Dans la plupart des pays européens, les politiques publiques de soutien à l’agriculture biologique se sont jusqu’à présent essentiellement concentrées sur l’aide à la production.
Mais face au ralentissement de la consommation de produits bio, le décalage entre une offre croissante et une demande qui diminue pourrait déstabiliser la filière.
Dans ce contexte, quels sont les leviers des pouvoirs publics, et notamment des collectivités locales, pour soutenir la consommation bio ?
Si l’on écarte la restauration collective (cantine scolaire, etc.), la plupart des leviers permettant d’influencer significativement la consommation des ménages semblent échapper aux collectivités locales et relever des compétences de l’État.
Mais à y regarder de plus près, des marges de manœuvre plus ou moins audacieuses existent bel et bien.
Cet article revient sur deux principaux leviers : l’amélioration de la connaissance de l’agriculture biologique et l’accessibilité financière des produits bio.
Or, deux autres leviers d’actions peuvent être investigués pour encourager la consommation de produits bio : la meilleure connaissance de l’agriculture biologique et de ses vertus ; et la baisse des prix des produits bio.
La communication : informer les citoyens-consommateurs
Informer sur les vertus de la bio… et les effets négatifs du « conventionnel » ?
Parmi les arguments avancés pour expliquer la stagnation de la bio, plusieurs concernent une possible dégradation de l’image de l’agriculture biologique à cause de son industrialisation, de la généralisation de l’emballage plastique dans la bio vendue en supermarché, ou encore de la croyance selon laquelle le cahier des charges de la bio serait devenu moins ambitieux.
Plus généralement, l’information relative à ce que signifie le label bio est encore défaillante auprès de nombreux consommateurs, alors même que d’autres formes de labels beaucoup moins ambitieux ou de démarches non certifiées (comme les circuits courts) peuvent aujourd’hui séduire le consommateur.
Le besoin de communication est donc encore important pour promouvoir l’agriculture biologique.
Pour autant, ces productions peinent à toucher un large public. Afin d’élargir l’audience et contrer les campagnes de désinformation, la Fédération Nationale de l’Agriculture Biologique (FNAB) a produit au milieu des années 2010 un document qui reprend un certain nombre de codes utilisés dans le domaine du « fact checking ». Le petit guide pour vos amis biosceptiques(et sa version 2022)se présente ainsi comme un argumentaire sérieusement construit et abondamment référencé qui sait également utiliser un ton décalé grâce à de nombreuses illustrations humoristiques.
De leur côté, l’Agence Bio et l’ensemble des acteurs de la filière se sont réunis en 2022 au sein d’une « équipe de France du bio » pour élaborer une campagne de communication multicanaux intitulée « Pour nous et pour la planète, #Bioréflexe». La campagne s’appuie sur des spots radio, des affiches, mais aussi un cycle de vidéos présentées par un chef étoilé qui rappelle les vertus de l’alimentation biologique et propose des recettes faciles à réaliser au quotidien pour un budget contenu.
Dans cet esprit, plusieurs collectivités participent à financer ou diffuser l’information sur les vertus de la bio, par exemple :
En participant au financement des associations et réseaux de promotion de l’Agriculture biologique (comme les FRAB),
En finançant les coûts de production de certains supports de promotion de la bio (comme certaines Régions l’ont fait avec Le petit guide pour vos amis biosceptiques susmentionné).
En appuyant la diffusion de la campagne nationale en faveur de la bio, comme l’a fait récemment la Région Occitanie qui, dans le cadre de son nouveau plan en faveur de la bio, utilise comme mot d’ordre « En Occitanie, faisons passer le bio réflexe ».
En réservant des espaces de communication à la bio : que ce soit dans les espaces publics (espaces d’affichage réservés, ou temporairement dédiés à la communication d’intérêt général, comme à Rennes) ou par le biais des médias institutionnels classiques.
Aller plus loin ? – Il n’existe a priori pas d’exemple de collectivités ayant massifié ces campagnes de communication afin de toucher tous les habitants d’un territoire, en lien par exemple avec une politique publique portée par la collectivité.
