Dix réponses sur l’entrepreneuriat innovant
Étude
Après 3 ans d’analyse d’une cohorte de 200 entreprises du territoire grandlyonnais, qui dessine les grandes caractéristiques de l’entrepreneuriat innovant, découvrez notre synthèse.
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Interview de Marie-Anne Cloarec
<< Ce que j’ai fait la première année a été décisif et je conseille à tout le monde de faire ça : je suis sortie pour aller à tout un tas d’événements, salons professionnels, conférences sur divers sujets, même ceux qui a priori ne m’intéressaient pas >>.
Box Populi a été créée en 2016 par Marie-Anne Cloarec. C’est une start-up “produit” qui commercialise des boitiers de déconnexion pour smartphones afin de rendre les réunions de travail plus efficaces et conviviales. Son aventure met en lumière un aspect fondamental de la posture entrepreneuriale, à savoir que l’entrepreneuriat est un exercice social, mobilisant plusieurs types de réseaux, où l’apprentissage est constant.
Comment en êtes-vous venue à l’entrepreneuriat ?
J’ai travaillé 3 ans comme contrôleuse de gestion ; j’avais ma voiture de fonction, mon téléphone, une certaine autonomie et des responsabilités. C’était vraiment passionnant et je travaillais énormément. Je me suis toutefois rendu compte à un moment donné que ça ne me correspondait plus, que je m’épuisais à la tâche pour des analyses dont je ne savais pas vraiment à quoi elles allaient servir. Je me suis demandé : est-ce que si j’arrête de travailler ça changerait fortement les stratégies et les orientations de la boite ? Il y avait aussi un côté humain qui me manquait : parler à mes chiffres et faire du Excel 24/24 ne me suffisait plus. Je me suis rendu compte que je pouvais faire autre chose.
Le déclencheur a été une phase où j’ai organisé plusieurs mariages autour de moi et notamment pour mon père. J’ai adoré ça, il faut être méthodique et surtout créatif, ce que mon travail à ce moment-là ne me demandait pas. Pendant un mariage, plusieurs personnes m’ont félicité pour l’organisation et demandé ma carte de visite en pensant que c’était mon métier. Cela a provoqué un déclic et je me suis dit « je vais monter ma boite dans l’événement festif !» J’avais alors fini de rembourser mon emprunt pour l’école de commerce. J’ai démissionné et me suis formée à la communication événementielle grâce à Pôle Emploi, puis je suis rentrée chez GL Events pour faire mes premières armes. J’ai ensuite monté mon autoentreprise d’organisation de mariages.
C’est aussi à un mariage que j’ai eu l’idée de Box Populi : en voyant les gens qui étaient tous sur leurs téléphones et se coupaient du moment présent. Je ne voulais pas être la wedding planner standard mais proposer des choses en plus. Je me suis ensuite rendu compte que c’était une activité en tant que telle et qu’il fallait que je me dédie à ça.
Comment a été perçu ce changement d’orientation par votre entourage ?
Tout le monde était unanime pour dire que c’était un suicide professionnel. Pour mon père, devenir cadre ++ dans une boite c’est le summum de la réussite, tandis que ma grand-mère voulait que je sois banquière. Pour tous ces gens je prenais le mauvais chemin. Mon frère est celui qui m’a toujours soutenue, c’était bien le seul pendant un moment. Il n’est pas entrepreneur donc ne me donnait pas de conseils mais était un peu coach, c’était très motivant.
Quelles ressources ou qualités ont été déterminantes pour le démarrage de cette aventure entrepreneuriale ?
Quand j’ai décidé de me lancer, j’avais l’énergie et l’insouciance qu’il fallait pour y aller. Dans une journée, s’il m’arrive dix choses négatives et une chose positive, je vais me concentrer sur cette dernière. Il faut dire que mon parcours personnel fait que je n’ai pas peur d’oser ni même d’échouer. Je suis prête à prendre des risques et je sais relativiser quand il y a des difficultés. Grâce à ce projet, je m’épanouis énormément, surtout parce que j’apprends tout le temps. J’ai un nombre de métiers formidables maintenant : je peux faire un peu de marketing, des plans de communication, je rencontre des manufacturiers, etc. Maintenant, je peux prendre la parole en public, j’ai même déposé un brevet technique ! Je suis très fière de ça.
Tout ce que j’ai fait c’est aussi grâce à des amis, des personnes très bienveillantes et qui savent se rendre disponibles. Toutes les semaines, et sur tous les sujets, j’ai des personnes ressources qui me viennent en aide. Les amis sont les premiers financeurs de start-up, car tout ce qu’ils nous apportent, ce sont des dépenses en moins. Au-delà des conseils et aides techniques, ils sont aussi là au quotidien pour offrir un soutien moral précieux ! Je pense que si je n’avais pas eu tout ça, je serai redevenue salariée. Ça me donne beaucoup d’énergie.
