E-commerce et logistique : Commander des biens sur Internet
Étude
Pourquoi acheter en ligne ? Quelles préférences entre se faire livrer à domicile, en point-relai ou en drive ? Une douzaine d’habitants témoignent.
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Interview de Maria Mercanti-Guérin
Maria Mercanti-Guérin est maîtresse de conférences à l’Université Paris Panthéon Sorbonne Cité (IAE Paris-Sorbonne Business School).
Ses travaux portent essentiellement sur les réseaux sociaux, le consommateur créatif et le numérique. En collaboration avec d’autres auteurs, elle a contribué à l’adaptation française de l’ouvrage Marketing Digital aux éditions Pearson.
Dans cet entretien, Maria Mercanti-Guérin met en évidence les stratégies de magasins pour intégrer le numérique dans l’expérience client, les facteurs clés des nouvelles tendances de consommation, ainsi que l’utilisation des données dans les stratégies marketing des plateformes pure player et les controverses entourant ces données.
Dans un article récent, vous soulignez la croissance du marché digital dans le monde après le Covid-19 et vous montrez que 88 % des cyber-acheteurs déclarent qu’ils continueront à commander sur internet malgré la réouverture des magasins. Est-ce qu’on assiste au triomphe de l’achat en ligne et à la disparition de l’achat physique ?
Il y a toujours eu les deux types d’achat. Il y a quelques années, je croyais que l'e-commerce allait tuer le magasin physique et maintenant je ne crois plus du tout. Pourquoi ? Parce que ça fait un certain temps maintenant qu'on achète sur le web. Donc si les magasins physiques avaient dû disparaître, ça serait fait.
Bien entendu, leur existence est plus compliquée en cas de crise. Les magasins ont su s'adapter autour de l'expérience client et la construction d'une atmosphère d’entertainment. Ils ont travaillé sur les sens, sur les odeurs, sur la musique. Cela a révolutionné les showrooms, qui ont aussi été digitalisé. Ce n’est pas du e-commerce, c’est du multicanal. À mon sens, leur révolution est terminée, je ne vois pas ce qu’ils pourraient ajouter.
La tendance qui s’amorce dans certains secteurs va peut-être être de réduire son réseau de distribution et de ne conserver que quelques magasins emblématiques. Lorsque vous allez à New York et visitez les magasins Nike ou Adidas, vous voyez des magasins incroyables, avec des écrans partout, une application mobile que l’on peut télécharger et qui est en lien avec le magasin, la possibilité de personnaliser ses chaussures. Le digital s’est imbriqué dans le magasin. Donc je pense que ces magasins-là, forcément, vont survivre parce qu'ils ont fait leur mue.
Il y aura toujours du physique et même chez des jeunes consommateurs. Ce qui est sympa, c'est d'aller en magasin et pas d'acheter en ligne. L’achat plaisir est en magasin. La FEVAD disait que 70 à 80 % des Français achètent en ligne pour gagner du temps. Acheter en ligne c’est pratique et utilitaire, mais au bout du compte, si l’objectif est de passer du bon temps, se faire plaisir, ce qui est le cœur de la consommation, le magasin est essentiel, donc il restera.
La croissance de l’achat par le e-commerce est aussi très liée à la question des données personnelles et à la publicité digitale qui y est adossée. Vous parliez des jeunes consommateurs. Est-ce qu’ils sont la cible privilégiée de cette publicité digitale ?
Tout le monde est concerné. L’idée est de cibler en fonction des campagnes, en fonction des produits. Il n'y a aucune cible qui n'est pas touchée par le digital. Aucune ! C’est la façon de toucher et de parler au public qui va être différent. Si je raisonne en termes de cibles aujourd'hui, Facebook, c'est le réseau des seniors et TikTok c'est le réseau des jeunes. Même dans les réseaux sociaux, chaque cible a son réseau social. Instagram, c'était à la base le réseau des jeunes CSP, CSP+, urbains. LinkedIn c'est un réseau professionnel qui concerne absolument tous les âges, au niveau des actifs mais aussi des étudiants, de 20 ans à 65 ans.
