Pascal Goubier, service Patrimoine végétal du Grand Lyon : « Le changement climatique impacte déjà fortement nos certitudes »
Interview de Pascal Goubier
Directeur adjoint du service Patrimoine végétal de la Métropole de Lyon
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Interview de Pascal Goubier
Qu’ont en commun la prospective, le réchauffement climatique et la gestion des espaces verts ? Réponse : la place centrale du long terme.
Quelles essences doit-on planter aujourd’hui pour végétaliser la ville, alors qu’un arbre vit plus d’un siècle et qu’il devra s’adapter aux prochaines hausses de température ?
Comment contribuer à reconnecter les humains au vivant qui les entoure ?
Où et comment trouver du foncier disponible pour plus de végétation ?
Comment faire de nos espaces verts un véritable outil de santé publique ?
C’est à ces problématiques, et à quelques autres encore, que Pascal Goubier, directeur adjoint du service Patrimoine végétal de la Métropole de Lyon, nous aide à réfléchir dans cet entretien.
Avec la place beaucoup plus centrale que les enjeux de transition écologique ont pris, les missions de votre service ont-elles fondamentalement évolué ?
L’histoire des plantations et des services qui les pratiquent en France pourrait démarrer avec les travaux d’Haussmann et Alphand au milieu du 19e siècle, avec ce que le Préfet de Paris de l’époque appelle « les espaces verdoyants ». C’est à peu près à ce moment-là que les voies publiques et les promenades se rapprochent pour devenir un peu plus tard la direction des travaux de Paris, qui regroupait l’intégralité de l’espace public (Promenades et plantations, Voie publique, Plan, Éclairage, Architecture 25 ans plus tard, Eaux et Égouts). Ce modèle a ensuite été copié dans de nombreuses communes de France qui se développaient alors.
Avec l’arrivée de l’automobile, les villes se sont peu à peu minéralisées durant tout le 20e siècle, réduisant la place disponible pour les plantations et le végétal en général. Les arbres d’alignements ont été de plus en plus contraints au sol, dans le sous-sol, pour l’extension de leurs parties aériennes. Le développement en parallèle des outils permettant de tout couper sans forcer (tronçonneuses pour les parties aériennes, tractopelles pour le sol) a fini de d’encadrer cette nature, et par la même, de fortement et régulièrement la mutiler par ces tailles répétées.
Dans les années 1970, la création du Centre National des Villes et Villages Fleuris (CNVVF) a eu pour but d’entreprendre et susciter toutes actions tendant à assurer le fleurissement des villes et des villages, ainsi que des bâtiments, des parcs et des jardins publics et privés.
On est ensuite doucement passé d’une vision liée au paysage et à l'esthétique, à une approche plus tournée vers le bien-être, avec une nature moins domestiquée.
Aujourd’hui, on arrive à une compréhension du végétal comme outil de santé publique dans la ville, permettant de lutter contre certaines problématiques liées au changement climatique, comme notamment celle des îlots de chaleur urbains. Alors que le végétal était utilisé dans l'espace public pour combler les vides, on essaie maintenant de lui faire de la place, car on connaît mieux les services dit écosytémiques qu’il rend.
De ce fait, les missions de nos services ont considérablement évolué. Là où elles ne consistaient qu’à planter des arbres dans des trous les plus petits possibles il y a 50 ans, en inventant des techniques pour permettre de rouler sur les racines sans les abîmer (mélange terre-pierre), les isolant des pluies de ruissellement car polluées par les hydrocarbures et le sel, elles nous demandent aujourd’hui exactement l’inverse. Nos services sont aussi désormais impliqués dans la vérification des règlements d’urbanisme comme les PLU. Avec la question de la nature en ville, on est donc au cœur d’une approche globale de l’aménagement.
En parallèle, le changement climatique impacte déjà fortement nos certitudes sur la capacité du végétal à pousser tout seul, à s’adapter à n’importe quelles situations. Ce contexte nous amène également à parler de toute la biodiversité, et donc à intégrer des compétences d’écologues, là où les savoir-faire d’un horticulteur pouvaient jusqu’à présent suffire.
Vous appartenez à une communauté professionnelle qui, au-delà des prérogatives de chacun à son poste, réfléchit beaucoup à ces questions. Pouvez-vous nous parler de l'association Hortis, dont vous êtes le président ?
