Dix réponses sur l’entrepreneuriat innovant
Étude
Après 3 ans d’analyse d’une cohorte de 200 entreprises du territoire grandlyonnais, qui dessine les grandes caractéristiques de l’entrepreneuriat innovant, découvrez notre synthèse.
Interview de Armelle Weisman
<< Il existe un fort décalage entre la projection sociale autour du "startuper" et la réalité de l’entrepreneuriat qui est une aventure difficile >>.
Le Réseau Entreprendre est un réseau d’associations de chefs d’entreprises qui accompagnent les entrepreneurs dans leur développement, en France et désormais à l’international. Ce réseau de pair à pair qui existe depuis 1986 accompagne les entreprises créatrices d’emplois au travers de différents programmes de mentorat. Armelle Weisman, directrice associée de l’agence de communication TroisTemps, ancienne lauréate devenue administratrice puis présidente du Réseau Entreprendre à Paris, partage son expérience au sein de ce réseau dont la force repose sur l’horizontalité.
Pouvez-vous me présenter le Réseau Entreprendre et votre rôle en son sein ?
Le Réseau Entreprendre a été créé il y a plus de 30 ans sur une initiative privée, par des entrepreneurs. Son ambition a toujours été d’accompagner la création d’emplois sur les territoires. Il regroupe différentes associations locales, dont les 4 plus importantes sont autour de Paris, de Lille, de Nantes et de Lyon.
Je suis une ancienne lauréate du Réseau puis en suis devenue membre de l’association parisienne, accompagnatrice, puis administratrice et enfin présidente à partir du 25 juin prochain. J’ai donc une vision parisienne de l’entrepreneuriat, qui est sans doute différente des réalités sur d’autres territoires, en termes d’enjeux et même de profils des entrepreneurs. Parmi les différents programmes de mentorat que compte le Réseau, j’accompagne personnellement des jeunes créateurs via le programme "Start" et des entrepreneurs qui ont un projet un peu plus mature qu’il s’agit de développer avec le programme "Ambition".
Comment sélectionnez-vous les entrepreneurs que le Réseau accompagne ?
La procédure de sélection est assez lourde : il y a trois rendez-vous avec des chargés d’affaire sur la base d’un business model et du projet d’entreprise, puis une série de rencontres individuelles avec des chefs d’entreprises du réseau et enfin, une soutenance finale d’une vingtaine de minutes devant un jury de chefs d’entreprises.
Ce que l’on juge bien davantage que le projet, c’est le porteur de projet. Si le projet d’entreprise est encore bancal mais que l’entrepreneur nous semble capable, alors on choisit de l’accompagner car on sent qu’il sera capable de résoudre les problèmes qui vont se poser à lui. Nous regardons ainsi les qualités individuelles de l’entrepreneur et la qualité de l’association, s’il y a des associés. Il est aussi indispensable qu’il y ait un "fit" humain avec la personne qui va l’accompagner : ils se choisissent l’un l’autre en quelque sorte. Un autre critère de sélection important est la capacité du projet et de l’entrepreneur à créer des emplois. Ce sont également des entreprises déjà créées et qui font même souvent un peu de chiffre d’affaire ; nous n’accompagnons pas les tous premiers pas, l’entreprise doit être immatriculée.
Enfin, il faut évidemment que l’entrepreneur soit en adéquation avec les valeurs portées par le Réseau, en particulier la réciprocité, qui permet de pérenniser cette chaine d’entraide entre entrepreneurs et la gratuité pour les entrepreneurs qui empêche notamment les accompagnateurs d’investir dans les entreprises qu’ils accompagnent pour éviter tout conflit d’intérêt et créer une relation transparente entre accompagné et accompagnateur.
Qui sont les entrepreneurs que vous accompagnez ? Quels sont leurs profils ?
Même s’il y a des associations du Réseau dans des territoires très variés (à côté de Paris il y a des Réseaux Entreprendre divers en Île-de-France : 93, 78, 77, 92, etc…), ainsi que des entrepreneurs dans différents secteurs (tech, industrie, artisanat…), il y a globalement encore trop peu de diversité sociologique. La majorité des entrepreneurs possèdent un capital social, culturel voire parfois financier conséquent qui leur permet d’aborder la prise de risque entrepreneuriale. Nous essayons de travailler sur une plus grande diversité. On ne constate en revanche pas particulièrement d’héritage familial d’une "fibre entrepreneuriale", même si cela aide évidemment si l’on est enfant d’entrepreneur, ne serait-ce que dans la compréhension par son entourage des enjeux et des épreuves. Ils ont presque tous un Bac+5, ont fait des écoles de commerces ou d’ingénieurs et ont envie de changement et de prendre des risques. Une majorité d’entre eux a déjà une première expérience professionnelle, même courte. Ils s’appuient d’ailleurs surtout au départ sur des réseaux issus de leur formation et de leur première expérience professionnelle qui provoque souvent la bascule vers l’entrepreneuriat. On retrouve enfin une minorité de femmes.
