Dix réponses sur l’entrepreneuriat innovant
Étude
Après 3 ans d’analyse d’une cohorte de 200 entreprises du territoire grandlyonnais, qui dessine les grandes caractéristiques de l’entrepreneuriat innovant, découvrez notre synthèse.
Interview de Franck Morize
<< C'est uniquement dans le rapprochement des mondes des start-up et des PME qu'on créera véritablement de la valeur et des emplois. >>.
La CPME (Confédération des petites et moyennes entreprises) est un syndicat patronal qui couvre l’ensemble des champs économiques. Au-delà de ce rôle, la CPME du Rhône est une PME de service qui contractualise l’adhésion, en contrepartie de conseils, d’accompagnement et de dispositifs de fertilisation croisée des entreprises. En effet, la CPME dispose d’un programme d’incubation et d’accompagnement de start-up, qui permet des mettre en contact les start-up et les autres PME. Franck Morize, Secrétaire Général de la CPME du Rhône, partage son regard sur l’apport des start-up aux autres entreprises plus traditionnelles.
Dans vos dispositifs, quelle différenciation faites-vous entre les start-up et les entreprises plus classiques ?
Une start-up, c'est une boîte qui se crée avec un projet "disruptif" et à fort potentiel - ce serait bien qu'il y ait des scale-up aussi -, à fort potentiel de développement. C'est sur cette base qu'on les sélectionne dans nos dispositifs. En effet, nous sommes un lieu de fertilisation de start-up : on en compte une centaine qui veulent rentrer chez nous, puisque c'est 35 euros le poste, ce qui défie toute concurrence. En contrepartie de conditions tarifaires privilégiées, les start-up donnent de leur temps à tous les autres adhérents qui n'ont pas pris le virage du numérique, de la mutation techno. Tous ne vont pas devenir des licornes tout de suite. Mais en tout cas, c'est ce qui participe, compte tenu de ces mutations, notamment techno, à l'esprit entrepreneurial qui est insufflé sur le territoire. Je pense qu'on y a contribué, tous les acteurs, parce qu’on travaille main dans la main avec le Medef, la CCI, la CMA, la CPME, plus le Grand Lyon, auxquels on a rajouté l'université de Lyon, on a monté le Grand Lyon - Esprit d'Entreprise etc., et c'est ensemble qu'on participe à cet esprit insufflé.
Vous parlez d'exemples de la part des start-up pour les autres entreprises, concrètement, cela se fait comment ?
On organise des échanges, à travers des « tea-time », on a même un book de compétences avec des références pour nos adhérents : lancer une opération de crowdfunding, construire une stratégie, se lancer dans les réseaux sociaux, une politique de référencement, les nouvelles formes de management... Dans tout ça, les compétences sont assumées, portées par des startuppers, et on fait venir, à travers ce qu'on appelle des tea-time, ou des échanges en BtoB, nos adhérents, pour qu’ils viennent puiser dans cette intelligence-là, nouvelle. Sans renier leur intelligence à eux, bien-sûr.
Et justement, avec les taux d'échecs qu'on entend assez souvent, est-ce que ce n’est pas dangereux de miser sur ces start-up ?
Ce n'est pas dangereux parce que ce serait dommage de ne pas le faire, de ne pas participer à cet élan. J'ai l'habitude de dire : « On n'arrête pas un cheval au galop. » C'est un peu comme les micro-entrepreneurs : ça peut être dangereux de ne pas participer ou de les accompagner, parce qu'ils font de la concurrence déloyale à nos PME installées, parce que la franchise de TVA etc. Mais on n'arrête pas cette tendance. On voit bien, 600 000 créations d'entreprises sur la France, 300 000 micro-entrepreneurs... On n'arrête pas ça. Donc il faut y participer, mais il faut être vigilant, effectivement.
La réalité, c’est que la création de valeur et d'emploi, elle est chez les autres types d’entreprises : on a en moyenne trois emplois pour les start-up, c'est tout, donc ce serait une erreur colossale de négliger les autres types d’entreprises. Et pour moi la valeur ajoutée est dans le rapprochement des mondes : Non pas de privilégier les start-up ou les PME, mais de rapprocher l'un et l'autre dans les intérêts réciproques des deux. C'est tout ce qu'on doit faire. Pour autant, par rapport aux échecs des start-up, pour éviter ça, il faut que les entrepreneurs bénéficient d'un écosystème très important, qui leur permette de se rapprocher des autres mondes. C'est pour ça que des lieux, il en faut. Des lieux inspirants, des rapprochements, des événements, pas que des dispositifs, tout.
Concrètement, la notion de start-up correspond-elle aux entreprises que vous avez ? Ou avez-vous aussi des entreprises à forte croissance qui ne sont pas des start-up ?
