Le skate et sa mise en images
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En étudiant les rôles de la mise en images du skateboard, cet article vise à faire émerger des places qui peuvent être accordées à cette pratique dans la ville.
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« Dis-moi si tu ris, comment tu ris, pourquoi tu ris, de qui et de quoi, avec qui et contre qui, et je te dirai qui tu es » (Le Goff, 1997, p.449).
À l’intersection entre échelles individuelle et collective, le rire est un formidable révélateur des représentations et des positions sociales. Pour la sociologue Laure Flandrin, « le rire engage une définition sociale de soi : il combine étroitement un principe d’identité (« qui tu es ») et un principe d’opposition (« contre qui tu ris »). C’est donc d’abord en tant qu’affect de position, émotion socialement constituée exprimant la position dans l’opposition à d’autres, que le rire questionne la sociologie ».
Comme l’ont montré les anthropologues, l’humour diffère selon les sociétés, la génération ou encore le genre. Il est socialement construit, et participe à maintenir des frontières entre des rieurs et des moqués, ceux qui partagent un même humour, et ceux qui s’en sentent exclus. L’humour joue donc un rôle important tant dans la construction de l’identité d’un groupe, que de celle d’un individu.
Sur les réseaux sociaux, les internautes ont progressivement construit des mécaniques humoristiques singulières. La plus emblématique d’entre elles est certainement le « mème », qui se trouve au cœur de notre recherche. Au croisement des propositions du dictionnaire Larousse et du sémiologue François Jost, nous définirons le mème comme un format comique issu de la culture Internet, qui s’appuie sur le détournement d’une image initiale (ce que l’on appelle couramment un template) et vise un public initié. Pour expliciter ce dernier point, prenons quelques exemples.
Ces quatre images sont des mèmes au format très classique : un template (souvent issu de la pop culture) mis en rapport avec un texte qui en détourne le sens. En haut à gauche, un mème issu du compte Instagram @memes.of.science, qui demande certaines connaissances en mathématiques pour en saisir le ressort comique. En haut à droite, le compte Instagram @memes.du.ghetto détourne une scène de la série Netflix Umbrella Academy pour plaisanter sur une situation familière vécue par de nombreux graffeurs vandals (la « ferro » désignant la police ferroviaire). En bas à gauche, alors que les internautes s’amusent depuis longtemps du fait que l’acteur Dwayne Johnson s’habille à peu près de la même manière pour chacun de ses rôles, @transbaguette détourne ironiquement ce constat pour partager la difficulté de se vêtir lorsque l’on souffre d’une dysphorie de genre. Enfin, en bas à droite, @yugnat999, un des mèmeurs français les plus connus, caricature la position (ici jugée archaïque) de la Cours suprême des États-Unis, qui, quelques jours avant, a renversé l'arrêt historique qui garantissait le droit à l'avortement dans l'ensemble du pays.
On voit alors comment le mème s’adresse doublement à des initiés. D’une part, ses mécaniques peuvent rester obscures lorsqu’on n’est pas familier de la « culture Internet ». Et si ce n’est pas systématique, connaître la référence du template est certainement un plus pour comprendre le détournement dont il fait l’objet. D’autre part, il est fréquent qu’aucune explication ne soit fournie avec le même. Difficile alors d’en saisir la portée sans connaître la référence, que ce soit à propos de l’actualité, des fonctions mathématiques, ou de l’expérience de groupes sociaux spécifiques.
Cela fait écho aux paroles de l'anthropologue David Lebreton, pour qui « à condition d’en partager les codes et les valeurs, l’humour est la célébration du lien social ». Ces images humoristiques peuvent donc inclure ou exclure ceux qui les reçoivent, du fait des connaissances qu’elles requièrent pour être pleinement comprises.
De nombreux comptes sur les réseaux sociaux fédèrent des communautés en ligne autour de la production/diffusion de mèmes, particulièrement sur Facebook et Instagram. La « culture mème » se subdivise ainsi en d’innombrables branches qui touchent des groupes sociaux et communautés de pratiques variés (mèmes de football, d’électeurs de gauche/droite, de jardiniers, de métalleux, etc.).
Dans tous les cas, il s’agit de se réunir pour rire d’expériences qui nous rassemblent. L’humour révèle donc les représentations partagées au sein de ces communautés, comme la distance culturelle qui les sépare les unes des autres. La production et la diffusion de mèmes jouent aussi un rôle important dans la construction de cette culture commune, en popularisant ou invisibilisant certaines références, ainsi que la manière de les mettre en image.
Dans cette perspective, le rire, et plus particulièrement le mème, nous renseigne autant qu’il participe à la socialisation des individus, notamment des plus jeunes. C’est pourquoi nous proposons de nous intéresser aux mèmes qui mettent en scène le territoire lyonnais sur les réseaux sociaux, et les dynamiques de construction du sentiment d'appartenance qu’ils supportent.
En effet, de nombreuses villes et régions font l'objet de mèmes qui les tournent en dérision (une grande partie des comptes qui les agrègent sont répertoriés à cette adresse), et la métropole lyonnaise n’y échappe pas. Le compte @memesdelyon est le plus connu, avec plus de 126 000 abonnés. Nous l’abordons comme un espace de socialisation et de construction d’une identité lyonnaise, qui se donne à voir au fil des publications de l’animateur de la page et des commentaires laissés par les abonnés, majoritairement adolescents ou jeunes adultes.