Tout le monde est concerné mais ne va pas avoir les mêmes modes de consommation. Par exemple, des réseaux de seconde main comme Vinted concernent plus les jeunes. On va retrouver des ciblages marketing en fonction des produits, des marques évidemment, mais c'est tout.
La chose intéressante est la présence de plus en plus forte de bloqueurs de publicités. On estime que 47 % des consommateurs américains ont un système Adblock, en Europe, peut-être entre 30 à 40 %, sachant que les jeunes sont plus enclins à en mettre un sur leur mobile que les seniors, probablement parce qu’ils ont une meilleure compréhension de l’outil. Ceci peut changer les stratégies de ciblage : comment toucher des gens qui ne veulent plus recevoir des pubs ?
Au-delà de la publicité, quels sont les nouveaux facteurs qui jouent un rôle dans la formation de ces nouvelles habitudes de consommation ?
En termes de tendance, c’est surtout l’inflation actuelle qui modifie la façon d'acheter. En regardant les chiffres de la FEVAD 2022, on constate que le secteur du e-commerce est toujours en croissance, mais curieusement pas sur la vente de produits, uniquement par la consommation de services. Les consommateurs ont envie de voyager à nouveau et réserver des voyages, ou même de se faire livrer des repas avec Ubereats.
Si l’on se penche sur la consommation de produits, il est important de se plonger dans les détails et de voir ce qui change et ce qui connaît un déclin. Dans le marché de l'habillement, les magasins s'écroulent, alors que ceux qui ont une proposition très distinctive s’en sortent, comme Shein sur le très bas prix ou Vinted sur le seconde main.
Le secteur des courses en ligne ne marche pas non plus très bien. À cause de l’inflation, les consommateurs vont tenter de chercher le meilleur prix et donc utiliser des applications mobiles de comparateurs mais aussi faire le circuit des magasins physiques. L'e-commerce est finalement hyper dépendant de ce qui, à mon avis, est en train d'arriver comme une crise économique majeure. Mais cela touche à la fois le e-commerce et les magasins physiques.
Dans vos travaux, vous insistez sur le fait que le modèle économique du e-commerce est fondé sur les données des utilisateurs. Est-ce qu’il y a là aussi des changements ?
Tout le monde est extrêmement dépendant des outils de web analytics, c’est-à-dire la collecte et l’analyse de données par des outils comme Google Analytics. Suite aux interventions de la CNIL, on se dirige probablement vers la fin du tracking du consommateur sur le web par ce qu’on appelle les cookies. Ceux-ci se téléchargent sur votre navigateur et se déclenchent même si vous quittez le site, donc cela permettait de faire du reciblage (retargeting).
Avec la fin des cookies tiers, le marché devient complètement aveugle. Il ne sait plus du tout quel type de technologie utiliser pour traquer les consommateurs. Il va falloir retrouver d'autres outils de web analytics. Vous avez trois types de données : les « first party », qui appartiennent aux entreprises par rapport à leurs client ; les « second party » qui sont les mêmes, mais appartiennent à une entreprise tierce ; les « third party » qui sont générées grâce au tracking publicitaire. Or, s’il faut renoncer aux données third party, les données first party vont devenir de plus en plus importantes.
Cela va introduire un nouveau type de ciblage, plutôt axé sur un ciblage comportemental. Un commerce peut se dire : je sais à peu près qui sont mes clients, je sais ce qu'ils cherchent et donc je vais globalement essayer de ne pas dévier en termes de contenu de produits mais faire une stratégie de click audience, c'est-à-dire augmenter le nombre de gens touchés, en me basant sur mes clients et essayer de toucher les mêmes profils.
Mais pour le reste, il faut s'attendre à ce que cela secoue le marché. Si je prends juste les commerces locaux, ils ont des données Google. Quand vous êtes un commerçant local, vous avez choisi Google my Business ou Google my profile. Eux aussi vont être touchés, d’autant plus que les données utiles aux commerces locaux font de la géolocalisation des personnes et donc c’est très sensible du point de vue du RGPD.