Quand elles portent une action en matière d’agriculture biologique au titre d’une de leur compétence, comme par exemple l’eau potable, c’est en effet essentiellement auprès des agriculteurs que certaines collectivités interviennent généralement – dans l’optique d’une conversion de ces derniers (par exemple en région Grand Est ou en région parisienne). En s’inspirant de ce qui a été fait à Munich ou New York, ces collectivités s’appuient sur l’argument économique pour inciter les agriculteurs à passer en bio, puisque ce soutien coûte in fine moins cher que le traitement des eaux polluées aux pesticides et engrais de synthèse.
Il pourrait être intéressant et légitime pour les collectivités ou intercommunalités qui ont la compétence de distribution d’eau potable de s’appuyer sur cet argumentaire économique pour :
Sensibiliser les habitants aux effets néfastes des pesticides sur la ressource en eau au niveau local ou national, et sur le coût (actuel ou à venir) lié à la dépollution.
Expliquer comment la collectivité accompagne l’agriculture biologique, notamment en termes d’appui à la conversion des agriculteurs…
…Et inviter les citoyens à consommer davantage de produits bio afin de soutenir eux aussi cette filière – tout en leur rappelant les autres aspects bénéfiques de la consommation biologique (biodiversité, santé, etc.).
☞ Piste d’action :
Mener une campagne de communication sur le principe de « foire aux questions » permettant de combattre les idées reçues les plus classiques sur la bio (« ça vient de loin », « c’est cher », « on ne peut pas nourrir la planète avec du bio », etc.)
Relayer localement la communication #bioréflexe développée par l’Agence Bio, en subventionnant directement l'agence Bio pour une campagne d’affichage, ou en s’appropriant l’argumentaire de la campagne.
Étudier la possibilité technique et juridique d’envoyer à tous les abonnés d’un réseau d’eau un support de communication en faveur de la bio (présentée comme protectrice des nappes phréatiques).
Faire connaître les acteurs locaux et les points de vente
L’information est rarement suffisante pour entraîner les changements de comportement : encore faut-il connaître et avoir accès aux alternatives.
C’est la raison pour laquelle un deuxième levier consiste à accroître la visibilité des acteurs de la filière sur le territoire, notamment les points de vente, afin de faciliter l’accès des citoyens aux produits bio. Cette pratique de mise en visibilité est assez répandue parmi les collectivités locales.
Plusieurs Départements ou Régions soutiennent ainsi les interprofessions de la filière bio pour réaliser, produire et diffuser des cartographies ou autres supports à l’attention du grand public permettant d’identifier les acteurs de la bio sur leur territoire.
Quelques exemples – En région Centre-Val-de-Loire, comme dans beaucoup d’autres régions, l’interprofession Biocentre produit et met en ligne une cartographie des acteurs et des points de vente de produits bio sur l’ensemble de la région, ainsi qu’un guide « Manger bio en Centre-Val-de-Loire ». Dans d’autres régions ou départements, les points de vente directe, les AMAP, les magasins et autres marchés spécialisés en bio sont référencés sur le site Bon plan bio, à l’initiative des groupements régionaux d’agriculteurs biologiques et, le plus souvent, avec le soutien des Régions et Départements concernés.
Aller plus loin ? – Même s’ils sont utiles, ces outils ont un impact probablement limité du fait de leur faible diffusion et de la difficulté à toucher un public nouveau, notamment dans le contexte actuel d’inflation. Une piste intéressante pourrait consister à offrir à certains foyers un guide local de la bio accompagné d’un chèque utilisable dans les commerces et marchés bio (voir 2e partie ci-dessous).
Accompagner les changements de comportement concrets
De nombreux travaux en psychologie sociale ont montré que l’information et la mise à disposition d’alternatives ne suffisaient pas toujours à enclencher le changement de comportement des citoyens. Ce dernier passe par une expérimentation concrète des changements à opérer, ce qui suppose bien souvent un accompagnement et des conseils. C’est dans cet esprit que plusieurs expériences de communication engageante sont apparues.
Le principe ? Accompagner un groupe de ménages pour établir avec eux un diagnostic de leurs pratiques, puis identifier et mettre en œuvre des actions pour tester et, dans l’idéal, pérenniser de nouveaux gestes.
Quelques exemples – Dans le domaine de l’alimentation biologique, plusieurs programmes de ce type ont été mis en œuvre en France. Créé en 2012 à Lyon, le défi des foyers à alimentation positive (FAAP) a depuis été mis en œuvre dans plusieurs dizaines de territoires avec pour objectif d’accompagner des foyers volontaires à relever un défi : augmenter leur consommation de produits bio et locaux sans augmenter leur budget. Le programme est ponctué d’échanges avec des diététiciens, de visites de fermes, de cours de cuisine et de jardinage, de conseils anti-gaspillage, etc. et différentes astuces du quotidien pour consommer bio et local tout en dépensant le moins possible.