En étudiant ce phénomène, nous cherchons à saisir ce qui rassemble ces jeunes Grand-Lyonnais, ce à quoi ils s’identifient, ce qu’ils chérissent ou rejettent au sein de leur territoire, et avec et contre qui ils rient. Alors, de quelle manière ce compte Instagram participe-t-il à la construction de l’identité lyonnaise et d’un sentiment d’appartenance ? Quelles références partagées sont érigées en emblèmes du territoire ? Sur quelles connaissances et pratiques de la ville se construisent-ils ? Et comment le « mèmeur de Lyon », créateur et administrateur anonyme de la page, devient-il à son tour un emblème, du moins un représentant de l’identité lyonnaise ?
Pour répondre à ces questions, nous avons réalisé une ethnographie numérique du compte Instagram @memesdelyon, et sélectionné une centaine de mèmes (analysant aussi bien le contenu que les réactions des internautes), qui nous semblent représentatifs de ce compte, ou de controverses importantes pour aborder la construction d’un sentiment d’appartenance partagé en ligne. Nous avons également collecté toutes les stories (publications éphémères) du compte, entre janvier et juillet 2022. Enfin, nous avons réalisé un entretien avec le « mèmeur de Lyon ».
Actif depuis le mois de juin 2019, le compte @memesdelyon totalisait en juillet 2022 plus de 113 000 abonnés pour 847 publications. Son avatar n’est autre que la fameuse marionnette Guignol, et dans l’espace dédié à la présentation du compte, l’auteur se définit comme un « Guignol des réseaux ! ».
Deux formats d’expression cohabitent sur ce compte : les publications qui s’accumulent sur le mur et recueillent des réactions sous la forme de likes ou de commentaires, et les stories, qui ne restent visibles que 24 heures, mais peuvent être conservées sous forme de « stories à la une ». Les publications sont des mèmes qui s’amusent de la vie lyonnaise, tandis que les stories ont une visée plus interactive : le mèmeur peut s‘adresser directement à sa communauté pour promouvoir une marque, récolter des anecdotes, partager celles de son quotidien, etc.
@memesdelyon est également actif sur Twitter (10 000 abonnés), mais y adopte un ton plus personnel et ses tweets ne concernent pas uniquement la ville de Lyon. Par ailleurs, sur TikTok, il adapte son humour aux codes et à l'esthétique du réseau (reprise de trend, davantage de mise en scène de son personnage, etc.) Enfin, le mèmeur de Lyon est aussi présent sur des plateformes comme Twitch ou YouTube, via des collaborations avec d’autres influenceurs lyonnais, comme Roman Doduik ou Gambetta TV.
Sur Instagram ou ailleurs, @memesdelyon poursuit les mêmes objectifs : célébrer Lyon et ses particularités, revendiquer avec fierté ses atouts et rire de ses faiblesses. Comme il nous l’explique, en agrégeant différents éléments de la culture locale, il agit pour unifier une « identité lyonnaise ».
À Marseille, la culture urbaine s’est vraiment rassemblée. Ils ont une culture foot qui est hyper ancrée, pareil pour la culture rap, et la fierté d’être Marseillais, l’accent, le Ricard, tout ça. Et ils ont vraiment réussi à créer une vraie cohésion avec tout ça. Tu verras souvent des joueurs de l’Olympique de Marseille avec des rappeurs pour des vidéos qui seront sur l’Instagram de la ville de Marseille, ou pareil pour tourner des clips de rap dans le Vélodrome. Et ça, c’est vraiment un truc qui manque à Lyon, mais qui, à mon avis, arrivera bientôt, et qui commence déjà à arriver. […]
Tu vois y’a des endroits comme le Food Society, qui réunissent des gens qui font de la bouffe, des tatouages, tu peux découvrir des artistes de rap, etc. Je pense que ça représente bien l’envie de rassembler les Lyonnais autour d’une même culture. […] Avec mon compte, j’essaie de mettre ça en avant, des assos, des rappeurs, des restos lyonnais… Et ouais créer une vraie identité lyonnaise autour de ça, que les gens aient l’impression que ça bouge à Lyon, qu’ils n’aient pas juste l’impression que c’est une ville de touristes. […] Donc voilà, je trouve que je représente bien toute cette culture lyonnaise à travers mes mèmes, et j’essaie de jour en jour de trouver de nouvelles idées.
Cette identité lyonnaise est un support idéal pour faire rire sa communauté de Grand-Lyonnais, qu’il espère fédérer par l’humour, ou plutôt, la « raclerie » comme on dit à Lyon, sur des éléments culturels rassembleurs.
J’essaie vraiment d’englober tout et vraiment garder cet esprit humour au lieu de me politiser. Parce qu’on n’est pas là pour séparer les gens, on est là pour les rassembler sur un seul et même compte pour qu’ils puissent juste rigoler. Que ce soit un mec de cité qui lâche un commentaire cher drôle dans mes publications et que ce soit un mec du sixième qui lui réponde en mode « Mec t’as dead ça, t’es trop drôle ». Moi c’est tout ce que je veux. Je ne veux pas qu’il y ait de séparations, c’est tout .
