Du temporaire au transitoire, retour sur la prise en compte du temps dans l’urbanisme
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Quand le temps devient un outil d’aménagement de l’espace
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Interview de Vincent Carry
<< Assez vite en effet, la question de la diversification de nos activités est devenue un enjeu de survie et l’emblème de notre manière de travailler dans le champ culturel >>.
Féru de musique électronique, Vincent Carry baigne dans le milieu de la musique depuis la fin des années 90. Après avoir été programmateur pour plusieurs lieux de l'underground musical lyonnais, il crée Arty Farty en 1999, qui organise chaque année le festival des Nuits Sonores, doublé du forum sur entrepreneuriat culturel " European Lab".
Pour Millénaire 3, il revient sur la création d'Arty Farty et sur l'avenir de l'entrepreneuriat culturel à Lyon.
Pouvez-vous nous rappeler le parcours d’Arty Farty, la structure que vous pilotez ?
Arty Farty est une association qui s’est régulièrement développée depuis sa création en 1999. C’est une entreprise culturelle avec des métiers et un modèle innovant, parce qu’elle est née à un moment où les financements publics de la culture ont été remis en question. Pour nous, la raréfaction des financements publics a été une matrice de réflexion, alors que les institutions culturelles en place ont elles essayé de conserver leurs acquis ou de travailler avec moins. Nous avons d’emblée raisonné avec ce contexte, tout en ayant une très forte envie d’intervenir dans le champ culturel.
La première manifestation publique d’Arty Farty a été le festival éponyme Arty Farty en 2002, dédié aux musiques électroniques. Cet événement a été le prototype du festival Nuits sonores dont la première édition a eu lieu un an plus tard, en 2003. Un de nos challenges aura été d’inscrire l’événement en milieu urbain. Et pour cela, il était nécessaire que la Ville accepte notre démarche et en ait une bonne compréhension. Cela nous a permis d’aller dans des lieux patrimoniaux ou décalés, comme dans des institutions. Finalement, nous sommes allés un peu partout et cela a rencontré un grand succès.
L’équipe d’Arty Farty vient des cultures électroniques. C’est la rencontre entre notre goût pour cette esthétique et le terreau local, la montée en puissance générale des cultures électroniques qui explique sans doute le succès immédiat du festival Arty Farty, puis de Nuits sonores. Le succès vient aussi sans doute d’un contexte local porteur, avec l’arrivée d’une nouvelle équipe municipale conjuguée à l’absence d’événement d’envergure sur les musiques électroniques à Lyon.
Notre ancrage culturel, notre discipline de référence a donc été à l’origine les musiques électroniques. C’est aussi cette entrée particulière qui nous a conduit à nous interroger sur le « format » festival, pour essayer de le réinventer. Les musiques électroniques n’avaient pas un mode de diffusion festivalier et c’est en cherchant à valoriser cette musique que nous avons inventé un festival spécifique, Nuits sonores.
Mais très vite, vous avez fait évoluer et surtout croître Arty Farty bien au-delà de ce qu’on attendait d’une structure qui pilote un festival. Quels ont été les ressorts de ce développement ?
Pendant un temps, Arty Farty s’est totalement confondu avec Nuits Sonores, mais assez vite en effet, la question de la diversification de nos activités est devenue un enjeu de survie et l’emblème de notre manière de travailler dans le champ culturel. Nous avions notamment une frustration à travailler toute l’année sur un projet, à mobiliser une équipe et des savoirs faire pour les 5 seuls jours du festival. De plus, il nous est apparu que le festival était finalement très vulnérable : il suffisait que le mauvais temps s’en mêle, qu’il y ait une catastrophe ou un attentat pour qu’il soit annulé et que nous disparaissions du paysage. Cela nous a incité à développer un modèle économique spécifique, avec en ligne de mire l’ambition de mieux employer nos compétences et de développer des fonctionnalités nouvelles autour du festival.
