Décarboner l’aménagement : de quoi parle-t-on exactement ?
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Une récente feuille de route nationale propose des éléments de définition pour évaluer le bilan carbone d’une opération d’aménagement.
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En changeant profondément les milieux afin de les adapter aux besoins des sociétés humaines, l’aménagement du territoire est une source majeure de modification des écosystèmes. Et si ces changements ont parfois des effets positifs, comme l’illustrent certains écosystèmes anthropiques particulièrement riches en biodiversité (oasis, bocages, etc.), bien souvent ces aménagements ont au contraire des impacts délétères sur les milieux naturels.
Le climat est donc loin d’être la seule variable environnementale à devoir être considérée au moment de l’élaboration des outils de planification urbaine ou lors de la mise en œuvre des opérations d’aménagement. Et si, dans la plupart des cas, les actions en faveur du climat ont des co-bénéfices environnementaux, dans quelle mesure la décarbonation de l’aménagement peut-elle avoir des impacts positifs ou néfastes sur d’autres variables ?
Pour répondre à cette question, il est intéressant de regarder de plus près les principales conclusions des évaluations environnementales stratégiques (EES) pratiquées dans le cadre de l’élaboration des plans climats-air-énergie territoriaux (PCAET). À l’échelle nationale, l’EES de la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) est également une source d’information pertinente.
Rendues obligatoires depuis plusieurs années, ces évaluations ont pour objectif d’anticiper les effets de la mise en œuvre des politiques de décarbonation sur les autres variables environnementales comme, par exemple, la biodiversité, la qualité de l’air, les risques naturels, la qualité et la disponibilité de l’eau douce, ou encore la préservation des paysages et du patrimoine. Une fois identifiées par les EES, ces actions aux impacts potentiellement néfastes doivent faire l’objet de mesures afin d’éviter, réduire ou compenser leurs effets.
L’observation de ces EES montre que, parmi les actions climatiques susceptibles d’avoir des effets adverses sur les autres enjeux environnementaux, celles qui relèvent de l’aménagement et de l’occupation des sols sont particulièrement nombreuses. Sans être exhaustif, on peut citer ici quelques exemples.
Le développement des énergies renouvelables arrive souvent en tête des mesures présentant des risques d’impacts secondaires sur l’environnement local. Les parcs éoliens et solaires sont consommateurs d’espace et de ressources, et ils peuvent porter atteinte au patrimoine architectural et aux paysages. L’éolien entraine également des gênes possibles pour la biodiversité et la faune sauvage, en particulier les oiseaux. Le développement du bois-énergie peut mener à une surexploitation de la ressource susceptible de porter atteinte à l’intégrité et la diversité des milieux forestiers ; et la combustion du bois peut également avoir des effets délétères sur la qualité de l’air. Le développement de l’énergie hydraulique, de son côté, génère des impacts négatifs sur l’écoulement des cours d’eau et sur la vie aquatique.
Les aménagements dédiés aux modes de transport alternatifs peuvent, dans certains cas, avoir des effets environnementaux indésirables. Les pistes cyclables et autres voies vertes peuvent s’ajouter aux infrastructures dédiées aux véhicules motorisés, plutôt que s’y substituer, entraînant une consommation de ressources et d’espace supplémentaires, ainsi qu’une imperméabilisation des sols. Il peut en aller de même avec certains équipements de transports en commun, ou d’aménagements connexes comme les parcs relais, dont les infrastructures viennent souvent s’ajouter à d’autres.
La rénovation des bâtiments constitue un levier important de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Quelques effets indésirables sont parfois pointés du doigt, notamment dans l’optique légitime d’une massification des travaux de réhabilitation, qui pourrait entraîner une consommation importante de matériaux, mais aussi une production de déchets de bâtiments pouvant accroître les besoins de traitement et de valorisation de ces derniers. Certaines évaluations pointent du doigt des effets possibles sur la biodiversité, notamment en cas d’isolation extérieure entrainant la suppression d’anfractuosités utilisées par certains oiseaux comme les hirondelles pour nicher – ce que les spécialistes appellent des « micro-milieux favorables à la biodiversité dans les bâtiments ». De même, si les travaux modifient l’esthétique des bâtiments, un impact négatif est parfois possible sur le patrimoine architectural ou les paysages. Les effets de la réhabilitation thermique et/ou de la mise en œuvre de bâtiments à haute performance énergétique sur la qualité de l’air intérieur font également l’objet de débats et de recherches, la conciliation entre ces deux enjeux dépendant en grande partie de la qualité des équipements et des matériaux utilisés, mais aussi de leur mise en œuvre.
La réponse à cette question n’est pas évidente. Dans une synthèse sur le sujet, la Direction régionale et interdépartementale de l’équipement et de l’aménagement (DRIEAT) d’Île-de-France s’appuie sur les données de l’expérimentation E+C- pour nous rappeler que, de manière générale, plus les travaux sont d’ampleur, plus les émissions de gaz à effet de serre liées à la construction/rénovation des bâtiments seront importants. Mais dans le même temps, des travaux importants améliorent davantage la performance énergétique, réduisant d’autant les émissions liées cette fois-ci au fonctionnement du bâtiment.
Sur une durée de 30 ans, les bilans carbones d’une construction neuve, d’une rénovation légère et d’une rénovation lourde ont donc tendance à s’équilibrer. Mais au-delà de 40 ou 50 ans, le bilan tourne en faveur de la construction neuve.
Pour autant, ce bilan peut s’avérer encore différent si l’on prend en compte d’autres enjeux environnementaux. Par exemple, l’objectif de Zéro Artificialisation Nette invite à privilégier les réhabilitations afin de ne plus dégrader les sols, les surfaces cultivées et les écosystèmes. D’où l’intérêt, là encore, de considérer le bilan carbone des projets… sans pour autant oublier les autres enjeux environnementaux.