Le « mèmeur de Lyon » est un étudiant d’une vingtaine d’années, né dans une famille lyonnaise depuis plusieurs générations, qui a grandi dans Lyon intramuros. Il a fait toute sa scolarité dans la cité scolaire internationale de Gerland, avant des études supérieures de communication.
Comme il nous l’explique, l’histoire des mèmes de Lyon est intimement liée à son parcours, depuis son entourage familial jusqu’à l’environnement multiculturel du lycée international :
Dans mon lycée, j’avais des potes en section anglaise qui m’ont fait découvrir les mèmes américains. Je me suis imprégné de cette culture, aujourd’hui c’est grâce à ça que j’ai les codes du mème. Et après j’ai commencé à en créer moi-même, on faisait des mèmes où on se la raclait sur les profs.
Et à un moment je me suis dit « Ça n’existe pas à Lyon ça, pourquoi pas lancer ce truc ? », et pendant mes révisions du bac de français, j’ai créé 5-6 mèmes sur Lyon et lancé le compte Mèmes de Lyon. Et ça a directement pris, après deux jours j’étais à 3 000 abonnés, au bout de deux semaines à 10 000. Et petit flex de ma part : c’est un peu moi qui ai créé ce délire de faire des mèmes sur sa ville. Y’a plein de comptes qui se sont créés ensuite, Mèmes de Nice, Mèmes de Bordeaux, Mèmes de Villeurbanne, etc., qui reprenaient exactement le même truc. […]
La personne qui m’a un peu précédée là-dessus et qui a été une grande inspiration pour moi, c’est Jhon Rachid. Parce que Jhon Rachid, on sait qu’il est lyonnais, il est trop fier d’être lyonnais, et il a quand même réussi à faire ses vidéos sur Lyon, tout le monde les a vues à Lyon. Dedans y’a toutes les réfs lyonnaises, donc je pense que lui a vraiment posé les bases, il a officialisé les vannes sur Lyon, sur les quartiers etc. Moi j’ai repris un peu ses bases, et j’en officialise de nouvelles. Et lui m’a directement validé, il m’a partagé, il m’a donné de la force.
Les mèmes qu’il crée évoluent ensuite au fil de ses expériences, de blagues de lycéens à blagues d’étudiants, et de l’augmentation de son audience, de blagues pour ses amis à blagues pour tous les Lyonnais. Son parcours et ses habitudes culturelles se révèlent aussi à travers ses mèmes : bars, boîtes de nuit, tacos, rap, foot et TCL y sont récurrents. Le périmètre géographique des mèmes est plutôt concentré sur le centre-ville de Lyon. Des commentaires d’abonnés soulignent d’ailleurs régulièrement ce tropisme.
Pour le mèmeur, il est important d’avoir suffisamment éprouvé une situation, côtoyé des gens ou fréquenté un lieu pour en extraire un regard distancié permettant d’en rire. Cela souligne l’importance de la légitimité qui sous-tend la création des mèmes. Pour en proposer un et s’assurer de son impact, il privilégie des thèmes qu’il maîtrise et dont il a pu apprécier le caractère récurrent, risible et partagé par un certain nombre de personnes (bien qu’il ne cherche pas toujours à toucher la totalité de sa communauté). Les personnes socialement proches du mèmeur sont ainsi susceptibles de se sentir davantage représentées :
Si t’as suivi en même temps que t’avais mon âge, tu surkiffes le compte parce qu’au début je parlais des lycées lyonnais, là, t’arrives à un âge où t'es étudiant et je parle des boîtes de nuits, du fait d’être étudiant lyonnais, et tu te sens tellement pris par le compte que c’est trop bien.
Cela se vérifie dans les statistiques de fréquentation de son compte. Ses abonnés ont majoritairement entre 18 et 24 ans (62% en juin 2022), suivis de près par les 25-34 ans (26,9%). Même s’il essaie de fédérer le plus possible, il assume les limites induites par la subjectivité de ses publications :
Oui, il y a peut-être des gens qui ne se sentent pas représentés, mais c’est pas de ma faute, c’est aussi selon là où je vis et mon âge. Par exemple, y’aura pas forcément des jeunes de quartiers de Vénissieux ou de Vaulx-en-Velin qui vont se sentir 100% représentés, même s’ils me suivent hein, moi j’ai beaucoup d’abonnés issus de cité, ils me font « Ah, bien vu les mèmes ». Mais certains ne se sentent pas forcément représentés parce que je parle vraiment du centre de Lyon, où j’habite. Ça veut dire que toute ma vie j’ai vu que ça, je ne vais pas forcément tout le temps dans les banlieues lyonnaises.
Une certaine expérience de la ville est donc préférable pour comprendre cet humour. En même temps qu’ils nous font rire, les mèmes incluent et excluent les membres d’une communauté virtuelle fondée sur le partage de références locales.
