Pascal Goubier, service Patrimoine végétal du Grand Lyon : « Le changement climatique impacte déjà fortement nos certitudes »
Interview de Pascal Goubier
Directeur adjoint du service Patrimoine végétal de la Métropole de Lyon
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Texte d'Aurélien BOUTAUD
Retour sur le rapport du CESE
Si nombre de décideurs politiques et économiques sont persuadés que l’avenir des métropoles passe par la numérisation et l’innovation technologique, les sondages menés auprès de la population montrent que les aspirations des Français sont en réalité très différentes. Dans une enquête rendue publique en 2018, les modèles de la ville high-tech et de la ville digitale arrivaient en dernière position des aspirations. Au contraire, l’idée de remettre la nature au cœur de la ville était largement en tête.
La pandémie de Covid-19 a sans doute encore accru cette demande. Selon un sondage réalisé l’an dernier, plus de deux tiers (67%) des Français admettent que la nature leur a manqué durant le confinement.
Répondant à une attente forte, et présentant de nombreux avantages pour faire face aux défis écologiques à venir, la végétalisation des villes est plus que jamais au cœur des préoccupations des urbanistes. Reste à savoir pourquoi cette transformation n’avance pas plus vite. C’est précisément la question à laquelle a tenté de répondre le Conseil Économique Social et Environnemental (CESE), dans un rapport paru en 2018 qui reste pleinement d’actualité.
En s’appuyant sur la littérature et sur les propos d’experts, le rapport du CESE commence par énumérer les nombreux services écosystémiques rendus par la nature en ville.
Luc Abadie rappelle par exemple que les végétaux sont des régulateurs thermiques remarquables, qui peuvent apporter des plus-values significatives pour adapter la ville face au changement climatique. En guise d’illustration, on se souviendra qu’ « un toit végétalisé peut permettre de réaliser jusqu’à 7,6°C d’économie sur les pics de chaleur ». Ou encore, en mettant « trois arbres de rue par bâtiment de quatre étages, on peut obtenir un gain en termes de réchauffement ou de refroidissement en hiver et 5 à 10% d’économie d’énergie sur l’année ».
Les arbres sont également des régulateurs de qualité de l’air, qui peuvent aider à capturer les particules fines et le dioxyde de soufre. Des études réalisées à Shanghai montrent que, d’ores et déjà, 10% des particules fines et 5% du dioxyde de soufre sont captées par les végétaux.
Les plantes et les sols non artificialisés jouent également un rôle important dans la régulation du cycle de l’eau, que ce soit en participant à la dépollution, ou en régulant les débits lors des pics de pluviométrie. De nombreuses études ont montré que le rôle de filtration joué par les écosystèmes naturels des bassins d’approvisionnement en eau potable des grandes villes permettait d’économiser des sommes considérables, en évitant de devoir installer des systèmes coûteux de traitement des eaux. Le rapport du CESE cite également une étude de l’Unesco, qui montre explicitement que « des formes plus respectueuses d’écosystèmes pour le stockage de l’eau tels que les milieux humides naturels, pourraient être plus durables et plus économiques que les infrastructures grises traditionnelles telles que les barrages ».
Enfin, même si l’agriculture urbaine reste marginale dans la production alimentaire, elle présente des opportunités de développement importantes pour participer à nourrir les populations urbaines.
Au-delà des services écosystémiques de régulation et d’approvisionnement déjà évoqués, la nature en ville a également des effets bénéfiques sur la santé et le bien-être des populations. De plus en plus documentés par la science, ces impacts positifs expliquent sans doute pourquoi les citadins sont de plus en plus demandeurs de nature à proximité de leur lieu de vie.