Je pense que ce qu’on va voir dans le commerce local, c’est l’arrivée de nouveaux médias. On parle par exemple des télévisions connectées qui vont avoir de la publicité locale délinéarisée [podcasts, vidéo à la demande]. On le voit avec les tensions actuelles entre Apple et Facebook et le refus de partage des données des utilisateurs d’Apple vers Facebook. Il y a un durcissement des législations mais il y a aussi une guerre des données.
Sur une autre thématique, on entend de plus en plus parler de la prise de conscience des Français pour l’environnement. Quelles stratégies sont mises en place par les acteurs de l’e-commerce pour répondre à ces préoccupations ?
Cela va au-delà de l’environnement et touche à la responsabilité sociétale des entreprises. Bien sûr, lorsqu’on se rend compte que certaines marques traitent mal leurs employés, ça titille les consommateurs. Les chiffres de la FEVAD montrent que les gens essaient de consommer de manière plus écoresponsable. Et pourtant le marché du bio actuellement est en train de s’écrouler !
En période d’inflation le consommateur fait des choix et des arbitrages. Les consommateurs ont choisi d’abandonner le bio pour des produits moins chers. La grande tendance reste de se questionner si la marque traite bien ses salariés. On se souvient des polémiques sur la propagation du Covid-19 dans les entrepôts Amazon par exemple. Amazon a justement compris que cela pouvait leur faire perdre énormément de parts de marché, de points d'image.
Aujourd'hui le raisonnement est plutôt de dire : ok, j'abandonne le bio mais j'achète de la seconde main parce que j'ai découvert qu'acheter des jeans, ça pollue la planète. Cela permet de rester écolo sans toucher au portefeuille.
Concrètement, quelles sont alors les stratégies mises en œuvre par les plateformes d’e-commerce pour répondre à cette question de responsabilité sociétale ?
La stratégie, c’est surtout de prendre en compte très fortement les avis clients, de se faire connaître comme une marque employeur forte en mettant en place des programmes de formation, de communiquer sur le fait que la situation évolue dans la boîte. La communication est plutôt orientée sur l’inclusivité, l’inclusion des minorités, des enfants. Les marques communiquent beaucoup sur ça, aussi sur les efforts faits en matière d’environnement, comme utiliser des serveurs « verts » pour gaspiller le moins possible d'énergie. Cela nécessite de travailler sur des sites agiles, des sites légers pour moins consommer d'énergie, des images légères, facilement téléchargeables, etc.
Une autre stratégie, c’est au niveau des fournisseurs. Amazon, par exemple, va avoir un œil sur les vendeurs présents sur sa plateforme et avoir du sourcing plus écoresponsable. Cela veut dire qu’on ne va pas uniquement sélectionner les fournisseurs qui sont les meilleurs en prix, mais aussi ceux qui donnent des garanties d'écologie, de bon traitement de la personne, de respect de l'environnement, etc. Tout cela est peut-être aussi du greenwashing, dans les faits, c’est compliqué de le savoir.
En matière de tendances du e-commerce, ce qui a un fort impact négatif sur l’environnement et les conditions sociales, c’est le quick-commerce. Est-ce que cette pratique est aussi amenée à se réformer et comment peut-elle évoluer dans les années à venir ?
Je ne crois pas au développement du quick-commerce. Il y a énormément de licornes, de start-up qui se sont lancées dedans mais leurs derniers résultats ne sont pas bons. L’inflation leur pose un problème.
On pourrait dire que le quick-commerce, c’est un truc de riche, et d’intelligence artificielle aussi d’ailleurs. Si le consommateur commande un café, l’intelligence artificielle (IA) va calculer la probabilité que dans la même rue, d’autres habitants commandent un café. On est là dans la capacité de prédiction de l’IA. En Chine par exemple, il semble que des géants comme Alibaba soient capables de calculer le nombre de personnes qui pourraient commander un café, à la même heure, dans la même rue. Arriver à prévoir ça, c’est la clé pour être rentable.
