La bio : entre objectifs ambitieux et part de marché limitée
La bio : entre objectifs ambitieux et part de marché limitée
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Face à l’épuisement des ressources fossiles et à l’aggravation des perturbations écologiques et sanitaires, l’agriculture biologique est l’une des réponses théoriques et pratiques proposées pour assurer la soutenabilité de la production agricole.
À la faveur d’une préoccupation croissante des consommateurs pour leur santé et l’environnement, et en conséquence d’une volonté de certains agriculteurs d’évoluer vers un modèle plus pérenne, la bio a connu un développement rapide depuis la création du label dans les années 1980.
Son importance relative dans les secteurs agricole et alimentaire reste toutefois limitée (10 % de la surface agricole et moins de 7 % du budget alimentaire), et elle peine de ce fait à enrayer les tendances de fond affectant le système alimentaire.
Nous explorons ici les principaux déterminants de la consommation alimentaire et les facteurs influençant l’achat de produits issus de l’agriculture biologique.
La consommation de produits bio a connu une croissance en 3 étapes en France : une augmentation de 10 % par an en moyenne entre le milieu des années 1990 et le milieu des années 2000, puis une courte stagnation au cours des années 2000, et enfin une augmentation plus rapide, de l’ordre de 10-20% annuels, des années 2010 à nos jours.
Le marché de la bio est passé de 3,7 milliards d’euros en 2010 à 13,2 milliards d’euros en 2020 en France. La production bio suit une tendance similaire : elle est passée de 0,85 million d’hectares en 2010 à 2,78 millions d’hectares en 2020.
L’agriculture biologique et la consommation de produits biologiques restent néanmoins largement minoritaires vis-à-vis du modèle conventionnel : à peine 10 % de la surface agricole nationale et moins de 7 % du budget alimentaire des français sont concernés.
Surtout, cette augmentation n’enraye pas les tendances à la concentration et à l’industrialisation du modèle conventionnel dont les conséquences sont en comparaison plus larges : baisse rapide du nombre d’actifs agricole, augmentation de la taille moyenne des exploitations et diminution des petites exploitations diversifiées, recours aux engrais de synthèse et aux pesticides, etc.
L’offre alimentaire et les comportements d’achat sont largement influencés par la concurrence et l’intérêt économique des acteurs dominant la chaîne de valeurs alimentaire, faisant du prix un critère de choix prépondérant pour la majorité des Français, même si d’autres critères prennent une importance croissante.
Même si l’image de la bio est très positive – elle est associée à la préservation de l’environnement pour 87 % des Français – les principaux « engagements [jugés] les plus importants aujourd’hui » portent sur d’autres critères : la saisonnalité (57 %), la réduction du gaspillage (56 %), le localisme (46 %) et la limitation des emballages (31 %).
7 Français sur 10 déclarent consommer régulièrement des produits bio, surtout chez les CSP+ et les jeunes ; et 15 % déclarent consommer des produits bio tous les jours. Ces produits sont associés à la préservation de la santé et de l’environnement, au goût, au bien-être animal et à la meilleure rémunération des producteurs.
L’agriculture biologique, une réponse aux enjeux du siècle
L'agriculture biologique est une méthode de production agricole qui vise à respecter les systèmes et cycles naturels, maintenir et améliorer l’état des écosystèmes ainsi que la santé des végétaux et des animaux.
L’émergence de l’agriculture biologique coïncide avec une transformation profonde et rapide du système alimentaire. Le modèle agro-industriel dominant a en effet de lourdes conséquences sur la santé, l’environnement et les conditions de travail au sein du système alimentaire. Il se montre par ailleurs particulièrement vulnérable face aux menaces globales qu’il contribue à engendrer : épuisement des ressources fossiles, effondrement de la biodiversité, crise climatique…
Une réorientation du système alimentaire agro-industriel s’avère impérative pour répondre simultanément aux enjeux de sécurité alimentaire, de climat, de biodiversité et d’épuisement des ressources. Pour fixer un cap à cette réorientation, les études et modélisations disponibles convergent sur les transformations à engager. Il s’agit en particulier du scénario Afterres2050 de l’association Solagro (échelle France), du scénario TYFA (Ten Years For Agroecology) de l'IDDRI (échelle Union Européenne) et du scénario « bio, local et demitarien » proposé par des chercheurs de l'UMR METIS (Sorbonne Université) aux échelles nationale et européenne.
Trois grands piliers de la transition ressortent de ces études :
Généraliser les pratiques agro-écologiques ;
Réduire a minima de moitié la production et la consommation d’aliments d'origine animale ;
Reterritorialiser les systèmes alimentaires.
L’agriculture biologique propose une réponse partielle au premier de ces trois objectifs en encadrant les méthodes de production et en permettant aux exploitants et entreprises certifiés de bénéficier d’une reconnaissance des consommateurs et donc d’une meilleure valorisation de leur production, ainsi que de subventions publiques. Son cahier des charges - défini par le Ministère de l’agriculture depuis 1985 - exclut notamment le recours à la plupart des fertilisants et pesticides de synthèse utilisés par l'agriculture conventionnelle depuis le début du XXe siècle.
