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Amélie Arnould (Carrefour) : « Le marché bio a encore du potentiel et il pourra rebondir »

Interview de Amélie Arnould

portrait d'Amélie Arnould
Cheffe de projets Marché Bio & Filières Bio chez Carrefour

Amélie Arnould a intégré le Groupe Carrefour après des études d’ingénieure en biochimie. D’abord Chef de produits à l’Epicerie au sein de la direction Marchandises Marques Propres pendant 1 an, elle rejoint ensuite en 2021 les équipes de la direction Marché Bio du Groupe afin de piloter les projets en lien avec la stratégie bio en France dans les formats GMS. Elle est aujourd’hui cheffe de projets Marché Bio & Filières Bio chez Carrefour.

Dans cet entretien, Amélie Arnould donne le point de vue des « grandes et moyennes surfaces » (GMS) à travers l’expérience du groupe Carrefour. Elle détaille les causes explicatives de la baisse de consommation de produits bio, les choix opérés par son groupe pour y répondre et les enjeux associés à la communication et la compréhension des spécificités de la bio pour le consommateur.

Réalisée par :

Date : 03/05/2023

Quelles sont selon vous les principales explications à la baisse de la consommation de produits bio ?

Les consommateurs sont susceptibles de choisir un produit local non-bio plutôt qu'un produit bio français non-local, sans prendre en compte tous les éléments

Je pense que plusieurs facteurs ont contribué à cette baisse. L'inflation a joué un rôle, mais elle n'est pas l'explication principale. Les consommateurs les plus avertis ont continué à acheter bio malgré l'augmentation des prix.

La concurrence avec d'autres labels, comme le zéro résidu de pesticides ou le HVE, est un problème pour expliquer la plus-value du bio aux consommateurs. Effectivement, la concurrence du local semble jouer un rôle dans le déclin du bio. Les consommateurs sont susceptibles de choisir un produit local non-bio plutôt qu'un produit bio français non-local, sans prendre en compte tous les éléments, comme l'utilisation de pesticides et l'impact environnemental du dernier kilomètre. Cela ne correspond pas forcément à ce qu'ils recherchent, à savoir un impact positif sur leur environnement proche, et sur l’environnement au sens large.

L’idéal est d’allier bio et local autant que possible. Carrefour est un acteur national qui doit également être impliqué en local.

Est-ce que certains secteurs sont plus touchés par cette baisse que d'autres ?

Oui, les produits frais, notamment ceux issus de l'élevage, sont actuellement les plus touchés. J'ai l'impression que les consommateurs se tournent moins vers les produits frais d’une manière générale, et cette tendance semble affecter également les produits bio.

Pensez-vous que la baisse de la consommation de produits bio est due à une saturation du marché en France ?

Non, je ne pense pas que la saturation de la demande soit une explication valable, surtout quand on regarde d'autres pays européens comme le Danemark, où le pourcentage de consommation de produits bio est beaucoup plus élevé. En France, nous sommes aux alentours de 6 %, tandis qu'au Danemark, ils sont à 13 %.

Est-ce que la notion de « bio industriel » pourrait jouer un rôle dans cette baisse de consommation ?

La Grande et Moyenne Surface (GMS) est souvent associée au bio industriel, mais je ne pense pas que ce soit un facteur déterminant dans la baisse de consommation. L'équilibre entre la GMS et les réseaux spécialisés n'a pas beaucoup changé ces dernières années, avec environ un tiers des achats bio effectués en réseau spécialiste et la moitié en GMS.

Comment percevez-vous l'impact des médias et des titres alarmistes sur les tendances qui affectent le marché de la bio ?

Les médias ont un effet boule de neige avec leurs titres alarmistes, qui peuvent s’apparenter à des prophéties auto-réalisatrices. Il est important d'avoir des communications positives et nuancées sur le bio en ce moment pour contrer cet effet. Chez Carrefour, nous essayons de promouvoir le bio autant que possible pour renforcer cette image positive, dans nos communications, en magasin ou sur les produits bio eux-mêmes.

 

La grande distribution est parfois pointée du doigt comme partiellement responsable de la baisse constatée dans le marché du bio, pour deux raisons principales : les marges pratiquées plus importantes sur les produits bio, et la baisse du linéaire consacré à ces produits en réponse au déclin de la consommation.