Une particularité est que l’on constate un ras le bol grandissant vis-à-vis du discours autour de la "start-up nation", qui a tendance à gommer à la fois les difficultés du parcours et la diversité des modèles d’entrepreneuriat. Contrairement au mythe qui peut véhiculer une image idéalisée de l’entrepreneuriat, entrepreneur est une aventure très éprouvante et difficile. Certains ne se projettent pas dans l’idée d’une croissance rapide pour une revente rapide ou n’ont pas envie de passer par la case levée de fonds qui peut parfois s’apparenter à une forme d’évitement de l’épreuve du marché. D’autres au contraire ont besoin du temps long de la recherche ou ont des modèles industriels lourds. Même parmi les entrepreneurs dits « du numérique » ou de la tech, il y a des projections et des modèles très différents.
Enfin, les entrepreneurs que nous accompagnons s’interrogent de plus en plus sur l’impact réel lié à leur activité. Cela peut se traduire par une réflexion sur le mode de gouvernance de l’entreprise, ses statuts, sur la représentation des salariés dans les décisions de l’entreprise, ou dans la chaîne de valeur, le choix des fournisseurs ou encore le cœur même du projet, qu’on appelle la "mission" en souhaitant adresser un problème de société qui ne correspond pas forcément à un "marché". Dans ce cas, il faut inventer des business models innovants, hybrides.
Quelle importance accordes-tu à la notion d’équipe ou d’association ?
C’est un sujet central. Nous avons créé une journée de l’association au Réseau à Paris pour évoquer ce sujet. Quand un projet échoue, le problème vient souvent en partie de l’équipe, d’un désaccord sur la stratégie, de projets personnels d’un des fondateurs qui vient interférer dans le projet entrepreneurial, d’une mauvaise communication ou d’un temps insuffisant passer à cultiver son association. Près de la moitié des entrepreneurs créent avant d’avoir fondé une famille, cette étape personnelle peut par exemple venir chambouler le développement du projet en imposant une pression sur l’allocation de son temps. Ces questions autour de l’équilibre entre vie personnelle et professionnelle doivent être abordées dans la discussion entre les associés. Beaucoup croient se réaliser via leur aventure entrepreneuriale mais constatent progressivement les sacrifices que cela implique. Or, l’association peut être un atout pour mieux répartir les tâches, être soutenus, aborder les difficultés. Il faut juste bien comprendre que l’association en elle-même nécessite du travail et de l’investissement. Il y a de moins en moins de projet porté par des mono fondateurs, et c’est une bonne chose !
Que viennent chercher les entrepreneurs avec ces programmes de mentorat ?
Le premier pilier de l’accompagnement que perçoivent les postulants lauréat quand ils viennent vers nous est financier : nous permettons aux entrepreneurs d’accéder à des prêts d’honneur, à taux zéro. Le second pilier, dont la valeur supplante rapidement le premier dans l’esprit des lauréats, une fois qu’ils y ont accès, repose sur le mentorat à proprement parler au travers d’un programme de 2 ans. L’accompagnateur, qui est un chef d’entreprise bénévole, membre de l’association et le lauréat se rencontrent une à deux fois par mois, et c’est ce dernier qui définit ses besoins et les sujets qu’il veut aborder. Le troisième pilier est la communauté d’entrepreneurs accompagnés qui, réunis en promotion de 20 entrepreneurs (nous avons 3 environ chaque année, soit 60 entrepreneurs accompagnés), se réunissent régulièrement. C’est un lieu d’échanges, de conseils, de partages d’expérience très riche où la transparence et la bonne humeur règnent. Enfin, le dernier pilier est la puissance du réseau que nous constituons. Concrètement, cela se traduit par un accès à une grande diversité d’expertise : si un entrepreneur a besoin d’un éclairage en matière juridique ou RH par exemple, il devrait pouvoir trouver quelqu’un dans le réseau pour lui donner un conseil. Cette mise en réseau aide enfin à lutter contre la solitude des entrepreneurs qui peut être très pesante. Elle fournit en quelque sorte des capacités de résilience sur différents sujets.
