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Marius BERLIET (1866-1949)

Étude

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Date : 02/01/2007

Marius Berliet, né le 21 janvier 1866, est l’aîné d’une famille de sept enfants. Ses parents, Lucie Fabre et Joseph Berliet sont des canuts très religieux appartenant à ce que l’on appelle La petite Eglise, celle qui a refusé le Concordat de 1801. Son père, issu d’une famille de paysans de Décines dans le Rhône, a monté en association un petit atelier de soieries, installé sur les pentes de la Croix-Rousse, spécialisé dans le gaufrage de tissus et apprêts pour la chapellerie. En 1881, après avoir obtenu son certificat d’études, le jeune Marius y entre en
apprentissage, tout en suivant des cours du soir pour parfaire ses connaissances techniques.

 

Un self-made-man génial

Marius étouffe un peu dans le milieu de la Fabrique des tissus de soie et ne cesse de s’intéresser à toutes les nouveautés mécaniques, nombreuses en cette fin du XIXe siècle, particulièrement dans le secteur de l’automobile. Il est vrai que le milieu économique lyonnais est favorable à cette effervescence, compte tenu des liens étroits existant entre les différentes branches de l’industrie lyonnaise, que ce soit le textile, la chimie ou la mécanique. Malgré les mises en garde de son père contre cette lubie qui lui fait négliger l’atelier familial, mais peut-être pour donner raison à sa mère qui voit en lui le «  Napoléon » de la famille, il construit, le soir, sa première automobile, La Pantoufle, qui, une fois achevée en 1895, finit dans la vitrine d’un charcutier au bas de la montée de la Grande Côte. Cet échec ne le fait pas renoncer et en 1898, il dépose son premier brevet sur sa véritable première voiture, puis en 1899, il s’installe rue Sully dans le 6e arrondissement dans un petit atelier. Il embauche alors du personnel pour l’aider et s’installe dans un nouvel atelier plus vaste situé dans le même arrondissement. Malgré la concurrence importante, il sort environ une douzaine de voitures par an aidé par une cinquantaine d’ouvriers. Puis, la cadence grimpe à cinq voitures par mois, puis à une dizaine une fois rachetées, en 1902, les 10000 m2 des usines Audibert-Lavirotte à Monplaisir. Il emploie alors près de 200 ouvriers. Le stade artisanal montre alors ses limites, mais pour atteindre le niveau industriel, il faudrait pouvoir investir.

 

Un industriel exigeant et visionnaire

En 1905, soit dix ans après ses débuts, Marius Berliet signe un contrat de licence avec l’American locomotive Corporation. Cette entreprise américaine, en échange du droit de reproduction de trois modèles de voiture Berliet appréciées pour leur robustesse, verse 500000 francs-or à Marius Berliet, somme qui lui permet d’abord de s’agrandir à Monplaisir et d’investir dans de nouveaux projets. En remerciement de cette aubaine financière, Marius dote ses véhicules d’un symbole en forme de locomotive chasse-buffles qui devient le logo de la firme.
La décennie qui précède la Grande guerre est une période heureuse. Son premier camion, qui intéresse l’armée, sort en 1906, il se marie en 1907 et le premier de ses six enfants naît l’année suivante, ses voitures gagnent des courses, en 1910 la présidence de la République lui achète une automobile et en 1911, il est fait chevalier de la Légion d’honneur. Avec la Grande guerre, le nom de Berliet devient nationalement connu quand les camions de la firme permettent aux soldats de Verdun de tenir face à l’ennemi allemand en ravitaillant le front par la « Voie sacrée ». C’est aussi l’époque de l’installation à Vénissieux d’une usine modèle sur 400 hectares. Cette nouvelle usine doit reproduire en France l’usine Ford de Détroit. Si le premier camion en sort en 1917, les travaux s’échelonnent jusqu’en 1939. Cette usine, qui se veut globale, comprend aciérie, fonderie, usinage, montage, stockage et locaux pour le personnel et la réception des clients. Le fonctionnement de l’usine est scientifiquement organisé pour éviter des pertes de temps, pour permettre l’innovation et pour
accueillir au mieux les clients. Les salaires y sont plus élevé qu’ailleurs, une cité Berliet a été construite pour y loger une partie du personnel et un centre d’apprentissage est incorporé. Dans ces conditions Marius Berliet est un patron paternaliste qui exerce sur son usine et ses employés une autorité sans faille, relayée par des gardes qui contrôlent et verbalisent, ce qui fait dire à certains qu’il exerce une véritable dictature.

