L'aventure industrielle dans l’identité de l’agglomération lyonnaise
Interview de Bernadette Angleraud
« Lyon a été très marquée par l'activité de la soie et l'industrie a toujours été plus ou moins dévalorisée ».
Interview de Paul Berliet
<< A travers la Fondation Berliet, nous voulons être un point de référence pour redonner à cette région sa fierté ! >>.
Paul Berliet, fils de Marius Berliet (fondateur de l’entreprise), a assuré le développement de l’entreprise de son père à partir des années 50. Il est actuellement président de la Fondation Berliet. Berliet, "poids lourd de l’industrie lyonnaise", a marqué le territoire de son génie dans la mécanique. Parmi les véhicules phares construits par Berliet, citons par exemple la "Gazelle" surnommée ainsi en hommage à ses capacités de franchissement ou encore le T 100, l’un des plus gros camions du monde. Robustesse, agilité, longévité, telles étaient les caractéristiques de la marque Berliet dont l’usine de Vénissieux a entraîné toute la région. Paul Berliet nous raconte l’épopée de cette entreprise dont le savoir-faire inspire encore les constructeurs d’aujourd’hui.
Comment est né ce génie de la mécanique chez Marius Berliet ?
Il a quitté l’école dès 15 ans et a été élève pendant 2 ou 3 ans à la SEPR (Société d’Enseignement Professionnel du Rhône) pour étudier la mécanique dont il avait le génie, et aussi l’anglais, car déjà à cette époque, il mesurait l’importance de maîtriser cette langue pour l’avenir. En travaillant chez son père (qui était canut), il réussit à multiplier le chiffre d’affaires par 10 en trouvant des astuces mécaniques sur les métiers ! Il est certain qu’à Lyon le génie de la mécanique trouve une source importante dans la fabrication des tissus parce que les métiers à tisser demandaient des réglages, ils fonctionnaient à partir d’engrenages, donc il y avait beaucoup de mécanique. D’ailleurs, le premier compagnon de Marius Berliet était un gareur (personne qui travaillait sur les métiers à tisser).
Quand a-t-il fabriqué sa première voiture ?
Il a fabriqué sa première voiture en 1895. Elle finira d’ailleurs dans la vitrine d’un boucher-charcutier de la Grand’Côte. Cela ne va pas le décourager pour autant… En 1902, à 36 ans, il est à la tête de 250 ouvriers et cadres dans son usine de Montplaisir !
Comment Marius Berliet en est-il venu à fabriquer des camions ?
Marius Berliet a été aussi le premier promoteur de l’usage du camion parce qu’il n’avait pas de moyens de raccordement entre ses usines, l’usine de Montplaisir n’étant pas raccordée. Il a donc eu des flottes de camions qui lui ont servi à chercher les composants à St Etienne, Chambéry ou Annecy. Mais au-delà, Marius avait un caractère visionnaire : il a eu le génie technique du camion en 1907 et du transport collectif de voyageurs en 1911. Il avait anticipé l’utilité de ce type de transport qui, pour lui, allait supplanter tôt ou tard la traction hippomobile. L’Entre-deux-guerres lui a donné raison ! Très vite, ces camions ont démontré une grande puissance et robustesse. Ils ont remporté tous les concours militaires d’avant la première guerre ! Avec la guerre, le gouvernement lui a demandé d’arrêter la production de la voiture et de faire exclusivement des camions dont beaucoup sont allés à Verdun.
Quel était le secret de Berliet pour fabriquer des véhicules de cette qualité tant appréciée ?
Outre son génie de la mécanique, mon père a toujours attaché beaucoup d’importance à la formation. Autrement dit, il a su partager son savoir-faire et sa passion auprès de ses collaborateurs et de ses ouvriers. Dès 1906, il créé une école des chauffeurs pour les former à quelques rudiments de la mécanique et du fonctionnement d’une automobile. Au bout d’un an, fort du succès de cette école, il décide de l’ouvrir à ses ouvriers. Berliet n’avait pas d’école-maison, donc les apprentis de l’école technique n’étaient pas obligés de travailler chez Berliet à la suite de leur apprentissage. Pour Berliet, la formation devait permettre de hausser le niveau général d’éducation de la main d’œuvre locale. C’est quelque chose dont la région a beaucoup bénéficié. A l’époque, le vivier de la mécanique lyonnaise, c’était l’école technique Berliet ! Si nous avons été reconnus dans de nombreux pays, c’est parce qu’on savait travailler !
