Dix réponses sur l’entrepreneuriat innovant
Étude
Après 3 ans d’analyse d’une cohorte de 200 entreprises du territoire grandlyonnais, qui dessine les grandes caractéristiques de l’entrepreneuriat innovant, découvrez notre synthèse.
Interview de Mathieu Viallard
<< Il manque encore à Lyon des start-up dans le digital qui font office de références au niveau national voire au-delà ; peu sont connues du grand public. Alors que ce sont bien les vaisseaux amiraux qui créent le terreau de futures start-up >>.
Axeleo accompagne depuis 2013 des start-up dans la région lyonnaise et parisienne avec des programmes d’accélération sur mesure et un fond de capital-risque. Cet accélérateur est spécialisé dans l’accompagnement de start-up dans le digital et en BtoB, à raison d’une dizaine par an environ.
Mathieu Viallard, un des co-fondateurs d’Axeleo Capital, partage son regard de témoin du parcours et des profils des startuppers qu’il croise, et son regard d’acteur de l’écosystème d’accompagnement des entreprises innovantes qui évolue et se réinvente en permanence.
Quel rôle joue Axeleo au sein de l’écosystème d’accompagnement des start-up ?
Axeleo a été créé fin 2013 à l’initiative d’un collectif d’entrepreneurs qui voulaient mettre en place une solution à destination des start-up dans le BtoB [business to business] pour les aider à sortir du cercle des early adopters. On a une très bonne capacité d’ingénierie en France pour mettre les produits dans les mains d’early adopters, mais c’est souvent plus compliqué de passer à l’étape supérieure. Ce qui fait qu’on a en France un grand nombre de start-up qui font entre 100 000 et 500 000 d’euros de chiffre d’affaires. Par contre, on n’en a pas beaucoup qui font plus de 5 millions d’euros de chiffre d’affaires.
Axeleo a été créé pour aider les start-up à franchir ce cap. Pour ce faire, on les accompagne sur plusieurs étapes : design de l’offre, business model, stratégie marketing, accès au marché, recrutement pour aller chercher des top managers. Le recrutement est souvent un enjeu essentiel : il est d’une part difficile de trouver des managers de très bon calibre et d’autre part d’avoir des dirigeants qui acceptent de recruter meilleur qu’eux et de déléguer. Nous avons conçu notre programme d’accélération sur ces différents constats pour être très opérationnel dans l’accompagnement, d’autant plus que nous faisons du sur mesure selon les besoins des start-up. Ce programme fonctionne avec l’aide de partenaires, d’entreprises et d’acteurs associés. Axeleo a créé dès le début un groupe, entre Lyon et Paris, autour de personnalités du monde de l’entreprise, qui passent du temps avec nos startupers. Les programmes durent 6 à 18 mois et nous calibrons les modules et les interventions en fonction des besoins de chaque start-up. Nous fonctionnons à l’inverse des modèles par promotion où la sélection se fait par candidature et ouvre sur un programme commun pour une période prédéfinie. Dans notre modèle, un expert marketing va adapter son discours : tout ce qu’il dit va être utile directement pour la start-up. Nous sélectionnons entre 8 et 10 start-up par an au niveau national.
Quelles sont les start-up que vous accompagnez ? Quels profils ciblez-vous ?
A partir du moment où les entrepreneurs sont bons et qu’on est dans le digital BtoB, nous n’avons pas de critères fixes. L’accélération concerne toutefois les entreprises qui font entre 100 000 (parfois moins, voire même zéro) et 500 000 d’euros de chiffre d’affaires. Ce sont souvent des sociétés qui ont multiplié les proof of concept et que nous accompagnons dans leur déploiement à plus grande échelle. Il faut qu’elles aient un product market fit : qu’elles soient capables de vendre leur produit à court terme. Nous sommes très orientés business et marketing et assez peu pertinents sur la phase amont du développement de produit.
Les activités qu’on apprécie et qu’on accompagne sont centrées autour de la ville intelligente (ForCity à Lyon par exemple), des smart industries (maintenance productive, logistique..., iFollow, Ermeo), des logiciels d’entreprise (365e Talents, Tilkee), la cyber-sécurité (Alsid, Yogosha) ou encore l’innovation dans le retail (fidélisation, publicité avec des sociétés comme Happydemics ou Vectaury).