On en a plein [des entreprises à forte croissance qui ne sont pas des start-up] ! Des belles boîtes... quand je dis des belles boîtes, pour moi, une boîte de 30 personnes c'est une très belle boîte, contrairement à une idée reçue. C'est là où on n'a pas été très bon, c'est qu'on n'a pas réussi à faire entendre qu'une boîte de trente personnes, elle faisait déjà partie des 2% des entrepreneurs de France qui en ont plus que 20. L’entrepreneur est donc déjà plus qu'un héros. Eh bien, des belles boîtes comme ça, qui croissent parce qu'on les accompagne à l'international, parce qu'on les accompagne en innovation, qui bénéficient de ce qu'on appelle notre dispositif CPME Camp... On en voit tous les jours. Et ce ne sont pas que des start-up ! Et ces entreprises se développent encore plus volontiers quand on les rapproche des start-up : ça leur ouvre quand même l'esprit, c'est ça, l'intelligence. Elle est vraiment dans le rapprochement des deux mondes.
La politique de la CPME est-elle plutôt de promouvoir la diversité ou de se concentrer uniquement sur les meilleurs projets ?
Les projets emblématiques, les meilleurs projets, sont ceux qui arrivent à fédérer des typologies d'entreprises diverses et différentes. Donc il nous faut tout le monde. Avec le CPME Camp, on a trois jours pour passer de l'idée au prototypage. On prend une vingtaine de projets, on y met des grands groupes (Keolis, Groupama) qui challengent les PME et les start-up. On y fait aussi venir des étudiants de l'EM Lyon, de l'INSA, etc. On crée de l'intelligence collective sur des projets. Vraiment, c’est ce qui fonctionne le plus. Et c'est pour ça qu'on souhaitait s’ouvrir sur l’interprofessionnel : on va couvrir tout le commerce, les services, l’industrie, l’artisanat, on vient même de créer une section d’entrepreneurs libéraux : des experts-comptables, des avocats, des pharmaciens, des courtiers, qui se font disrupter par les legaltech et l’IA, qui doivent devenir de vrais entrepreneurs… Donc nous, le but du jeu, c'est de ne surtout pas avoir une approche segmentée, puisque la valeur ajoutée de l'organisation CPME du Rhône est dans le rapprochement de gens qui sont différents, en termes de taille et de secteur.
Comment faire pour développer des entreprises qui se trouvent dans ce rapprochement des mondes ?
À mon avis, ce n’est pas une question de taille d’entreprise, c'est à chaque fois une question d'ouverture d'esprit du patron. Quand vous avez 50/55 ans, que vous avez encore des ambitions pour votre boîte mais que des jeunes start-upper – un jeune de 25 ans parce que c’est plus souvent porté par des jeunes – vous disent « il faut revoir le modèle, faire un 360° », en termes d’ouverture d’esprit, ce n’est pas donné à tout le monde, il faut qu’on se dise cette vérité. La différence se fait là. C'est une question de maturité aussi. C'est compliqué, pour un patron seul de tout gérer. Les contraintes quotidiennes, les mutations technos dont on lui parle toute la journée, qui peuvent être parfois anxiogènes. Et pourtant, on en a qui réussissent dans tous les domaines. Dans le domaine du textile, qui est dit sinistré, là, il y a une entrepreneuse emblématique qu'on met en avant, qui est en train de révolutionner son modèle [Marie-Pierre Dumaine, groupe Valtex].
Comment voyez-vous évoluer l’économie sur Lyon dans les prochaines années ?
J'espère que notre farouche conviction selon laquelle c'est uniquement dans le rapprochement des mondes qu'on créera véritablement de la valeur et des emplois portera ses fruits, que ça ne soit pas un soufflé qui retombe. Quand je vois ce que fait une énorme entreprise, dite inerte hier, qui s'appelle La Poste, quand je vois la façon dont elle réforme, elle se révolutionne... Mais c'est fantastique ! La French Bank, les emplois à domicile, la réhabilitation des centres-bourgs, c'est fantastique. Après, ce n’est pas une start-up, donc il ne faut surtout pas négliger les autres modèles. Mais elle se renouvelle aussi en prenant des participations dans les start-up. Si les start-up pouvaient être au moins inspirantes pour imposer ou faciliter aux grandes entreprises leurs réformes… Parce que les grandes entreprises se rapprochent plus des administrations dans leur mode de fonctionnement avec leurs process, la négation de l'agilité ou de l'aspiration à la liberté... Donc pour moi, l'enjeu est dans le rapprochement ; et pas qu’entre eux. Si au H7, on les fait seulement se rencontrer entre start-uppers, on aura failli. Derrière, il faut créer de la richesse, de l'emploi, il faut constituer des carnets de clients.
Donc toutes les critiques sur les start-up, qui ont monté en puissance ces dernières années, les partagez-vous ?