L’avance de Berliet sur ses concurrents n’était-elle due qu’à l’effort de formation ?
En 1962, il y a eu la création d’un centre d’étude et de recherche sur 30 ha ! Ce fut une décision stratégique extraordinaire qui vaut d’ailleurs probablement à Renault Trucks d’être extrêmement bien considéré aujourd’hui en terme de savoir-faire technique. Beaucoup d’ingénieurs venant de l’aéronautique ont intégré ce centre de recherche. Songez que le nombre de brevets déposés par Berliet a considérablement augmenté à partir de 65-66 et que la maîtrise du moteur diesel a été totale chez Berliet.
A ce propos, le diesel occupe une place importante dans l’histoire de Berliet. Pouvez-vous nous dire en quoi ?
Il ne faut pas oublier que Marius Berliet était motoriste au départ. Il est d’ailleurs l’un des rares constructeurs français à avoir toujours monté sur ses productions des moteurs de sa propre facture. Et en 1929, il se rend compte du potentiel du diesel : les Anglais (AEC), les Allemands (Deutz) et les Suisses (Saurer) ont déjà équipé leurs camions de moteurs diesel. C’est à ce moment là qu’il décide de s’engager à fond dans le diesel. A l’époque, le diesel vaut trois fois moins cher que l’essence et la consommation est de 30 à 40% moins élevée ! Ses premiers moteurs diesel sont fabriqués à partir de l’achat de licences portant sur la chambre de combustion (systèmes Acro puis Ricardo) à laquelle il apporte des améliorations successives. Puis, avec l’aide du centre de recherche, il parvient par la suite à concevoir un système de combustion maison en 1965 sur un 6 cylindres. Le pari est remporté !
Vous-même avez continué l’œuvre de votre père en déployant le génie Berliet à l’international. Pouvez-vous nous expliquer la philosophie de cette expansion internationale ?
A partir des années 50, quand j’ai repris l’entreprise en main, j’ai dû chercher du travail et des débouchés ailleurs pour assurer l’avenir de l’entreprise. J’étais face à un concurrent français (Renault) qui avait le soutien du gouvernement, qui avait toutes les commandes (EDF, RATP, etc.). Notre développement international passait bien sûr par l’exportation et la vente classique de véhicules complets en Belgique, en Espagne, en URSS et en Afrique. Mais il passait aussi et surtout par le transfert de notre technologie dans un grand nombre de pays. Dans la droite ligne des principes qui ont guidé mon père, je voulais apprendre aux autochtones à se servir de leurs mains. C’est donc à travers la vente de licences, de brevets et le transfert technologique, que nous avons impulsé des dynamiques économiques vertueuses dans de nombreux pays en voie de développement en formant les gens et en leur apportant la maîtrise de l’outil de production.
Certains diraient aujourd’hui qu’il s’agissait de délocalisations ?
Non, ce n’était pas une stratégie de délocalisation ! L’usine qui a été faite en Chine n’a jamais envoyé des camions en France ! Elle était faite pour que les Chinois, après que les Russes les ont laissés tomber, retrouvent une industrie locale. En 1964, ils sont venus chercher Berliet en France pour faire ce travail parce qu’ils avaient vu la manière dont Berliet avait procédé en Algérie et au Maroc (en 1958). Dans la même logique, il y a eu la Pologne pour le PR 100, le Sénégal et Cuba. C’était une aide aux pays en développement. L’enjeu sous-jacent étant que ces pays acquièrent progressivement une maîtrise technologique équivalente à la nôtre. Par conséquent, nous étions nous-mêmes encouragés à innover et à progresser pour ne pas nous faire dépasser !
Le rachat de votre entreprise Renault finira par provoquer la disparition de la marque Berliet. Pouvez-vous nous raconter cet épisode ?