Le modèle d’accompagnement et les services que vous proposez évoluent-ils ? Dans quel sens ?
Nous nous sommes rendu compte que ce modèle fonctionnait bien, mais nous avons aussi fait le constat que lorsque les sociétés se développaient, elles devenaient d’excellentes candidates à un tour de table dit « de série A » auprès d’investisseurs. Elles avaient alors atteint un niveau de maturité qui leur permettait de lever plusieurs millions d’euros pour financer leur croissance. Nous poussions ainsi en quelque sorte des beaux dossiers de start-up largement « dérisquées » vers des investisseurs, car nous étions incapables de les financer par nous-mêmes. Nous avons donc saisi l’opportunité de monter un véhicule d’investissement pour continuer à les accompagner sur ce volet-là. Nous avons beaucoup réfléchi au schéma idéal, à l’équilibre entre accélération et investissement, car c’était nouveau en 2016 de combiner les deux activités. Nous avons travaillé avec l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) pour créer une société de gestion afin de gérer pour le compte de tiers tout en conservant notre activité d’accélérateur. L’intérêt d’avoir l’agrément de l’AMF (que les plus petits investisseurs n’ont pas) c’est que l’équipe de gestion est décisionnaire sur les investissements.
Nous avons aujourd’hui 45 millions d’euros sous gestion ce qui nous permet d’investir au capital des startups du digital B2B des « tickets » de 400 à 800 000 d’euros « en seed », soit sur le tout premier tour de table, (coïncidant avec le démarrage du programme d’accélération) puis nous pouvons monter jusqu’à 4 millions sur les tours de table suivants (série A/B), très souvent après la fin du programme d’accélération.
Nous finançons quasiment exclusivement les entreprises que nous accompagnerons via l’accélérateur. Il y a suffisamment de fonds généralistes en France, surtout dans le digital, pour financer des start-ups. Par contre la combinaison entre accélération et investissement créé beaucoup de valeur et permet de déverrouiller certains sujets. Nous avons donc vocation à conserver cette double activité.
Comment choisissez-vous les start-up que vous accompagnez ? Quels critères et qualités étudiez-vous ?
Nous regardons davantage la proposition de valeur que la technologie ou le produit, c’est-à-dire dans quelle mesure l’entrepreneur vient répondre à une problématique avec un produit idoine. Il faut que les dirigeants aient bien identifié la problématique qu’ils souhaitent adresser. Au final, ce sont les dirigeants qui nous intéressent : nous allons d’ailleurs baser 80% de nos critères sur l’équipe. Une grande partie du temps est consacré à l’analyse des profils des dirigeants.
Que regardez-vous dans leurs profils ?
Nous regardons avant tout leur capacité d’exécution : dans quelle mesure ils sont capables de mener à bien leur projet. Il s’agit ici de vérifier qu’ils ont les compétences essentielles et complémentaires pour affronter les défis à venir dans les prochains mois. Nous ne sommes pas très à l’aise quand il faut rajouter à très court terme une compétence clé (autre qu’une compétence « support ») dans le top management. S’il y a un gros volet technologique et pas de CTO par exemple cela semble mal engagé.
Nous essayons aussi d’évaluer tout un tas de signaux faibles pour mieux cerner les dirigeants. La façon dont ils préparent les réunions par exemple est très révélatrice. Nous leur posons quelques questions pour préparer les rendez-vous pour voir comment ils les assimilent et préparent les échéances à venir. Il faut qu’ils aient compris comment interagir dans le BtoB. Nous sommes attentifs à la façon dont ils réagissent seuls ou ensemble. Nous aimons aussi aborder d’autres sujets : leur avis sur des enjeux prospectifs, ou des sujets personnels. Par exemple : est-ce qu’il ne va pas y avoir des problématiques personnelles qui risquent de mettre un petit grain de sable dans la société ? Nous menons des reference calls pour se renseigner. C’est encore plus risqué pour nous qu’un entretien d’embauche car nous investissons certaines fois plusieurs millions d’euros sur des dirigeants avec peu de références entrepreneuriales. Il faut que l’on puisse être sûrs et certains que les dirigeants qui sont en face de nous sont capables, intègres et qu’ils soient dans un véritable projet d’entreprise. La capacité à travailler avec les autres et à bien s’entourer est essentielle pour permettre la croissance de l’entreprise. Quand on est seul dirigeant et qu’on fait 1 à 1,5 millions d’euros de chiffre d’affaires, on est capable de tout suivre, mais au-delà il faut s’entourer et déléguer.