En France on a surtout fait du « dirty quick-commerce », des petits entrepôts où on vit en livrant aux habitants jour et nuit, sans inspecteur du travail et autre. Si les consommateurs regardent beaucoup leurs dépenses, cela ne va plus forcément fonctionner. Tous les achats d'impulsion qui étaient portés par le quick-commerce vont peu à peu disparaître au profit d'achats plus raisonnés. Pour moi, le quick-commerce ne fait pas partie des tendances de fond du marché.
Quelles sont alors selon vous les tendances de fond ?
Les tendances de fond sont toujours portées par la technologie. Ce qui va bouleverser le marché, c'est la réalité augmentée grâce aux mobiles. On a différents niveaux de réalité : la réalité virtuelle, la réalité augmentée puis la réalité étendue, qui comprend tout ce qui peut être touché en termes de perception par le digital. La réalité augmentée est le segment le plus important. Il sera possible de se servir de son mobile avec la réalité augmentée. Ce sont des innovations qui arrivent peut-être avec un mauvais timing actuellement mais cela va changer, si on considère les milliards de dollars qui sont investis. L’avenir, c’est le commerce augmenté, c’est-à-dire la réalité augmentée grâce au m-commerce [via le smartphone]. Cela peut fonctionner : la technologie existe. En plus, le consommateur n’a pas besoin de changer de devise, il utilise juste son mobile.
Pensez-vous qu'avec un e-commerce intelligent qui, par exemple, optimise les distances et les déplacements, on a une opportunité pour réduire les émissions de CO2 et avoir une livraison plus écoresponsable ?
Oui, avec l'intelligence artificielle dans l'e-commerce et le Big Data, il est possible d'optimiser les tournées. Pour le e-commerce, la problématique a toujours été la livraison du dernier kilomètre parce que cela coûte cher. L’option du « drive » s'est développée à un moment parce qu’elle permettait de résoudre la question du dernier kilomètre.
Avec le réchauffement climatique, l’enjeu du e-commerce est aussi de gérer la livraison de produit frais. Les frigos qui sont dans des camions de livraison ne sont plus assez puissants et donc les acteurs du e-commerce alimentaire vont être obligés de renouveler toute leur flotte. Et cela va coûter cher. Est-ce que l’e-commerce va devenir un privilège ? On a dit que l’e-commerce, c’était le commerce du pauvre, mais je pense qu’il est possible qu’il y ait une sorte de retournement. Avec la problématique de la logistique, il est possible que le e-commerce devienne plus cher que le commerce en magasin. Il y a une vraie interrogation. Il n’est pas sûr que le e-commerce puisse rester un commerce si bien placé, surtout en termes de prix.
Vous avez écrit que, d'un point de vue économique, les pratiques de consommation en ligne peuvent être considérées comme monopolistiques et que d'un point de vue fiscal, les législateurs ont tenté de rétablir l'équité entre les magasins physiques. Quelles sont les pistes envisageables pour les collectivités publiques, notamment les métropoles ?
Les métropoles ne peuvent absolument pas réguler la publicité digitale. Ce qu’elles peuvent réguler, c’est l'affichage numérique. Certaines sont parties en guerre contre l’affichage, mais la publicité, ça peut être beau, ça crée des emplois, ça peut animer une ville.
Dans les centres commerciaux, dans tous les magasins, vous avez des beacon, des balises utilisant la technologie Bluetooth Low Energy. Dans les petits magasins, les beacon sont des petits capteurs qui permettent que dès que la personne s’approche à 50 mètres du magasin, elle l'identifie et va analyser son parcours client. C'est assez peu connu et pourtant c'est très important. On pourrait dire qu'une métropole éthique pourrait agir en interdisant l’utilisation des beacon dans un centre commercial local.
Le grand problème, c’est la consommation du temps d'écran des individus et notamment la consommation réservée à des réseaux très addictifs. On parle de « crack » numérique comme TikTok qui d'ailleurs, aux États Unis, a été interdit par certains États. C'est à l'école que cela doit se passer. L'éducation numérique ça s'est fait un peu mais pas assez. Ce que peuvent faire les métropoles, c'est de l’éducation.
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