Dans un premier temps, nous avons développé nos projets au sein d’Arty Farty, qui a fonctionné comme un incubateur. Par exemple, nous nous sommes mis à faire du booking d’artistes –cela consiste à faire programmer des artistes ou des groupes dans des lieux ou des festivals–, parce que les artistes des cultures électro étaient souvent démunis sur ces questions. Il y avait un véritable besoin. Cette activité a été conduite en interne, le temps que l’on apprenne ce métier. Petit à petit, elle s’est consolidée et a pu être réellement professionnalisée. Nous avons alors décidé de l’externaliser en 2015, en créant une filiale baptisée AKA, aujourd’hui basée à Paris et qui emploie 2 salariés à temps plein.
Dans un même ordre d’idée, nous avons cherché à organiser des concerts en dehors de la période du festival, une collection appelée Echos sonores. Au total, il y a eu une centaine de concerts très précisément, avec un compte à rebours annoncé sur les derniers concerts. Puis nous nous sommes alors arrêtés de programmer pendant un an, pour nous donner les moyens de créer une seconde filiale, Culture Next.
Le modèle de Culture Next consiste à privatiser un lieu pendant la première partie de la semaine, pour avoir ensuite une programmation culturelle. C’est sur ce concept qu’est né le Sucre, sur le toit de la Sucrière à la Confluence, où nous avions déjà fait plusieurs concerts et qui est régulièrement investi par la Biennale d’art contemporain. Aujourd’hui, le Sucre c’est environ 150 événements culturels et 80 privatisations par an. Ce savoir faire en termes de management d’un lieu qui combine activité commerciale avec activité culturelle a suscité de nombreuses demandes. Ainsi, nous privatisons des lieux comme l’école d’archi Odile Decq, Quai des arts aux Subsistances, le Transbordeur, bientôt la Halle Girard… Le point commun de tous ces lieux est d’avoir une qualité patrimoniale et d’avoir un lien avec la création.
Avez-vous d’autres projets en termes de filiales et quels sont-ils ?
Aujourd’hui, nous avons un troisième axe de développement portant sur le fooding. Nous avons toujours eu un intérêt sur la manière dont on accueillait les spectateurs, sur l’expérience qu’on pouvait développer autour de la musique et donc de la manière dont on peut manger à ce moment là. Nous avons là aussi eu de très nombreuses expériences pour faire du fooding en milieu événementiel. Cela nous a conduit à créer une troisième filiale, Swimming Poule, qui aura tout d’abord en gestion le restaurant de la piscine du Rhône, un lieu où, là aussi, nous avons fait de nombreux événements. Nous avons été les premiers à mettre en valeur ce lieu, son architecture, au-delà de sa fonction initiale.
Et nous allons créer prochainement une quatrième structure, avec Hotel 71, installé au 71 quai Perrache, dans un ancien hôtel particulier jouxtant la Halle Girard. Voilà 2 ans que nous y travaillons, ce sera un hub créatif, proche de la fonction d’un incubateur, mais qui pourra aussi accueillir des entreprises ayant déjà fait leurs preuves : nous allons y installer Arty Farty, Culture Next et le site de financement participatif KissKissBankBank. Nous y attendons des structures venues de l’univers des médias, de la culture et de l’art. Hotel 71 proposera aussi un espace de co-working en lien avec l’écosystème artistique et culturel, ainsi qu’un espace dédié à l'événementiel, car je ne crois pas qu’un lieu créatif puisse être coupé du monde, il faut qu’il y ait du mouvement, de la fête, des contacts…
Que représente aujourd’hui Arty Farty ? Est-ce déjà l’esquisse d’un grand groupe dédié la culture ?
Arty Farty demeure une structure légère et agile. Nous avons une interrogation permanente sur notre développement. Nous ne voulons pas devenir une grande entreprise avec ses lourdeurs de fonctionnement. Au contraire, dès que nous avons développé une activité qui fonctionne, nous la filialisons, de préférence sous forme d’une SAS (société par actions simplifiée). Aujourd’hui, Arty Farty ce sont 6 structures, 4 SAS et 2 associations de droit étranger, l’une de droit marocain, l’autre de droit belge. Nous fonctionnons en grappe de structures et pas du tout de manière pyramidale.