Chez Carrefour, nous maintenons autant que possible notre offre bio, en continuant de sur-exposer l'offre pour promouvoir la transition alimentaire. Nous proposons une remise de 10 % sur notre marque Carrefour Bio, qui compte 1 200 produits et constitue la plus large gamme bio en grandes et moyennes surfaces. Nous continuons nos efforts pour soutenir le marché du bio. Concernant les marges, je n'ai pas de chiffres précis pour Carrefour ; il est possible que des écarts sur certains produits soient compensés sur d'autres, comme partout. En prenant en compte les 10 % de remise fidélité pratiquée sur notre marque Carrefour Bio, je pense qu'il y a un bon réalignement des prix, rendant les produits bio accessibles pour les consommateurs.

Concernant l'écoscore, est-il adapté pour évaluer les externalités positives associées au label bio ?

Chez Carrefour, notre objectif est de pousser pour un score le plus complet et transparent possible pour les consommateurs, afin qu'ils puissent faire des choix avisés. Les avantages des produits biologiques, tant pour les humains, le bien-être animal, que pour la planète, doivent être mis en avant dans ce genre de score. Les équipes RSE chez Carrefour suivent ce dossier et travaillent sur des solutions pour mieux valoriser les produits bio dans les scores environnementaux.

Quelles sont les principales conséquences de la baisse de la consommation bio que vous obser-vez aujourd'hui et celles que vous redoutez si cette tendance se poursuit ?

Je distingue deux volets principaux : le volet producteur et le volet consommateur. Sur le volet producteur, nous constatons une baisse des volumes vendus, y compris sur le bio. Carrefour a pris l'engagement de continuer à soutenir les producteurs. Nous avons développé des filières bio françaises, principalement vendues sous la marque Carrefour Bio. Pour accompagner nos producteurs, nous avons mis en place des conventions tripartites avec des coopératives, où Carrefour s’engage sur trois ans et avec des volumes minimums ajustables annuellement.

Fin 2020, nous avions 2 150 producteurs bio français accompagnés de cette manière et fin 2022, ce chiffre est monté à 3 500. Notre objectif est de continuer à nouer de nouveaux partenariats et d'accompagner davantage de producteurs, afin de les sécuriser au maximum.

Sur le volet consommateur, notre objectif est d'accompagner tous les budgets dans la transition alimentaire et le mieux manger. Nous poursuivons nos efforts sur la prime bio, malgré le contexte difficile, et continuons à proposer des promotions sur les produits bio. Nous cherchons également à innover en matière de communication, notamment avec la disparition progressive des catalogues papier.

Nous sommes convaincus que le marché bio a encore du potentiel et qu'il pourra rebondir. Nous voulons continuer à proposer des produits bio dans nos magasins, à des prix accessibles, pour répondre aux attentes des consommateurs.

Quels sont, selon vous, les leviers les plus efficaces que pourrait activer la Métropole de Lyon pour agir sur ce volet ?

La communication et la pédagogie autour du mieux manger et du bio sont essentielles pour relancer la consommation

La communication et la pédagogie autour du mieux manger et du bio sont essentielles pour relancer la consommation. Les études scientifiques sur les bienfaits du bio pourraient être davantage mises en avant dans la communication. Par ailleurs, il pourrait être intéressant d'encourager l'adoption du bio dans les cantines et les restaurants, en formant les chefs à adapter leurs menus et à utiliser des produits bio locaux et de saison.

Je suis tombée sur des campagnes publicitaires promouvant la consommation de produits bio financées par la mairie de Paris et je trouve que c’est une très bonne chose. La campagne #Bioreflexe est une ressource riche qui pourrait être adaptée à l'échelle de la métropole de Lyon.

Enfin, d'autres initiatives, comme les subventions pour un panier bio pour les femmes enceintes mise en place dans certaines régions, pourraient être développées à Lyon. Cela encouragerait la consommation de produits bio dès la grossesse et sensibiliserait davantage les futurs parents aux bienfaits d'une alimentation saine et respectueuse de l’environnement.