Dix réponses sur l’entrepreneuriat innovant
Étude
Après 3 ans d’analyse d’une cohorte de 200 entreprises du territoire grandlyonnais, qui dessine les grandes caractéristiques de l’entrepreneuriat innovant, découvrez notre synthèse.
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Interview de Gilles Fedak
<< Le transfert technologique est une étape sur laquelle quasiment tous les chercheurs s’interrogent au bout de 10-15 ans. Il y a déjà trois start-up qui sont issues de mon équipe de recherche, ce n’est plus quelque chose d’exceptionnel maintenant >>.
iExec propose un service nouveau qui s’apparente à un « airbnb du serveur informatique ». La jeune entreprise entend développer une place de marché qui mette en relation des offreurs (serveurs et data centers) avec des demandeurs (applications et développeurs) de la ressource de calcul, sans intermédiaire. Elle se base sur des travaux de recherche menés à l’INRIA ainsi que sur la technologie blockchain.
Gilles Fedak, co-fondateur d’iExec, revient sur les moments clés de son parcours de chercheur devenu entrepreneur.
Comment en êtes-vous venu à l’entrepreneuriat ?
Je ne me suis jamais particulièrement projeté en tant qu’entrepreneur. C’est plus le projet qui m’a porté, iExec étant un peu la continuité de mes travaux de recherche à l’INRIA. Nous sommes ce qu’on appelle une « deeptech », à savoir un projet typique issu de la recherche scientifique. C’est un aboutissement logique : tout chercheur se pose un jour la question de l’impact et du sens de ce qu’il produit. Comment peut-on faire quelque chose qui dépasse le cadre de la publication scientifique ? Le transfert technologique est une étape sur laquelle quasiment tous les chercheurs s’interrogent au bout de 10-15 ans. Il y a déjà trois start-up qui sont issues de mon équipe de recherche, ce n’est plus quelque chose d’exceptionnel maintenant.
Je me suis rendu compte que mes travaux de recherche autour des systèmes de calcul distribué qui permettent d’exécuter des calculs très complexes pouvaient faire l’objet d’une valorisation scientifique. J’avais identifié une opportunité business prometteuse en croisant ce type de système de calcul avec les cryptomonnaies, et la technologie blockchain associée.
Dans quel contexte l’aventure a-t-elle démarré ?
Nous avions déjà amorcé quelque chose en 2012 via un financement pour du transfert technologique, mais je pense qu’on n’était pas assez au clair à ce moment-là dans l’équipe sur ce qu’on voulait faire et que personne ne voulait prendre le lead. Pour ma part, je voulais rester chercheur et non pas devenir entrepreneur.
Trois ou quatre ans plus tard nous étions plus matures, en tout cas moi je l’étais, et il y avait une superbe opportunité avec le développement des cryptomonnaies. C’est alors allé très vite. On s’est lancé à deux, avec un collègue avec qui j’ai travaillé à Paris et à Lyon. Il était en Chine quand j’ai eu l’idée et que je me suis adressé à lui. En Chine, les cryptomonnaies étaient beaucoup plus développées qu’en France, c’était déjà un outil de financement alors qu’en France c’était balbutiant.
Quels ont été les tournants déterminants de votre projet entrepreneurial ?
Le premier moment décisif a été la Conférence internationale Ethereum à Shanghai en septembre 2016. Nous y sommes allés pour « pitcher » notre idée et rencontrer du monde. Au final, nous avons constitué là-bas, en trois jours, le réseau qui nous accompagne toujours aujourd’hui. C’était le premier moment où Ethereum commençait à avoir un peu d’ampleur, un moment d’effervescence incroyable.
L’autre moment déterminant est l’ICO pour Initial Coin Offering qu’on a réalisé en avril 2017. Il s’agit d’une levée de fonds un peu particulière puisqu’elle consiste à créer et vendre sa propre cryptomonnaie. Nous avons créé le RLC que nous avons vendu contre des bitcoins. C’était un événement extraordinaire, humainement, mais aussi pour la suite de l’aventure parce qu’on a levé l’équivalent de 11 millions de dollars en quelques heures ! C’était la 5e plus importante ICO mondiale, et nous l’avons fait avec trois bouts de chandelle… ! C’était intense, il y avait une prise de risque très importante parce que nous n’étions pas à l’abri d’un bug ou d’un hack, et que nous ne savions pas du tout ce que ça allait donner. Nous avions misé sur un minimum de 2 millions de dollars et un maximum de 12. Concrètement, on a fait cela en mangeant des pizzas dans un petit appartement à Paris chez une personne qu’on avait rencontrée à la DevCon : on était complètement dans le cliché de la start-up !
