Mon histoire commence sur le bitume, sur le lino des gymnases, dans l’espace urbain de Saint-Priest qui fut le décor de mon adolescence. C’est-à-dire dans l’espace qui s’improvise, celui de la ville et des parvis, en dehors des écoles, en dehors des institutions. Elle commence aussi par l’amitié, celle qui me lie depuis toujours à Kader Attou, Éric Mezino et Chaouki Saïd. Les adolescents que nous étions vivaient par et pour la danse hip-hop et tous les grands modèles qui la représentaient. La danse hip-hop n’avait, à cette époque, par encore connu le renouvellement et le décloisonnement artistique qu’elle possède aujourd’hui.
Autodidactes, nous avons d’abord observé et imité les plus grands. Mais notre pratique circassienne nous invitait déjà à croiser les disciplines et à vouloir élargir le champ des possibles. Je pense que ce sont les rencontres qui font les destins et rapidement programmateurs et professionnels du métier nous repèrent et impulsent notre carrière de tout jeunes danseurs. Au début des années 1990, l’Association Verbes d’états nous propose de travailler avec des jeunes du quartier populaire de l’Arianne. C’est notre première expérience de transmission, de passation. Ces jeunes de quartiers se reconnaissaient en nous et malgré tout, percevaient que nous avions déjà franchi d’une certaine manière les barrières pour aller vers un ailleurs.
Fédérer malgré la défiance, abolir les préjugés de classe ou d’identité furent alors les grandes questions de sens que j’ai données à mon travail de chorégraphe et de danseur. Travailler avec des amateurs, des jeunes éloignés de la culture, c’est faire de la ville une cité, un grand théâtre vivant. De même en 1993, notre terrain d’expérience est le parvis de l’Opéra. C’est la guerre en ex-Yougoslavie et l’association humanitaire Enfants réfugiés du monde nous propose de monter un projet avec les enfants de Zagreb. Pour nous, jeunes d’à peine 20 ans, partir à l’étranger et vivre notre passion était une expérience incroyable. Mais nous n’étions pas préparés à rencontrer des enfants meurtris et traumatisés par les horreurs de la guerre. Cette confrontation au réel a été double. Je n’oublierai jamais que les enfants là-bas nous appelaient « Les Français ! ». Nous, refoulés des boîtes de nuit, étiquetés comme la jeunesse issue de l’immigration et continuellement harnachée au déterminisme social, nous les « arabes des quartiers » stigmatisés, on était vus comme des « français ».
Quand on a 20 ans, c’est un questionnement fondateur et identitaire profond, celui de savoir qui on est et où se trouve son port d’attache. Mais je n’oublierai pas non plus que quelles que soient la langue, l’histoire et les origines des êtres, le corps parle un langage universel. La danse est une puissance fédératrice et nous en étions les acteurs. Nous avions une place à occuper à Lyon ou ailleurs et nous commencions à tracer notre chemin.