Au final, près de la moitié des entrepreneurs nous rejoignent d’abord pour l’accès aux financements que nous permettons, l’autre pour le volet accompagnement. Mais en sortie de mentorat, ils s’accordent tous pour dire que le réseau est une expérience assez globale. Le Réseau agit également comme un label, un gage de crédibilité, pour une entreprise. On s’aperçoit que les entrepreneurs nous rejoignent pour des raisons précises mais choisissent de rester au sein du Réseau pour d’autres raisons, notamment : le fonctionnement horizontal du réseau où l’on discute de pair à pair, la liberté de parole, etc. Ces qualités sont permises par le fait qu’un des fondements de l’association est la neutralité dans l’accompagnement : les accompagnateurs n’ont pas le droit d’investir dans l’entreprise qu’ils suivent, pour éviter tout conflit d’intérêt. Ceci permet des relations désintéressées.
La vraie force de notre réseau se situe dans le fait que ce sont des entrepreneurs qui accompagnent d’autres entrepreneurs. Ces derniers bénéficient souvent déjà d’autres formes d’accompagnement par ailleurs, mais le fait de parler avec quelqu’un qui a vécu une expérience similaire est particulièrement riche. Dans beaucoup de dispositifs, les accompagnateurs ne sont pas des entrepreneurs.
Enfin, un autre enjeu pour les entrepreneurs est de parvenir à fédérer des équipes derrière leur projet car en réalité peu d’entrepreneurs sont également managers, cela s’apprend.
Qu’est ce qui explique d’après vous la forte homogénéité de profils des entrepreneurs ?
Il faut savoir qu’en réalité, l’entrepreneuriat recouvre une grande diversité de situations. S’agissant des entrepreneurs individuels qui ouvrent un restaurant ou développent une activité de taxi, il y a en réalité une grande variété de profils sociologiques. De la même façon, les repreneurs d’entreprises peuvent avoir des profils assez différents des créateurs : souvent plus âgés et plus expérimentés. Ils ont cependant tous un point commun : ce sont en très grande majorité des hommes. Il reste un vrai défi autour de l’orientation et de l’accompagnement des femmes vers l’entrepreneuriat.
Par ailleurs, devenir entrepreneur est un graal très valorisé par certains cursus de formation (écoles de commerce, quelques écoles d’ingénieur, etc…). Ça n’a pas toujours été le cas. Lorsque j’ai créé mon entreprise en sortant de mes études il y a 14 ans, on m’a fait savoir que j’étais en train de "gâcher mon diplôme"… ! C’est la raison pour laquelle, on retrouve beaucoup de ces jeunes diplômés, plutôt privilégiés, sur les rangs des wanna be entrepreneurs.
Or, développer une entreprise et créer des emplois requiert un certain niveau de compréhension de la complexité : il faut s’y retrouver dans les enjeux financiers, comptables, de droit social, commerciaux, marketing, le management, la réglementation, etc. Ceci ne veut pas dire que c’est accessible uniquement aux personnes diplômées, mais c’est un exercice très complexe. De l’autre côté, la formation peut parfois représenter un frein si elle mène à une vision réductrice et une approche trop « formelle » de l’entrepreneuriat. Entreprendre c’est avant tout une prise de risque. Il est par conséquent évidemment plus simple lorsqu’on a un matelas qu’il soit financier ou qu’il s’agisse d’un réseau, d’un diplôme reconnu, etc.
Avez-vous noté des évolutions dans les besoins des entrepreneurs ? Avez-vous récemment procédé à des adaptions de l’offre d’accompagnement ?
Le programme "Ambition" est relativement nouveau : on s’est aperçu que nombre d’entrepreneurs pouvaient avoir besoin d’une aide pour passer un cap de développement de leur projet, même après quelques années d’exercice. Nous préférons parler ici de développement plutôt que d’accélération car celle-ci connote levée de fonds, ce qui est loin d’être un passage obligé. Des entreprises ont besoin de passer un seuil sans forcément rentrer dans une logique d’hypercroissance.
