Nature en ville : comment accélérer la dynamique ?
Texte d'Aurélien BOUTAUD
Découvrez les enseignements du rapport publié en 2018 par le Conseil Économique Social et Environnemental.
Interview de Patrick CLANCY
<< Notre culture ne nous préparait pas, d’emblée, à intégrer l’enjeu de la nature dans nos pratiques professionnelles. Pour renverser des tendances au sein d’une organisation comme le Grand Lyon, il faut une volonté politique très forte. >>.
Rencontre avec Patrick Clancy, directeur de la planification urbaine de la communauté urbaine de Lyon.
Notre environnement urbain s’est « végétalisé ». Comment est-on ainsi passé, en une quinzaine d’années, du « tout minéral » à la prise en compte du végétal ?
Quels ont été les outils utilisés par les techniciens de la Communauté Urbaine pour faire passer cette culture du « vert dans la ville » ? Cette culture a-t-elle évolué par des méthodes de travail différentes.? Quels sont les facteurs de réussite de cette prise en compte du vert dans la ville ? Pourquoi le vivant animal n'est-il pas plus pris en compte dans le besoin de nature en ville ?
Ces questions nous permettent d'obtenir un témoignage sur l'évolution de la prise en compte de la nature dans les projets urbains. Cette évolution a pu se faire grâce à une forte volonté politique d'une part et grâce aux techniciens qui ont su faire passer cette culture du « vert dans la ville ».
"Quant à l’animal, d’une façon générale, pourquoi ne pas réintroduire l’animal utilitaire en ville ? Par exemple pourquoi ne pas utiliser les chevaux pour tracter des véhicules qui servent à l’arrosage des végétaux en ville, plutôt que d’utiliser des engins motorisés qui doivent passer plus des 2/3 du temps à tourner au ralenti ? Ou dans un but ludique pour des balades, des visites de la ville...."
La physionomie de l’agglomération lyonnaise a considérablement changé en quelques années, notre environnement urbain s’est « végétalisé », le nouveau PLU1 prévoit, dans son premier axe de travail, de « développer la ville dans le respect de son environnement naturel ». Comment est-on ainsi passé, en une quinzaine d’années, du « tout minéral » à la prise en compte du végétal ?
Il n’y a pas de miracle ! Cela passe avant tout par la volonté politique de « faire ». C’est la rencontre entre des élus, porteurs d’idées fortes qui ont mis toute leur énergie à les mettre en œuvre. Cette dynamique est apparue avec des élus comme Michel Noir et Henry Chabert. Cette volonté politique continue a permis aux techniciens de relayer ces idées auprès des Maires qui se sont approprié ces dimensions. Leur force a été la permanence du discours mais aussi la volonté de convaincre les autres acteurs politiques. Cette volonté politique s’est également concrétisée par la nomination d’un conseiller technique, Yves Vérilhac, qui a été le relais pour promouvoir ces idées ; ainsi que par de profonds changements dans la technostructure avec notamment la création de la mission Ecologie Urbaine, du service Espace Public et d’une cellule « arbres » à la voirie. Cela montre la volonté concrète des politiques de faire passer ces sensibilités auprès des techniciens. Nous étions nombreux à l’époque à être sensible à la nature mais notre culture ne nous préparait pas, d’emblée, à intégrer cette nécessité dans nos pratiques professionnelles. Je pense que pour renverser des tendances, y compris au sein d’une organisation comme le Grand Lyon, il faut une volonté politique très forte.
Justement, auprès des techniciens, quels ont été les outils pour faire passer cette culture du « vert dans la ville » ?
