retiennent qu’une partie des indications qu’on leur donne lorsqu’ils demandent leur chemin… Les personnes handicapées ne sont pas le problème, elles le révèlent !
Comment aidez-vous les gens à se repérer ?
Lorsque vous arrivez dans un établissement, vous recevez un badge. Nous travaillons avec des jeunes en difficulté d’intégration sociale. Pour eux, un badge, c’est du flicage ! Ils réagissent bien mieux lorsqu’on leur dit : « Tenez, voici un Passe pour pouvoir circuler ». Cela nous a permis de bien identifier qu’un badge sert de carte d’identité pour la personne, alors qu’un Passe donne l’identité du local de destination dans l’établissement. Pour faciliter le repérage, une couleur est donnée à chaque étage et un pictogramme simple symbolise chaque lieu important. La couleur et le pictogramme de la salle de rendez-vous sont reproduits sur le Passe. Ainsi, de l’accueil à l’arrivée, la personne n’a qu’à suivre le balisage donné à chaque changement d’orientation. Si le public est particulièrement diminué intellectuellement, les nouvelles technologies peuvent être utilisées pour rendre le Passe détectable. Ainsi, si la personne se perd, elle peut appuyer sur son Passe et communiquer directement avec la réceptionniste de l’accueil qui saura exactement qui elle est et où elle est. Le Passe, les codes couleurs, le balisage et les plans sont déclinables avec des éléments multi sensoriels pour les non-voyants ou tout autre usager.
Vous nous présentez là un travail très affiné pour un établissement désigné. Il existe, dans le parc social, nombre de personnes en situation d’isolement et de détresse psychique. Quels types de réponses pourraient être apportés pour améliorer la qualité d’usage de lieux… avec peu de moyens ?
Nous avons enclenché une réflexion à ce sujet en travaillant sur le maintien à domicile de personnes âgées. A vrai dire, je ne connais aucune prise en compte de la qualité d’usage qui ne nécessite aucun investissement, si ce n’est profiter d’un ravalement d’escalier pour choisir des teintes adaptées et assorties d’un système de codes couleurs. Il y aura toujours un coût, d’ailleurs pas forcément élevé, qui sera par contre rapidement amorti. L’angle du mur trop aigu dans lequel les gens cognent systématiquement leurs cabas, poussettes, etc. résistera plus longtemps si les matériaux choisis sont de bonne qualité. Dans une maison de retraite, nous avons fait le calcul du temps passé par le personnel à aider les personnes âgées pour compenser les erreurs architecturales : le couloir dont la vitre descend jusqu’au sol et qui donne le vertige à certains, l’inadaptation ergonomique des toilettes et salles de bain qui rend indispensable la présence de l’aide-soignante, etc. Pour 80 lits, cela s’est chiffré à 3 Equivalents Temps Plein ! Voici une piste de réflexion pour libérer du temps à un personnel qui en manque… De même, un gardien d’immeuble n’est pas là pour réparer ou nettoyer sans arrêt des choses qui se détériorent parce qu’elles n’ont pas été conçues correctement.
Pour des raisons esthétiques ou de facilité de réalisation, beaucoup de mains courantes ne sont pas adaptées dans les escaliers. Il est connu que les personnes à équilibre précaire chutent à l’arrivée et au départ, là où il y a un changement de niveau. S’il n’y a rien pour se tenir, ils s’appuient sur le mur. Là où il devrait y avoir une main courante se trouvent alors de longues trainées de graisse. Je ne suis pas sûr que ce soit vraiment mieux au niveau esthétique ! Les contraintes qui sont habituellement opposées à une meilleure qualité d’usage sont de trois ordres : économique, technique et esthétique. Il est cependant possible de compenser, de faire participer les habitants et leurs enfants avec des ateliers, ce qui donne en outre une dimension humaine intéressante.
Vous préconisez de faire appel au lien social ?
Le véritable enjeu est bien de réintroduire du lien social entre les gens ! Comment la faiblesse de l’un va-t-elle pouvoir être compensée par la richesse de l’autre ? En travaillant sur l’intergénérationnel, nous avons trouvé des immeubles où existent une charte du résident. Les gens s’engagent à se rendre mutuellement service. Tel jeune couple fait les courses de telle personne âgée qui, en échange, garde les enfants. Tel autre propose une aide aux devoirs, etc. C’est important car cela permet d’envisager le maintien à domicile de catégories de population qui manquent d’autonomie. A ce niveau, l’aménagement de l’espace est nécessaire, mais l’accompagnement humain reste indispensable. En attendant que la société mette en place les politiques publiques adéquates… relier entre eux les individus en s’appuyant sur leurs différences est une bonne idée.