Il faut aussi qu’ils soient très à l’aise sur l’environnement digital si c’est leur domaine, avec déjà un premier réseau dans ce milieu, ce qui leur apporte à nos yeux de la crédibilité. Par exemple, si on a une start-up qui se présente dans le domaine de la cyber-sécurité qui est un milieu dont on connait les acteurs clés, nous allons vérifier que les dirigeants sont présents dans les bons réseaux. Pour ce faire, nous allons interroger notre réseau personnel pour valider les parcours et expériences des dirigeants.
Les qualités humaines sont aussi essentielles. L’humilité est appréciable, ainsi que des choses simples comme l’attitude et la politesse, la vitesse dans la réponse aux questions. Le savoir-être est primordial.
Si nous avons un tout petit doute avant l’investissement, cela veut dit qu’il va se démultiplier après ; donc parfois nous refusons des dossiers sur cette base. Nous suivons près de 1000 start-up par an et en contactons près de 300 : nous avons observé des schémas favorables et défavorables. Cela reste toutefois très difficile d’expliquer à un dirigeant qu’on ne va pas l’accompagner parce qu’on a un doute, car ça n’est pas toujours fondé sur des arguments tangibles mais sur un ressenti.
Quelle importance accordez-vous à la notion d’équipe ou d’association ?
C’est déjà beaucoup plus rassurant quand on fait face à plusieurs dirigeants et non pas à un seul. En termes de risque, de capacité d’exécution, de qualité, nous constatons que les sociétés avec un seul fondateur ont plus de difficultés car c’est très dur d’entreprendre. Il ne faut pas non plus qu’ils soient trop nombreux car ça devient plus difficile dans la répartition des rôles et du capital.
La complémentarité en termes de compétences de l’équipe dirigeante est essentielle ; c’est très rassurant de constater une répartition des rôles claire. On retrouve d’ailleurs souvent un schéma avec un dirigeant « technique » et l’autre plus entrepreneur ou commercial. La complémentarité joue aussi au niveau de la personnalité des dirigeants, c’est quelque chose que l’on doit sentir rapidement.
Y a-t-il des similarités ou des grandes tendances dans le parcours et le profil des entrepreneurs que vous accompagnez ?
Il y a très peu voire aucun fondateur qui sort juste des études. Sur 16 participations actives que nous avons prises, seule une entreprise était dirigée par deux personnes qui terminaient juste leur formation à Polytechnique. C’est un cas particulier car ces personnes apprennent tellement vite qu’on estime qu’elles seront toujours capables de se retourner si le plan A ne se déroule pas comme prévu !
La grande majorité des dirigeants a un parcours de formation solide (Bac + 5 a minima) et une ou plusieurs premières expériences, entre 3 et 6 ans, souvent dans un grand groupe technologique ou de l’innovation (ancien de Valéo, Renault, Google, Orange…). Ce sont rarement des personnes qui ont travaillé dans une PME avec une activité plus traditionnelle, sans innovation. Ils ont une trentaine d’années en général, et ont souvent identifié dans leur parcours professionnel une problématique à laquelle ils veulent répondre.
Ils ont aussi très souvent croisé des personnes avec qui ils pourraient s’associer, qui ne sont ni des amis ni des inconnus, ce qui est plutôt une configuration favorable. Ils ont encore l’énergie et la disponibilité pour créer une start-up ; ils sont capables de travailler fort pour un salaire assez bas, car on sait que c’est vraiment éreintant et que la gestion du cash les premières années est cruciale. Ce sont des personnes capables de passer 10 ans à travailler énormément, pour ensuite espérer matérialiser une partie de leur patrimoine dans le cadre d’un adossement industriel ou d’une introduction en bourse. Ensuite ils pourront profiter quelques mois et très souvent repartir pour une nouvelle aventure !
Dans quelle mesure le niveau d’accompagnement préalable des entrepreneurs joue-t-il dans votre appréciation du projet ?