Le compte Mèmes de Lyon produit donc une image de la ville socialement située, celle d’un étudiant du centre-ville, amateur de rap et de sorties nocturnes. Au-delà de ce prisme, nous pouvons repérer des éléments culturels érigés en emblèmes de la ville, qui font plus ou moins consensus au sein de la communauté des abonnés. Leur analyse met en évidence deux tensions principales dans la construction continue de l’identité lyonnaise : la première entre culture légitime et culture populaire, la seconde entre volonté de fixation et évolution de l’identité.
Le compte Mèmes de Lyon met en avant des emblèmes lyonnais sensiblement différents de ceux promus par les institutions locales. Les traits d’identité choisis se veulent fondés sur une expérience banale de la vie lyonnaise. Exit la carte postale d’une ville chargée d’histoire : Mèmes de Lyon célèbre le quotidien, ses pratiques et ses personnages, autrement dit, la culture populaire. Lyon, capitale de la gastronomie, devient alors celle des snacks, avec ses fameux tacos lyonnais.
Je parle moins du bouchon lyonnais que du tacos parce que… le bouchon lyonnais… ça fait partie de Lyon mais en tant qu’étudiant t’as pas l’habitude d’y aller, déjà quand t’es étudiant t’as pas forcément les thunes pour aller au resto. Tu n’y vas même pas quand t’es avec tes parents parce je pense que les bouchons c’est tellement ancré dans la culture lyonnaise que quand t’es à Lyon, c’est un peu du déjà-vu. Mais tu changes direct quand tu dois présenter la culture lyonnaise à quelqu’un qui ne connaît pas. Je ne saurais pas comment l’expliquer, c’est comme les Parisiens, ils ne vont jamais voir la Tour Eiffel.
La valorisation de la culture populaire sur le compte se donne particulièrement à voir à travers les personnages emblématiques de la ville. Il s’agit d’individus fréquemment repérés par les habitants dans l’espace public et dont le comportement les distingue aisément. C’est notamment le cas de « Jean-Pierre le coureur », érigé en figure lyonnaise incontestable par le propriétaire du compte. Ce sexagénaire est connu pour courir très régulièrement sur les quais du Rhône, avec un ensemble reconnaissable entre mille. Chaque habitué des « soirées sur les Berges » a déjà pu participer à l’ovation qui accompagne chacun de ses passages. On peut également mentionner « mamie chiffon », aussi surnommée « la sorcière de Bellecour ».
À la lecture des commentaires, on comprend que ces personnages font partie du quotidien de nombreux Grand-Lyonnais, et créent du lien entre eux. Le déménagement à Paris de la « femme araignée », autre personnage emblématique qui faisait la manche dans le métro D, a d’ailleurs suscité de nombreuses réactions sur le compte Instagram.
S’ils sont quasiment les seuls personnages présents dans les mèmes de Lyon, un « tournoi des personnalités lyonnaises » organisé en story par le mèmeur montre cependant que la culture légitime n’est jamais bien loin. La victoire (inattendue pour nous) de Paul Bocuse témoigne à notre avis de la tension entre culture légitime et populaire, mais aussi de celle entre une représentation de sa ville tournée vers l’expérience concrète de ses habitants, et une représentation de la ville tournée vers l’extérieur, vers l'expérience touristique. Quand les citoyens rient entre eux sur la page de Mèmes de Lyon, et quand ils doivent élire leur personnalité lyonnaise la plus emblématique, les figures mobilisées divergent sensiblement.
La renommée culturelle de la ville à travers ses nombreux équipements prestigieux (musées, opéra, etc.) n’est, elle non plus, jamais mise en lumière dans les mèmes. Cependant, comme les figures emblématiques de la culture légitime, cette réputation est susceptible d’être remise sur le devant de la scène lorsqu’il s’agit de défendre Lyon face à l’extérieur :
J’étais à Grenoble et j'ai rencontré des jeunes qui me disent : « Ouais t’façon on est mieux que Lyon », je les ai arrêtés, dans ma tête je me suis dit « On va débattre ». Et j’ai argumenté, j’ai dit « Vos expressions : nulles. C'est nous qui avons la meilleure gastronomie. Nous au moins on a le métro, nous au moins on a des bêtes de parcs, on a des bêtes de musées » et là tu déballes tout, même ce dont à la base tu te fiches parce que t’as envie de montrer que t’es fier d’être Lyonnais.
Si le mèmeur et sa communauté se concentrent davantage sur la culture populaire, ils ne rejettent pas pour autant la culture légitime. Au contraire, le mèmeur nous fait part à plusieurs reprises de son envie de collaborer avec des emblèmes traditionnels de la ville, comme les maisons Pralus ou Bocuse. Des incontournables de la culture lyonnaise selon lui, même s'ils ne font pas directement écho aux modes de vie de sa communauté. Mais de son propre aveu, ces collaborations sont difficiles à mettre en place, les institutions concernées ne semblant pas vouloir s’associer aux mèmes, peut-être trop éloignés d’une certaine « image de marque ».
Y'a des institutions comme Pralus, j'ai trop envie de bosser avec eux, je veux faire gagner des pralulines, je sais que je vais trop faire kiffer les Lyonnais. […] Et le summum ce serait Bocuse, si je faisais gagner un menu à des gens ce serait trop bien !