Les personnes en grande souffrance ou reconnues handicapées psychiques présentent souvent une incapacité à s’investir dans un logement. Beaucoup vivent dans des lieux transitoires pour des périodes plus ou moins brèves. Comment peuvent-ils se stabiliser dans de telles conditions ?
Vous me renvoyez à mes études ! J’ai fait mon doctorat sur le déménagement, sur le parallèle qu’il y a entre déménager mentalement et déménager physiquement. Déménager ou adapter son logement régulièrement fait partie d’un besoin vital ! L’évolution permanente de l’individu doit pouvoir se répercuter dans l’espace qui lui est dédié. Si quelqu’un est particulièrement instable émotionnellement, il faut que l’espace suive… Ce qui ne pourra pas être fait mentalement sera fait physiquement : la personne va déménager géographiquement. A partir des années 70, la standardisation des appartements et des meubles a beaucoup limité la marge de manœuvre des gens pour s’approprier leur intérieur. Etre limité dans sa capacité à adapter l’environnement induit le risque de devenir un simple consommateur d’espace. Si je ne fais que consommer l’espace, je vais déménager sans arrêt, acheter du mobilier, du matériel… Je vais surconsommer, ce sera mon moyen de compenser. Pour sortir de la consommation, l’enjeu est d’être le plus créatif possible, vis-à-vis de son mental, de son corps, de sa tenue vestimentaire, de son environnement… Quelqu’un d’extrêmement conditionné, qui accepte sans bouger tout ce qu’on lui dit, tout ce qui lui arrive, n’est plus très « vivant ». Sa créativité est atrophiée. Ne pas rester enfermé dans ses habitudes, accepter d’aller au-delà de ses limites est preuve de créativité. Il faut pouvoir « agir sur » ! Agir sur l’environnement, sur les meubles, sur les bibelots, etc. Quand on est locataire et qu’il est interdit de toucher aux murs, la créativité peut être brimée. Le propriétaire a le droit de casser un mur si ça lui chante ! Si la personne ne peut pas « agir sur » physiquement, elle va se renfermer mentalement, ce qui à terme peut participer au développent de la maladie mentale. La personne qui ne saura pas se contrôler va carrément casser et tourner à la délinquance : tags, dégradations… Malgré les apparences, c’est un comportement sain ! Si la personne est coincée, il faut qu’elle se décoince. Il n’y a que deux possibilités, passer par le physique ou le psychique. Je préfère que quelqu’un démolisse une poubelle et réinstalle le calme en lui, plutôt qu’il serre les dents et risque de s’enfermer dans une souffrance psychique. La personne reconnue comme handicapée psychique a encore plus besoin de créativité que la moyenne, car son niveau d’immobilité doit être fortement compensé. Elle ne doit surtout pas vivre dans un lieu stéréotypé où sa marge de manœuvre sera très réduite.
Vous ne semblez pas faire de grande distinction entre souffrance psychique et maladie psychique ?
En tant qu’intervenants extérieurs, nous n’avons pas à connaître l’intimité de l’habitant. Ce qui nous importe, c’est que l’espace comporte un champ de liberté suffisant pour qu’il puisse installer des éléments qui lui sont propres. L’espace a une inertie que le mental n’a pas. Une personne soumise à de grandes variations psychiques doit pouvoir s’accrocher à des repères extérieurs, stables. Dans notre société, l’habitat est le dernier grand refuge de la personne. Chacun vient du lieu le plus protégé, le ventre de sa mère, naît, et revient chercher protection au fur et à mesure de l’acquisition de l’autonomie. Cet aller-retour permanent doit pouvoir se reproduire avec l’habitat. Le logement doit avoir cette fonction de zone de repli pour retrouver la force, le ressort nécessaire à une bonne poursuite de la vie.
… Au risque de parfois devenir lieu d’enfermement, lorsque, par exemple, une personne est alitée ?