Les spécialistes de la nature sont des gens passionnés. Beaucoup de mes collègues qui sont directeurs de parcs et jardins, quand ils vont se balader dans un pays étranger, vont visiter les parcs, rencontrer leurs homologues, etc. Cela favorise une émulation forte. Il existe un réseau professionnel de ces responsables de parcs et jardins de toute la France, Hortis, qui date de 1936, et qui est dans un dialogue pour essayer de faire avancer ces réflexions, accumuler scientifiquement, techniquement, de l'expérience. Ces échanges visent à imaginer de nouvelles stratégies, de meilleures façons de gérer le végétal dans la ville. Un des congrès récents qui a eu lieu à Lyon d'ailleurs, en 2017, avait pour thème « Espaces verts et santé publique ». On voit bien cette mutation, peu à peu.
Notre prochain congrès sera à Roanne en 2022 avec pour thème « Nature, effort et réconfort » et vous pouvez découvrir le programme. Il n'y a pas qu’Hortis, mais notre association regroupe près 600 responsables d'espaces verts de communes françaises. On essaie d'avoir un travail de prospective. Pour cela, on est accompagné par Plante & Cité, une association qui fait plutôt de la recherche fondamentale, financée en grande partie par des collectivités qui y adhèrent. Plante & Cité accompagne ces sujets de recherche, d’innovation : comment mettre du végétal sous des trams, comment s'occuper des sols, etc.
Au niveau d’un territoire urbanisé comme celui du Grand Lyon, où se situent les marges de manœuvre en matière de foncier disponible pour plus de végétation ?
La seule marge de manœuvre disponible est d’aller réquisitionner des espaces actuellement utilisés pour autre chose et qui ont du sol disponible pour le végétaliser. La chance de la végétation, c'est qu'elle prend de la place en sous-sol et en aérien, mais les arbres par exemple peuvent laisser quand même un espace entre les troncs qui ne prennent pas tant de place que cela.
Au contraire, la voiture consomme une grande place, que vous soyez dedans ou en dehors. Il faut toujours la stocker quelque part. Ce n'est pas le cas d'un vélo, ni du transport en commun qui a besoin d’infrastructures, mais qui utilise très peu de place en comparaison avec ce qu’il transporte. Quand on regarde les villes aujourd'hui, une immense surface est consacrée au déplacement ou au stationnement des voitures.
Dans une métropole, le sous-sol est mobilisé en grande partie pour les réseaux, l'eau, le gaz, l'électricité, les télécoms, etc. Comment peut-on faire cohabiter cela, sachant que le volume pris par les racines des arbres a tendance à progresser ?
Les arbres sont suffisamment adaptables pour arriver à utiliser l'espace du sous-sol comme ils en disposent, même si ce sont des fosses linéaires, relativement fines. On a jusqu'à présent laissé tous les concessionnaires passer leurs réseaux partout où l'espace était disponible, sans trop faire d'effort pour les dévier de façon à libérer un maximum de place pour la végétation. C'est ce travail qui va certainement devoir être mené maintenant.
Le sujet de fond aujourd’hui est d'utiliser le végétal pour les services écosystémiques qu'il est capable de rendre aux humains. Des études démontrent qu'un humain qui a l'habitude de fréquenter de la végétation et qui se promène dans des espaces verts a une espérance de vie fortement augmentée. Un individu qui rentre dans un hôpital et qui a la fenêtre qui donne sur le côté parc sort en moyenne un jour plus tôt que celui qui est sur le côté rue. Quand on sait ce que coûte une chambre d'hôpital, rien que sur un aspect financier, on voit bien ce que pourraient traduire ces éléments.
Concernant la lutte contre les îlots de chaleur, l’arbre agit notamment à travers le phénomène d'évapotranspiration et par l'ombrage qu’il apporte au sol. Concernant la dépollution, on sait que les feuilles savent filtrer les particules et purifier l'air. En dehors des océans, c’est le seul objet qui sait recracher dans l'atmosphère de l'oxygène en absorbant du CO2.
Quelles sont les stratégies mises en œuvre, notamment au niveau des pratiques de vos agents ?
