Dix réponses sur l’entrepreneuriat innovant
Étude
Après 3 ans d’analyse d’une cohorte de 200 entreprises du territoire grandlyonnais, qui dessine les grandes caractéristiques de l’entrepreneuriat innovant, découvrez notre synthèse.
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Interview de Renaud Colin
<< Un entrepreneur qui reste dans son bureau a très peu de chance de réussir >>.
La Métropole de Lyon conduit une étude prospective sur les start-up du territoire et s’appuie notamment sur les témoignages des entrepreneurs et porteurs de projets. Cette interview a été réalisée dans ce cadre.
ADDBIKE, start-up fondée en 2015 par Renaud Colin (au préalable chef de projet R&D dans les énergies renouvelables). Elle fabrique et commercialise des dispositifs modulaires permettant de transformer n’importe quel vélo en triporteur.
Cette start-up vient de livrer sa première série de 200 produits. Elle a oscillé entre plusieurs dispositifs d’accompagnement et lieux ressources (Lyon Start-Up, Pulsalys, Ronalpia, YouFactory, Réseau Entreprendre, Bel Air Camp). Elle vient de lever 600 000 € auprès de business angels, d’investisseurs privés et de banques.
Renaud Colin revient sur son parcours et nous apporte des éclairages sur les pérégrinations d’une start-up industrielle en développement dans l’agglomération lyonnaise.
D’où venez-vous ?
J’ai une formation en environnement au départ. Je travaillais dans le secteur de l’énergie en tant que chef de projet R&D. L’idée d’Addbike m’est venue à partir de mon cas personnel en pointant l’absence de solutions satisfaisantes pour transporter des charges (enfants, courses, etc.) à vélo.
Quand vous avez quitté votre entreprise, où en étiez-vous dans votre projet ?
Quand j’ai décidé de quitter mon boulot, Addbike était déjà un peu sur les rails. J’avais intégré Lyon Start-Up, souscrit à l’aide Inovizi.
Quelles sont les premières difficultés que vous avez rencontrées ?
J’avais une idée, c’est tout. On est perdu au début. C’est très difficile de déterminer par quoi commencer. Il faut apprendre à faire la part des choses. Il y a un certain nombre de dossiers à monter auprès d’organismes comme l’ADEME, mais ce sont des procédures qui rebutent la plupart. Dans mon cas, en tant qu’ancien chef de projet R&D je connaissais un peu la mécanique mais je pense que cela peut être très chronophage, voire démotivant.
Par quelle porte êtes-vous entré pour vous faire accompagner ?
J’ai vraiment démarré mon projet grâce à Lyon Start-Up. C’est un dispositif très efficace qui vous met le pied à l’étrier. Au départ, je ne connaissais rien au monde de l’entrepreneuriat. Et Lyon Start-Up vous fournit les premières clés qui vous aident à échelonner le projet, à le prendre par le bon bout, à clarifier votre idée et à prendre confiance en pitchant. C’était indispensable dans mon cas. J’ai été éliminé assez rapidement du programme mais cela m’a quand même beaucoup aidé.
Une des forces de Lyon Start-Up est aussi son rôle d’aiguillage parmi les différentes possibilités d’accompagnement. Quand on débute, on est très vite noyé dans la diversité de l’offre d’accompagnement. C’est impressionnant tout ce qu’il y a à Lyon. Par conséquent, on a besoin d’être aiguillé.
Le dispositif d'accompagnement CPME For Start-up m'a aussi beaucoup aidé. Il nous a permis d'avoir des locaux pendant près de deux ans à la CPME For h'all et de bénéficier de conseils
Vers qui vous êtes-vous tourné alors ?
C’est Lyon Start Up qui m’a orienté vers Ronalpia et Pulsalys. Pulsalys m’a beaucoup servi sur le volet financement. Ronalpia m’a apporté du réseau et m’a aidé dans la qualification de mon offre. Je souhaitais en effet créer une entreprise qui a du sens tant par le produit qu’elle propose (mode de mobilité durable) que par le procédé de fabrication qu’elle met en œuvre (fabrication française, inclusion). Ce sont des valeurs que défend Ronalpia également. Du coup j’ai baigné dans une communauté de valeurs et j’ai pu nouer des relations avec des interlocuteurs qui étaient en phase avec ma vision.
