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Travail et handicap : la politique du Grand Lyon

Interview de Irène GAZEL et Nathalie DAVID

<< En matière de politique du handicap, nous souhaitons être plus ambitieux que ce qu’exige la loi de 2005 >>.

Propos recueillis par Catherine Panassier, le 24 octobre 2011

Interview réalisée dans le cadre de la réflexion conduite par la Direction de la Prospective et du Débat Public pour la Commission Intercommunale pour l’Accessibilité du Grand Lyon sur le thème « Ville et handicap ».

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Date : 23/10/2011

Irène Gazel et Nathalie David : présentation

Diplômée d’un DESS en psychologie du travail obtenu à l’Université Lyon 2 en 1992, et ancienne directrice des Ressources Humaines de la Ville de Bron, Irène Gazel a rejoint le Grand Lyon en 2006. D’abord responsable emploi mobilité, elle a pris la direction des Ressources Humaines du Grand Lyon en 2008. On compte aujourd’hui au Grand Lyon 4699 agents.
La vision humaine du métier de DRH que développe Irène Gazel provient probablement de sa formation qui la conduit à la fois à penser à l’homme qu’il y a derrière le métier, la mission ou le matricule, et à la nécessaire approche globale des questions qui touchent au travail.
C’est avec cette double préoccupation, qu’Irène Gazel vient de créer, au sein de la Direction des Ressources Humaines, le pôle santé, sécurité au travail et actions sociales, et qu’en mars 2011, elle en a confié la responsabilité à Nathalie David.
L’objectif de ce pôle est de regrouper l’ensemble des acteurs qui travaillent sur le thème de la santé et de la sécurité au travail, et sur celui du handicap pour développer une approche commune et gagner en efficacité. Ainsi ce pôle réunit les services médecine préventive, social, affaires médicales et maintien à l’emploi, prévention et handicap.

Dans cette interview Irène Gazel et Nathalie David présentent la politique handicap du Grand Lyon. Elles évoquent également les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre des démarches de maintien en emploi. Elles apportent enfin un point de vue général sur  l’évolution des solidarités et du regard sur le handicap en France.

 

Irène Gazel et Nathalie David : l’interview

 

La politique handicap du Grand Lyon

 
La Direction des Ressources Humaines abrite-t-elle une mission handicap ?

La Direction des Ressources Humaines du Grand Lyon regroupe plusieurs services dont le tout nouveau pôle au sein duquel se situe le service maintien à l’emploi, prévention et handicap. C’est très concrètement cette équipe qui travaille sur la question du handicap et ce, en lien avec les autres secteurs. Elle est composée de cinq conseillers en prévention, que l’on appelle aussi des préventeurs, de deux personnes qui travaillent sur le maintien en emploi, et de trois personnes qui assurent la veille documentaire, le secrétariat et l’administratif. Cette équipe travaille à la fois sur la santé et la sécurité, sur le préventif et le curatif et aussi bien sur des aspects techniques que sociaux, à l’exemple des accompagnements développés conjointement par la psychologue du travail et l’ergonome auprès de personnes en situation de handicap.

Le service maintien à l’emploi, prévention et handicap est en relation permanente avec les personnes en charge de la prévention et de la sécurité au sein de chaque direction du Grand Lyon. Ces dernières conduisent des actions d’information et de sensibilisation, et par leur présence sur le terrain, développent des contacts directs avec les agents.

 

Quels sont les principaux axes de travail sur la thématique du handicap actuellement poursuivis par le service maintien à l’emploi, prévention et handicap ?

Nous travaillons sur trois axes d’actions prioritaires. 
En matière de politique du handicap, nous en sommes au commencement. Le service est récent, et nous n’avons pas beaucoup d’expériences ou d’actions spécifiques derrière nous. Nous ne connaissons pas assez précisément la population atteinte de handicaps qui travaille au Grand Lyon. Au-delà du nombre de personnes qui ont effectivement le statut de travailleur handicapé, nous manquons de chiffres précis, et nous mesurons mal comment les personnes handicapées vivent leur situation au sein de notre institution. Nous repérons assez facilement les handicaps moteurs, mais nous n’avons pas de vision précise sur les autres formes de handicap qui touchent pourtant, on le pressent, nombre de personnes. De même, il nous est difficile de cerner l’appréhension de cette thématique par les directions et plus globalement par l’ensemble des agents. Aussi, notre premier objectif est d’établir un état des lieux, de mieux nous connaître. C’est pourquoi nous lançons une enquête auprès des personnes handicapées qui travaillent au Grand Lyon pour faire le point sur leur situation au niveau pratique, mais aussi pour mieux cerner leur ressenti. Nous allons également interroger les managers des différents services sur leur représentation du travailleur handicapé.