Comment vous êtes-vous fait aider pour réussir cette levée de fonds un peu particulière ?
En fait notre passage à la DevCon était une étape préparatoire de l’ICO, les personnes que nous avons rencontrées nous ont aidés à bien calibrer le processus. Je pensais au début que c’était un petit projet de quelques centaines de milliers d’euros, mais on m’a fait prendre conscience que c’était un plus gros projet, qu’il fallait viser plus haut. Les personnes qui nous ont conseillés sont celles qui font partie des communautés Ethereum, internationale et française, rencontrées à la DevCon et dans des événements sur les cryptomonnaies.
Après l’événement, il y a eu un effort de consolidation et de régularisation de notre situation parce que tout était nouveau : personne ne sait comment une cryptomonnaie se comptabilise. C’était un peu la « gueule de bois », nous étions dans un gros flou juridique, fiscal et comptable… ! Il fallait aussi désormais passer au concret et commencer à construire à ce qu’on avait promis à nos investisseurs.
Comment avez-vous été intégré à cette communauté Ethereum ?
J’ai participé à de nombreux meet up et conférences sur les cryptomonnaies pour aller à la rencontre de ces communautés partout dans le monde, en Allemagne, en Ukraine, à Londres, en Chine… Nous y avons fait la promotion du projet et rencontré beaucoup de personnes. Le monde des cryptomonnaies est vraiment un monde à part. Arriver dans ce milieu en tant que chercheurs nous conférait une forte crédibilité. Nous avons eu près de 1 000 investisseurs au total. En fait une ICO conjugue une levée de fonds auprès de grands investisseurs, l’équivalent d’un Kickstarter auprès d’une communauté et une introduction en bourse parce que les tokens que l’on crée sont immédiatement listés en bourse.
Être entouré par une communauté nous est essentiel. Nous sommes suivis pas plus de 4000 personnes maintenant. Nous publions régulièrement du contenu pour animer cette communauté. Ce sont des passionnés, qui pour certains ont investis dans notre projet. Tout le monde a intérêt à ce que ces technologies se développent et se diffusent. Ce sont d’ailleurs des membres de cette même communauté, des « white hat » ou pirates bienveillants, qui nous ont sauvés d’une cyber-attaque en septembre 2017. Des hackers nous avaient dérobé tous nos fonds, près de 40 millions de dollars à l’époque. Ils ont réussi à identifier la faille de sécurité et à retrouver nos fonds alors que je ne connaissais même pas ces personnes ! Cela témoigne la forte solidarité qu’il y a au sein de la communauté.
Concernant les enjeux de gestion au quotidien et de croissance d’une entreprise, sur quelles autres ressources vous êtes-vous appuyées ?
J’ai suivi une formation à l’EM Lyon pour me mettre à niveau sur le volet management et la finance d’entreprise, au moins pour être capable de discuter avec mon comptable ! Mais le plus compliqué ça n’est pas la gestion d’une entreprise en tant que telle, il y a énormément de gens qui gèrent des entreprises, ça peut globalement s’apprendre sur le tas. En revanche ce qui est le plus compliqué c’est bien le développement de notre offre, et là-dessus personne ne peut vraiment nous aider.
Il faut en fait savoir s’entourer des bonnes personnes. Ça n’est pas évident, il faut faire les bonnes rencontres. Le passage par cet ICO qui était un peu un OVNI dans le parcours entrepreneurial, nous a rendu service. Le passage de chercheur à entrepreneur a été facilité, car tout était neuf pour tout le monde. On pouvait être convainquant et embarquer les gens avec nous.
Nous avons par exemple rencontré un banquier qui a été très facilitateur, car la plupart des projets comme le nôtre ont beaucoup de difficulté à accéder à des services bancaires. J’ai rencontré mon avocat à la DevCon : il est capable de me conseiller sur les procédures liées à l’ICO, ce qui est très précieux et rare ! Nous avons créé un petit cercle autour de nous avec des juristes, des financiers, des développeurs, qui pendant un an nous a nourri. La plupart d’entre eux sont à Paris, mais je suis sûr de les croiser sur les événements sur la blockchain où je me rends.