Mais du coup ces entreprises ne viendront jamais me démarcher, c'est moi qui irais, et je pense qu'il faut que je le fasse de la meilleure des manières, en leur disant « Les gars, je ne suis pas là pour vous faire raquer des millions, je ne suis pas non plus une page sur laquelle vous ne pouvez pas compter et pourrir votre réputation, je sais que tous les Lyonnais qui me follow kifferaient avoir un concours sur Mèmes de Lyon avec vous. »
Ça ferait trop rêver de voir Pralus ou alors l'OL ou TCL feat. Mèmes de Lyon. […] Ça fait tellement partie de la culture lyonnaise que je ne vois pas Mèmes de Lyon ne pas bosser avec eux. Mais, d'un autre côté, je ne peux pas parce qu’ils sont déjà dans leur monde, ils ont leur business plan et ils ne veulent pas que ça bouge. […] L'Olympique Lyonnais, ils préfèrent bosser avec des médias traditionnels pour vendre leurs places.
En fait, ce qu’ils n’aiment pas, c'est ce côté humour, ils se disent que l’OL va perdre en crédibilité. Ils préféreraient passer par exemple par Le Progrès ou Lyon Mag, ce que je peux comprendre, mais c'est dommage.
Parmi les « lyonnaiseries » – ou traits caractéristiques de l’identité lyonnaise – que les Mèmes de Lyon célèbrent, le parler lyonnais est au premier plan. De nombreuses publications mobilisent des mots d’argot (comme cher, pélo, chaber, trikar et tant d’autres) et le javanais, et certaines sont entièrement consacrées à célébrer la singularité linguistique de Lyon. Le parler lyonnais est pour le mèmeur au centre de la définition de l’identité lyonnaise.
C’est l’argot contemporain qui est mobilisé, s’éloignant à nouveau d’une représentation classique du parler lyonnais (le langage des gones). Mais ce parler lyonnais actuel est régulièrement accompagné de polémiques dans les commentaires, qui témoignent de tensions identitaires sous-jacentes.
Il y a souvent des gens qui viennent critiquer en commentaires. Pour eux c’est dérangeant qu’aujourd’hui je prône des expressions du type "cher", "pélo", "balnave", parce que pour eux c’est des expressions "de cité". Certes elles viennent des quartiers, mais elles se sont démocratisées. De partout maintenant, tu vois des pélos du 6e arrondissement, des Monts-d’Or, ils vont dire "cher", "balnave", parce que ça fait partie de l’identité lyonnaise.
Et ceux qui critiquent vont dire « Ouais c’est vraiment des propos de cité », mais vous voulez quoi ? Vous voulez que j’utilise des expressions de type "canut", "gone"… "fenotte" et tout ? Ça fait partie de la culture mais ce n’est pas toute la culture. Moi, je ne peux pas me limiter à ce que eux pensent parce que la culture lyonnaise, ils ne la voient pas de leurs yeux.
Un jour je me suis embrouillé avec un pélo dans les commentaires qui m’a dit à peu près ça, et je lui ai dit « Mec, ça fait combien de temps que t’es pas sorti à Lyon ? », et il me dit qu’il n’habite pas à Lyon mais dans le Beaujolais plus loin, alors je lui fais « Écoute, je ne sais pas depuis combien de temps t’es pas sorti à Lyon, viens un week-end, va dans un bar et tu verras si c’est pas les expressions que les Lyonnais utilisent. »
C’est ce genre de gens qui sont tellement attachés à leurs valeurs qu’ils oublient que Lyon, c’est en évolution et qu’on ne peut pas catégoriser une culture lyonnaise qui appartiendrait à je ne sais pas qui.
Le mèmeur de Lyon oppose donc une vision de l’identité lyonnaise immuable et fantasmée, à l’identité en acte et en perpétuelle évolution, qu’il constate dans sa pratique quotidienne de la ville. L’évolution du langage cristallise particulièrement les tensions, témoignant de son importance dans la construction identitaire des individus et des groupes.
En écho à l’ambition unificatrice et apolitique du mèmeur que nous avons décrite précédemment, on voit que cette volonté se heurte à la réalité des commentaires, qui politisent des mèmes indépendamment de son créateur. On peut trouver des prises de positions à propos de la qualité des élus locaux, des politiques de mobilités, d’amélioration du cadre de vie, de sécurité, etc. Le mème collaboratif « Qu’est-ce qu’il manque à Lyon ? » nous en fournit une excellente illustration (les pseudonymes ont été modifiés) :
− ydnlk Des renforts de police, chaud l’insécurité en ce moment o noholia. @_ydnlk_ carrément 🙏 − in dream world_ De la cohésion, de la solidarité entre les citoyens mais ça c'est pas uniquement pour Lyon, je trouve que les gens sont de plus en plus individualistes 😏 − _izaly le métro E pitié ceux qui vivent à l’ouest de Lyon on souffre − jjpf4563 Le GIEC dans le métro Lyonnais, on va pas laisser l'exclu aux Parisiens quand même ! 😇 @memesdelyon @pourunreveilecologique @instatram_tcl − bularf Des gens pour virer les fachos − antoine_ferouze Des effectifs de police qui rétablissent l’ordre et éradiquent les cafards en tous genres. o la_claquette @antoine_ferouze Jean Michel nazi − ludo.dfr Pas les ecolos en tout cas − moonwalkking Un Périphérique a 90km/h − michel53 Juste un bon Maire... − larlicien Une putain de rocade de tramway. Problème que j'avais soulevé dans un dossier de recherche, tous les TCL vont dans le centre de Lyon. La galère pour faire un Meyzieu - Bron ou autre. Tout va vers Lyon, pas assez entre les banlieues. |
Cette politisation des mèmes, le mèmeur a dû s’y adapter, en évitant par exemple certains sujets. Des mèmes ciblant l’insécurité réelle ou présumée de la Guillotière ont progressivement disparu de sa ligne éditoriale : ils se révèlent offusquants et stigmatisants pour une partie de son public, et trop souvent utilisés par une autre pour soutenir des positions qui ne conviennent pas à son ambition fédératrice.