Les entrepreneurs sont souvent très vite confrontés à des enjeux de ressources humaines. Comment avez-vous fait sur ce plan ?
Mon épouse m’a beaucoup aidé et m’aide toujours beaucoup ! Un ancien collègue à moi m’a aussi donné des coups de main au début puis j’ai réussi à le convaincre de me rejoindre dans l’aventure et il est devenu mon associé. J’ai aussi très vite eu besoin d’un profil commercial. Je me suis fait aider par l’entreprise « Fonction Support » qui s’est chargée de former une personne spécifiquement au profil d’Addbike. J’ai embauché cette personne par la suite. Nous avons beaucoup fonctionné avec des stagiaires. J’ai aussi fini par embaucher un de mes stagiaires au poste d’ingénieur conception et industrialisation.
Pendant tout le développement de votre projet sur quelles ressources personnelles vous êtes-vous appuyé ?
Mon associé et moi-même sommes tous deux au chômage depuis maintenant 3 ans. Mes droits au chômage s’arrêtent courant novembre 2018. C’est l’horizon temporel que je me donne pour estimer si l’aventure continue ou pas. Les droits au chômage sont un vrai filet de protection pour entreprendre.
Vous avez fait appel au crowdfunding. Quel bilan en tirez-vous ?
Le crowdfunding ne permet pas de financer le projet ! On perd même de l’argent ! On s’est rendu compte que le coût des rétributions des personnes qui ont participé au crowdfunding et de la communication à déployer est énorme. C’est donc avant tout un outil de communication qui permet d’exposer le produit au marché. Surtout, c’est un préalable intéressant avant d’aller voir les banques. Il permet d’administrer la preuve qu’il y a un marché. Dans notre cas, nous avions réussi à lever 37 k€. Il s’agit de personnes qui ont préacheté le produit avant qu’il soit finalisé. C’est rassurant pour un banquier. A mon sens, cela ne sert à rien d’aller voir un banquier tout de suite. C’est aussi très stimulant pour nous de s’apercevoir qu’on est attendu, qu’on doit tenir nos promesses !
Quel autre moyen avez-vous utilisé pour tester le marché ?
Nous avons entrepris un tour de France des distributeurs pour leur présenter le produit, recueillir leur avis et les convaincre de le distribuer. Nos clients sont d’abord les revendeurs. On a choisi pour l’instant de ne pas privilégier la vente en direct car cela implique de mettre en place tout un réseau de commerciaux sur le territoire. Ce tour de France a été très chronophage mais indispensable pour instaurer une relation de confiance avec les distributeurs.
Après avoir fait appel au crowdfunding quelle a été votre stratégie en matière de financement ?
J’ai vraiment appris progressivement comment fonctionne le financement d’une start-up. Je me suis rendu compte qu’après la toute première étape qui a été le recours à des subventions publiques, lancer un appel au crowdfunding pourrait être intéressant pour faire une « preuve de marché », et que celle-ci allait nous ouvrir les portes à du financement privé. Les banques ne sont pas là pour prendre le risque de départ, elles interviennent après.
Vous avez récemment (été 2017) levé 600 000 € auprès de business angels (Insa Angels, Grenoble et Savoie Mont-Blanc Angels) et d’investisseurs privés. Qu’est-ce que cette levée de fonds implique pour ADDBIKE ?
Nous ne sommes pas beaucoup sur le territoire à développer des nouveaux produits dans le domaine de la mécanique industrielle. C’est un domaine qui présente plus de risque que pour une start-up qui propose un service numérique, donc les investisseurs sont plus frileux. Cette levée de fonds est un gage de confiance et nous apporte de l’oxygène au moment où nous entamons la production de 2000 pièces. Les investisseurs siègent dorénavant au comité stratégique qui se réunit tous les trois mois.