Ça n’est pas un critère pour nous ; peu importe même que les dirigeants aient gagné tel ou tel concours. Notre critère, c’est d’avoir des dirigeants de qualité. Il n’y a pas de passage obligé pour les start-up et c’est tant mieux, ça veut dire que chacun a sa chance. Mais c’est vrai qu’il y a des schémas qui fonctionnent bien : si vous passez par Pulsalys ou le Village by CA, vous allez pouvoir composer correctement votre équipe, consolider un premier business model, c’est nécessaire. Ces acteurs de l’accompagnement jouent un rôle d’acculturation à la création d’entreprise. Si vous ressentez ces besoins, il y a la structure qu’il faut pour vous accompagner.
Quelle est la prochaine étape d’évolution pour Axeleo ?
Nous avons deux pistes principales d’évolution. La première est la verticalisation de l’offre. Nous sommes aujourd’hui dans le digital BtoB, mais nous nous questionnons sur l’opportunité de se spécialiser dans un des domaines sur lequel nous nous sommes progressivement spécialisés. Ça nous permettrait d’aller encore plus vite dans l‘accompagnement et le financement. La seconde piste est le développement européen. Nous demandons à nos start-up de se positionner à l’international, il faut que nous soyons capables de leur offrir des services dans d’autres pays. De fait, dans le digital BtoB, les start-up ont accès à un marché qui est très large dans le monde. Il ne faut toutefois pas sous-estimer les enjeux de déploiement, de service-après-vente, de recrutement et de gestion des équipes, lorsqu’on s’internationalise. Nous pouvons aussi les aider à trouver des relais de croissance à l’international et de nouveaux investisseurs, qui peuvent être des grands groupes industriels internationaux voire une introduction en bourse, car ce sont rarement les fondateurs qui rachètent le capital des investisseurs early-stage.
Quelle différence faites-vous dans l’accès aux ressources clés pour les start-up entre Lyon et Paris ?
Ce que l’on a des difficultés à trouver à Paris, on a aussi des difficultés à le trouver à Lyon [Les enjeux et difficultés parisiennes sont les mêmes sur le territoire lyonnais]. L’enjeu numéro un porte sur les ressources humaines et en particulier sur certains profils : développeurs full stack et commerciaux. Il y a d’une part une raréfaction de ces profils et d’autre part des exigences en termes de salaires et de localisation qui les rendent plus difficiles à satisfaire. L’afflux d’investissement dans les startup digitales a également entrainé cette inflation sur les prix et conditions, mais c’est positif ! On a forcément des prix plus intéressants pour les entreprises à Lyon quand on trouve les profils idoines. Le cadre de vie entre également de plus en plus en compte pour les start-up ; Lyon est à ce titre plus attractive sur certains aspects que Paris (immobilier, proche campagne ou montage, accessibilité etc…). Si les nouvelles générations considèrent qu’il est valorisant de travailler dans une start-up, elles recherchent aussi un cadre de vie confortable.
L’accès au capital est la seconde ressource centrale pour les startuper. Elle est d’ailleurs de moins en moins rare : entre 2017 et 2018, au niveau national, le montant investi en capital-risque a augmenté d’un tiers, alors que le nombre de start-up financées a augmenté seulement de 7%. Les capitaux croissent mais le nombre d’élus au capital-risque reste relativement stable. Il n’y a jamais eu autant d’argent en capital risque ; nous étions d’ailleurs prêts au sein d’Axeleo Capital à investir davantage l’année dernière. La limite porte principalement sur la qualité des prétendants : il manque encore trop souvent cette capacité d’exécution et d’engagement. Cela se comprend largement : créer une start-up requiert un engagement personnel exceptionnel, tout le monde n’est pas prêt à ça !
Il manque encore à Lyon des start-up dans le digital qui font office de références au niveau national voire au-delà ; peu sont connues du grand public. Alors que ce sont bien les vaisseaux amiraux qui créent le terreau de futures start-up ; il y a des « mafias » qui se dégagent de success story. Le cas de PayPal est emblématique. Ce genre de start-up permettent ensuite d’essaimer des top manager qui vont créer des start-up ou compléter des équipes. Le momentum est plutôt bon mais encore faut-il que les succès lyonnais passent cette échelle-là. Je suis certain que la voie est bonne et les prochaines années seront vraiment excitantes !
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