Dans la démarche HQU, la continuité de la chaîne du déplacement part toujours du lit. C’est l’espace le plus restreint dans lequel quelqu’un puisse se retrouver pour des raisons de maladie ou de handicap. Or, ce n’est pas parce que je suis confiné dans mon lit que je ne dois plus pouvoir en sortir ! J’ai, au moins, besoin de laisser courir mon regard à l’extérieur et d’entendre le voisinage. Les gens se plaignent toujours du bruit fait par leurs voisins, pourtant c’est rassurant et aide à briser le sentiment d’isolement. Les personnes handicapées nous ont enseigné qu’élargir l’horizon de personnes alitées est possible : accrocher un miroir à un angle de chambre pour obtenir un effet de rétroviseur, faire des ouvertures dans le mur et installer une vitre en cristaux liquide, opaque ou transparente à volonté, mettre des moyens de communication… Il y a des solutions.
Comment parler de « créativité » à des personnes qui sont en situation d’hébergement temporaire ?
Il est fondamental de laisser les gens arriver avec le minimum de choses auxquelles ils sont attachés. Ce n’est pas pour rien que les SDF ont des chiens. Ce sont des personnes très mobiles qui prennent un « objet » mobile avec eux. S’ils ne peuvent pas rester avec ces « objets » d’identification, ils vont marquer l’espace qui leur reste de façon très exubérante : corps, tenue vestimentaire… Quelqu’un qui est hébergé pour une nuit, quelques jours ou plusieurs semaines doit pouvoir garder son chien, poser une photo, un bibelot, simplement pour se sentir rassuré. Une fois qu’il se sentira exister en tant que lui-même dans le lieu, alors il pourra commencer à entrer en communication avec les autres.
Quels conseils donneriez-vous aux responsables des centres d’hébergement et de foyers ?
Tout dépend des caractéristiques du public accueilli. Je commencerai d’abord par l’identification. Pour que les gens acceptent les lieux, il est nécessaire qu’ils puissent se les approprier. Accrocher des petits cadres sur la boite aux lettres et devant la chambre permet au résident de glisser la photo ou la carte postale de son choix, ce qui représente un premier élément de marquage de territoire. « Vous êtes au 517, allée gauche, bâtiment B »… Certains peuvent repartir tout de suite face à la complexité du bâtiment ! Dans ce cas-là, un accompagnement humain est indispensable pour aider la personne à repérer son chemin jusqu’à la chambre et les lieux collectifs. Instaurer un système de parrainage informel est important : « tiens, toi, l’ancien, est-ce que tu peux lui faire visiter la maison ? ». L’un va se sentir valorisé, l’autre mieux accueilli…
C’est un moyen d’atténuer le sentiment d’être assisté ?
Donner une responsabilité à quelqu’un, quelques que soient ses différences, signifie le reconnaître, reconnaître ses compétences. Les personnes accueillies dans des centres ou des foyers sont tous des accidentés de la vie. Ils ont tendance à se dévaloriser eux-mêmes. Pourtant, un SDF n’a pas perdu ses acquis, ses qualités et sa chaleur humaine ! Il lui reste toujours quelque chose à partager. Confier un nouveau-venu à un résident, c’est l’aider à sortir de sa condition d’assisté et de personne dépendante. C’est inverser le processus. Et la personne accueillie va tout de suite faire la connexion qu’un jour, ce pourra être à elle de tenir ce rôle. L’espoir peut se mettre en place. Ecoute, reconnaissance, explications pour devenir autonome dans le lieu : la qualité de l’accueil est primordiale. C’est le moment où l’arrivant intègre le groupe. Il faut ensuite qu’il se sente accueilli dans la chambre, mais cela se passe à un autre niveau. Attribuer une chambre stérile, standardisée, blanchie à une personne qui vient de la rue peut avoir un effet de repoussoir. Quelqu’un qui a vécu longtemps au milieu de cartons, dans la saleté, n’a pas perdu la propreté en tant que valeur. Mais elle peut lui apparaître comme quelque-chose devenu inaccessible. S’approprier une telle chambre peut demander une force mentale que certains n’auront pas. La chambre doit être neutre pour que, très rapidement, l’arrivant puisse déposer ses objets, accrocher ses photos… Bref, pour qu’il puisse « agir sur » le lieu.
En plus, ces chambres sont habituellement assez étroites. Se retrouver entre quatre murs peut vite symboliser la prison. Le symbole de l’enfermement, c’est les murs ! Ce n’est ni le plancher, où existe toujours inconsciemment l’échappatoire possible d’un tunnel, ni le plafond qui conserve la dimension spirituelle inhérente à chacun. Ce n’est pas pour rien que les prisonniers écrivent sur les murs : c’est pour mieux les repousser, les faire vivre, se les approprier. A partir du moment où ces murs sont les leurs, ils sont déjà moins enfermant.
Texte de Béatrice CHARRE et Mireille LEMAHIEU
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