Dans les Hauts-de-France, le programme CROC – « Consommer Responsable Oui mais Comment ? » - utilise les mêmes recettes bien établies du défi FAAP, en y ajoutant une dimension plus participative dans l’élaboration de chaque programme (choix des visites, des ateliers, etc.).
Aller plus loin ? –Ces programmes semblent parvenir à générer des changements durables parmi les familles bénéficiaires, mais même après plus de dix ans d’existence, le défi FAAP n’a touché que 2 000 foyers. Malgré la participation financière des acteurs publics, les moyens humains et logistiques nécessaires pour animer de telles démarches sont importants et rendent donc sa massification difficile à envisager.
Réguler la publicité pour arrêter d’inciter à la consommation non bio ?
Si les idées et les expériences sont nombreuses pour promouvoir la bio, leur impact reste largement à démontrer. Car, de fait, les moyens alloués par les acteurs publics pour la communication en faveur de la filière biologique sont insignifiants au regard de ceux déployés par le reste de l’industrie agro-alimentaire.
A l’instar de ce qui a pu être réalisé pour le tabac ou l’alcool, peut-on imaginer que les publicités pour les produits issus de l’agriculture pétrochimique soient un jour régulées ? Une récente enquête montre que 83 % des Français sont favorables à l’interdiction de la publicité pour les produits alimentaires les plus nocifs pour la santé et la planète. En France et ailleurs dans le monde, la démarche est déjà entamée pour ce qui concerne l’impact sanitaire des produits alimentaires transformés, avec une obligation d’ajouter un message de prévention sanitaire.
Quelques exemples – En France, les compétences des acteurs publics locaux se limitent à encadrer l’affichage publicitaire, notamment pour en limiter les impacts paysagers (taille, nombre de panneaux, emplacement géographique) et, dans une moindre mesure, leur impact énergétique direct – la consommation des panneaux lumineux en particulier.
Le règlement local de publicité dans la métropole de Lyon permet ainsi de limiter le nombre de panneaux publicitaires, leur taille, leur proximité avec certains sites comme les écoles et les collèges, ou encore de fixer des horaires d’allumage et d’extinction des panneaux lumineux. Dans certains cas, comme à Grenoble, Mordelles ou Forcalquier, les collectivités peuvent aller jusqu’à supprimer l’affichage publicitaire sur la partie de l’espace public dont elles ont la responsabilité directe, en ne renouvelant pas les contrats les liants aux afficheurs. A Grenoble comme à Mordelles, les panneaux ont été pour partie remplacés par des affichages destinés à la communication d’intérêt général et associative. La démarche « zéro pub » à Genève, objet d’un récent référendum, est assez proche puisqu’elle vise à interdire l’affichage commercial tout en laissant la place à l’affichage d’intérêt général.
Dans tous les cas, une étape supplémentaire pourrait consister à intégrer dans la définition de l’affichage d’intérêt général la communication sur l’alimentation durable, locale et biologique, afin d’en favoriser plus explicitement la promotion.
En France, lorsqu’un contrat lie une collectivité à un afficheur, il semble aujourd’hui difficile pour la collectivité de choisir les types de messages qu’elle voudrait privilégier puisque ce choix est généralement délégué à l’afficheur – qui se contente généralement de répondre à la demande des annonceurs. Dans certains cas, des arrêtés municipaux controversés ont pu être pris pour interdire la diffusion de campagnes dont les élus considéraient qu’elles portaient atteinte « aux bonnes mœurs et à la moralité », mais de tels arrêtés semblent difficilement applicables au nom de la transition écologique – et ils ne pourraient a priori être utilisés qu’au cas par cas. En étudiant le cas de la commune de Mordelles, Yvon Goutal explique dans la Gazette des communes que l’encadrement du contenu des publicités est en principe possible, mais délicat à mettre en œuvre : il faudrait prévoir dans le contrat avec les sociétés d’affichage des critères de choix des publicités, ce qui suppose « un travail très fin pour déterminer quelles sont les limites qu’on fixe à l’affichage, pour que ce ne soit pas complètement discrétionnaire ».