Comment s’est passée la transition de l’INRIA à iExec ? Quels liens entretenez-vous avec l’INRIA ?
J’étais encore fonctionnaire quand on a fait la levée de fonds et ce jusqu’en octobre 2017, je suis d’ailleurs passé par une commission de déontologie pour qu’elle m’accorde le droit d’être dirigeant. Avant l’ICO je m’étais renseigné pour trouver un statut spécifique, à mi-temps, pour diriger la société et garder un pied à l’INRIA. Mais une fois que je me suis retrouvé avec 11 millions pour développer le projet, je ne pouvais pas rester à mi-temps ailleurs. J’étais trop engagé pour faire demi-tour, il fallait que je me consacre pleinement à ce projet.
Nous avons encore des liens forts avec l’INRIA même si on n’a encore rien de très formel. Je suis très lié au monde académique, nous collaborons avec l’université Shanghai Tech, avec Dresde, nous allons recevoir un chercheur de Vancouver, etc. Cela fonctionne comme un gros laboratoire de recherche privé ici finalement !
Quel rapport entretenez-vous avec l’écosystème « start-up » du territoire ?
En 2012 on avait d’abord suivi tout le parcours traditionnel d’accompagnement mais je n’avais pas du tout trouvé ça porteur. Les gens ont une vision très précise de la façon dont une start-up doit être développée, ça doit rentrer dans des cases. Quand on est chercheur en France on nous infantilise, on pense qu’on n’y connait rien en business. Or, il n’y a rien pour moi qui justifie qu’on ne fasse pas confiance à des chercheurs sur leur capacité à développer une entreprise. Nous avons aussi préféré éviter les parcours de valorisation scientifique classique parce que ça va trop doucement à mon goût.
Nous sommes les mieux placés pour savoir comment développer notre technologie. Nous nous sommes donc lancés hors des circuits classiques d’accompagnement.
Au final, je ne connais pas l’écosystème lyonnais. Nous sommes tournés sur l’international, avec un fort tropisme sur le monde des cryptomonnaies. Il y a d’ailleurs des choses très intéressantes qui se passent à Lyon dans ce domaine. Nous avons participé au BlendWebMix qui est un lieu intéressant pour les rencontres. C’est sans doute un tort de ne pas prendre le temps de s’intégrer davantage à l’écosystème local, car le partage avec d’autres dirigeants est toujours très riche.
Dans quelle mesure vous reconnaissez-vous dans le modèle de développement d’une start-up ?
Je n’ai pas du tout la culture « start-up », ça n’est pas mon monde. D’ailleurs, iExec n’est pas une start-up : nous sommes dans la décentralisation, notre business model n’a rien à voir avec celui des start-up, notre mode de financement non plus. Je pense que l’on fonctionne plus comme un petit laboratoire de recherche que comme une start-up. L’effort va dans la technologie, tandis que le marketing chez nous consiste à expliquer à notre communauté ce qu’on fait au jour le jour. En termes de vitesse, les cryptomonnaies sont également un monde beaucoup plus rapide et violent que les start-up : c’est les montagnes russes ! Nous sommes passés de l’échelle « rien » à l’équivalent d’une société cotée en bourse en quelques heures : ça va très très vite ! A une époque on avait une valorisation qui était supérieure à 200 millions de dollars, et là nous sommes retombés à 13 millions.
Je pense toutefois que ces écosystèmes start-up et cryptomonnaie vont se rejoindre un jour. Il y a des ponts qui se développent. Pour l’instant le Bitcoin n’a pas bonne presse, mais quand tout va se stabiliser, ça sera une technologie d’avenir.
Quels nouveaux défis vous attendent pour l’année 2019 ?
Nous sommes dans la phase construction et de développement. Notre feuille de route est encore très technologique : il nous faut gagner en efficacité et intégrer au mieux les évolutions de la technologie blockchain. Nous sommes dépendants de cette technologie qui a encore des challenges à résoudre. C’est un défi collectif auquel nous contribuons. C’est très stimulant, ça ressemble à l’effervescence qu’il y avait aux débuts d’Internet.
Nous allons aussi travailler à la commercialisation. Nous allons devoir trouver le « market fit » : nous sommes en train de construire un outil, il nous faut maintenant trouver les domaines et les acteurs pour lesquels ça sera le plus utile. Nous tendons d’ailleurs à rejoindre un modèle de développement qui s’assimile à celui d’une start-up lambda maintenant.
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