Par ailleurs, Arty Farty n’a pas vocation à distribuer des dividendes et demeure dans sa globalité à but non lucratif. Les ressources générées par les prestations sont réinvesties dans les projets et les emplois. L’ensemble des bénéfices a toujours été réinjecté dans le développement de ce qui est devenu un éco système davantage qu’un grand groupe… C’est aussi grâce à cela que nous avons pu nous développer aussi vite, sans endettement et en faisant très peu appel à la subvention publique. Notre activité globale atteint aujourd’hui 7 millions d’Euros et nous avons 75 emplois en CDI. Et Arty Farty pilote cet éco système.
Par ailleurs, Arty Farty s’est largement développé à l’étranger. Nous nous sommes baladés sur les 5 continents, à Shanghaï, au Japon, à Barcelone, à Carthage en Tunisie… Nous avons longtemps été dans une logique de one shot, un concert, un événement et c’était fini. Depuis quelques années, nous cherchons à ce que nos activités soient durables. C’est pour cela qu’il y a un Nuits Sonores à Tanger depuis 2013, et qu’en 2017 nous lançons un Nuits Sonores à Bruxelles. Nous allons bien sûr continuer à faire des événements ponctuels, car on nous le demande, comme cette année à Séoul, Bogota, Medelin, Francfort…
Quel est l’objectif de European Lab ?
European Lab était lui aussi en germe dans Arty Farty, parce qu’on a toujours cherché à lier musique et questionnement social, on a toujours été attentifs aux enjeux démocratiques, à la participation de chacun, à la place de l’artiste. European Labest un forum, né en 2011, qui se tient parallèlement au festival Nuits Sonores. C’est un espace de réflexion portant sur les enjeux d’avenir spécifiques au secteur culturel. Nous avons voulu créer un espace de parole où la génération qui a inventé ses propres modèles économiques, qui est très attachée à son indépendance et à ses convictions, puisse faire falloir ses nouvelles manières de faire. On veut que cette génération puisse discuter et se rassemble à l’échelle de l’Europe. Pour chaque édition d’European Lab, il y a 200 speakers et environ 5 000 participants…
À nos yeux, la question des enjeux démocratiques devient de plus en plus forte, car dans le contexte européen, on voit une montée des populismes, des phénomènes comme le Brexit, la poussée du Front National en France, etc, ce sont des questions qui nous préoccupent. Elles ne sont pas détachées de notre envie de faire de la musique ou de travailler dans le champ culturel. C’est un tout. Nous sommes clairement en lutte pour chercher des moyens pour aller contre l’émergence de ces populismes.
Dans la mesure où nos activités sont indissociables, il nous a paru nécessaire qu’European Lab se décline lors des différentes éditions de Nuits Sonores hors de Lyon. Cette manifestation est alors adaptée au contexte local. Selon que l’on est au Maroc ou en Allemagne, on va aborder des questions différentes. À Francfort, on va rester dans la sphère de l’économie culturelle, avec des débats sur les nouveaux moteurs de l’édition, en écho à la foire du livre de Francfort. À Tanger, on s’intéressera à la place de la femme, à la porte d’entrée que représente le Maghreb vers l’Afrique, etc.
Plus largement, notre dispositif est maintenant relayé au niveau européen, puisque plusieurs manifestations dédiées aux cultures électroniques sont fédérées dans le réseau We Are Europe. We Are Europe rassemble 8 événements européens dédiés aux cultures électroniques et indépendantes avec pour ambition de mettre en place et de valoriser de nouvelles pratiques culturelles, fondées sur l’échange et la pluralité créative. We Are Europe est la traduction au niveau international, de notre volonté de développer une vision prospective de la culture, et notamment sur les questions d’entrepreneuriat et de technologie. L’objectif est de créer de nouvelles connexions sociales et politiques en nous appuyant sur notre approche transdisciplinaire. We Are Europe est un projet soutenu par l’Europe dans le cadre d’une aide sur 3 ans (2016-18) et coordonné par Arty Farty.