☞ Piste d’action : étudier la faisabilité juridique et technique d’une intégration de critères concernant les contenus des publicités dans le cadre des contrats avec les afficheurs.
Par exemple, l’intégration de critères défavorables, qui mèneraient à une limitation, voire une interdiction de l’affichage pour les produits alimentaires jugés néfastes pour la santé et l’environnement.
Par exemple, l’intégration de critères favorables, qui pourraient mener à une obligation pour l’afficheur de favoriser, voire d’intégrer un pourcentage minimal (à déterminer) de produits jugés favorables pour la santé et l’environnement – comme l’alimentation bio.
La création d’un système de gouvernance et de contrôle transparent permettant d’établir les critères et de s’assurer de leur respect par l’afficheur.
L’incitation par les prix : agir sur l’accessibilité financière
Proposer des « chèques alimentation durable »
Le « chèque » est un outil d’action publique consistant au versement d’une aide financière ciblée sur certaines dépenses, le plus souvent sous condition de faible revenu. En France, les chèques concernent aujourd’hui de nombreux secteurs de consommation et divers échelons administratifs : achats de chauffe-eau, de licences sportives, pass culture, chèque énergie, chèque mobilité, etc.
Dans le domaine alimentaire, les chèques se sont d’abord concentrés sur l’aide d’urgence par la création du chèque d’accompagnement personnalisé ou chèque service gérés entre autre par les Centres Communaux d’Action Sociale (CCAS). L’objectif est de fournir une aide financière sous forme de bons d’achat ou de cartes prépayées aux individus et aux familles à faible revenu, afin qu'ils puissent acheter des produits alimentaires de base.
Le principe est simple : les bénéficiaires reçoivent des chèques alimentaires d'une valeur déterminée qu'ils peuvent utiliser dans les commerces participants pour acheter des produits alimentaires éligibles. Ces aides n’étaient jusqu’à présent jamais assujetties à des objectifs de durabilité environnementale.
Quelques exemples – C’est en tant que réponse aux crises sociale et écologique qu’a émergé l’idée de « chèque alimentation durable », à l’initiative de la Convention citoyenne pour le climat (CCC). Ce chèque est présenté comme une évolution par rapport aux chèques alimentaires traditionnels. Ils visent à encourager la consommation de produits bio, locaux et de saison, afin de soutenir une alimentation plus saine et respectueuse de l’environnement.
Plusieurs villes françaises et étrangères ont expérimenté la distribution de coupons alimentaires fléchés vers une gamme de produits sains et non-transformés (fruits, légumes, et parfois légumineuses), généralement à destination d’un public défavorisé. L’IDDRI relève que « les études montrent généralement qu’une subvention de la demande entraîne une hausse de la consommation de fruits et légumes et que cet effet est plus marqué chez les petits consommateurs », tout en soulignant que « les limites méthodologiques sont importantes », à cause notamment de la faiblesse des échantillons et des montants distribués.
La métropole de Dijon a par exemple expérimenté la distribution mensuelle de coupons alimentaires d’une valeur de 30 euros fléchés vers l’achat de fruits, légumes et légumineuses en épiceries solidaires. Ce dispositif s’insère dans une stratégie plus générale de lutte contre la précarité alimentaire, l’un des piliers du projet alimentaire local.
L’objectif est de sensibiliser les populations les plus précaires à l’importance d’adopter un régime alimentaire sain avec plus de produits frais. La métropole dijonnaise organise aussi des ateliers culinaires participatifs menés par les épiceries sociales, met en œuvre un dispositif de sécurisation de l’approvisionnement des structures d’aide alimentaire (Banque alimentaire, Restos du cœur, épiceries sociales) et cherche à améliorer l’efficacité nutritionnelle et gustative de l’aide alimentaire. Dans ce contexte, une légumerie locale a également pour ambition d’approvisionner l’aide alimentaire, en particulier les épiceries solidaires, en fruits et légumes locaux de qualité.
Ces dispositifs restent au stade expérimental, ne s’adressent qu’aux plus démunis et ne concernent pas spécifiquement les produits bio.