Avant, je le faisais, mais ça fait pas mal de temps que j’essaie de ne pas trop parler de la Guillotière. J’ai vu avec le temps que ça crée des problèmes pour les gens de la Guillotière que je connais, qui m’ont dit « Écoute, là, t’as abusé ». D’un côté, pour moi, quand je vais à la Guillotière, je ne me sens pas en sécurité. Mais d’un autre côté, je n’ai pas envie que des gens s’appuient là-dessus et se disent « Ah ouais, c’est vrai qu’il a raison ». Donc c’est trop complexe, dès que je parle de la Guillotière y’a des commentaires de tous les côtés, c’est tellement compliqué… Donc c’est le seul endroit de Lyon dont je ne veux pas parler.
Cette complexité que décrit le mèmeur n’existe pas quand il s’agit de caricaturer d’autres quartiers, et par conséquent d’autres groupes sociaux, comme « les bobos de la Croix-Rousse ». On lit alors en filigrane les rapports de pouvoirs qui organisent les liens entre ces différents groupes. En effet, il paraît a priori plus aisé de tourner en dérision des groupes socialement dominants, pour qui la caricature n’aura pas d’effets concrets de marginalisation et de discrimination.
Les caricatures qui assimilent un territoire de la métropole à des caractéristiques socio-culturelles sont récurrentes sur les mèmes de Lyon. L’appartenance à un quartier, ou la fréquentation de certains lieux sont souvent utilisées pour découper des groupes stéréotypés parmi les Grand-Lyonnais.
Ces mèmes invitent les Lyonnais à se moquer (gentiment) de l’autre, mais aussi à accepter de rire de soi, toujours dans la perspective unificatrice du mèmeur. C’est aussi un espace pour s'affirmer, se valoriser à travers son quartier, ses pratiques. Par exemple, deux mèmes collaboratifs invitent les abonnés à dire quels sont « le meilleur » et « le pire » quartiers de Lyon. Un exercice qui se transforme en chauvinisme dans les commentaires, chacun semblant défendre le sien. Le sentiment d’appartenance s’exprime ici à l’échelle du quartier.
« Avoir la ref’ » [référence], c’est-à-dire comprendre à quoi fait allusion le mème, semble permettre de se sentir gratifié, représenté, et même agrégé à une communauté liée par ces expériences collectives. Comme nous le résume une jeune étudiante : « Sur Mèmes de Lyon on se sent compris, on sent qu’on est entre Lyonnais ».
On peut alors se demander jusqu’où s’étend ce sentiment d’appartenance à la ville : quand on parle de « Lyon », quel territoire désigne-t-on vraiment ? Si l’on ne peut préjuger de la réponse des abonnés, le mèmeur nous donne la sienne. Dans ses paroles, la centralité de Lyon semble absorber les identités de ses périphéries.
La majorité des gens qui me suivent, c’est des gens qui sont à Lyon et dans la région lyonnaise. Parce qu'en vrai Lyon c’est un grand mot, mais des gens qui viendraient de Vaulx-en-Velin, de Villeurbanne, de Bron, ils sont lyonnais, pour moi, y’a pas de débat. Un mec de Bron, il ne va jamais dire « Je viens de Bron », il va dire « Je viens de Lyon ».
Tu vois, c’est aussi cette fierté d’être la… deuxième ou troisième plus grande ville de France ? […] Et ouais, j’ai fait ce délire du Lyon Pass, je faisais genre « C’est moi qui décide si t’es Lyonnais ou pas », mais en vrai j’ai repris la carte de la Métropole (rires).
Et c’est peut-être quand on se rencontre loin de Lyon, que l’on s’en sent le plus proche. À ce sujet, on retrouve l’importance du langage dans l’identification à une appartenance commune :
Je pense que le parler lyonnais, ça a réussi à rassembler un peu les Lyonnais et créer un running gag sur mon compte. Les gens kiffent trop utiliser des expressions lyonnaises. Plein d’abonnés me disent, et même moi, je le vis à chaque fois, quand je pars dans une autre ville, et que j'utilise les expressions, on m'arrête toutes les cinq minutes « Ça veut dire quoi ça ?». Et pour toi, c’est naturel, tu te dis « C'est marrant que ce soit que à Lyon qu'on utilise ça ». Tu ne te sens pas privilégié, mais on va dire… T’es content de rencontrer un Lyonnais dans le Sud par exemple. C’est direct « Oh pélo ! ».