 

Un grand patron confronté à des difficultés

Au sortir de la Grande guerre, Marius Berliet est un grand patron, à la tête d’une société anonyme de 50000 actions de 1000 francs chacune. Ses usines emploient près de 5000 ouvriers, générant un chiffre d’affaires de 123 millions de francs et travaillant dans un secteur de pointe, la fabrication de véhicules automobiles. Cette puissance ne l’empêche pas de connaître, dans les décennies suivantes, trois périodes difficiles.
La première épreuve date des années 1920. Il a beaucoup investi pour posséder une usine ultra-moderne. Or le franc ne cesse de se déprécier par rapport au dollar, monnaie dans laquelle il a commandé du matériel. De plus, la crise de reconversion, couplée à la vente des surplus de matériel militaire, touche particulièrement les usines Berliet, ce qui entraîne de la mévente et des stocks, puis une baisse de la production et des licenciements. A terme, malgré la vente de machines-outils, les créanciers se multipliant, une crise de trésorerie est donc inévitable. Marius Berliet connaît alors ce que de nombreuses jeunes entreprises, à la très forte croissance, connaissent lorsque le marché se contracte. Il doit céder la direction du Conseil d’administration aux banquiers, ce qui est fait après un jugement rendu par le tribunal de Commerce en octobre 1922. Cette crise amène Berliet à se recentrer en priorité sur les camions et les autobus. En 1926, la traversée du Sahara par trois camions à six roues Berliet relance les commandes, ramène des bénéfices, ce qui permet de régler les dettes. En juin 1929, il est redevenu le patron de la Société anonyme des automobiles Berliet et préside à nouveau le conseil d’administration.
La seconde difficulté est récurrente à tout son parcours patronal. Marius Berliet est un patron paternaliste, mais autoritaire, faisant régner une discipline rigoureuse dans ses ateliers et n’appréciant pas les mouvements revendicatifs. De ce fait, il n’a jamais cédé aux grévistes que ce soit en 1905, 1912, 1919, 1924, 1926 ou 1931. La situation en 1936 est plus délicate. Avant même les élections de mai 1936, il est confronté à des mouvements de grève qui portent sur les rythmes de travail et les différences de salaire entre nouveaux et anciens employés. Le dialogue est rompu très vite entre Berliet et la CGT. La victoire du Front populaire aux élections de mai 1936 relance la contestation gréviste et cette fois, Marius Berliet est obligé de céder aux revendications. De cet affrontement, il reste, des deux côtés, des contentieux réciproques que la Seconde guerre mondiale va mettre en exergue.
La dernière épreuve, la plus terrible, est consécutive à l’occupation de la France après la défaite de juin 1940. Marius Berliet, pour qui des machines ont pour vocation de tourner et une usine de produire, n’hésite pas à livrer les camions que les Allemands lui commandent. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant qu’à la Libération, il soit arrêté le 4 septembre 1944, accusé de collaboration économique, condamné à deux ans de prison en 1946 et assigné à résidence à Cannes, ses fils en prison, ses biens confisquées et sa Société automobiles Berliet sous séquestre. L’année 1949 est à la fois, pour Marius une fin et pour Berliet une résurrection. Le 17 mai Marius meurt et le 22 juillet, le Conseil d’Etat statue favorablement sur un recours de la famille Berliet, ouvrant la voie à une restitution de la Société Berliet à ses actionnaires.
 

Si aujourd’hui, la marque Berliet a disparu, l’usine de Vénissieux existe toujours et produit des camions sous la marque Volvo trucks. Certes, si l’entreprise Berliet appartient au passé de l’industrie lyonnaise, il n’empêche que le parcours de Marius Berliet, lui, appartient à la déontologie patronale qui consiste, en effet, à savoir prendre des risques, à innover et à réagir aux circonstances et conjonctures, sans être à l’abri, pour autant, de difficultés qui peuvent se révéler mortelles.
 

Bibliographie :
- Saint-Loup, Marius Berliet, l’inflexible, Presses de la Cité, 1962.
- Louis Muron Marius Berliet, Elah, 1995.