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Regard sur le handicap

Interview de Jacqueline DUBLANCHY

<< Certaines personnes ont un sens inné pour comprendre le handicap, naturellement, sans fausse compassion. Elles arrivent à vous faire sentir que votre handicap ne pose pas de problème... >>.

Propos recueillis par Catherine Panassier le 16 mai 2011.

 

Jacqueline Dublanchy a aujourd’hui 54 ans. Entrée au Grand Lyon en 1992, elle travaille au service des archives où elle occupe le poste d’assistante juridique depuis mars 2010.

Jacqueline Dublanchy a été victime d’un Accident Vasculaire Cérébral en 2005, dont elle a gardé une hémiplégie gauche irréversible. De fait, elle a acquis lors de sa rééducation une marche d’appoint, avec une canne pour se déplacer de son fauteuil vers une autre assise, et rencontre des difficultés dans la vie quotidienne notamment pour faire les courses, le ménage, le repassage ou encore la cuisine, ne disposant que d’une main valide. Par ailleurs, depuis l’accident, elle se fatigue plus vite, supporte difficilement le stress et a parfois du mal à réagir ou à réfléchir vite et à s’exprimer. Malgré une importante rééducation, ses capacités de mobilité ne vont pas s’améliorer et son handicap devrait rester dans un état stationnaire.

Responsable d’une unité à la direction des affaires économiques et internationales au moment de l’accident, elle n’a pas pu reprendre ce poste après. De nouvelles missions adaptées à la fois à ses compétences et ses possibilités, mais aussi aux contraintes des bâtiments du Grand Lyon lui ont été confiées d’abord à la mission INET qui gère l’intranet du grand Lyon, puis aux archives.

Dans cet entretien, Madame Dublanchy présente sa situation et comment avec son employeur elle a dû organiser son retour à l’emploi et se réintégrer professionnellement dans un contexte nouveau. Elle évoque également le regard, où plutôt les regards, que les gens portent aujourd’hui sur le handicap et son refus de s’enfermer dans ce statut.

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Date : 15/05/2011

Environnement social et situation

 

Dans quel environnement familial vivez-vous et celui-ci vous a t-il aidé après votre accident ?

J’ai eu la chance d’être très entourée et d’avoir un environnement familial extraordinaire. Mon mari et mes parents ont été très présents après mon accident, mes six frères et sœurs aussi et puis, j’ai deux enfants, un garçon de 16 ans et une fille de 15 ans. Leur présence m’aide beaucoup. Après l’accident, mes parents m’ont acheté un nouvel appartement dans un immeuble accessible aux fauteuils roulants. Ce dernier n’était pas encore construit et nous avons donc pu modifier les plans. Nous avons prévu de larges portes pour que je puisse circuler en fauteuil facilement, aménagé un siège dans la douche avec un accès au pommeau par la main droite, ou encore équipé la cuisine de façon à ce que les ustensiles soient faciles à saisir à mon niveau.

 

Avez-vous bénéficié d’aides pour adapter votre logement ?

Nous n’avons pas bénéficié d’aides, mais pas cherché à en avoir non plus. Mes parents ont financé le logement avec ses adaptations. J’ai la chance d’avoir pu profiter d’un nouveau logement et je mesure bien cette chance particulièrement appréciable lorsqu’il vous arrive un tel accident. Car, dans ces moments, non seulement il est primordial de se sentir épaulé, mais aussi aidé sur le plan matériel pour ne pas rajouter encore des difficultés à une situation déjà si éprouvante. Je pense à tous ceux qui se retrouvent seuls dans une telle situation et qui ont vraiment besoin d’être aidés, de bénéficier d’une aide, de solidarité.

 

Pensez-vous que la création de logements adaptés regroupés et/ou de type habitat coopératif serait un moyen efficace pour mieux vivre au quotidien ?

J’en suis certaine. Ce type d’habitat permet de ne pas se sentir isolé et surtout de vivre décemment, d’évoluer plus facilement. Lorsque l’habitat n’est pas adapté, les contraintes du handicap sont encore plus fortes et plus difficiles à vivre au quotidien.

 

Avez-vous des amis qui vous ont aussi aidé et leur comportement envers vous a-t-il changé après votre accident ?