Anecdote ! J’étais à Madrid, et je vois des mecs en train de s’embrouiller en français. Et j’entends un « Oh il fait cher le beau le pélo », je me retourne, « Vous êtes lyonnais ? », l’embrouille s’arrête direct et ils me font, « Ouais, toi aussi ? En plus c’est cher marrant parce qu’on a vu que Mèmes de Lyon est aussi à Madrid », et je leur ai dit « Les gars, je suis Mèmes de Lyon ! ». Incroyable !
Et cette identité lyonnaise, elle est tellement forte que même si t'es content de rencontrer un Français dans un pays étranger, et ben t'es deux fois, six fois, mille fois plus content de rencontrer des Lyonnais, parce que t'as tellement de réfs… C’est ça aussi l’identité lyonnaise, c’est de se rencontrer à l’étranger avec toute notre culture. Un Lyonnais à Lyon, il va juger un autre Lyonnais. Mais à l’étranger ils seront meilleurs potes, c’est réel !
Le sentiment d’appartenance s’exprime enfin à une troisième échelle : la région lyonnaise versus le reste de la France. À côté des mèmes qui sectorisent les quartiers et les communes avoisinantes, d’autres rassemblent tous les habitants de la région lyonnaise pour rire des autres villes. À chacune de ses visites dans une autre ville, le mèmeur saisit d’ailleurs l’occasion de se mettre en scène comme « taquineur » de la ville d’accueil, et ambassadeur de Lyon. Saint-Étienne bien sûr, mais aussi Grenoble, et même Valence ou Bordeaux sont régulièrement moquées. Le but ? Valoriser sa ville, affirmer qu’elle est « la plus belle de France ».
Mais comme on a pu le constater aux autres échelles, le mouvement de différenciation se conjugue à chaque fois avec un mouvement d’agrégation. Les représentants virtuels des villes placées en concurrence sont en fait complices de cette grande entreprise de fierté locale, qui oscille entre le premier et le second degré, désamorçant ainsi toute portée conflictuelle. Aujourd’hui, quasiment chaque ville et région est l’objet d’un ou plusieurs comptes de mèmes. Les mèmeurs se livrent à différentes joutes comiques, par mèmes ou commentaires interposés. Le ton y est amical, les mèmeurs se fréquentant parfois.
C’est marrant de taper sur d’autres villes parce qu’à Lyon, on a tellement de trucs à défendre que tu peux te lancer dans une guerre, tu sais que tu vas gagner. À l’époque je kiffais trop faire ça, avec un mèmeur grenoblois y’avait cette rivalité, et on kiffait trop faire des mèmes. Je lançais des pics sur Grenoble, lui il me relançait, et après on s’en prenait à Valence. […] Et j’aime aussi lancer des guerres avec Paris parce que je les vois trop snobs, ça m’énerve. En fait, Lyon on est tellement une ville de snobs aussi… […] Et ouais, cette rivalité urbaine entre les villes, elle est trop bien parce que chaque ville a son truc à défendre, chacun a des cartes à jouer.
Dans cette compétition humoristique entre villes, le mèmeur de Lyon fait figure d’ambassadeur local. Il produit des caractéristiques de l'identité lyonnaise et des motifs de fierté en en faisant des mèmes, en reprenant ses propres références sous forme de running gag. Dans un constant jeu d'emboîtement, les abonnés s’amusent de ces récurrences, et en font à leur tour un running gag : « Que serait Mèmes de Lyon sans les TCL et les tacos ? ».
Que ce soit vis-à-vis du public grand-lyonnais ou national, le mèmeur joue un rôle important de promotion, de validation - autrement dit d'institutionnalisation, et de création de références partagées. Les abonnés de la page sont loin d'être passifs dans cette entreprise : ils agissent via leur likes (plus ou moins nombreux en fonction de la pertinence perçue des publications), et leurs commentaires qui reprennent les références proposées par le mèmeur, et tentent parfois d’en proposer de nouvelles. Le mème collaboratif « Inventez une expression lyonnaise, je popularise la plus likée », illustre parfaitement ce jeu à plusieurs.
Mèmes de Lyon nous apparaît alors comme une entreprise intersubjective de sélection, de diffusion et, dans une certaine mesure d'institutionnalisation des références comiques et des emblèmes lyonnais. Des personnalités lyonnaises connues, comme le skateur Aurélien Giraud, l'humoriste Jhon Rachid, ou le maire de Lyon Grégory Doucet (tous trois abonnés à la page Mèmes de Lyon), y participent également. On peut supposer que leur notoriété leur confère un pouvoir supplémentaire d'institutionnalisation des références. Mais à l’inverse, connaître Mèmes de Lyon peut aussi jouer sur leur perception par le public : maîtriser les références collectives les agrège eux-aussi à cette communauté, et par conséquent atteste de leur appartenance à la ville. Le mèmeur admet cette dimension, et semble même vouloir en jouer :
Aurélien Giraud c’est un pote, il m'a déjà parlé de mon contenu, il m'a dit « Mec, moi, toutes tes réfs, je les ai », parce que même s'il est très connu on a tous les mêmes réfs. Même une EnjoyPhoenix je suis sûr qu'elle aurait les mêmes réfs, c'est pour ça qu'elle me follow aussi, elle like des posts à moi, ça veut dire qu'elle a les réfs, tu vois. [...] Mon but est de créer un concept d’interview de personnalités lyonnaises.