Cette enquête répond à notre volonté de construire nos actions à partir d’une connaissance précise de la problématique du handicap dans notre institution pour adapter au mieux nos réponses aux réalités, et notamment aux différentes situations individuelles de handicap. Les organisations syndicales sont également en demande pour travailler sur la thématique du handicap à partir de données fiables.
Notre deuxième axe de travail porte sur l’information et la sensibilisation au handicap. Nous constatons que de nombreux a priori demeurent. Ceci peut paraître étonnant car les services du Grand Lyon ont parfaitement intégré la question de l’accessibilité dans leur mission, à l’exemple de la Direction de la Voirie qui est en relation constante avec des associations de personnes handicapées. Cependant, si cette question est fort présente dans les esprits pour la conception d’aménagements dans la ville, elle l’est beaucoup moins en interne lorsque l’on évoque la place des personnes handicapées dans l’organisation. En effet, au Grand Lyon, nous avons la culture de l’accessibilité sur le plan technique, mais moins sur les champs psychologique ou social qui ne sont pas inscrits dans les compétences historiques de la Communauté urbaine.
Cette sensibilisation passera par la diffusion d’informations sous différentes formes ou l’organisation d’évènements. D’ores et déjà, les conseillers prévention interviennent dans les services, sur le terrain, à travers les quarts d’heure d’information et l’expérience est intéressante.
Notre troisième axe concerne la reconnaissance du travailleur handicapé. Nombre de personnes atteintes d’un handicap n’osent pas, ou ne veulent pas, être considérées comme handicapée et de ce fait, elles ne demandent pas le statut de travailleur handicapé. Elles se coupent ainsi des avantages que procure ce statut : aménagement de poste ou d’horaires de travail, exemption de l’obligation de concours pour entrer dans la fonction publique, conditions spéciales pour partir en retraite etc. Les médecins et les assistantes sociales délivrent un document d’information sur l’intérêt du statut de travailleur handicapé aux personnes qui pourraient être concernées et qui sont probablement plus nombreuses que les 57 personnes du Grand Lyon qui ont cette reconnaissance de travailleur handicapé. Cependant, cette question reste délicate.

 

Comment expliquez-vous cette crainte et ce refus du statut de travailleur handicapé : les personnes atteintes d’un handicap ont-elles peur d’être stigmatisées ?

Cette position est tout à fait compréhensible puisque les personnes handicapées cherchent avant tout à être considérées comme tout le monde. C’est l’objectif même d’une insertion réussie que de laisser place à l’individu avant tout et donc de relayer au second plan le handicap. Or, le statut de travailleur handicapé peut le faire ressurgir au premier plan. Et pour les personnes qui sont victimes d’un accident ou d’une maladie, il n’est pas aisé d’admettre que l’on devient ou que l’on est devenu un travailleur handicapé et de faire le deuil de ses anciennes capacités. De plus, lorsque l’on évoque la vie professionnelle d’une personne handicapée, il est difficile de ne pas entrer dans le champ personnel. Or, chacun tient à préserver sa vie privée. Certaines entreprises, et même des collectivités, incitent les personnes à se déclarer travailleur handicapé en offrant une prime. Ce n’est pas le choix que nous avons fait.

 

Lorsqu’un fonctionnaire est victime d’un accident ou d’une maladie invalidante, comment s’organise le maintien en emploi ?

L’accompagnement d’une personne handicapée est une longue démarche individuelle, car chaque situation est particulière. Nous n’appliquons pas de processus standard. Nous construisons des démarches qui s’inscrivent dans le temps, où l’on avance progressivement ensemble. La personne doit d’abord faire le deuil du travail qu’elle exerçait parfois depuis très longtemps, puis se mettre en dynamique pour s’engager dans une réorientation, parfois réapprendre à travailler et de toutes les façons apprendre un nouveau métier et intégrer une nouvelle équipe. 

Dans ces démarches, l’interaction entre le champ privé et le champ professionnel est toujours difficile à trouver, et c’est pourquoi il est indispensable de les confier à de véritables professionnels qui savent trouver le juste équilibre. Concrètement, le médecin décèle le problème de santé ou le handicap et préconise un aménagement du travail qui est transmis à la personne, à la responsable ressources humaines de la direction concernée et à la Direction des Ressources Humaines. Un travail collectif s’engage alors pour mettre en œuvre les préconisations du médecin et adapter le poste de travail. Ce travail peut prendre du temps car de nombreuses contraintes sont à conjuguer. Généralement, les réorientations s’effectuent dans les fonctions supports à l’exemple de l’accueil, du courrier ou du secrétariat où la pénibilité physique est moins forte.