Un fort développement au cours des dernières décennies
À la faveur de préoccupations environnementales et sanitaires croissantes chez les consommateurs, ainsi que d’un cadre économique incitatif, l’agriculture biologique a connu une croissance rapide et continue depuis les années 1990. Son histoire récente peut schématiquement être divisée en trois phases :
Une augmentation de la consommation de l’ordre de 10 % annuels à partir du milieu des années 1990 et jusqu’au milieu des années 2000 (que plusieurs observateurs n’hésitent pas à rapprocher de la crise de la vache folle) ;
Une courte stagnation au cours des années 2000 ;
Une augmentation plus rapide de la consommation et de la production, de l’ordre de 10-20% annuels, des années 2010 à nos jours.
Source : Agence BIO / OC, Agreste / SAA 2020 : (1) Surface agricole utile des exploitations 2020 : 26 855 402 ha et (2) Nombre d'exploitations 2019 : 452 542
Une place très minoritaire et trop peu développée pour corriger les défaillances du système alimentaire
Bien qu’en forte progression au cours de la dernière décennie, l’agriculture biologique et la consommation de produits biologiques restent largement minoritaires vis à vis du modèle conventionnel : à peine 10 % de la surface agricole nationale et moins de 7 % du budget alimentaire des français sont concernés.
La croissance de l’agriculture biologique a lieu parallèlement à une poursuite voire à une accélération des tendances de concentration et d’industrialisation du modèle conventionnel. Comme ce dernier prédomine largement, il s’ensuit logiquement une aggravation des conséquences observées à l’échelle nationale depuis plusieurs décennies. On assiste, à l’échelle nationale, aux évolutions suivantes :
Une baisse rapide du nombre d’actifs agricoles
Les très faibles prix de vente des produits agricoles découlant de la mise en concurrence nationale voire internationale des exploitations et de leur pouvoir de négociation asymétrique avec les acheteurs (entreprises agroalimentaires et grande distribution) incitent les fermes à s’agrandir et à intensifier, rendant la reprise d’exploitation de plus en plus compliquée pour les nouveaux arrivants. Avec environ 760 000 travailleurs agricoles réguliers en 2020, le secteur représente moins de 3 % des actifs en France, contre un sur six en 1970 et près d’un sur trois en 1950. Au rythme actuel des départs à la retraite et installations, c’est une diminution d'un quart du nombre d'agriculteurs qui se profile d’ici à 2030.
Une forte augmentation de la taille moyenne des exploitations
En l’espace de vingt ans (entre 1990 et 2010), la part de la surface agricole utile occupée par les exploitations de plus de 100 hectares est passée de moins de 25 % à près de 60 %. Cette dynamique est encouragée par les modalités actuelles de répartition des aides de la Politique Agricole Commune, dont le premier pilier (représentant la majorité des aides) subventionne les exploitations en proportion du nombre d’hectares cultivés.
Source : Chambres d’agriculture de France, Analyses et perspectives n°2207
Une diminution rapide du nombre de petites exploitations diversifiées (polyculture-élevage)
Celle-ci se fait principalement au profit de grosses exploitations spécialisées. Neuf exploitations sur dix sont spécialisées dans un seul type de production. À l'échelle d'une région agricole, l'agrandissement et la spécialisation des exploitations ont conduit à une grande uniformisation.
Une utilisation d’engrais azotée stabilisée à des niveaux très élevés
Environ un quart de l’azote apporté aux champs est perdu, tandis que l’agriculture est la première cause du dépassement du seuil d’habitabilité planétaire associé au cycle de l’azote. L’intégration de légumineuses dans les rotations – une pratique permettant de renouveler le niveau d’azote – est marginale : moins de 2 % des surfaces en grandes cultures en 2018.
Une consommation record de pesticides
Les ventes de produits phytosanitaires pour usage agricole ont augmenté de 15 % entre la période 2009-2011 et la période 2017-2019.
Pour résumer, si l’agriculture biologique exerce une attraction indéniable sur une partie de la population et a connu un important développement au cours des dernières décennies, l’émergence de ce modèle ne suffit pas à contrebalancer les tendances lourdes affectant le système dominant.
Un très fort développement des pratiques agro-écologiques - dont l’agriculture biologique est l’une des composantes - serait nécessaire pour endiguer puis contrebalancer les conséquences écologiques du modèle agro-industriel, diminuer notre dépendance aux ressources minières et aux énergies fossiles, et assurer notre sécurité alimentaire malgré des perturbations multiples et imprévisibles.
Pour favoriser la croissance du marché de l’agriculture biologique, il est utile de comprendre quelles dynamiques influencent les comportements alimentaires.
La priorité au prix, une norme qui demeure
La concurrence entre industries agroalimentaires d'une part, et entre entreprises de la grande distribution d’autre part, joue un rôle déterminant pour façonner l’offre alimentaire et influencer l’évolution de nos régimes.