Nous avons également lancé trois autres programmes récemment. L’un s’adresse plus particulièrement aux entrepreneurs sociaux ou "à mission" et permet notamment d’accompagner les entrepreneurs qui souhaitent avoir un impact direct sur des grands sujets de société. Ce sont des projets axés sur l’impact (social, environnemental…) d’un projet et non pas sur la seule performance financière. Ceci répond à une demande croissante pour laquelle nous n’avions jusqu’alors pas de réponse. C’est un programme qui va même au-delà des seuls entrepreneurs sociaux car tous les entrepreneurs sont susceptibles de se poser la question de leurs impacts et de leur utilité sociale. Un autre programme s’adresse aux entrepreneurs très innovants, souvent dans la tech et quo ont des besoins spécifiques. Enfin, nous avons créé un programme qui s’adressent aux femmes entrepreneurs car on prend la mesure des barrières cognitives et culturelles à l’entrepreneuriat féminin qui peuvent exister.
Faites-vous une différence entre start-up et entreprise en développement ?
Une start-up est communément associée à une entreprise « tech » qui lève des fonds pour aller vite. Aujourd’hui beaucoup d’entrepreneurs sont associés à des startupers, même si en réalité une grande partie ne se reconnaissent pas voire refusent ce modèle de développement. En tout cas, au sein du Réseau Entreprendre, nous ne faisons pas de différence dans la façon dont nous accompagnons les entrepreneurs.
Mon avis personnel est que le discours autour de la "start-up nation" ne fait pas que du bien à l’entrepreneuriat. Il laisse présager aux entrepreneurs un succès rapide, sur valorise la levée de fonds et le secteur de la tech. Or, c’est le cas d’une minorité d’entre eux. Cela dit, le phénomène start-up a aussi permis la réorientation de certains capitaux vers l’entrepreneuriat, ce qui est très positif.
La "transmission" de son expérience par les entrepreneurs sur laquelle repose le Réseau est-elle une envie partagée ? Sur quoi repose-t-elle ?
Le Réseau Entreprendre promeut en effet la réciprocité : nous encourageons fortement les mentorés à s’investir dans le réseau. La transmission peut revêtir plusieurs formes. La première consiste à raconter ce que l’on a vécu, à objectiver les étapes par lesquelles on est passées. Tous les entrepreneurs ont d’une certaine façon envie de témoigner car ils ont le sentiment de s’être confronté à une aventure personnelle incroyable. Une seconde forme de transmission se rapproche d’un engagement vis-à-vis des jeunes entrepreneurs et implique de prendre du temps. Cette démarche ne vient pas spontanément ; elle doit être encouragée. Cette dynamique peut être très stimulante pour les entrepreneurs qui transmettent qui sont, par nature, des personnalités très curieuses. Evidemment, une partie de cette réciprocité vient du fait d’être membre, de cotiser à l’association pour soutenir le réseau et ses permanents qui font un boulot énorme.
Qu’est ce qui fait un "écosystème" fertile pour l’entrepreneuriat ? Qu’est ce qui manque aujourd’hui pour accompagner les entrepreneurs dans leurs projets ?
Plusieurs éléments rentrent en ligne de compte. Un point important est de parvenir à un meilleur équilibre dans le discours autour de l’entrepreneuriat. Il existe un fort décalage entre la projection sociale autour du startuper, un futur multimillionnaire parti de rien, et la réalité de l’entrepreneuriat qui est une aventure difficile. Il s’agit de continuer à stimuler le désir d’entrepreneur sans tomber dans une représentation idéalisée et trompeuse.
Un second point marquant porte sur les réponses à apporter pour aider à minimiser les risques que prennent les entrepreneurs. Si l’entrepreneur fait parfois figure de "héro contemporain", concrètement, il est en proie à une précarité dans de nombreux domaines au quotidien (accès à un logement, un prêt bancaire, etc.). Il s’agit de trouver une place plus sécurisante aux entrepreneurs pour leurs démarches quotidiennes.
Une autre voie intéressante est celle de la solidarité entre l’ensemble des acteurs économiques, en facilitant les premières commandes de grandes entreprises vis-à-vis de start-up. Les systèmes d’achat et les pratiques peuvent sans doute évoluer dans ce sens. L’accompagnement des créateurs dans leur "cycle de vie entrepreneurial" est aussi une question importante : comment les aider à gérer la succession de leur entreprise ? leur engagement dans un nouveau projet ?
Enfin, le développement des compétences managériales des entrepreneurs est un enjeu essentiel. Ils ont avant tout une forte capacité à faire advenir une idée qu’ils portent, mais ne sont pas forcément bons managers. Ils ont rarement les moyens de faire de la RH correctement et bricolent en permanence. Cela mène parfois à des situations complexes dans l’entreprise qui pourraient être évitées avec un accompagnement dédié.
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