J’ai beaucoup d’amis qui travaillent aussi au Grand Lyon dont trois m’ont particulièrement soutenue et entourée. Elles venaient me voir pendant ma rééducation à l’hôpital une fois par semaine, puis chez moi très régulièrement. Nous avons également des amis en dehors du travail avec qui nous sommes restés en relation, sans changer nos habitudes. C’est effectivement très réconfortant.

 

Après votre accident, combien de temps êtes-vous restée sans travailler ?

Lorsque j’ai eu mon AVC, j’étais chez moi, je suis tombée et ce sont mes enfants qui ont appelé les voisins qui ont contacté les pompiers. J’ai d’abord été emmenée à l’hôpital Édouard Herriot à Grange Blanche, puis transférée à l’hôpital neurologique en soins intensifs où ils m’ont alors annoncé que j’étais hémiplégique. Je suis ensuite allée réapprendre à tenir debout et à marcher, en fait à retrouver l’équilibre, à l’hôpital Henri Gabriel de Saint-Genis-Laval pendant six mois. De retour chez moi, je suis restée deux ans sans travailler. J’ai alors bénéficié de l’allocation handicap et de la mise à disposition d’une aide ménagère une fois par semaine pendant un an.

 

Conjuguer handicap et travail

 

Pourquoi avez-vous souhaité retravailler ?

J’ai eu envie de retravailler d’abord pour donner une image positive à mes enfants. Je voulais leur montrer que je pouvais encore être active et surtout travailler comme tout le monde. Mes enfants étaient jeunes lorsque j’ai eu mon accident et ils l’ont vécu en direct. De plus, après mon accident, non seulement je suis restée handicapée, mais en plus j’ai beaucoup changé physiquement, j’ai notamment pris du poids. Mes enfants ont été très traumatisés et ma fille surtout supportait mal ma nouvelle image ; ça va mieux maintenant.

 

Comment votre réintégration professionnelle a-t-elle pu se mettre en œuvre ?

J’ai d’abord pris contact avec l’équipe médicale du Grand Lyon. J’ai du voir un neurologue mandaté par le Grand Lyon pour que ce dernier émette un avis sur mon aptitude à travailler et le transmettre à la commission médicale. Dans un premier temps, celui-ci était persuadé que je n’étais pas en capacité de travailler, mais il a évolué et il a ensuite validé mon retour à l’emploi.
Cependant, il était impossible que je reprenne mon ancien poste, bien qu’il me plaisait et que l’équipe était très agréable, du fait du rythme soutenu et du stress qui lui étaient liés. Après un AVC, il est vraiment recommandé d’éviter toute situation stressante.
Nous avons donc cherché un poste adapté à mes compétences et à mes nouvelles capacités. De plus, il fallait que celui-ci soit situé dans un des services du Rez-de-Chaussée car les ascenseurs du Grand Lyon sont certes très accessibles, mais ne sont pas en nombre suffisant en cas d’incendie et d’évacuation. Or, à cette époque, la mission INET avait besoin d’un agent pour mettre en œuvre un plan d’archivage de Globe, l’intranet du Grand Lyon, et ils m’ont confié cette mission. Ce travail consistait à recenser les documents que les directions du Grand Lyon mettent en ligne dans Globe, leur affecter une durée de vie et voir avec elles si cela leur convenait.

 

A t-il été aisé pour vous d’exercer ce nouveau métier et d’intégrer une nouvelle équipe ?

J’ai intégré ce service fin 2008 où j’ai été très bien accueillie. J’ai retrouvé une collègue, responsable du service, que je connaissais bien car nous avions déjà travaillé ensemble dans un autre service précédemment. Elle a vraiment facilité mon intégration. Elle avait un comportement très naturel par rapport à mon handicap, était très à l’écoute pour m’aider dans mes nouvelles fonctions et très attentive à ma santé et à mon confort. Ma mission dans ce service est un bon souvenir. Cependant elle n’a duré qu’un temps. Et, une fois terminée, il a fallu trouver un autre poste. C’est dans cet objectif, qu’il a été demandé au chef des archives, le service étant situé au rez de chaussée, s’il avait des besoins. C’est ainsi qu’il a créé le poste d’assistant juridique qui correspondait à un réel besoin. En phase avec ma formation initiale, j’occupe ce poste aujourd’hui. Il consiste essentiellement à traiter les questions de communicabilité de documents ainsi que toute question juridique pouvant se poser en matière d’archivage. Je suis également chargée d’effectuer une veille juridique. Là encore, mes collègues sont sympathiques et ont été vraiment accueillants. L’ambiance est bonne et ce travail me plait. Dans un tel contexte, j’ai facilement pu m’adapter à ces nouvelles réalités professionnelles.