 

Quelle vision du handicap percevez-vous chez les personnels d’encadrement lorsqu’ils se retrouvent confrontés à une situation de handicap de l’un de leurs agents ?

Il est impossible de généraliser, les situations et les réactions sont très variables. Notons toutefois qu’il existe des marges de progression. On est dans des sentiments très individuels, car même si nous voyons parmi nous des personnes handicapées, notre vision collective du handicap manque encore de maturité.

 

La loi de février 2005 impose l’emploi de 6% de personnes handicapées dans le secteur privé comme dans la fonction publique : Où en est le Grand Lyon par rapport aux exigences de la loi ?

Notre volonté est de faire un état des lieux précis pour construire une politique qui soit véritablement adaptée. Notre intention n’est pas de signer un conventionnement juste pour se féliciter d’avoir signé un conventionnement. Nous souhaitons partir d’une réalité, partager une dynamique pour que les conditions du conventionnement soient non seulement acceptées, mais également portées collectivement. Nous faisons la différence entre une obligation de 6% et la mise en œuvre d’une politique globale plus large. C’est pourquoi, par exemple, nous n’avons pas retenu le principe d’incitation à se déclarer travailleur handicapé par l’attribution d’une prime. C’est également dans cet esprit que nous souhaitons, au-delà de favoriser l’emploi et le maintien en emploi, faciliter l’accès à l’emploi des personnes handicapées en les accueillant en tant que stagiaires ou apprentis. C’est une façon de donner un coup de pouce aux personnes concernées et de démontrer aux directions qu’agir pour le travail handicapé peut prendre différentes formes.

 

Quels sont les métiers les plus générateurs de handicaps et quelles sont les mesures développées par le Grand Lyon en prévention ?

Les métiers d’éboueurs, d’égoutiers, d’intervention sur la voirie ou dans les tunnels sont effectivement des métiers générateurs de fatigue physique et d’usure. Nous les avons répertorié et ils font l’objet de fiches métiers précisant les risques associés. Pour ces métiers, les visites médicales sont renforcées et nous mettons en place des dispositifs particuliers de prévention notamment des troubles musculosquelettiques. Par ailleurs, et cela peut surprendre, nous conduisons un travail sur l’illettrisme qui permet d’anticiper des problèmes de reconversion. 

En effet, le travail de prévention doit être global et en anticipation, il s’agit de donner tous les moyens nécessaires aux collaborateurs pour « rebondir » si besoin.

 

N’auriez-vous pas intérêt à embaucher des personnes qui maîtrisent déjà le français écrit et parlé ?

On pourrait voir les choses ainsi mais ce n’est pas notre conception. Il s’agit de recruter les personnes compétentes pour excercer une mission de service public. Une surqualification ne signifie pas une meilleure qualité de service. Notre conception est qu’il est de notre responsabilité d’accompagner ensuite les collaborateurs pour monter en compétences et s’inscrire dans un parcours professionnel durable. Nous recrutons avec tout niveau de formation, nous n’avons pas vocation à participer à une forme d’exclusion sociale, mais bien à prendre nos responsabilités en matière d’exemplarité et de solidarité.

 

Comment s’organise l’embauche des personnes handicapées ?

Dans la conduite d’une politique handicap, la difficulté majeure est plutôt liée au maintien au travail lorsqu’une situation de santé se dégrade qu’à l’embauche de personnes en situation de handicap. Pour le recrutement de personnes handicapées, nous procédons de la même façon que pour les personnes valides. Les candidatures sont soit spontanées, soit orientées par Cap emploi avec qui nous sommes en partenariat. Les personnes ont un entretien de recrutement classique et si elles sont retenues alors, elles ont une visite médicale qui détermine les conditions d’aménagement du poste du travail. Handicap ne veut pas dire absence de compétence. Nous sommes d’ailleurs particulièrement attentifs à conduire des actions de promotion des métiers du Grand Lyon afin qu’ils soient mieux connus par les personnes qui ont le statut de travailleur handicapé et qui peuvent être recrutées en embauche directe, sans passer de concours.

 

Le Grand Lyon a-t-il recours à des Établissements et Services d’Aide par le Travail ESAT (anciens Centres d’aide par le travail CAT) qui emploient des personnes handicapées, et pour quel type de prestation ?