Il y a deux sujets dans cette question. Le premier, c'est qu'il faut avoir une vision territoriale et non plus une vision administrative. Pour que l'effet soit fort, la totalité de l'espace disponible doit pouvoir être saisi. Or, les collectivités sont propriétaires d’assez peu de cet espace: grosso modo, 10 % pour la Métropole, 10 % pour les collectivités et les villes du territoire. Avec 20 %, on ne fait pas grand-chose. Si on veut occuper 80 % de cet espace, cela veut dire qu'il faut que tous les autres propriétaires fonciers soient mobilisés.
Sur les aspects des techniques, l’enjeu est de savoir comment on arrive à utiliser les sols d'une meilleure manière, à les recréer sur place et comment on arrive à ne pas être consommateur de sols vivants issus de décapage de terres agricoles. C'était comme cela qu’étaient construites nos villes jusqu'à maintenant. Comment on utilise les matières premières issues de démolitions, de récupération de limon ou de matériaux que l'on récupère en faisant des bassins et que l'on mélange avec du compost fabriqué avec les feuilles de nos arbres, dans une démarche vertueuse de circuits courts : ce sont les défis auxquels nous nous confrontons.
Il y a eu une bascule importante, avec le passage au « zéro phyto ».
Les habitants et les services ont en effet été impactés. La totalité des agents de France qui travaillent dans ces métiers ont appris l'usage du Roundup et autres produits pour lutter contre les maladies ou pour désherber. C'est donc un effort important pour les services, mais aussi pour les usagers. Sur ce sujet, la Métropole a mis en place des campagnes de communication pour démontrer qu’il n’y avait pas de mauvaises herbes, mais seulement des herbes, qui n'étaient pas dangereuses pour la santé, et que notre cadre de vie était finalement amélioré avec plus de végétal. On désherbe beaucoup moins aujourd'hui, et finalement, on a assez peu de retours négatifs.
Il a été démontré depuis quelques années maintenant qu'un gazon produit des efforts assez prodigieux pour arriver jusqu'à huit centimètres de haut. Toutes les tontes qui sont en dessous de cette cote favorisent sa repousse rapide. Avec des tontes au-dessus de huit centimètres, on a une herbe qui met bien moins d'énergie à se développer et qui demande donc moins d'entretien. Elle est aussi plus résistante au sec et chaud. Pour les finances publiques ou pour les agents qui passent du temps à tondre, c’est intéressant de considérer cela. Par ailleurs, cette végétation favorise les pollinisateurs, donc la biodiversité.
Il existe encore quelques espaces un peu complexes, tels que les cimetières, où sont aussi interdits les produits phytosanitaires depuis ce 1er juillet 2022. Ne pas entretenir cette herbe pouvait donner une impression de manque de respect vis-à-vis de la vocation de ces lieux, mais cela est de mieux en mieux compris par les familles des défunts.
Une fois le bitume brisé pour planter des végétaux, a-t-on accès à des terres adaptées ?
Pas forcément. On a alors recours à une économie de circularité qui va encore chercher de la terre sur des espaces agricoles. En parallèle, on doit préserver le capital terrien de ces zones, qui font un mouvement vers plus de bio, et qui ont besoin d'avoir une certaine richesse naturelle.
D'un point de vue financier, il ne sera bientôt plus possible d'aller acheter de la terre végétale. Cela coûte trop cher et demande trop de déplacements. On a beaucoup de villes en Allemagne pour lesquelles le budget nécessaire pour aller chercher cette terre lointaine est tellement exorbitant que ce n’est plus possible. Comment faire alors pour que les sols dont on a besoin soient trouvés sur place ou à proximité ?
Pour ce qui est de la Métropole, on a mis en place une banque de données des terres excavées, c'est-à-dire que l'on a en permanence les plus et les moins : quel chantier va générer de la terre disponible et quel chantier va en consommer. On relie ces éléments pour déplacer le moins possible des terres, et qu'elles soient toujours dans un secteur donné, entre ceux qui en ont besoin et ceux qui en ont trop. On travaille aussi depuis déjà quelques années à la reconstitution des sols à partir d'éléments primaires, des objets de démolition jusqu’au compost issu des feuilles des arbres que l’on mélange. La collecte des déchets alimentaires en test sur un arrondissement avant généralisation sera un apport pour ces futures terres fertiles à créer.