Comment vous y êtes-vous pris aux débuts pour avancer dans ce nouveau projet entrepreneurial ? Par quels biais vous êtes-vous formée et informée ?
Ce que j’ai fait la première année a été décisif et je conseille à tout le monde de faire ça : je suis sortie pour aller à tout un tas d’événements, salons professionnels, conférences sur divers sujets, même ceux qui a priori ne m’intéressaient pas. En général, je me fixais comme objectif de parler à telle ou telle personne ou de distribuer 5-6 cartes de visite, simplement pour m’ouvrir de nouvelles portes. Quand on est aux débuts et qu’on n’est pas entrepreneur, il faut apprendre. Et pour ce faire, il faut absolument aller dans des endroits où l’on n’a pas l’habitude d’aller. Cela donne aussi confiance en soi parce qu’on rencontre plein de gens différents auprès de qui on doit adapter son discours. Ça met en danger, ça fait grandir et ça stimule la créativité.
Par exemple, j’avais participé au Salon des inventeurs lyonnais où j’ai rencontré un avocat qui m’a expliqué l’importance de déposer un brevet. J’avais d’abord été à l’INPI [Institut National de la Protection Intellectuelle] mais j’en étais sortie en pensant que ce n’était pas pour moi car c’était trop tôt. Finalement, suite à cette première rencontre, j’ai creusé le sujet et je me suis aperçue qu’il était important de breveter, ce que j’ai fait. Au Salon des entrepreneurs j’ai pris conscience du besoin de me former, et c’est là que j’ai entendu parler de La Cordée où j’ai décidé d’aller travailler. Pour se former, ce sont d’ailleurs surtout les rencontres avec d’autres entrepreneurs plus que les formations ou conférences en elles-mêmes qui sont riches.
Quel rôle a joué la Cordée dans votre parcours ?
Je ne voulais pas travailler de chez moi et j’avais besoin de rencontrer du monde. Si je partais de mon emploi salarié ça n’était pas pour me retrouver à nouveau seule devant mes fichiers Excel. Mon arrivée à la Cordée a été décisive, ça m’a aidé à prendre confiance en moi. Ça donne lieu à des discussions très riches, ça tire vers le haut. Les rapports humains sont sains, on se donne beaucoup de contacts, c’est toujours bienveillant et constructif. Il n’y a personne pour vous mettre des cadres, ça donne une liberté totale, ce qui est précieux. C’était d’ailleurs tellement chouette que je m’y suis perdue, j’arrivais le matin à 7h et je repartais à 23h… C’est aussi à La Cordée que j’ai entendu parler de Boost In Lyon et Lyon Start-up, et que j’ai rencontré mon premier associé !
Comment avez-vous abordé plus spécifiquement les enjeux autour du développement de produit ?
Je n’ai pas du tout eu d’aide extérieure sur le développement de produit, personne pour me baliser le terrain. Il y a des enjeux de prototypage, de conception, il faut dimensionner les produits, faire des tests, des contrats, sourcer, etc. Il y a des notions de stock, d’outillage, de transport, de recyclage… Bref, c’est très complexe, et ça prend surtout beaucoup de temps. Je suis passé par un bureau d’études mais ça n’a pas fonctionné dans un premier temps et nous avons perdu beaucoup de temps. J’ai donc commencé à me former moi-même : j’ai lu énormément et j’ai recruté des stagiaires ingénieurs. Mais à un moment j’ai eu peur d’avoir vendu un produit qui était infaisable. C’est pourquoi j’ai ensuite fait le choix de m’associer avec un ingénieur compétent en développement de produit et en gestion de projet industriel : cette rencontre a représenté un tournant dans l’avancée du projet. En effet, son expérience dans le produit ainsi que son implication en font un allié puissant pour le développement de l’entreprise.
J’ai aussi rencontré des personnes qui m’ont fait avancer sur ces sujets. Notamment une personne rencontrée lors d’un événement Only Lyon qui est commercial en produit innovant à l’international. Nous nous sommes très bien entendus, nous faisions des points réguliers sur mon projet. Il est devenu une sorte de mentor pendant un temps, jusqu’à ce que je trouve un accompagnateur industriel qui a pris le relais sur ces enjeux de production. Puis, via Lyon IoT Manufacturing, j’ai trouvé un autre mentor. Nous avons aussi depuis des parrains, plus ou moins officiels, qui sont des entrepreneurs, parfois retraités, qui nous challengent et nous aident sur différents sujets. Ces rencontres se sont faites lors d’événements, via la CCI ou encore la CPME.
A quelles ressources avez-vous fait appel pour financer les premières étapes de votre projet ?
J’ai essayé de passer par les circuits classiques que sont la BPI et la Bourse French Tech notamment, mais ça a été compliqué et n’a pour l’instant pas abouti, alors que j’y ai consacré beaucoup d’énergie. On peut vite y perdre du temps.