Le Grand Lyon encourage effectivement les initiatives qui vont dans le sens d’une politique solidaire. C’est cohérent avec une politique globale et non une volonté uniquement statistique, nous devons être moteur sur notre territoire en lien avec nos valeurs et nos convictions. A ce titre, le Grand Lyon œuvre en amont des marchés publics et, lorsque c’est possible, favorise le recours aux Établissements et Services d’Aide par le Travail. La Direction de la Logistique et des Bâtiments travaille ainsi avec l’ESAT Léon Fontaine situé au Carré de Soie à Vaulx-en-Velin à travers un marché pour le reconditionnement de vêtements de travail. De même, la Direction de la Communication a recours à l’association Messidor pour des envois en nombre, de la mise sous pli, ou encore pour des repas ou buffets.

 

Impact de l’intégration d’une personne handicapée au sein d’un service

 

Quel est l’impact majeur de l’intégration d’une personne handicapée dans une équipe ?

L’intégration d’une personne handicapée dans un service génère une ouverture d’esprit, un autre regard, voire de nouveaux modes de travail qui peuvent être bénéfiques pour tous. Sur le plan individuel, on peut retirer une certaine fierté d’avoir contribué à un acte humain, une satisfaction de se sentir en charge de quelque chose. La richesse des équipes vient de leur diversité et non du «clonage». Les équipes les plus riches sont celles qui réunissent des profils différents. Dans la diversité, chacun apprend à composer et des dynamiques collectives se développent. Tout n’est pas facile pour autant et nous souhaitons travailler activement pour soutenir les collectifs de travail.

 

En termes de bilan, note-t-on un fort pourcentage d’échec d’intégration ?

A l’évidence nous rencontrons des difficultés plus ou moins importantes, mais pas véritablement d’échec. Les démarches sont plus ou moins longues, on travaille dans la durée car les situations peuvent vraiment être lourdes à porter. Les situations les plus difficiles sont celles où, par l’usure physique ou après un accident de vie, la personne est contrainte de changer et qu’elle n’arrive pas à faire le deuil de son ancien métier ou de ses anciennes capacités. C’est la situation la plus complexe à gérer lorsque nous ne progressons pas tous dans un même sens. Parfois nous sommes confrontés à des personnes qui peuvent être dans un mal être profond, et dans certains cas qui refusent toute aide. Il faut alors du temps et progresser par étapes. Ce n’est donc pas toujours facile, mais ce n’est pas pour autant que l’on puisse parler d’échec car il ne faut pas renoncer.

 

Selon vous, pourquoi est-ce si important d’embaucher des personnes handicapées ?

En tant qu’employeur, nous avons une responsabilité d’accès à l’emploi, de solidarité, encore plus forte lorsque l’on est un service public. Le Grand Lyon ne peut pas fonctionner en s’extrayant de la réalité, de la société, et il se doit de respecter l’ensemble de la population et d’offrir une équité de traitement. De plus, il a une vertu d’exemplarité.

 

Solidarité handicap

 

La politique de quota de la loi de février 2005, qui incite les entreprises de plus de 20 salariés et la fonction publique à employer 6% de personnes handicapées,  vous semble-t-elle indispensable ?

La loi est importante, voire incontournable. Elle permet de poser un cadre et de stimuler la mise en œuvre d’actions. Cependant, en étant trop rigide, elle peut enfermer ces dynamiques dans des procédures. Pour autant, s’il n’y avait pas de loi, ce serait plus difficile encore. Pour être vraiment efficace, une politique handicap a besoin de souplesse car chaque personne ou entreprise le vit différemment. Ce qui compte finalement, c’est l’accès à l’emploi et à la formation, c’est la place sociale et non le statut. Un cadre législatif est un mal nécessaire, mais pas suffisant.

 

D’une manière générale pensez-vous que notre société soit de plus en plus solidaire envers les personnes handicapées et progresse-t-on vers un véritable principe d’égalité ?

Malheureusement non, notre société tend plutôt à développer des processus de cloisonnement. Il semble que nous soyons plus individualistes que solidaires. L’acceptation de la différence nécessite des efforts que l’on n’est pas tous prêts à faire. Dans les pays plus au Sud, les solidarités familiales ou sociales sont plus fortes car il y a parfois moins de réponses institutionnelles. En France, on attend beaucoup de l’institution qui n’a pas toujours les moyens de sa politique. On le voit à travers l’exemple de l’Éducation Nationale où la scolarisation des enfants handicapés en milieu ordinaire reste pour les parents un véritable parcours du combattant. Or, c’est là où commence la discrimination.