On utilise également des plantes qui permettent de dépolluer ou d’enrichir les sols. Très récemment sur les quais du Rhône, on a planté des herbes et des plantes notamment de type moutarde, qui permettent d'enrichir les sols pendant un an ou deux. Ensuite, on vient y planter des végétations plus denses, et des arbres.
On sait que l'on part dans une période où l'eau, en tant que ressource, va devoir être considérée comme quelque chose de beaucoup plus rare et de beaucoup plus précieux. Est-ce qu'à partir des infrastructures existantes, on a la capacité d'additionner au réseau actuel ce nouveau besoin lié à la végétalisation ?
On s'est échiné à vouloir imperméabiliser les sols et à recueillir l’eau dans des tuyaux. Cela a fonctionné à peu près au début, tant que l'on avait une certaine homogénéité du climat, mais cela ne fonctionne plus avec des précipitations devenues irrégulières, avec des pluies monstrueuses par moment. La seule solution, c'est de déminéraliser nos villes et de les rouvrir à la pénétration de l'eau. La Métropole de Lyon fait de gros travaux. On essaie de le faire aussi bien sur les infrastructures de transport que sur les trottoirs, et autour des arbres et de la végétation. C'est ce qui s'appelle des noues, des bassins de pluie. On parle même « d’arbres de pluie » quand on ramène la pluie du secteur au pied de l’arbre. C'est ce qui existe dans toutes les forêts, mais dans les villes on a eu tendance à séparer ce cycle de l'eau du végétal. On ne sait d'ailleurs pas bien comment la plupart de nos arbres arrivent à vivre sous des espaces complètement minéralisés et étanches.
Il existe d'autres mesures complémentaires, comme des bassins souterrains où l’on stocke l'eau pour la réutiliser lors de canicules ou de sécheresses. C’est un peu le cumul de toutes ces mesures qui nous permet d'avoir une position plus vertueuse sur ce cycle de l'eau, et donc de rafraîchir la ville. Un sol qui a emmagasiné de l'eau saura la restituer au moment des fortes chaleurs et donnera un peu de fraîcheur à la ville. La simple évaporation du sol est meilleure qu'un enrobé ou un béton étanche qui prend toute la chaleur solaire et la restitue la nuit.
Est-ce que la prise de conscience que vous incarnez dans l'ambition de vos missions est partagée par le reste des acteurs de la fabrique de la ville ?
Quid des systèmes de silos qui regroupent des spécialistes de leur métier dans chaque secteur ? Plusieurs pistes nous permettent de dépasser un peu cette verticalité. La première, c'est celle que l'on vient d'évoquer autour de l'eau, puisque c'est quelque chose qui tombe du ciel à peu près partout sur le territoire et la répartition de tout cela est relativement homogène au départ. Cette politique commence à être comprise par tous les agents, quel que soit leur métier. Quelqu'un qui s'occupe de voirie comprend désormais aussi bien ce sujet que quelqu'un qui s'occupe de végétal. C'est la nouveauté.
La deuxième, c'est qu'il y a une inflexion politique sur des sujets qui étaient considérés comme plutôt secondaires jusqu'à maintenant et qui sont maintenant prioritaires : le climat et la pollution, l'eau, la nature en ville et la biodiversité. Cela oblige l'ensemble des acteurs de l'espace public, et au-delà, à se poser ces questions. La végétation produit des feuilles et des fruits parfois qui embêtent nos collègues du nettoiement, censés nettoyer les rues pour qu'elles soient impeccables. Est-ce que c’est bien gênant de marcher sur des feuilles ? En forêt, cela nous plaît. Dans la ville, c'est glissant, parce que les masses qui s'accumulent peuvent potentiellement avoir d'autres problématiques. Mais cela génère par exemple du compost, qui peut être remis dans la terre. On est de nouveau dans des cercles relativement vertueux.
Quelle relation vos agents cultivent-ils avec les habitants ?
On a depuis toujours des agents du service public capables de dialoguer avec les usagers. C'est vrai d'un éboueur qui fait du nettoiement dans la rue, ça l'est peut-être encore plus d'un jardinier qui va être interpellé sur la façon de tailler son arbre, pourquoi il a fait cela et comment il fait ceci, parce qu'il y a quand même depuis toujours une sensibilité sur ces sujets.