Ce qui en revanche était extraordinaire et marquant dans mon projet c’est la participation de ma famille. J’avais réussi à négocier un emprunt bancaire à condition qu’on ait un autre apport. J’ai alors sollicité mon père et mes grands-parents qui ont répondu présents. C’était formidable de voir qu’ils ont accepté et cru en moi. Je me suis aussi fait aidée par mon compagnon sur le montage financier global qui est un exercice complexe que je n’avais pas l’habitude de faire. C’est encore du ‘fait maison’, ce qui fait qu’on en est très fier !
Box Populi ne faisait pas encore de chiffre d’affaires lorsque j’ai découvert que j’avais droit au RSA. C’est clairement le deuxième financeur de start-up après les proches ! Je fais très attention à mes dépenses, mais de toute façon ça n’est pas comme ça que je me réalise. Je crois en mon projet et c’est ce qui me nourrit. Je comprends que tout le monde ne puisse pas le faire : s’investir dans un tel projet demande de faire beaucoup de compromis voire des sacrifices, sur sa qualité et son niveau de vie notamment. Je sais aussi que ça n’est pas forcément tenable dans la durée.
Quel regard portez-vous sur votre parcours d’accompagnement ?
Boost In Lyon comme Lyon Start-Up m’ont bien aidé à améliorer mon pitch et à prendre conscience du travail marketing nécessaire sur mon projet. J’ai aussi profité des formations très intéressantes de Boost in Lyon sur l’entrepreneuriat.
En revanche, l’accompagnement sur le volet développement de produit m’a manqué. L’offre existe mais elle est payante. Au-delà de cet aspect financier, j’ai aussi perdu du temps à devoir tout apprendre par moi-même là-dessus. Les entrepreneurs qui font du produit ne sont pas très nombreux ici, c’est logique qu’il y ait moins d’offre dédiée d’accompagnement. C’est surtout des projets numériques ou IoT qui se développent dans la région. C’est ce que finance majoritairement la BPI, donc les entrepreneurs vont là-dessus. On va peut-être d’ailleurs être amené à développer une application plus tard, même si ça n’est pas trop mon truc.
Quels liens avez-vous développé avec l’écosystème entrepreneurial local ?
J’ai bénéficié de mon réseau et de la communauté lyonnaise depuis le début et j’en suis très reconnaissante. Il y a beaucoup d’événements qui vous portent ici. Je participerai avec grand plaisir à des formations par les accompagnateurs ou incubateurs sur comment on développe un produit. J’interviens déjà à l’INSEEC où je donne des cours et je suis responsable des associations, un jour par semaine environ. J’accompagne les étudiants vers l’innovation, et finalement ça me forme aussi. A leur côté, je comprends les enjeux RH de demain. Ça m’apporte aussi un souffle d’air qui fait beaucoup de bien, et ça m’aide à penser autrement. Il y a aussi des porteurs de projet qui me demandent conseil. Je leur fais part de mes anecdotes, je leur raconte mon expérience. J’espère que ça peut les inspirer et leur donner confiance. J’ai envie de redonner à la communauté ce qu’elle m’a apporté.
Quels nouveaux défis vous attendent pour l’année à venir ?
Nous allons faire une levée de fonds pour laquelle la CCI nous accompagne. Nous étions entrés en contact avec la CCI pour un autre sujet, nous étions restés en contact, et la possibilité qu’ils nous accompagnent sur une levée de fonds a émergé. Nous avions déjà usé de tous les leviers de financement à disposition : la love money, l’emprunt, les aides de la Région et Inovizi. Il nous restait donc la levée de fonds.
Nous sommes aussi ravis de démarrer un programme d’accompagnement avec Novacité, en 2019. Ce qu’ils proposent est sur mesure, et c’est exactement ce qu’il nous faut. Ils prennent le temps de comprendre notre façon de faire, notre road map, nos enjeux propres, c’est du concret. Au début quand on monte un projet, on a besoin d’avoir les grandes lignes comme un gros bouquin de marketing, il faut écouter. Mais au bout d’un moment, quand on sait où on va, on a davantage besoin d’être écouté.
Dans quelle mesure vous reconnaissez-vous dans un « modèle start-up » ?
La vision que j’ai d’une start-up c’est une entreprise qui flambe de l’argent et est en difficulté avant d’être rentable, car il y a une phase assez longue où elle se cherche. Je fais attention maintenant à ne pas nous considérer comme une start-up parce que ça renvoie une image qui ne me convient pas. Il y a un côté bricolage, pas professionnel, et ça peut donner une impression de temporaire et voire d’instabilité, même si ça peut aussi faire vibrer une corde innovation… Au final, nous évitons de nous présenter comme tel, même si en réalité nous n’en sommes pas loin. Nous souhaitons pouvoir parler d’égal à égal avec nos clients qui sont de grandes entreprises.
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