Appuyant son propos sur les résultats d’études menées aux USA, le docteur Pierre Souvet rappelle que « les politiques visant à accroître la végétation peuvent offrir des possibilités d’activité physique, de réduction des expositions aux polluants, favoriser l’engagement social et améliorer la santé mentale ». Une de ces études, menée auprès de plus de 100 000 femmes, prouve que la proximité du domicile avec un espace vert est associée à un taux de mortalité inférieur de 12%. Plus encore, la nature semble jouer un rôle prépondérant sur la santé mentale. Là encore, des enquêtes de plus en plus nombreuses démontrent que les adultes bénéficiant d’espaces verts sont moins sujets aux maladies mentales telles que la dépression, l’anxiété ou le stress. Inversement, la déconnexion vis-à-vis de la nature et de la biodiversité génère des troubles, que l’on regroupe aujourd’hui sous l’intitulé explicite de « troubles déficitaires de la nature ».
En matière d’attractivité, les espaces verts sont ainsi devenus un critère clef pour sept européennes et européens sur dix, au moment de choisir leur habitat – un chiffre qui, là encore, a certainement augmenté après la pandémie de Covid-19 et les épisodes de confinement. Reconnue par la plupart des habitants comme un élément très important de bien-être et de qualité de vie, la nature en ville est également de plus en plus plébiscitée par les entreprises : d’une part parce qu’elle répond aux besoins de leurs salariés, mais également parce qu’elle réduit le taux d’absentéisme – jusqu’à 10% lorsque les employés disposent de fenêtres donnant accès à la lumière du jour et offrant une vue sur la nature.
Enfin, le rapport du CESE rappelle que cette demande citoyenne s’exprime de manière très directe et concrète lorsque les habitants sont concertés. Par exemple, dans les villes qui pratiquent le budget participatif, il est fréquent que la majorité des projets initiés par les habitants concernent la présence de la nature et du végétal dans l’espace urbain (jardins partagés, parcs, végétalisation, etc.).
Positive pour la santé, essentielle à la qualité de vie, et souvent même bénéfique sur le plan économique, la présence de la nature en ville semble avoir tous les avantages. Pourtant, le rapport du CESE ne manque pas de rappeler que la nature en ville a aussi ses revers.
Le premier d’entre eux tient précisément à ses nombreux atouts : à trop être désirée, la nature peut rapidement devenir un facteur d’exclusion. Pouvoir contempler en continu de la nature a un coût parfois démesuré. Un appartement de ville à proximité immédiate d’un espace vert urbain vaut 17% plus cher qu’un logement identique situé cent mètres plus loin. Certains quartiers renaturés ont ainsi vu leur population les plus modestes progressivement chassées en raison de la hausse des prix du foncier. Inversement, l’absence de végétal ou la moindre qualité paysagère des espaces verts dans les quartiers pauvres est souvent vécue par les habitants comme une négligence à leur égard, ou comme le témoignage de la moindre importance qui leur est accordée.
Un autre paradoxe, largement abordé par le rapport du CESE, concerne la difficile conciliation entre une exigence de préservation de la nature et le risque d’étalement urbain, dont on sait qu’il est gros consommateur de surfaces naturelles et agricoles en périphérie des villes. Toute la difficulté de conciliation entre ville et biodiversité tient donc en cette délicate équation : il s’agit de densifier les centres urbains et, pour ne pas faire fuir les habitants en mal de nature, accroître la végétalisation. Autrement dit, accueillir plus d’habitants et plus de nature en même temps ! Sans quoi l’étalement urbain continuera de consommer davantage de surfaces naturelles en périphérie. Un paradoxe ultime, puisque la recherche d’un coin de nature, qui caractérise l’attraction pavillonnaire, est ainsi devenue au fil des décennies une raison importante d’artificialisation des sols.
Partant de ce constat, le CESE entame une série de recommandations qui visent à accélérer le verdissement des villes tout en prenant en compte ses contraintes.
Le CESE regrette en premier lieu que la biodiversité ne soit pas considérée comme un enjeu central des politiques publiques. Il propose à la fois d’inclure l’objectif de sa protection dans la Constitution, mais aussi de prévoir une évaluation plus systématique de l’impact des politiques publiques sur la nature et le vivant.