La Halle Girard sera le lieu de référence pour la French Tech à Lyon, pourquoi avez-vous décidé de vous y investir aussi ?
Tout d’abord, je dois préciser que nous ne communiquerons sur nos objectifs qu’en juin, lorsque que la collectivité aura pu présenter ce projet et faire passer ses messages, car la Halle Girard va conforter la dimension numérique du quartier de la Confluence. Dans l’immédiat, je peux simplement dire que l’enjeu de la Halle Girard, c’est d’accompagner des projets et d’être un incubateur pour les start-up du numérique sur le territoire Lyonnais. Elle n’a pas spécialement vocation à aller vers des acteurs culturels, puisqu’il y a Hotel 71 pour cela. C’est en particulier 1Kubator qui aura la charge de cet aspect de son activité.
Et pour nous, il est logique de nous y investir, car nous avons acquis sur ces métiers des compétences, au travers des différentes expériences que j’ai mentionnées au début de notre entretien. Comme Echos Sonores a donné lieu au Sucre, comme l’activité de booking à l’agence AKA, Arty Farty a déjà été un incubateur. C’est dans ce type de structure que s’inventent des projets, les nôtres comme d’autres, portant sur le catering, le street marketing, la production, etc. Il est donc logique que nous en soyons partie prenante.
Pour nous y investir, nous avons présenté un projet à la collectivité avec 3 partenaires, 1Kubator, Scintillo-groupe SOS et nous-mêmes. C’est aussi pour nous l’opportunité de nous rapprocher de SOS, qui avec 14 000 salariés et 350 établissements, constitue la première entreprise sociale européenne et est à ce titre proche de nos valeurs. C’est avec Steven Hearn, avec qui j’ai travaillé à la Gaité Lyrique et pour la candidature Lyon Capitale Européenne de la Culture, que nous avons imaginé ce montage. Steven Hearn est le gérant fondateur de Scintillo, un groupe qui dans sa philosophie et ses développements est très proche de nous. Scintillo est une holding, créée en 2010, qui anime un écosystème d’une dizaine d’entreprises de la culture dont des lieux comme le Cinéma St André des Arts, des média comme Tsugi ou Reggae Vibes, de l’ingénierie avec notamment Troisième Pôle et le fonds d’investissement dédié à la culture Crysalid, etc. Scintillo est lui-même devenu le pôle culture du groupe SOS.
Est-ce pour Arty Farty une manière de se diversifier, de trouver des appuis hors du seul secteur culturel ?
Il y a une logique à nous impliquer dans la Halle Girard dans la mesure où Hotel 71 est tout près : il aurait été dommage de nous priver de l’opportunité d’une synergie. Il me semble aussi qu’Arty Farty sera à même d’assurer une certaine neutralité pour les acteurs du territoire. Je crois que notre philosophie générale, qui est d’être dans une valorisation entrepreneuriale et non pas capitalistique, garantit le respect de l’intérêt général.
Arty Farty apportera à la Halle Girard ses compétences d’éditorialisation, de mise en valeur du lieu, du territoire. Il valorisera son potentiel de rayonnement. Nous aurons donc une fonction d’animation, car l’un des enjeux de la Halle Girard est d’être un lieu de vie. Dans un projet de ce type, dans un incubateur en particulier, il faut de la vie, de la porosité avec l’environnement. Cela permet d’insuffler de l’énergie et aussi d’attirer l’attention de l’extérieur, de susciter la curiosité.