A la fin des années 60, il fallait que je me développe par tous les moyens malgré le blocage des prix, et en particulier vers l’extérieur. J’ai été donc devant le choix : soit m’intégrer à un grand groupe, soit vendre Berliet. J’ai choisi de m’intégrer au groupe Michelin en 1967. Cette relation fructueuse nous a permis d’embaucher 1000 personnes par an pendant 7 ans ! En 1974, Berliet entre dans le groupe Renault qui, de 1975 à 1978, a eu deux filiales poids lourds (Berliet et Saviem). En 1978, Berliet absorbe Saviem et s’appelle Renault Véhicules Industriels. En 1980, malgré les promesses, les deux marques disparaissent… ! J’ai coutume de dire qu’entre Renault et Berliet, ce fut le choc des « 2P » : d’un côté, Renault était une entreprise Publique et Parisienne, de l’autre, Berliet était une entreprise Privée et Provinciale…
Aujourd’hui, la présence et la performance de Renault Trucks à Lyon ne consacrent-elles pas le génie de Berliet ?
Lyon est aujourd’hui encore la Capitale des Poids Lourds bien sûr, bien que l’entreprise familiale ait disparu ! Devant l’importance de l’histoire de l’automobile lyonnaise, j’ai décidé de créer la Fondation. Aujourd’hui, nous faisons tout notre possible pour aider Renault Trucks dans son développement ! J’ai eu le plaisir de découvrir leur « Halle du Design » à Saint-Priest qui comprend une salle Paul Berliet ! A l’époque, nous étions déjà allés chercher les meilleurs designers pour concevoir nos cabines ! Par ailleurs, nous avons eu récemment la visite du directeur du musée de Volvo qui est venu voir comment on travaillait sur le plan des archives. Ils estiment que nous sommes un centre de ressources. Renault Trucks a également créé un espace appelé « Atelier Berliet Passion » dans un bâtiment industriel de Vénissieux où sont exposés une trentaine de véhicules construits sur le site entre 1918 et 1980, pour pouvoir montrer ce qu’on a su faire ! Ces démarches permettent très certainement d’ancrer la crédibilité et la continuité du constructeur.
Comment le patrimoine de Berliet pourrait-il être davantage valorisé ?
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que la Fondation Berliet ne s’occupe pas seulement du passé de Berliet mais aussi de la conservation de l’histoire du camion français et de la voiture lyonnaise en général. C’est par cette ouverture que nous sommes reconnus d’utilité publique. Notre première fonction est donc la conservation. S’agissant de la valorisation, je dirais que nous la faisons à notre main. Nous ne sommes pas un sanctuaire que personne ne voit : nous sommes ouverts à un certain nombre de groupes pour autant qu’ils aient un intérêt dans le patrimoine industriel ou automobile (clubs, associations, etc.). Et puis nous avons forgé notre notoriété à travers notre centre d’archives et de documentation : des collectionneurs et des étudiants viennent de loin pour chercher des plans ou réaliser des travaux universitaires ! Régulièrement, nous occupons un stand aux salons Rétromobile et Epoqu’auto où, cette année, Berliet sera d’ailleurs mis à l’honneur. Autrement dit, nous n’avons pas, en tant que fondation, les moyens de toucher le grand public, donc nous nous évertuons à éclairer un public averti.
Pourquoi pas ne pas créer un musée de l’automobile ?
Un musée est beaucoup trop coûteux et risqué pour une fondation de notre taille. D’ailleurs, en 15 ans, 28 musées automobiles ont disparu ! Notre politique est donc de dire que nous sommes à la disposition des musées pour leur fournir les véhicules dont ils peuvent avoir besoin. Nos véhicules voyagent beaucoup contrairement à ce que l’on peut penser! Et plus le temps passe, plus on mesure que l’on avait raison de faire ce choix. Même le musée de la Rochetaillée, en dépit de tous ses efforts, n’attire pas le nombre de visiteurs qu’il mérite. Au fond, nous voulons être un point de référence pour redonner à cette région sa fierté. Nous assistons avec beaucoup de joie à un changement d’attitude de la part des acteurs locaux qui démontrent un intérêt croissant pour le savoir-faire et le patrimoine industriel. Et il est certain que si un jour l’idée d’un musée venait à mûrir à Lyon, qui n’a pas de musée ou d’espace dignes de son passé industriel et de son potentiel actuel, Berliet répondrait certainement présent à l’appel en mettant à disposition des produits ainsi que les éléments d’information permettant de les placer dans leur contexte historique.
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