Moi je trouve ça bien, qu'il y ait un élan entrepreneurial. Je trouve ça fantastique qu'aujourd'hui, quand on va à l'EM Lyon, vous avez pas mal d’étudiants qui, il y a 20 ans, voulaient rentrer dans l'administration, il y a dix ans, voulaient rentrer dans la finance internationale et là maintenant, ils veulent créer leur boîte. Chapeau ! Donc on ne peut pas condamner ça. Il y a un vrai élan, qu’il faut certes relativiser, qu’il faut essayer de maitriser, dans le sens qu'il ne faut pas que ça se fasse aux dépends des autres mondes, qui créent aussi de la valeur. Pour les start-up, la réalité, c’est qu’en termes de création d’emploi, on est loin du compte, de la « start-up nation ». En matière de levées de fonds, on est loin du compte aussi.
Et vous parliez de nouvelle économie. Quelle différence faites-vous avec l'ancienne économie ?
Je pense que la différence majeure, c'est la technologie, mais aussi la définition nouvelle des entreprises. On voit bien, les pyramides qui sont mises à l'envers, les entreprises dites libérées. C'est le sens nouveau accordé à l'entreprise, qui va devenir à la fois capital pour recruter et fidéliser les compétences, mais sans être dupe, c'est-à-dire que ça ne suffira pas pour les conserver. Au même titre que les start-uppers sont des consommateurs de l'écosystème, les jeunes sont des consommateurs de boîtes. Et ils passent de l'une à l'autre pour donner du sens à leur existence professionnelle. C'est une certaine liberté, et un vrai défi lancé à nos entrepreneurs pour arriver à donner du sens à leur entreprise dans la durée.
Et les entreprises de l'économie sociale et solidaire ne sont-elles pas déjà dans cette jonction entre nouvelle économie et ancienne ? Parce qu’elles n’ont pas une croissance aussi rapide que les start-up, mais elles cherchent à répondre à des problèmes de société.
Je ne pense pas que ce soit la synthèse des deux. L'ancienne économie aussi aspirait à exploser. Mais avec moins de moyens et d'autres valeurs. Moins de moyens technos, moins d'opportunités, donc il faut se remettre en cause pour les digérer, les assimiler, ces technos-là. Et des valeurs différentes qui reposaient effectivement sur une structure plus hiérarchique. Mais les boîtes traditionnelles aspiraient aussi à se développer. Mais je pense en revanche que l’ESS répond aujourd'hui à une évolution en termes de valeurs, ça c'est sûr. Et notamment auprès des jeunes générations, qui pensent que faire du résultat net n’est pas la seule fin, n’est pas le seul objectif de l'entreprise. Que cette entreprise-là doit aussi essayer d'embrasser des maux, de solutionner, des problématiques sociétales, des problématiques environnementales. Mais ce n’est pas une synthèse.
Concrètement, sur quels enjeux la CPME aurait à se placer par la suite ?
Maintenant, l'enjeu, c’est clairement de faire croître les entreprises. Mais après c'est un vrai métier. Nous, on a fait se croiser les PME et les start-up à un niveau modeste. Mais ça a vocation à profiter à tout le monde. Mais, après, si ça devait se développer, je pense qu'il faut que ça sorte du seul périmètre patronal.
Quelles sont les particularités d’une start-up par rapport à une entreprise classique, à votre échelle à vous ?
En fait, ce qui différencie non pas les entreprises mais les entrepreneurs, c'est qu’ils ont moins de scrupules. Ils ont parfois presque plus de certitudes, ce qui peut être dangereux, mais en tout cas, ils croient en eux, beaucoup plus que les patrons d'hier. Qui étaient plus dans le doute, dans la gestion de la complexité, etc. Dans le droit du travail qui était lourd, dans les prélèvements obligatoires pesants, dans le risque prudhommal qui planait, etc. Là, aujourd'hui, tout est possible parce qu'ils vivent l’entrepreneuriat avec une légèreté, avec une hauteur… Si ça marche, ça marche, si ça ne marche pas, on va capitaliser sur cette expérience. Avant, l'échec était vraiment insupportable pour nos patrons. Or, l'échec, il est inhérent au risque. Si tout le monde prend des risques, forcément, il y aura des échecs, mais on aura réglé beaucoup de problèmes. Or, ceux qui prennent le plus de risques, notamment sur leur propre argent, ce sont les patrons de PME. Donc ceux-là, ce sont déjà des héros. S'ils échouent, s'ils doivent déposer un bilan, ce n’est pas grave. Eh bien, avant, cet échec était mal vécu. Et d'ailleurs le système les condamnait : les banques pour prêter etc. Aujourd'hui, ça change du tout au tout. Le rapport à la personne morale, il est différent : il est beaucoup plus distant, beaucoup plus lâche. C'est formateur, c'est une aventure, c'est un volet de la vie. C'est fantastique.
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