Je précise que j’ai été associé à l’expérience de résidence d’entrepreneurs culturels Creatis à la Gaité Lyrique. J’y ai travaillé pendant plus de 8 ans et je voulais, depuis un certain temps déjà, développer une structure analogue à Lyon. Il y a en effet un besoin sur ce territoire et aujourd’hui, beaucoup de porteurs de projets sur la région Rhône-Alpes se dirigent sur Creatis ou vers d’autres incubateurs européens. Cette fuite des talents et des compétences me semble dommageable pour la Métropole.
Après presque 20 ans d’activité, vous avez mis en place un écosystème assez radicalement nouveau dans le champ culturel. Un tel parcours aurait-il été possible si vous aviez été à la tête d’une institution ?
Je n’ai jamais été candidat pour diriger une institution et je veux absolument préserver notre indépendance ! Arty Farty n’appartient à personne, nous sommes autonomes sur le plan financer, nous n’avons pas de représentants venus du public dans notre conseil d’administration, pas non plus de représentants de grands groupes. La chose dont je suis le plus fier, c’est notre liberté qui dépend essentiellement de notre capacité à être indépendants. Et quoique nous fassions, nous nous posons toujours la question de conserver notre indépendance.
Par ailleurs, je suis attentif à ce que nous ne perdions pas notre agilité. On se développe en « banc de poissons ». Cela nous permet de conserver de la souplesse, de la proximité, etc. Cela évite les lourdeurs hiérarchiques. Il aurait été absurde qu’Arty Farty gère en direct le Sucre ou fasse du booking. Il est bien plus préférable de conserver une interactivité entre nos structures, de demeurer légers et inter agissants.
Je précise que si je parle au nom d’un collectif, si j’ai une fonction d’animateur et de porte-parole, chacune de nos structures a son indépendance, sa capacité éditoriale. Je ne suis pas seul ! Nous sommes un vrai collectif.
Vous développez un modèle qui tranche assez fortement avec l’usage dans le champ culturel. Comment vos initiatives sont-elles perçues par les différents acteurs ?
Nos partenaires publics sont essentiellement l’Europe, la Ville de Lyon, la Métropole et la Région Auvergne Rhône-Alpes. Nous n’avons pas de liens avec l’échelon national. Ces collectivités nous font des retours très positifs. J’ai l’impression qu’elles sont attentives, car elles considèrent que nous apportons des choses positives au territoire, en termes de rayonnement et d’attractivité notamment. Nous créons aussi des emplois et nous nous autofinançons à hauteur de 93%, ce qui est un ratio exceptionnel dans le domaine culturel. Globalement, les collectivités et leurs représentants sont très favorables à notre démarche.
On a aussi quelques retours de la part des acteurs culturels, parce qu’on se croise dans des espaces de débat, mais il est difficile de généraliser, le monde institutionnel n’étant pas univoque. À Lyon, il y a par exemple Thierry Frémaux, qui au sein d’une institution culturelle a développé un modèle entrepreneurial. Il est à Cannes et à Lyon, il a créé le Festival Lumière, il relance les CNP, etc. Il a une approche qui n’est pas très loin de la notre. Il y a aussi une nouvelle génération d’acteurs comme AADN, Mirage, Quais du polar, qui cherchent des modalités inventives sur l’entrepreneuriat culturel.
À l’autre bout du prisme, il y a encore des acteurs arc-boutés sur une logique institutionnelle et sans doute moins enclins à bouger. Mais je dirais que leur regard est passé d’une forme de condescendance à une attitude curieuse aujourd’hui. Toutes les institutions culturelles de l’agglomération nous ont par exemple ouverts leurs portes à un moment ou à l’autre : de l’Auditorium à l’Opéra, de la Maison de la Danse aux Célestins, comme avec le Musée d’art contemporain ou celui des beaux arts…
Votre mode de fonctionnement peut-il nourrir les directeurs d’institutions culturelles, voire contribuer à développer autrement les politiques publiques culturelles ?
