Dans les grandes villes, l’accès à des espaces verts sûrs et qualitatifs (parcs, esplanades, voies sur berges, cimetières, etc) est souvent plus difficile pour les ménages à faible revenu que pour les classes aisées. Cette inégalité est de plus en plus reconnue comme un enjeu de « justice environnementale » mais aussi de santé publique. Pour y répondre, les projets de rénovation urbaine incluent de plus en plus un travail de « verdissement » des quartiers populaires, parfois volontairement spectaculaire. Mais paradoxalement, plus ces améliorations sont réussies plus elles risquent d’attirer des ménages et une vie commerciale aisés. Les projets destinées aux habitants défavorisés peuvent entrainer une élévation des loyers et une transformation de la morphologie sociale des quartiers, dans un mouvement dit d’éco-gentrification ou de gentrification verte. Face à cela, les chercheurs se posent la question d’un « verdissement modéré », respectueux de la mixité sociale des quartiers.
La High Line new-yorkaise
La High Line, à New York, est un exemple typique de cet effet pervers du verdissement. Cette coulée verte, aménagée sur des voies ferrées aériennes abandonnées depuis les années 1980, devait améliorer le quotidien des habitants. Elle est devenue l’une des destinations les plus populaires pour les touristes visitant la ville, attirant plusieurs millions de visiteurs chaque année au point qu’un éditorialiste du New York Time la qualifie de véritable « Disney Land sur l’Hudson ». La vie commerciale de bars et magasins branchés s’est développée à l’avenant.
Pour l’historienne Jeanne Haffner, c’est un parfait exemple de « gentrification environnementale » : « C’est un peu comme l’introduction d’un nouveau réseau de transports ou d’une autre infrastructure majeure : bien que destiné aux habitants existants, le projet tend à augmenter la valeur du terrain au point que ceux qui vivaient là sont obligés de partir. » et le projet modifie finalement l’organisation sociale de la ville entière.
Cet effet peut d’ailleurs être explicitement recherché, et la chercheuse rappelle que c’est afin d’augmenter la valeur du terrain et la rentrée de taxes foncières qu’avait été aménagé Central Park. Et que c’est aujourd'hui en anticipant la même venue des classes favorisées que la marque de vodka Absolut finance un projet similaire dans le Lower East Side.
Et en France ?
Bien que la construction des villes françaises diffère de celle des villes américaines ou chinoises qui ont été observées par les critiques de l’éco-gentrification (la population aisée française vit au centre et non en périphérie, dans des quartiers hausmanniens très denses), notre pays n’échappe pas à ce phénomène. C’est par exemple le cas du quartier de Clichy-Batignolles (Paris XVIIe), qui vu l’implantation d’un parc de plus de dix hectares entouré de 3400 logements. Le prix du mètre carré s’envole dans cette ancienne zone industrielle et populaire. À Marseille, le projet Euro-méditerrannée (2000 logements autour de jardins aménagés) risque de produire les mêmes effets.
La solution : lenteur, participation et petite échelle
Pour Jennifer Wolch, professeur de développement urbain à l’Université de Berkeley, le problème vient du fait que l’on souhaite mettre en place des « grands projets », susceptibles d'être inaugurés et « dévoilés » au public à un moment précis, dans une logique de communication politique autour de la rénovation urbaine. Une approche plus modeste et progressive s’avère souvent moins nuisible à terme pour l’environnement comme pour la composition socio-économique des villes. Il faudrait donc mettre en place des projets à plus petites échelle, émergeant simultanément dans différents points de l’espace urbain. De même, elle recommande d’abandonner les éléments « tape-à-l’oeil » et vecteur de gentrification rapide, comme les terrasses sur les quais ou les bords de mer. Il s’agit de préférer une approche « juste assez verte » (« just green enough »), en privilégiant l’implication des habitants et le développement ou le maintien d’un tissu économique faisant sens.