Le contact avec des professionnels et notamment des paysagistes a été déterminant. Ils nous ont appris à regarder un paysage, pas seulement pour en apprécier la beauté, mais pour pouvoir l’expliquer, le décoder, le défendre, et au final, comprendre quels sont les outils et les méthodes à suivre pour construire un paysage. On peut comparer cet apprentissage à celui qu’on peut avoir en littérature, en matière d’art…Apprendre aussi que la réalisation d’un paysage repose sur des équilibres naturels et se construit dans la durée. En tant que technicien, et à fortiori en tant que juriste, je n’avais pas cette sensibilité et cette approche. Je pense aussi que la motivation et l’investissement personnel de quelques techniciens ont fait beaucoup. Des personnes comme Frédéric Ségur, spécialiste de l’arbre à la direction de la voirie, Yvon Leprince ou Joelle Diani à la Mission Ecologie ont contribué, dès le début des années 90, à introduire au Grand Lyon cette connaissance et à aider à mettre en place des méthodes de travail pour intégrer la dimension végétale dans un projet. C’est aussi, dès cette époque, l’apparition du concept de trame verte, qui va prendre corps, petit à petit, pendant toute la décennie et qui continue aujourd’hui à se décliner au travers d’un projet comme l’aménagement de la rive gauche du Rhône à Lyon par exemple.
Désormais on n’imagine pas de concevoir un espace public sans un minimum d’espaces verts. Est-ce à cela qu’on constate que la culture a changé ?
En fait, on se rend compte que la question du végétal dans la ville est devenue une évidence. Des opérations qui constituaient de véritables paris, il y a 10 ans, semblent « normales » aujourd’hui. Prenez par exemple la place des Célestins, au-dessus du parc de stationnement souterrain. Planter cette masse d’arbres, des magnolias, qui fleurissent tous en même temps et composent au printemps un spectacle époustouflant, n’allait pas de soi. Autre exemple, l’aménagement de la place Antonin Poncet, où l’on n’hésite pas à prendre une option très coûteuse pour que le végétal rejoigne le fleuve et supplante la voiture. Aujourd’hui au travers d’un projet comme Lyon-confluence, ce sont l’ensemble des éléments naturels qui imprègnent le projet urbain. A mon avis, il faut une dizaine d’années pour que les choses changent et pour amorcer un bouleversement culturel.
Vous disiez précédemment que cette culture a évolué aussi par des méthodes de travail différentes. Pouvez-vous-nous en dire un peu plus ?
Effectivement cette évolution est passée aussi, dans le champ de l’urbanisme réglementaire, par la création de règles contraignantes. La commande politique a été constante sur ce point. Parfois la réponse technique a été maladroite mais nous avons toujours su adapter les outils sans renoncer à l’objectif . Par exemple en 94 sur le territoire de Lyon, tous les arbres d’alignement ont été mis en EBC2 pour atteindre 100 ha - il fallait y arriver, la commande était claire - mais à chaque fois qu’il fallait bouger ou couper un arbre, parfois pour un simple déplacement de réseau, c’était la galère, il fallait réviser le POS ! Cette solution, trouvée dans l’urgence, était beaucoup trop lourde à gérer sur le plan opérationnel. Cela nous a amenés à réfléchir à de nouveaux outils. Par la suite, on a pu travailler sur la base des « plantations sur domaine public » qui offre plus de souplesse3 . Et puis, petit à petit, le POS a intégré cette obligation «d’espace verts», dans les copropriétés, les ZAC, les lotissements etc. Par exemple dans les centres, les zones constructibles doivent comporter 1/3 d’espaces verts, dont la ½ en pleine terre. Car les expériences de plantation sur des dalles ne sont pas concluantes, on s’est rendu compte qu’elles sont difficiles à entretenir et vieillissent mal, il faut donc privilégier, au maximum la « vraie nature ».
Au-delà de cette volonté des élus et des techniciens convaincus qui les ont suivis, quels sont selon vous, les autres facteurs de réussite de cette prise en compte du vert dans la ville ?
Un vocabulaire urbain varié est apparu grâce à la diversité des professionnels qui y ont travaillé. A la fois des professionnels confirmés, « des grands noms » mais aussi des jeunes à qui la collectivité a donné une chance d’exprimer leur talent. Cette variété a apporté une véritable richesse à la composition du paysage urbain qu’on retrouve aujourd’hui autant dans des projets comme la Cité internationale ou la continuité « Feyssine-Miribel-Jonage »que dans des projets plus « confidentiels » à l’échelle d’un quartier qu’ils soient publics ou privés. Bien sûr, il reste encore beaucoup à faire… et à éduquer.
Tout est fait ou reste-t’il encore, en la matière, des progrès à faire ?