Ce que les directeurs pensent ou retirent de notre modèle économique, il faut le leur demander ! Mais ce qui est sûr, c’est qu’on perçoit un changement, du seul fait du renouvellement des générations à la tête des institutions. S’asseoir sur le magot et dire « c’est comme ça et ça change pas », tout le monde sait que ça n’est plus possible. Les nouveaux directeurs sont beaucoup plus attentifs à ces questions de raréfaction des ressources financières et d’usage des fonds publics.
Cela dit, je pense en effet que les institutions culturelles sont dans une mauvaise passe, il faudrait parvenir à les réformer, à leur redonner de l’agilité, de l’envie de faire même. La situation actuelle est souvent préjudiciable aux équipes, parce que l’ambiance y est parfois mortifère. C’est également préjudiciable vis-à-vis du public auquel on s’adresse. Cette tendance ne contribue évidemment pas à améliorer la place de l’institution dans notre société.
Il me semble par exemple que les institutions culturelles pourraient adopter une posture proche à celle des grands groupes vis-à-vis du soutien aux start-up. Ils ne cherchent pas à tout développer en interne, car ils n’ont pas la souplesse qu’il faut pour cela. Orange, EDF, soutiennent tous des start-up innovantes dans leur domaine. En s’inspirant de ce mode de faire, les institutions culturelles pourraient trouver des réponses à leurs problématiques au sein de structures émergentes plus agiles.
Comment pourrait-on aménager des passerelles entre industries créatives et secteur culturel ?
Hotel 71 est là pour cela… Cette structure a clairement pour vocation de soutenir les projets culturels émergents. Nous voulons être présents pour la nouvelle génération qui arrive, dans un contexte sans doute encore plus difficile que celui dans lequel nous avons démarré. Mais nous voulons pouvoir leur dire qu’il n’y a pas de fatalité, et pouvoir partager avec eux nos stratégies et nos méthodologies.
Il y a donc des zones de recoupement entre le secteur culturel dit classique et celui qui émerge. Il est clair que le secteur culturel a besoin de renouveler son approche. Il peut avoir besoin de compétences techniques, par exemple sur la gestion de la data et des données qui est actuellement en jachère. Et réciproquement, les start-up ont besoin de la créativité des acteurs culturels.
Si nous avons le savoir faire pour accompagner l’émergence de projets, si nous sommes capable de soutenir l’entrepreneuriat, nous n’avons pas non plus mandat pour aider les grandes institutions culturelles à se recontextualiser dans leur époque ! Nous ne sommes qu’une modeste PME culturelle, nous n’avons pas de commande pour repenser le paysage culturel…. Chacun doit prendre ses responsabilités.
Il nous arrive parfois d’être sollicités en tant qu’ingénieurs culturels. Toutefois, Arty Farty n’a pas développé cette activité, car nous sommes partenaires de Scintillo-Troisième Pôle. L’outil existant déjà dans notre éco-système, nous ferons appel à eux en cas de commande, et nous travaillerons ensemble.
Clairement, les autres pays européens ont des environnements plus propices au développement de l’entrepreneuriat culturel. En France, la situation est très bloquée, surtout au niveau national. Le Ministère de la Culture est nécrosé et à ce stade, il me paraît irréformable.
Bien que l’on parle de l’assèchement des finances publiques, les budgets affectés à la culture demeurent conséquents. Faut-il employer autrement ces subsides ?
Nous considérons qu’il faut sanctuariser les moyens de la culture. Mais ceci posé, c’est la manière d’employer ces ressources et leur répartition qu’il faut changer en urgence. Nous militons pour que l’argent public serve à l’amorçage des activités. La collectivité doit investir sur le démarrage, pour permettre des conditions de développement. Actuellement, on est dans cette situation paradoxale ou l’on refuse d’investir pour faire de la subvention. A nos yeux, c’est un non sens et c’est quelque chose que nous disons depuis longtemps ! L’argent public est nécessaire. Si on n’intervient plus, si le secteur culturel est dégagé de la logique de service public, alors il n’y aura plus que des entrepreneurs capitalistiques, dans la lignée de Fimalac, Boloré, Live Nation, Lagardère, qui ont des intentions qui n’ont rien à voir avec la logique d’un service public culturel que nous défendons.