Une autre question concerne l'appropriation de cette nature par les citoyens. Il y a de la demande qui est pour l'instant plutôt confinée sur de petits espaces, ce que l'on a appelé les jardins de rue, ce que l'on appelle les micro-implantations florales, où des riverains voudraient se saisir un peu de l'espace public et y participer. Les communes essaient d'y répondre, et la Métropole aussi de son côté, en essayant de mettre à disposition un peu d'espace public. La difficulté est plutôt la continuité : si le riverain qui s'en est occupé déménage, ou que ce n'est plus lui qui veut le faire, comment arrive-t-on à gérer à la fois l'espace public au sens Métropole, avec des marchés publics, et ces exceptions au milieu ? Ce n'est pas simple, mais on développe ces sujets participatifs.
En général, les habitants les moins bien lotis sont d'abord les moins bien dotés en espaces verts. Quand on les reverdit, le risque de gentrification n’est jamais loin. Comment prendre en compte ces enjeux de justice environnementale ?
En tout cas, c'est la volonté politique et technique de ce que l'on est en train d'essayer de mettre en place : qu'il y ait de la végétation, dans l'espace public, de façon équitable à peu près partout. Après, dans l'espace privé et dans la place dont on dispose, il est sûr qu'il y a une vraie différence entre celui qui est capable de s’offrir 1 000 m² de terrain et celui qui est dans un HLM. La capacité de ce dernier d'avoir de l'espace vert dont il disposerait pleinement est éventuellement plus faible.
On a des espaces que l'on n’avait depuis longtemps pas spécialement végétalisés, mais qui pourraient l'être de façon assez forte, ce sont les zones commerciales, les ZAC. L'ensemble des aménagements qui sont faits sur le territoire n'avaient pas d’objectifs en matière de biodiversité. Peut-être que l'on pourra rapprocher beaucoup d'endroits de la nature parce que l'on aura utilisé les espaces disponibles.
C'est un travail qui peut aussi se poser dès l'amont de la construction, avec des bailleurs sociaux, avec des promoteurs quand on n'est pas dans le logement social, quand on est plutôt sur du logement d'entreprise, des zones commerciales. Comment se positionnent ces acteurs privés ?
La Métropole est très aidante puisqu'elle vient de prendre une délibération au mois de décembre qui subventionne jusqu'à 60 % l'ensemble des plantations qui pourraient être faites sur les copropriétés ou chez les bailleurs sociaux. On est dans une démarche d'accompagnement et d'aide sur du secteur marchand, du secteur privé, pour développer le végétal. Encore faut-il qu'ils aient du terrain. Le propriétaire d'un immeuble, s'il n'a pas de terrain autour, ne va pas être concerné par ces mesures. Il sera concerné par d'autres, autour d’Ecoréno’v, pour mieux isoler son bâtiment et faire des économies, mais pas tellement sur la partie végétale. Il y a vraiment un enjeu autour de ce que l'on avait appelé le plan Canopée, le plan nature de la Métropole pour que tout le territoire se mobilise.
Votre approche stratégique n'est pas qu'une addition de moyens en fonction de micro-contextes, mais bien l’expression d’une vision globale, de long terme. Dans ce cadre, pouvez-vous nous présenter le plan Canopée ?
Cette stratégie vise à essayer d'obtenir 30 % de canopée en moyenne sur la Métropole de Lyon d'ici 2030. La canopée, c'est vraiment la projection du houppier d'un arbre. On est aujourd'hui, semble-t-il, à peu près à 27 % de couverture de canopée sur l'ensemble de la Métropole, ce qui représente un peu plus de trois millions d’arbres. Sur ces trois millions d’arbres, il y en a 2,7 millions qui sont privés, et donc 10 % à peu près sont des arbres publics.
On a estimé qu'il faudrait planter 300 000 arbres d'ici 2030. C'est relativement ambitieux parce que les 10 % de l'espace public représentent près de 30 000 arbres – je pense que l'on va y arriver, voire le dépasser – mais il y a quand même une certaine inertie. Il faut aussi embarquer avec nous l'ensemble des autres propriétaires fonciers : la SNCF, les hôpitaux, l'armée, les bailleurs sociaux, etc. Tout cela demande de grands efforts, et c'est vraiment un changement de paradigme. Souvent, les plans qui ont été faits par les collectivités ne concernaient que leurs services ou leurs espaces. Là, c'est un plan territorial global.