L’offre alimentaire sélectionne les produits aux coûts de production les plus faibles, généralement issus des systèmes de production les plus intensifs et donc associés aux externalités environnementales, sociales et sanitaires les plus fortes. Dépenser le moins cher possible est devenu la norme. Cet état de fait est renforcé par la stratégie des entreprises de la grande distribution qui font du faible prix leur premier argument commercial. L’idée selon laquelle l’alimentation doit coûter le moins cher possible conditionne donc les attentes et comportements des consommateurs. Cette importance accordée au critère prix est renforcée par une asymétrie d’information : les consommateurs n’ont pas accès à des informations fiables et synthétiques sur la provenance et la qualité des produits qu'ils achètent, ni sur leur impact.
Ainsi, en 2022, le prix demeure le premier critère de choix de l’enseigne fréquentée pour deux-tiers des consommateurs, devant le choix des produits et la facilité d’accès du magasin.
D’autres critères entrent désormais en jeu
Toutefois, certains segments de consommateurs tiennent de plus en plus compte d’autres critères que le prix dans le choix des enseignes fréquentées et des produits consommés. Plusieurs études et enquêtes cherchent à identifier les motivations des consommateurs de produits biologiques et à isoler les principaux facteurs d’incitation.
Le baromètre de consommation et perception des produits biologiques est une enquête annuelle portant sur un échantillon de 2 000 personnes représentatif de la population française. D’après l’édition de 2021, les Français ont une image très positive de la bio qu’ils associent à la préservation de l’environnement (pour 87 % d’entre eux), au caractère naturel et sans produits de synthèse (84 %), à la préservation de la biodiversité (83 %) et à la préservation de la santé (82 %). Cependant, lorsqu’interrogés sur « les trois engagements [jugés] les plus importants aujourd’hui » dans le cadre de leur consommation alimentaire, les raisons directement associées à l’agriculture biologique - comme réduire l’usage de pesticides, avec 28 % - arrivent loin derrière la saisonnalité (57 %), la réduction du gaspillage (56 %), le localisme (46 %) et la limitation des emballages (31 %). Il faut noter que la réduction de la consommation de produits d’origine animale ne compte pas parmi les choix proposés alors qu’il s’agit du changement le plus efficace pour limiter son impact d’après la littérature scientifique.
Ces engagements individuels pour une meilleure consommation n’étant pas mutuellement exclusifs, bon nombre de Français déclarent malgré tout consommer régulièrement des produits biologiques (7 sur 10 au cours du mois ayant précédé l’enquête). Ils sont les plus nombreux parmi les CSP + et les jeunes. La hausse de la consommation semble notamment tirée par des consommateurs fréquents : 15 % déclarent consommer des produits bio tous les jours.
Lorsqu’interrogés sur le principal motif de consommation des aliments biologiques, « préserver sa santé » est la motivation arrivant largement en tête avec 27 % des participants, loin devant « préserver l’environnement » (13 %), le goût (10 %), le bien-être animal (6 %) et la meilleure rémunération des producteurs (6 %). Cette prépondérance du critère « santé » est amplifiée chez les personnes âgées, et au contraire atténuée chez les plus jeunes (18-24 ans), chez qui la préservation de l’environnement joue une motivation importante. Cette motivation se manifeste également plus fréquemment au sein de la catégorie socio-professionnelle supérieure.
Ces chiffres doivent toutefois être évalués avec prudence, tant à cause de la formulation ambiguë de certaines questions que de la difficulté des répondants à s’auto-évaluer. On relève par exemple que 50 % des répondants estiment que les produits biologiques représentent plus de la moitié de leur consommation quotidienne, ce qui est totalement incompatible avec les parts de marché actuelles du secteur en France (environ 7 %). Par ailleurs, le questionnaire présente le défaut d’opposer des motivations qui ne s’excluent pas mutuellement et ne se mesurent pas sur la même échelle.
Pour évaluer les pratiques de consommation réelles et isoler l’impact de différentes caractéristiques individuelles sur les choix de consommation et leurs impacts sanitaires et environnementaux, l’étude NutriNet-santé porte sur une cohorte de 29 000 citoyens français. Il existe dans l’ensemble une corrélation positive entre le statut socio-économique et la durabilité du régime alimentaire, dont la consommation d’aliments biologiques.
Il apparaît également que les personnes qui mangent le plus bio sont celles qui mangent le plus végétal, ont une alimentation de meilleure qualité nutritionnelle et ont un IMC (indice de masse corporelle) moins élevé. La moindre consommation de produits issus de l’élevage fait que les consommateurs de bio :
Ont en moyenne besoin de moins de surface agricole pour s’alimenter ;
Ont une alimentation moins émettrice de gaz à effet de serre ;
Ainsi qu’une alimentation qui requiert une moindre consommation d’énergie.
En conclusion, l’offre alimentaire et les comportements d’achat sont largement influencés par la concurrence et l’intérêt économique des acteurs dominant la chaîne de valeurs alimentaire, faisant du prix un critère de choix prépondérant pour la majorité des français. Néanmoins, d’autres critères prennent une importance croissante à mesure que les externalités environnementales et sanitaires du système alimentaire sont de plus en plus visibles.
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