De manière plus opérationnelle, le CESE constate que, si l’objectif de densification est bien présent dans les outils de planification et les textes de loi en matière d’habitat et d’urbanisme, les obligations en termes de biodiversité sont en revanche beaucoup moins présentes. Il préconise notamment d’imposer dans les documents de planification et les opérations d’aménagement des critères de « renaturation », ou encore des pratiques d’aménagement plus favorables à la biodiversité – comme c’est par exemple le cas dans certaines villes qui intègrent des « points de végétalisation », ou autres « coefficients de biotope » dans les documents d’urbanisme. Il insiste également sur la nécessaire coopération territoriale entre les centres urbains et leurs périphéries : cette collaboration est nécessaire pour considérer la question de la biodiversité dans son ensemble, et éviter le piège d’une ville verte qui délocaliserait ses externalités sur ses périphéries. Cela suppose notamment une solidarité économique entre centres et périphérie, afin de reconnaître la valeur des services fournis par les espaces naturels et agricoles.
Constatant que ce défi de la nature en ville ne pourra être relevé sans moyens spécifiques, le CESE propose ensuite de consacrer des engagements humains et financiers à la hauteur des enjeux. En s’appuyant sur l’exemple de l’Agence française de la biodiversité, le CESE s’inquiète de la tendance au resserrement des budgets des acteurs publics, qui apparaissent en contradiction avec les missions et les objectifs de plus en plus nombreux et ambitieux qu’il s’agit d’atteindre. Philippe Clergeau, professeur d’écologie urbaine au Muséum National d’Histoire Naturelle, constate par exemple qu’en France, seules deux Villes ont intégré un écologue au sein de leurs services d’urbanisme. Le CESE montre également que la plupart des communes rechignent à engager des budgets à la hausse en matière d’entretien et d’aménagement des espaces verts.
On pourra regretter au passage que, face à cette question des contraintes budgétaires, le CESE se concentre sur l’injonction à mobiliser de nouvelles ressources. Constatant cette évolution paradoxale entre un besoin de nature de plus en plus important d’un côté, et des ressources budgétaires contraintes de l’autre, Frédéric Ségur appelait déjà il y a quelques années, dans les colonnes de Millénaire 3, à changer radicalement notre regard et nos pratiques de gestion de la nature en ville.
Ces questions n’ont d’ailleurs pas totalement échappé au CESE. Une part de ses préconisations est ainsi consacrée au développement de nouvelles pratiques, et d’expérimentations d’aménagement et de gestion de la nature en ville, dont on imagine que certaines pourraient amener à réduire les besoins d’intervention. De même, le rapport insiste sur la nécessité d’accompagner la montée en puissance des métiers de la nature en ville, qui supposent bien souvent de nouvelles pratiques et compétences. Une part importante des préconisations concerne également les secteurs de l’urbanisme et des bâtiments, qui doivent intégrer très en amont l’enjeu de la biodiversité dans leurs préoccupations, pour en faire une dimension structurante des projets urbains et architecturaux.
Mais plus encore, c’est la dimension culturelle et citoyenne qui est aujourd’hui interpellée par l’enjeu de la nature en ville.
Jusqu’à quel point sommes-nous par exemple prêts à accepter une nature moins entretenue, plus sauvage et donc moins policée, et potentiellement plus invasive ?
Quelle place désirons-nous accorder aux espaces de production alimentaire dans l’espace public, aux arbres fruitiers et aux différentes pratiques de glanage que cela suppose ?
Et quelle place faut-il accorder aux citoyens dans la gestion des espaces verts, que ce soit dans les espaces publics ou, même, dans les espaces privés, qui représentent parfois une part importante de la forêt urbaine ?
Le CESE cite l’exemple des « permis de végétaliser » initiés à Lille et Paris, ou encore les initiatives de désimperméabilisation d’espaces à Strasbourg, qui sont accordés à la condition que des citoyens s’engagent à les entretenir.
Loin d’être une question seulement technique ou financière, la végétalisation des villes invite donc à renouveler profondément notre rapport à la ville, mais aussi… à la nature.
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