La Métropole a, dans son organisation administrative, une capacité de travail avec les communes. Avec la signature du pacte métropolitain, il y a un outil de dialogue entre chaque territoire et la Métropole. Parmi les axes qui ont été fixés dans ce dialogue, il y en a un autour des trames vertes et bleues. On est donc tout à fait enclins à essayer d'optimiser les apports mutuels de la Métropole et des communes pour inciter encore plus de monde, peut-être même les citoyens, à participer à un projet global ambitieux.
Il y a un principe qui repose sur trois mots : « éviter, compenser, réduire ». Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
Le principe est simple : chaque fois que l'on projette d’abîmer la biodiversité d'un territoire parce que l'on a un projet à y faire dessus – une route, un bâtiment, un bassin – on a l’obligation de faire une étude complète de la biodiversité présente. En fonction des résultats, on a des obligations.
La première option, c’est d’éviter, c'est-à-dire que l’on ne fait pas la route parce qu’il y a trop de biodiversité.
La deuxième option, c’est de réduire, c'est-à-dire que l’on fait la route, mais on lui fait prendre un virage un peu spécial pour préserver des zones, et on la dote d’un type de revêtement particulier qui va préserver cette biodiversité.
La troisième option, c'est de compenser. On est absolument obligé de faire cette route, on est alors tenus de trouver des surfaces qui permettent de recréer cette biodiversité ailleurs, le plus possible aux alentours. De façon relativement artificielle, on recrée les conditions pour que la biodiversité qui était à cet endroit soit de nouveau présente sur une autre surface.
Bien que ne faisant pas partie des mesures compensatoires à proprement parler, les élus métropolitains nous demandent pour chaque abattage d’un arbre d’en replanter trois.
Afin de développer une forme de synergie avec les communes au niveau de la gestion des espaces verts, vous avez mis en place un outil de cartographie innovant. Pouvez-vous nous le décrire ?
Cet outil va s’appeler le calque de plantabilité. Nous avons utilisé des datas de réseaux notamment que nous avons croisé pour obtenir une sorte de carte pixellisée de 5m x 5m et chaque pixel est coloré en fonction de la probabilité qu’il soit possible d’implanter un arbre ou de la végétation sous ce pixel. C’est en fait un outil très rapide d’aide à la décision. Sous un pixel vert, il y a de fortes chances que l’on puisse planter quelque chose… Sous un autre plus rouge ou noir, il faudra de gros efforts et travaux pour y parvenir. Ce calque de plantabilité sera accessible à tous d’ici l’automne. Il représente à notre connaissance une première mondiale. Il faudra tester pour en parler avec plus de détail.
On est dans un champ d’action qui requiert des indicateurs précis. Quels sont les moyens mis en œuvre à ce niveau ?
La façon dont on gérait la végétation a longtemps été très administrative. On avait intégré de la cartographie depuis des années. Cela nous permet de positionner l'axe de l'arbre, d’avoir des éléments quantitatifs, des données dendrométriques et des données sanitaires. Cela nous permet de suivre ce patrimoine d'assez près. Mais je pense que l'on est en train de franchir une étape, et d'avoir un suivi extrêmement précis d’où l’on en est de l'îlot de chaleur dans telle rue, grâce aux plantations ou sans les plantations, quel est le volume d'oxygène qui a été produit par cet ensemble, quelle est la quantité d'eau qui a été intégrée sur place plutôt que d'être envoyée dans des tuyaux, etc.
Nous allons vers de plus en plus d’obligations de résultats, la profession va donc suivre de près l'évolution des technologies pour nous permettre de faire évoluer ce patrimoine et surtout de qualifier et de quantifier les services écosystémiques rendus par ce patrimoine.
Aujourd'hui, l'arbre que vous plantez doit être en phase avec le climat actuel et le climat de demain. Comment sélectionner les essences en capacité d'accompagner cette évolution ?