Nous estimons donc que l’argent public est à préserver et que les modalités de sa répartition doivent être largement repensées. Elles ne sont plus en adéquation avec notre époque comme avec les enjeux de transformation démocratique que nous rencontrons. Actuellement, on investit essentiellement sur les publics riches, âgés et vivant en centre ville, alors que les publics les moins dotés sont délaissés. Cela se traduit par une irritation profonde de la population, qui se manifeste notamment par une désagrégation du corps électoral. Nous, nous agissons à notre niveau, avec notre modèle, en tant que petite PME. Nous sommes prêts à aider, nous avons par exemple créé European Lab, We are Europe, H71…
Pensez-vous que les artistes devraient développer des compétences d’entrepreneurs ? Ne sont-ils pas encore loin de cela ?
Tout d’abord, je ne crois pas aux artistes entrepreneurs, ce sont des métiers différents. Mon job, c’est de créer des conditions pour que les artistes puissent travailler. Je ne revendique pas non plus un statut d’artiste. Et à l’inverse les artistes ne souhaitent généralement pas être des entrepreneurs, qu’ils soient musiciens, réalisateurs ou designers. Ils doivent être dans leur travail artistique et proposer leur vision des choses. C’est pour cela que le rôle de l’entrepreneur culturel est de créer les conditions de travail des artistes.
Cela dit, la nouvelle génération d’artistes est proche de nos préoccupations. Presque tous se projettent dans une perspective semblable à la nôtre. Il y a aussi une fraction d’acteurs culturels qui se projette sur un fonctionnement totalement alternatif, en marge. Pourquoi pas, mais pour moi c’est renoncer aussi à appliquer les règles du travail salarié, c’est renoncer à rémunérer correctement les artistes et les travailleurs, c’est s’affranchir du respect de la réglementation. Pour notre part, nous sommes très légalistes, nous respectons le droit du travail, nous sommes extrêmement attentifs à ce que les artistes et d’une manière générale, tous les gens qui travaillent, soient correctement rémunérés.
Toutes les activités culturelles peuvent-elles réellement se financer sur le marché ? Votre méthode ne fonctionne-t-elle pas aussi parce que les disciplines avec lesquelles vous travaillez ont un ratio coût – recette meilleur que celui du spectacle vivant ?
Je ne le pense pas. On peut très bien être un entrepreneur culturel qui travaillerait pour le théâtre ou les arts plastiques. Dans tous les métiers du culturel, il y a des savoir-faire et des compétences déclinables dans d’autres secteurs économiques. Il est possible de valoriser davantage ces métiers. De même, la plupart des lieux peuvent être valorisés et engendrer une économie. Certes, le curseur de l’auto financement ne sera probablement pas au même endroit que le nôtre. Arriver là où nous en sommes, c’est stratosphérique, et dans d’autres domaines, cela pourrait n’aller « que » jusqu’à 50 ou 60%. Mais cela serait tout de même plus intéressant que les 10 ou 20% actuels. Et j’insiste : valoriser, dégager des ressources propres, c’est le seul moyen pour s’assurer la pérennité de son activité et son indépendance.
Le secteur culturel demeure une des clés pour la reconstruction démocratique dont nous avons besoin. Actuellement, il est pris en tenaille entre l’assèchement des ressources publiques et l’entertainment capitalistique. Or les grands groupes savent que le secteur est rentable, on le voit bien avec l’actuel rachat de salles ou de festivals, notamment à Paris. C’est très inquiétant pour l’intérêt général.
Les institutions, même les plus stratifiées demeurent convaincues de la nécessité de préserver la notion d’intérêt général. Alors que les grands groupes veulent rentabiliser. Nous nous voulons créer une troisième approche, entrepreneuriale et non capitalistique, soucieuse de l’intérêt général. Nous accompagner, c’est aller dans le sens de l’intérêt commun.
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