Zoom : Le dispositif « Mieux manger pour tous »
Face à l'inflation élevée, le plan « Mieux manger pour tous », officiellement annoncé par le gouvernement en mars 2023, vise à offrir une alimentation saine, durable et de qualité aux personnes les plus précaires. Doté de 60 millions d'euros, ce dispositif s'appuiera sur les associations et banques alimentaires pour fournir des produits frais et de qualité issus de labels respectant la loi EGalim de 2018 : labels bio, AOP, AOC, IGP, Label rouge et Pêche durable. L'objectif, à terme, est de se conformer aux recommandations du Programme national nutrition santé (PNNS), notamment les « cinq fruits et légumes par jour ». Ce plan d'aide devrait bénéficier à 4 millions de personnes. Plusieurs offres seront proposées : des chèques verts et solidaires, à l’image des expérimentations de Rennes et de Dijon ; des paniers verts et solidaires, issus de groupements d’achat locaux ; des ateliers verts et solidaires.
Aller plus loin ? – Dans le prolongement des chèques alimentaires fléchés vers les produits sains, des chèques alimentaires fléchés vers l’alimentation biologique pourraient être distribués. Pour garantir leur succès et leur efficacité, les critères de validité de tels chèques doivent être étudiés et mis en débat auprès du public éligible.
Il s'agirait soit de restreindre les commerces partenaires à des supermarchés et épiceries spécialisés dans l'alimentation biologique (sans restriction sur le type de produit acheté), soit de restreindre les produits conventionnés à ceux certifiés bio (sans restriction du commerce distributeur), soit de combiner ces critères. Dans une note de synthèse et de propositions portant sur le chèque alimentation durable, deux chercheurs de l’IDDRI évaluent qualitativement le « potentiel transformateur » de plusieurs combinaisons de critères sur chaque maillon de la chaîne alimentaire.
Source : Brocard, C., Saujot, M. (2022) Chèque alimentation durable : analyses et propositions pour renforcer l’accessibilité et la durabilité de l’alimentation. IDDRI.
Un chèque fléché vers des produits végétaux bio, assorti d’une bonification en cas d’achat dans un circuit de distribution alternatif, est a priori une solution répondant tout à la fois à la relance de la consommation de produits bio, à la végétalisation des assiettes (donc à la réduction de l’impact environnemental de l’alimentation) et au développement de commerces de proximité spécialisés dans l’agriculture biologique (donc à l’évolution durable des pratiques d’achat).
Cependant, un tel dispositif a un coût significatif pour la collectivité, ce qui explique que dans toutes les expérimentations existantes, l’éligibilité était soumise à condition de revenu. Cette condition est une limite importante tant pour l’efficacité du dispositif (le « non-recours » des populations éligibles est fréquent, notamment à cause de la stigmatisation) mais aussi et surtout à sa massification, condition sine qua non pour transformer significativement les dynamiques de production et de consommation.
L’IDDRI conclut dans sa note que « le chèque s’inscrit dans le cadrage actuel du néolibéralisme des questions alimentaires, en ce qu’il se fonde sur ses principes phares : responsabilité individuelle, centralité du marché, vision incrémentale du changement, restriction de la dépense publique, politiques publiques de type volontaire plutôt que régulatoire […]. Or ces principes ne semblent pas opérants ou suffisants pour traiter les différents problèmes [affectant le système alimentaire] ».
☞ Piste d’action : distribuer des « chèques alimentation bio & durable » fléchés vers des produits bio, des commerces bio, des produits sains, ou toute combinaison de ces critères.
Expérimenter une Sécurité sociale de l’alimentation à l’échelle locale
Autre piste de réflexion : la socialisation d’une partie du budget alimentaire. Le collectif « Pour une Sécurité sociale de l’alimentation » a été initié en 2019 par l’association Ingénieurs sans Frontières pour concrétiser l'idée de démocratie alimentaire. Le collectif rassemble en 2023 une dizaine d’organisations issues de la société civile. Le projet vise à mettre en place un droit à l’alimentation en assurant l'orientation de la production agricole pour garantir l'accès de tous à une alimentation de qualité et choisie.
La Sécurité sociale de l’alimentation (SSA) répond aux contraintes économiques actuelles du système alimentaire, qui occasionnent une course à la productivité, une paupérisation des agriculteurs, et une concentration géographique et économique des activités de transformation et de distribution. Elle vise à garantir un droit universel à une alimentation saine et durable, tout en rémunérant correctement tous les acteurs de la chaîne alimentaire.