Est-ce qu’un type d’accompagnement en particulier a été déterminant pour vous ?
Au fur et à mesure de mes pérégrinations, mon projet a mûri, s’est enrichi et s’est consolidé. C’est tout un faisceau de rencontres qui permet cela. C’est essentiel de partager son idée de départ avec un maximum de personnes, de se faire challenger, pour la transformer progressivement. Un entrepreneur qui reste dans son bureau a très peu de chance de réussir. Mon intégration au Réseau Entreprendre a été un moment critique de mon parcours et un argument de poids auprès des banquiers. Il y a une sélection importante à l’entrée de ce réseau, on est beaucoup audité, mais l’expertise proposée est d’une grande valeur. Cela a été une aide considérable pour moi au moment où s’est posée la question du développement industriel du produit. Le Réseau Entreprendre a mis à ma disposition un expert de l’industrie, retraité, qui nous a permis d’éviter de commettre de nombreuses erreurs. Cet expert qui joue un rôle de « mentor » nous a ouvert son réseau. Un de ses collègues, un ancien directeur méthode, nous a aidé à concevoir les postes d’assemblage en vue du montage et nous a fait gagner un temps fou ! Et tout cela gratuitement, il faut le souligner !
Le Réseau Entreprendre permet vraiment un accompagnement spécialisé, sur mesure. Cela s’est inscrit comme la suite logique à la phase d’incubation pour laquelle une année nous a semblé suffisante.
Outre cette expertise proposée par le Réseau Entreprendre, sur quoi d’autre vous êtes-vous appuyé pour produire les premières séries et préparer le passage à l’échelle industrielle ?
La principale difficulté est celle du coût de revient. Tout le processus de fabrication d’un prototype jusqu’à l’industrialisation du produit consiste à essayer de le réduire. Le tout premier prototype a été une maquette 3D de l’Addbike. J’ai ensuite acheté un produit concurrent et cherché à l’améliorer avec une phase de test auprès d’utilisateurs de différents produits dont notre prototype qui a duré 6 mois. On l’a ensuite largement amélioré et notamment fait designer par l’INSA. Pour la fabrication, je me suis tournée vers IMECA, filiale de Michelin, pour fabriquer les 50 premiers Addbike. IMECA est une société d’investissement et de mécanique qui aide les start-up à s’industrialiser. C’était une première série ! Ces premiers Addbike ont été testés pendant un an en partenariat avec l’ADEME, on a donc des retours riches sur le produit.
Le produit était très bon techniquement mais son coût de revient était beaucoup trop élevé : 2000€ ! Cela a été un travail de longue haleine pour faire baisser ce coût, pour lequel on n’a d’ailleurs pas vraiment trouvé d’aide ou de personnes ressources. J’ai recruté des stagiaires pour étudier toutes les options techniques possibles et essayer de faire les meilleurs compromis tout en gardant l’objectif de fabriquer en France. J’ai été à l’écoute de conseils, parfois contradictoires. Concrètement, on est allé voir directement différents industriels avec nos plans de construction pour leur demander ce qu’ils pouvaient nous proposer pour faire baisser nos coûts sur chacune des pièces. On a beaucoup appris d’IMECA mais on essaye de faire maintenant à notre façon et de façon autonome. On essaye de nouer des relations privilégiées et de longue durée avec les industriels, un gage d’engagement de leur part et de qualité au final pour nos produits.
Etes-vous parvenu à faire baisser suffisamment votre coût de revient au final ?
Des progrès considérables ont été faits mais le différentiel entre le prix de vente et le coût de revient reste encore trop faible. C’est notre cheval de bataille aujourd’hui.
N’avez-vous pas été tenté par une délocalisation de la production ?