Ce qui nous pose des difficultés, c'est qu'en plus de cela, ce n'est pas vraiment qu'un réchauffement, c’est plutôt un changement climatique qui est en cours. Certes, on a du réchauffement, mais cela implique aussi des changements relativement importants de saisonnalité, de manque de pluie en hiver et de tempêtes en plein été, et de vents. On a sur la Métropole de Lyon, une augmentation du nombre de jours de vent considérable depuis dix ans, avec deux fois plus de jours de vent supérieur à 50 km/h. La métropole de Lyon est aussi la ville qui a connu le plus fort réchauffement en France depuis 10 ans.
Nous ne sommes pas capables de savoir ce qui se passera dans 50 ou 100 ans. Le pari que l'on fait, c'est de dire que l’on sait qu'il va y avoir des changements et donc on est beaucoup plus modeste sur nos choix. Nous travaillons sur la diversification des essences. On a 300 essences d’arbres aujourd'hui, on n'en avait même pas 50 il y a une trentaine d'années. On démultiplie le nombre d'espèces en se disant que sur le lot, s'il y en a qui ne devaient pas passer ces épisodes, elles seront minoritaires, et cela n’aura qu'un faible impact global.
Nous travaillons également avec des pépiniéristes sur les écotypes : peut-être qu'un cèdre qui a poussé toute sa vie plus au sud, à Montélimar, dans les cédraies du mont Ventoux, serait plus adapté demain à la région lyonnaise parce qu'il aurait déjà développé dans ses gènes une capacité d’adaptation aux épisodes secs. Si on se met à faire des arbres de pluie, ils récupéreront cette eau et seront bien irrigués, donc peut-être qu'ils pousseront mieux et qu’ils supporteront mieux ces épisodes difficiles. Et puis, il y a tout un travail sur la variété génétique. Pour la même espèce, s’il existe des graines c’est pour fabriquer de la variation génétique – c'est bien mieux que des clones et donc des boutures –, etc. Là aussi, on est en train de demander à nos pépiniéristes d’évoluer.
Tant pis si on a de la diversité végétale et si nos alignements, ce ne sont pas des arbres qui sont tous identiques. Au moins, ils ont un patrimoine génétique varié, qui sera moins soumis à des problématiques de stress hydrique, d'attaques parasitaires et de perturbations diverses.
Enfin, la 5ème année consécutive de sécheresse et canicules que nous vivons en 2022 nous engage à revoir fortement nos modes de plantations et l’attention qu’on y porte. Là où il suffisait il y a 30 ans de mettre un plant dans un trou du sol pour qu’il pousse nous devons maintenant veiller à disposer de bons sols, les irriguer durant plusieurs années (certainement plus proche de cinq ans que de trois !) et suivre cette plantation jusqu’à ce qu’elle soit sortie d’affaire. Il y va de leur survie pour une ou plusieurs centaines d’années.
Un projet a été mis en place pour qu’entre ces générations il y ait une histoire à transmettre, une forme de mise en récit. Est-ce que vous pouvez nous présenter cette action autour de l'arbre témoin ?
Cela fait longtemps que l'on réfléchit à associer des gens non experts à la réflexion du végétal dans la ville. On avait mis en place ce que l'on avait appelé le « Canopée remix » qui avait permis d'aller chercher des artistes, des aménageurs, des gens du bâtiment, etc. Il y a eu plus de 120 acteurs en novembre 2020 qui ont réfléchi à ces sujets. Parmi les différentes propositions, un projet s'appelle « l'arbre témoin ».
Le principe est d'utiliser le prétexte de l'arbre pour fabriquer un lien intergénérationnel. On prend des graines que l'on fait germer par exemple dans une école maternelle ou primaire. On sensibilise les écoliers aux étapes de la vie de cet arbre, qui va devenir un plançon de quelques centimètres la première année. On fait ensuite un passage de témoin à la classe du dessus, ou à l'école d'à côté, ou au collège du coin, qui passera peut-être ensuite cet arbre à l'Ehpad du secteur. On lie l’histoire d'un végétal à l'histoire des gens, et chaque passation est une fête qui reste dans la mémoire des petits et des grands.
Cet arbre, qui finira replanté dans l'espace public ou dans l'espace privé des environs, aura une petite histoire ancrée en lui. On parle d’une période assez courte, quatre ou cinq ans. Mais durant ces premières années, on va essayer de faire ce passage de témoin avec ses cérémonies de passation. Pour l'instant, il y a quelques communes qui sont concernées, mais on espère développer cette action sur tout le territoire de la Métropole.
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