 

Bénéficiez-vous d’aides particulières dans votre emploi ?

Pour ne pas solliciter mes collègues et leur imposer mon handicap, j’avais demandé lors de ma réintégration à bénéficier d’une auxiliaire de vie pour m’accompagner dans mes déplacements, pour aller et revenir de la cantine, pour rejoindre mon bureau le matin et mon véhicule à la fin de la journée. Car seule, il m’est difficile de piloter mon fauteuil d’une seule main, et l’hiver de m’habiller, et je ne veux vraiment pas demander l’aide de mes collègues. C’est déjà tellement pesant d’avoir toujours à demander. Le Grand Lyon est donc entré en contact avec « Maintenir » une association qui a 30 ans d’expérience et 300 professionnels qui interviennent dans tout le Grand Lyon, et qui me met à disposition une auxiliaire de vie qui m’aide chaque jour dans ces déplacements. L’association qui œuvre pour le maintien à domicile des personnes âgées et/ou handicapées était ravie de se lancer dans cette mission de maintien dans l’emploi qui représentait pour elle un nouveau champ d’action. Et vraiment, je suis très satisfaite de leurs prestations. Ce qui n’a pas toujours été le cas avec Optibus qui était très souvent en retard. J’ai du attendre parfois plus d’une heure devant l’entrée du Grand Lyon !

 

Comment sont pris en charge les coûts de l’auxiliaire de vie et le service Optibus ?

Le financement de l’auxiliaire de vie est pris en charge à 100 % par le Conseil général qui la rémunère directement. Ceci est possible depuis la loi de 2005 qui favorise l’autonomie des personnes handicapées. Le service Optibus est financé pour partie par le Grand Lyon, dans le cadre du PDE - Plan Déplacement Entreprise.

 

Pensez-vous que ces aides soient pérennes et bénéficiez-vous d’autres aides aujourd’hui ?

Je n’ai pas d’inquiétude particulière sur la pérennisation de ces aides. Je ne vois pas comment on pourrait faire marche arrière notamment par rapport aux avancées de la loi de 2005. Par ailleurs, je ne bénéficie pas d’autres aides ou allocations. C’est avec mon salaire qu’aujourd’hui je rémunère mon aide ménagère qui continue à venir une fois par semaine et dont il nous serait vraiment difficile de nous passer.

 

Votre poste de travail a-t-il nécessité des aménagements spécifiques ?

Les locaux sont structurellement accessibles, les bureaux suffisamment hauts pour les fauteuils, et j’ai les mêmes téléphone et ordinateur que les autres sauf que je tape que d’une main. J’ai juste demandé une oreillette pour pouvoir prendre des notes en téléphonant.

 

Avez-vous des horaires aménagés ?

Je suis à 80%. Je ne travaille pas le vendredi et c’est une bonne chose, car le jeudi soir, je suis vraiment fatiguée. Contrairement à la majorité du personnel qui commence à 8h30 et termine à 16h45, je commence à 9h00 et termine à 17h00.

 

Comment qualifieriez-vous le comportement de votre employeur et de vos collègues dans votre réintégration ?

Le Grand Lyon a été particulièrement attentif. Il a su se donner du temps et des moyens pour mettre en place le bon dispositif. Et mes collègues m’ont tous réservé un bon accueil, je n’ai jamais senti d’hostilité.

 

Dans votre travail, vous est-il arrivé de vous sentir discriminée ?

