Je m’intéresse depuis plusieurs années à deux « objets » : premièrement les adolescents à propos desquels j’étudie les incivilités, la délinquance auto-déclarée, les comportements à risques (alcool, drogues et autres déterminants de la délinquance) avec des méthodes empiriques. J’ai beaucoup travaillé sur les adolescents en milieu scolaire, ou encore placés sur décision de justice. J’ai appliqué les mêmes grilles d’enquête à ces différentes populations adolescentes. Hormis la délinquance, d’autres questions traitaient de la vie de quartier, les perceptions de la politique, et leurs rapports aux institutions politiques. Ce sont des enquêtes quantitatives, comprenant souvent un volet qualitatif, que j’ai menées entre 1999 et 2016 sur la région Rhône Alpes et le département des Bouches du Rhône (découvrir toutes les publications de Sebastian Roché pour Millénaire 3).
Mes dernières enquêtes concernent plus de dix-mille adolescents, ce qui donne beaucoup de puissance statistique pour comparer les groupes et aussi, par exemple, mesurer les effets d’interactions entre milieux socio-économiques, origine ethnique et type de quartier.
Mon deuxième terrain d’enquête est la police. J’ai d’abord étudié les comportements des policiers, notamment dans leurs rapports aux jeunes pour identifier ce que l’expérience de la police fait aux gens. Puis je me suis intéressé au contexte scolaire. J’ai essayé de synthétiser ces deux choses dans le travail que j’ai mené pour la DPDP : elles interrogent l’expérience que les jeunes font de l’État à travers ces deux institutions que sont la police et l’école. Ce sont deux organisations avec lesquelles les jeunes apprennent ce qu’est l’État, comme système d’organisation et de normes, par expérience directe, c’est-à-dire par les interactions avec les professeurs, le CPE (sur une base quotidienne) et la police (moins fréquemment) visuellement, en s’invectivant, en demandant des conseils, en allant porter plainte, en étant victime. J’ai essayé de regarder comment l’expérience de l’État agissait sur leurs convictions morales et politiques.
J’ai également cherché à réfléchir sur l’intégration politique : qu’est-ce que signifie appartenir à un pays, comment cela peut se mesurer ? L’appartenance à un pays revêt au moins deux dimensions : culturelle (le rapport sensible à la nation) et politique (le degré de projection dans l’identité politique). La collectivité politique est de nature différente de la collectivité culturelle, ce que chacun peut ressentir : par exemple en allant à l’étranger on se sent plus fortement français par le contraste culturel, mais pas forcément plus citoyen. Il y a également la relation aux autorités politiques ; comment perçoit-on le gouvernement ?
Aujourd’hui, la question à laquelle j’essaye de répondre empiriquement et théoriquement est : qu’est-ce que l’expérience de l’État produit sur cette adhésion ou ce rejet de la nation politique et d’un certain nombre de ses normes (laïcité, égalité femme-homme) ?
L’idée est de partir des expériences des jeunes pour interroger l’appartenance à des grands collectifs que l’on ne peut pas voir : on peut voir sa famille, mais pas l’État.
La question des jeunes et du rapport à l'État