Et j’aimerais bien intégrer Gregory Doucet. Mais savoir comment il voit Lyon et comment nous, on le voit avec les réfs. Je ne veux pas lui parler politique, moi, je veux savoir s’il a vécu sa vie étudiante à Lyon, comment est-ce qu'il voit la culture lyonnaise, est-ce qu’il a des vraies réfs lyonnaises, est-ce qu'il est digne d’être maire de Lyon entre guillemets, mais pour rigoler.
Pour nous, Mèmes de Lyon participe donc activement à la construction d'emblèmes du territoire. Il en devient un à son tour, du moins pour les jeunes Grand-Lyonnais. Il est à ce titre régulièrement invité par des médias locaux ou d'autres créateurs de contenus pour s’exprimer sur Lyon, son actualité, sa scène rap, ses soirées, etc. À tel point qu’un étudiant nous a raconté en ces termes sa découverte du compte : « Quand je suis arrivé à Lyon pour faire mes études, dans les premières soirées on m’a montré le compte Instagram, et on m’a dit “T’es pas vraiment lyonnais si t’es pas abonné à Mèmes de Lyon”. »
Sur les réseaux sociaux, cet ancrage fort dans la culture lyonnaise est un véritable avantage commercial pour le mèmeur. Les marques, événements culturels et associations qui collaborent avec lui pour leur promotion bénéficient d’une part d’une forte visibilité, et d’autre part d'une sorte de labellisation, qui leur permet de se positionner en tant qu'entreprise locale. L’attention de sa communauté et son aura lyonnaise sont échangées contre des rémunérations financières, des avantages (place de concert, accès backstage, etc.), ou réalisées gratuitement, pour des associations ou des groupes de rap lyonnais que le mèmeur souhaite soutenir.
On a des partenariats payants avec toute une stratégie de communication comme avec King Marcel, avec des jeux, tu gagnes des burgers, etc. Et les non monnayables, avec des associations, comme les maraudes ou pour la prévention drogue. [...] Je pars du principe que j’ai “percé”, comme aiment dire les gens, alors moi je vais pousser toutes les associations qui portent de belles valeurs. [...]
Aujourd'hui Mèmes de Lyon c’est tellement connu sur les réseaux que je suis dans le top 3 du classement des meilleurs taux d’engagement à Lyon. Là, il est à 13%, ça ne paraît peut-être pas beaucoup mais c'est incroyable, sachant qu'un compte à 100 000 abonnés il est autour des 2% aujourd'hui. Et parce que, comme j'ai créé un compte sur Lyon, j'ai une identité lyonnaise. [...]
Moi, je me dis les Lyonnais, ils veulent une entreprise lyonnaise, qui représente la ville de Lyon, ou alors qui n’a pas forcément d'histoire lyonnaise, mais qui aujourd'hui propose quelque chose qui peut être intéressant à Lyon. C'est pour ça que je n’accepte pas tous les partenariats, alors qu’on est submergé de demandes.
Le compte Mèmes de Lyon remplit donc de multiples fonctions sociales. Ses mèmes agrègent une communauté territoriale qui se construit en même temps que ses références partagées, par la parodie de ses modes de vie, ses personnages emblématiques, sa culture gastronomique, son langage, etc. L'identité lyonnaise qui se coconstruit sur le compte reflète le quotidien d’une partie de la jeunesse grand-lyonnaise, et leurs représentations de l’espace et la vie sociale de la métropole. Rire de ces blagues permet aussi de se sentir appartenir à différentes échelles de territoires : son quartier, sa ville, sa région.
L’humour semble ainsi être un support important de l'identité des groupes et des individus, qui se rencontrent avec parfois quelques frictions. Il nous invite à désamorcer les tensions pour se rassembler dans la dérision de soi et de l’autre (comme pourraient le faire des rap contenders), et permet à notre sens d’exprimer des rivalités au second degré. Mais comme nous l’avons vu, quelques tensions identitaires semblent toutefois persister.
Après la capitale des Gaules, de la gastronomie, ou de la funk, Lyon est-elle en train de se construire une réputation de capitale des mèmes ? En tout cas, notre mèmeur local serait, selon lui, l’inventeur des « mèmes de ville ». Et peut-être que le succès de la « raclerie à la lyonnaise » révèle un peu du caractère des Grand-Lyonnais. De l’avis du mèmeur lui-même, nous serions moqueurs, fiers voire prétentieux. Et après tout, il vaut mieux en rire.
En fait, Lyon on a l’esprit de se la racler à Lyon. […] On aime bien. Snobs, mais on est rigolos.
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