Le sens de mon projet est de rester au maximum « made in France », en tout cas en ce qui concerne le châssis. Les roues et les freins sont déjà fabriqués à Taïwan. Il est vrai qu’il y a un aspect militant derrière cela. Contrairement aux idées reçues, les interlocuteurs asiatiques ont des compétences pointues dans la conception. Ils proposent d’aider gratuitement au prototypage, ce qui n’est pas le cas en France. Mais si j’avais conclu avec eux, je ne proposerais pas le même vélo qu’aujourd’hui. Or il m’importe de maîtriser la qualité et le mode de fabrication de mon produit. Cela implique une relation de proximité avec les partenaires industriels et une internalisation progressive des compétences de conception/production, qui ne seraient pas possibles si je travaillais avec l’Asie. Par ailleurs, en Chine, tu dois payer les produits 6 mois à l’avance, ce qui représente un risque considérable pour une jeune entreprise.
Où assemblez-vous l’ADDBIKE ?
Nous passons par un ESAT situé à Chaponost. Mon projet a aussi une fonction inclusive à travers cela. Mon équipe contrôle ensuite les produits assemblés un par un, pendant 15 minutes chacun. Le but pour nous est de faire monter en compétences les personnes travaillant au sein de l’ESAT mais aussi d’apprendre nous-mêmes sur ces questions d’assemblage pour améliorer les process de fabrications. Avec l’augmentation du volume de pièces, les process doivent nous permettre de rendre l’ESAT plus autonome toute en garantissant une qualité optimum. Si l’ESAT ne progresse pas en même temps que notre besoin de production (2000 en 2018) nous allons être obligés de trouver d’autres solutions.Le sens de mon projet est de rester au maximum « made in France »
Si c’était à refaire, vous y prendriez-vous de la même manière pour entreprendre un tel projet ?
Avec le recul, je chercherais à être autonome plus rapidement et à acquérir les compétences en interne plutôt que d’être tributaires de compétences externes On a pris conscience que la maitrise de l’assemblage et de la logistique est très importante.
Quelle est votre stratégie de développement en France et à l’international ?
On essaye de se diffuser assez rapidement car la stratégie consiste à être parmi les premiers, pour faire référence. S’agissant du développement international, c’est une nécessité pour nous car le marché français est trop étroit. En France les triporteurs sont encore assez peu diffusés, la pratique du vélo et surtout le déplacement de charge est beaucoup moins courant qu’en Allemagne ou dans les pays nordiques par exemple. On a déjà des grossistes en Suisse, en Belgique, des demandes en Italie et on espère arriver sur le marché allemand début 2019.
Quel message souhaiteriez-vous adresser à la Métropole ?
J’entreprends une réflexion sur un pôle qui rassemblerait un certain nombre d’acteurs qui gravitent autour du vélo, ou de la mobilité durable au sens large. Nous sommes nombreux sur le territoire, portés par des innovations et par des inflexions favorables du marché et des politiques publiques. J’ai déjà fait un premier recensement des acteurs en présence sur la région (Alpinebike, Becycle, U mob, Doctibike, Cyclik, Vélogik, Green On, Cyclable, Vepli, Btoebike, Cyclopolitain, Freegone Kluster, CMCM, Projet Benur, etc.) qui démontre le dynamisme du secteur.
Celui-ci a besoin non seulement d’être mieux mis en valeur sur le territoire mais aussi de coopérer davantage pour être plus compétitif. Je pense notamment aux réponses à des appels d’offre. Nous gagnerions à mutualiser et à répondre de manière groupée. Cela implique de la coordination, de la connaissance mutuelle. Et partager un même espace de travail est selon moi un levier très puissant pour y arriver. A Bel Air Camp, ce sont dans les rencontres informelles que se créent le plus d’opportunités. Par exemple, très récemment, en discutant avec Cyclik, nous nous sommes aperçus que nous avions la même problématique de collage. Prochainement, nous allons voir conjointement un même fournisseur. Nous sommes plus fort à plusieurs !
Outre ces enjeux de coordination, je constate une difficulté pour les start-up de type industriel de trouver des locaux adéquats qui permettent d’entreposer du matériel, des stocks. Les incubateurs et pépinières proposent rarement ce type d’espace alors que c’est un vrai besoin pour nous.
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