Certaines technologies de décarbonation sont également questionnées quant à leurs effets environnementaux connexes – notamment par l’évaluation environnementale stratégique de la SNBC. Parmi les objets phares de la décarbonation, certains ont un lien plus ou moins direct avec l’aménagement. On peut par exemple citer :
Les matériaux utilisés dans l’aménagement ont des impacts importants sur l’environnement. L’empreinte matérielle d’un Français, qui s’élève à près de 12 tonnes de matière par an et par habitant, est par exemple constituée pour près de la moitié de minéraux non métalliques majoritairement dédiés à l’aménagement comme les gravats, les roches, le sable et le ciment, auxquels s’ajoutent d’autres matériaux de construction comme les métaux, le verre ou encore le bois. Certains de ces matériaux sont de puissants émetteurs de gaz à effet de serre, comme le ciment dont la production est très énergivore et émettrice de CO2. Même si de nombreuses pistes sont envisagées afin d’améliorer leur bilan environnemental, un usage plus parcimonieux de ces matériaux reste sans doute le levier le plus important afin de réduire leur impact.
La décarbonation de la construction et de la rénovation nécessitera l’usage accru de certains matériaux clés, comme par exemple les isolants et les matériaux biosourcés tels le bois, le chanvre ou encore la paille, qui pourraient se substituer aux matériaux plus carbonés comme le ciment ou la laine de verre.
Mais ces matériaux biosourcés ou bas-carbone ont-ils d’autres effets environnementaux ? C’est du côté des outils comme l’Analyse de Cycle de Vie (ACV) des produits de la construction qu’il convient d’aller puiser des informations pour y voir plus clair.
Utilisée de manière réglementaire pour les matériaux de construction, ces ACV fournissent des informations sur l’impact environnemental des produits tout au long de leur cycle de vie, dans des dimensions aussi variées que les émissions de gaz à effet de serre, l’appauvrissement de la couche d’ozone, l’acidification des sols et des eaux, la pollution atmosphérique, la pollution des eaux ou encore l’utilisation des ressources renouvelables et non renouvelables.
Recensés dans une base de données nationale (la base INIES) chaque famille de matériau mise sur le marché fait ainsi l’objet d’une Fiche de Déclaration Environnementale et Sanitaire (FDES) qui présente les résultats de son ACV, ce qui permet théoriquement de comparer les impacts d’un matériau de construction sur ces différents enjeux environnementaux, du berceau (extraction des matières) jusqu’à la tombe (gestion de fin de vie) en passant par toutes les étapes de transformation ainsi que, bien entendu, durant sa période d’utilisation.
Du côté de leur bilan carbone, les matériaux biosourcés semblent particulièrement favorables, puisqu’ils émettent peu de CO2 pour leur production, voire même en stockent. C’est la raison pour laquelle ils sont fortement mis en avant par la nouvelle norme RE2020 (voir l’encart).
Sur le versant négatif, on peut noter que l’usage de matériaux biosourcés a inévitablement des impacts en termes d’occupation du sol : cultiver du bois ou des fibres végétales nécessite d’utiliser des surfaces et entrer en concurrence avec d’autres usages, comme l’alimentation. Selon comment elle est opérée, cette culture de matériaux biosourcés pourrait également avoir des effets néfastes sur la biodiversité (usage concurrent d’espaces naturels, utilisation de pesticides, etc.).
Un bilan carbone en trompe l’œil pour les matériaux biosourcés ?
Ce bilan positif des matériaux biosourcés est sujet à certaines controverses sur les méthodes de calcul, que Bruno Peuportier, directeur de recherche à Mines Paris PSL, expliquait déjà en détail dans un article publié en 2022. Pour le chercheur, ce bilan n’est pas si évident à établir et dépend d’une multitude de facteurs.
Mais la critique la plus vive, qui a été largement relayée par les acteurs du ciment et de l’acier, concerne le choix d’intégrer dans la norme RE2020 une Analyse de Cycle de Vie (ACV) « dynamique » simplifiée. Par rapport à une ACV classique qualifiée de « statique », dans laquelle le moment de l’émission des gaz à effet de serre n’est pas considéré, l’intérêt de l’ACV dynamique est de prendre en compte la temporalité. Mais l’ACV dynamique simplifiée retenue pour la RE2020 considère, sur la base d’hypothèses discutables, que l’émission d’un kg de CO2 aujourd’hui a davantage d’impact que le même kg de CO2 émis dans le futur. Mécaniquement, cela pénalise considérablement le bilan des matériaux produits aujourd’hui, ce qui renforce le différentiel de bilan carbone entre les matériaux biosourcés et les matériaux plus carbonés comme le ciment ou la laine de verre. |
Ce rapide tour d’horizon montre que, même si la décarbonation de l’aménagement du territoire aura probablement des effets positifs sur l’environnement, certains effets pervers sont également possibles. En particulier, il semble illusoire d’imaginer que les quantités de matériaux fossiles et minéraux très carbonés qui sont aujourd’hui utilisés dans l’aménagement pourront être remplacées à volumes équivalents par des matériaux issus de la biomasse.
Comme l’ont largement rappelé les participants à un récent séminaire du CEREMA sur la sobriété et la frugalité dans les opérations d’aménagement, il semble bien que le meilleur matériau soit encore celui que l’on ne consomme pas. En matière d’aménagement comme dans d’autres secteurs de la transition écologique, il s’agit désormais de parvenir à mettre en œuvre la sobriété, c’est-à-dire « faire mieux avec moins ».
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