Concrètement, le collectif pour la SSA propose la mise en place d'une carte vitale de l'alimentation, donnant accès à des produits conventionnés pour un montant de 150€/mois et par personne. Le conventionnement repose sur des caisses primaires gérées démocratiquement au niveau local et sur une instance nationale composée de représentants de ces caisses.
L’universalité. Elle garantit 150€ mensuels pour les dépenses alimentaires à tous.
Le conventionnement démocratique des produits accessibles. Il permet aux citoyens d'orienter la production agricole et alimentaire en décidant démocratiquement des produits accessibles et des critères de qualité.
Un financement redistributif. Il reposera a priori sur une cotisation sociale des entreprises ou des salaires, estimée à 120 milliards d'euros annuels, soit 8 % de la valeur ajoutée produite en France.
Si les modalités de cotisation et d'organisation démocratique sont encore en réflexion, la SSA est aujourd’hui perçue par de nombreux acteurs de la transition alimentaire comme une stratégie de premier plan pour lever les verrous s’opposant à la transition du système alimentaire.
Quelques exemples – En France, plusieurs acteurs territoriaux s’emparent du projet de Sécurité sociale de l'alimentation afin d'élaborer des dispositifs adaptés à leurs territoires, avec plus ou moins d’ambition accordée aux critères de démocratie, de redistribution ou de durabilité des produits.
Zoom : une caisse commune de l’alimentation à Montpellier
Une des expérimentations territoriales de SSA les plus avancées prend place à Montpellier. Une première phase d’un an a permis de préfigurer le projet, de constituer un comité de pilotage et d’obtenir les financements. L’initiative s’appuie sur un réseau de dynamiques locales d’acteurs du territoire, sur un supermarché coopératif et des épiceries sociales et solidaire préexistantes. Il bénéficie du soutien de la métropole de Montpellier, du département de l’Hérault et de la région Occitanie. Son lancement a été accéléré par le biais d’une subvention « France Relance ».
Elle reprend les trois piliers de la SSA : universalité (pour les adhérents au système), conventionnement démocratique (avec un comité d’une cinquantaine de citoyens), et le caractère redistributif. Sur ce dernier point, les nouveaux adhérents auto-évaluent leur niveau de cotisation en fonction d’une grille croisant niveaux de revenus, « reste-à-vivre » et budget alimentaire mensuel.
Pendant la phase de croissance du projet, les nouveaux participants qui rejoignent le dispositif sont tirés au sort de façon à obtenir un échantillon représentatif des habitants et à garantir un équilibre budgétaire. Les adhérents reçoivent alors un budget mensuel de cent euros, indépendamment de leurs niveaux de cotisation respectifs, distribué dans une déclinaison numérique de la monnaie locale.
Zoom : une monnaie solidaire pour l’alimentation à Clermont-Ferrand
À Clermont-Ferrand, le projet Soli'doume a pour objectif de mettre en place un système redistributif basé sur la monnaie locale existante : la doume. L’objectif est d’améliorer l'accès aux produits de qualité pour les personnes défavorisées et de soutenir des projets alimentaires écologiques et éthiques. Le projet vise d’abord les étudiants, avant d’étendre à un public plus large.
Chaque mois, les participants cotisent un montant proportionnel à leurs revenus (entre 30 et 70 doumes) et reçoivent en retour la moyenne des sommes cotisées sur leur compte e-doume. En attirant de nouveaux utilisateurs, le projet renforce ses effets bénéfiques et sensibilise une population croissante aux enjeux sociaux et environnementaux liés à l'alimentation. En complément, des activités annexes telles que des ateliers cuisine, dégustation et parcours du goût sont organisés par des structures partenaires pour accompagner les changements de pratiques alimentaires.
À terme, si le dispositif se développe, il pourrait encourager des producteurs à rejoindre le réseau de la doume en adaptant leurs pratiques agricoles à la charte de la doume.
Aller plus loin ? – Le collectif pour une Sécurité Sociale de l’Alimentation propose une charte des initiatives locales, permettant de fédérer les territoires volontaires autour d’un socle commun, garantissant la prise en compte des enjeux agricoles et assurant l’universalité du dispositif ainsi que sa gouvernance démocratique.
☞ Piste d’action : Subventionner la consommation de produits bio et contribuer au développement d’une caisse de solidarité locale inspirée des initiatives de Sécurité sociale de l’alimentation, fléchée vers des produits issus de l’agro-écologie (notamment bio).
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