Non seulement des progrès, mais des innovations dans cette mise en valeur de l’espace non minéral. Gilles Buna, adjoint à l’urbanisme de la ville de Lyon et vice-président chargé de l’urbanisme appliqué et opérationnel, des projets urbains et des grands projets d’équipement à la communauté urbaine de Lyon, est très soucieux de la perméabilité architecturale en direction des cœurs d’îlots. Avec l’Agence d’urbanisme, nous avons travaillé dans ce sens. L’idée est de créer des transparences architecturales pour voir les jardins, les espaces verts cachés au cœur des espaces bâtis. On ne conçoit plus la ville en tranches- l’eau, le végétal et le bâti - mais plutôt par ramifications, la nature pénètre dans la ville, des « doigts verts » s’infiltrent dans les quartiers, la ville dialogue avec le fleuve. Cette vision suppose de nouvelles règles de zonage dans le PLU4 . Les constructions n’offrent plus de front bâti parfaitement continu et lisse. L’idée est de trouver des rythmes, des pleins et des vides. Offrir une qualité de vie en cœur d’îlot où la lumière, l’espace, le végétal doivent être présents, de même que le regard de l’usager de la rue n’est pas exclu de l’îlot. Ces exigences oblige à fractionner le bâti – création de porches ou de césures -, à créer des redents – « dents creuses » en recul. Dans les vides créés, on peut alors intégrer de la végétation. Encore une fois, cette option oblige à réglementer, car c’est une contrainte pour les opérateurs immobiliers pour qui le bâti doit être un produit rentable avant tout. Concernant les opérations du Grand Lyon, ces règles sont portées en contraintes dans les cahiers des charges.
On le voit, le « tout règlement « peut conduire à des incohérences ou des contraintes fortes. Quelle autre solution voyez-vous ?
Concernant le souci de la perméabilité architecturale, l’Agence d’urbanisme a sollicité l’avis d’architectes, pour tester ces nouvelles règles. Il leur a été demandé d’imaginer des projets sur des espaces déjà réalisés qui serait repensés dans le sens d’une meilleure transparence architecturale. L’exercice a été intéressant et riche de solutions. De ce dialogue nous avons mieux apprécié ce qui devait être réglementé et ce qui reste du domaine de l’intelligence du concepteur. Derrière cette réflexion, il y a une question qui revient sans cesse : peut-on réglementer le « beau », la qualité ? A titre personnel, j’aimerai que l’on puisse utiliser davantage des mesures incitatives. Pourquoi pas un Prix citron et un Prix orange de l’architecture Grandlyonnaise, avec une bonne opération de communication à l’appui !
Une dernière question. Comment expliquez-vous que le besoin de nature, de vivant, ne prenne pas plus en compte le vivant animal ?
Un gros travail a été fait sur ces questions, notamment avec la FRAPNA. Cela nous a aidés pour identifier les territoires où nous devions adapter les règles, pour respecter les biotopes et les micro-sites, sur la base de l’inventaire des sites écologiques. Au-delà d’approches différentes entre la collectivité et les associations militantes, un partenariat a été possible sur ces questions. Quant à l’animal, d’une façon générale, pourquoi ne pas réintroduire l’animal utilitaire en ville ? Par exemple pourquoi ne pas utiliser les chevaux pour tracter des véhicules qui servent à l’arrosage des végétaux en ville, plutôt que d’utiliser des engins motorisés qui doivent passer plus des 2/3 du temps à tourner au ralenti ? Ou dans un but ludique pour des balades, des visites de la ville. C’est peut-être de cette façon qu’on pourrait imaginer une meilleure cohabitation homme/ animal. Concernant les chiens, j’en ai un, il me semble que la logique est de bien les éduquer, l’idée de pissotières pour chiens me fait bien rire ! Mais il est vrai que lorsque l’urbain va vivre à la campagne, il veut que les coqs arrêtent de chanter et les cloches des vaches de tinter.
1 Plan Local de L’urbanisme
2 Espaces Boisés Classés
3 « plantations sur domaine public »
4 Plan Local Urbain
Texte d'Aurélien BOUTAUD
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