Lorsque j’ai été réintégrée, j’ai du signer un engagement mutuel de réadaptation et accepter une période d’essai de six mois ponctuée de bilans tous les deux mois, avec mon directeur pour évaluer mon travail, et une assistante sociale. C’est une procédure de suivi des agents prévue au Grand Lyon. Après un tel accident, devoir prouver que l’on peut encore inspirer confiance, prouver que l’on peut assumer son changement de situation et que l’on peut construire des relations « normales » avec les autres, c’est tout simplement terrible. Je l’ai ressenti comme tel.
De plus, l’équipe de suivi m’a proposé lors de mon second recrutement de bénéficier de l’accompagnement d’un psychologue, notamment pour voir comment mes collègues ressentaient mon intégration et évoquer éventuellement d’autres questions dont je n’avais vraiment pas envie de discuter, tout cela s’ajoutant à la procédure de suivi des agents évoquée précédemment. J’ai quand même pu refuser sans que cela porte à conséquence sur mon recrutement. Mais, à ce moment là, effectivement, je me suis sentie profondément discriminée.

 

Pensez-vous pouvoir évoluer dans votre carrière aussi facilement qu’une personne qui n’est pas handicapée ?

Je suis cadre A de la fonction publique. J’étais attachée avant mon accident et depuis, j’ai été promue au grade d’attaché principal. L’incidence sur le salaire est importante, mais surtout, c’est une marque de considération et de reconnaissance. Après tout ce que l’on m’a demandé pour démontrer et prouver mes capacités d’intégration professionnelle et relationnelles, cette évolution est une belle satisfaction.

 

Pour vous, est-ce essentiel de travaille ?

C’est effectivement très important et j’en suis fort heureuse. Mes enfants ont, je pense, maintenant une autre image de moi et peuvent concrètement voir que lorsque l’on fait des efforts, on peut y arriver. De plus, pour mon moral, je pense qu’effectivement c’est essentiel.

 

Regard sur le handicap et la ville

 

D’une manière générale pensez-vous que le regard sur le handicap a évolué ?

Il m’est difficile de parler en termes d’évolution, et personnellement je ne me sens pas discriminée. Toutefois, certains comportements me choquent. Par exemple, les personnes en fauteuils sont prioritaires dans les files d’attente comme celle de la cantine du Grand Lyon, et certains, heureusement rares, ne l’acceptent pas. On sent parfois l’agacement, voire de l’hostilité. En fait, certaines personnes ont un sens inné pour comprendre le handicap, naturellement, sans fausse compassion. Elles arrivent à vous faire sentir que votre handicap ne pose pas de problème, qu’elles vous considèrent telle que vous êtes. D’autres ont plus de difficulté avec le handicap, elles sont gênées, ne savent pas comment se comporter, ont des rires forcés ou des comportements maladroits. D’autres enfin, ont des attitudes fort pénibles, d’intolérance, à l’exemple de ce que je décrivais plus tôt et qui heureusement reste marginal.

 

Adhérez-vous à une association d’accompagnement ou de défense des droits des personnes handicapées ?

Après mon accident, ma mère m’a fortement conseillé de rencontrer d’autres personnes handicapées, d’adhérer à des associations à l’exemple de l’APF – Association des Paralysés de France, mais je n’ai pas suivi ses conseils. En effet, je ne souhaite pas spécialement me retrouver avec d’autres personnes handicapées. Lorsque j’étais à Henri Gabriel, je n’étais qu’avec d’autres personnes handicapées et très franchement ce monde clos m’était devenu difficile. Aujourd’hui je ne souhaite vraiment pas me retrouver dans un milieu qui me rappellerait trop l’hôpital.

 

Pensez-vous que la ville soit aujourd’hui plus accessible ?

Certainement, mais il reste beaucoup à faire. Je prendrais un exemple qui pour moi est vraiment éloquent : le métro lyonnais. Quand les ascenseurs fonctionnent, il est effectivement facile de se déplacer dans la ville. Mais, lorsque les ascenseurs tombent en panne, ce qui arrive quand même assez fréquemment, alors tout est bloqué et c’est carrément l’horreur, surtout pour les personnes qui se déplacent seules. Les TCL n’ont pas encore pensé qu’il pourrait être intéressant de prévenir les personnes en fauteuil à la sortie des rames plutôt que d’attendre qu’elles se retrouvent face à la porte d’ascenseurs en panne !
Ce manque d’attention me semble bien illustrer les limites de la ville accessible.