Du temporaire au transitoire, retour sur la prise en compte du temps dans l’urbanisme
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Quand le temps devient un outil d’aménagement de l’espace
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Les opportunités d’occupation de bâtiments vacants ou d’aménagements temporaires sont de plus en plus regardées et accompagnées par les collectivités. Elles y voient, au fil des expériences et remontées de terrains, des ressources de plus en plus concrètes pour leurs politiques publiques là où, auparavant, la vacance était davantage envisagée comme une charge.
Pour autant, les potentiels de l’urbanisme temporaire ne sont pas encore systématiquement étudiés et mobilisés dans le déploiement des politiques publiques, alors que des espaces qui ne servent plus à rien peuvent servir à (presque) tout : loger, nourrir, créer, fabriquer, travailler, etc. Des projets mixtes aux occupations thématiques, des écosystèmes d’acteurs aux installations mono-occupant, du petit bâtiment à la grande emprise, de la halle industrielle, bureaux, terrains vagues aux voiries, les configurations sont multiples et peuvent servir de nombreux secteurs de politiques publiques.
L’urbanisme temporaire, par l’occupation des emprises foncières vacantes en ville, a comme objectif de mettre à disposition de porteurs de projets économiques ou associatifs des surfaces d’activités à un coût abordable, sous les prix du marché local (Halle Girondins, Lyon). Les occupations aident à l’amorçage d’une activité ou au test d’un service ou de commerces, par exemple dans des cellules vides (Ici Bientôt, Saint-Étienne). Les occupations, souvent collectives, facilitent les échanges entre différentes structures (artisan, start-up, association, entreprise, etc.) et peuvent déboucher sur des projets communs. L’installation des activités peut aussi influencer le projet immobilier à venir et leur permettre de trouver place de façon pérenne sur le site (Quartier DMC, Mulhouse). Les collectivités, mais aussi bailleurs, peuvent soutenir l’activité en facilitant la mise à disposition de leurs bâtiments au prix des charges : ils identifient des porteurs de projets, leur proposent des lieux, les accompagnent dans leur développement durant et au terme de l’occupation temporaire vers des solutions adaptées.
Le Projet Young a regroupé, de 2018 à 2020, une vingtaine d’organismes sans but lucratif et d’entreprises de petite taille, en démarrage d’activité, dans un bâtiment industriel vacant de 1 700 m² du quartier Griffintown, propriété de la Ville de Montréal. Ce projet de « laboratoire transitoire » a été porté par Entremise sur le mode de la cogestion, soutenu par la Maison de l’Innovation Sociale et le programme Cities for People de la Fondation McConnell. Il a aidé des projets d’activités à prendre essor grâce à des locaux à bas coûts et une coopération entre les occupants. Il a cependant eu peu d’impact sur la vie économique du quartier.
Nombreuses sont les occupations temporaires qui revendiquent leur utilité territoriale, sociale et économique en se mettant au service des filières artisanales, de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) et des structures émergentes. L’objectif est de créer de l’emploi en consolidant une activité rémunérée. Les projets mixtes sont souvent l’occasion de créer des ponts entre les porteurs de projets diversifiés, de stimuler les collaborations ou d’organiser une péréquation sur les loyers. Les filières de l’insertion sont particulièrement valorisées, dès lors que les projets mixtes accueillent une partie d’hébergement d’urgence dont les résidents peuvent prendre part à une activité de restauration/service pour les occupants ou visiteurs (Grands Voisins, Paris). Des contrats d’insertion et Dispositifs Premières Heures sont déployés entre des résidents des centres d’hébergement et des porteurs de projets occupants (PADAF, Anthony). Le côtoiement des résidents et des occupants s’inscrit dans un parcours d’insertion organisé par les structures gestionnaires (Autre Soie, Villeurbanne).
Coco Velten est une occupation temporaire d’un bâtiment de 4 000 m² de l’ancienne Direction des Routes en cours de rachat par la ville de Marseille. Sur l’invitation de la Préfecture et le pilotage de Yes We Camp, Plateau Urbain et Groupe SOS, le lieu a comme vocation la lutte contre l’exclusion et l’expérimentation de nouvelles manières de cohabiter. À côté des espaces de travail accueillant 40 porteurs d’activités, le projet héberge près de 80 personnes en résidence hôtelière à vocation sociale. Le site se veut un espace capacitant et de mise à l’abri durable pour des personnes ayant vécu un parcours de rue, en situation de rétablissement. Coco Velten est un tremplin pour une réinsertion sociale et professionnelle, via la possibilité de s’essayer à la restauration au sein de la Cantine, restaurant expérimental sur site, et le brassage dans un lieu ouvert à tous les publics, connecté au quartier, grâce à différents espaces collectifs aménagés au sein du bâtiment.
Face à la pénurie de logements et aux besoins des personnes à la rue, l’urbanisme transitoire peut porter sur de l'hébergement dans des projets mixtes ou non, qui bénéficient de bâtiments adaptés et en bon état. Une partie des projets mêlant activité économique et hébergement bénéficient ainsi du financement de l’État via le paiement des nuitées dans les centres d’hébergement. Le Foyer Notre Dame des Sans Abris (Les Grandes Voisines, Francheville), Aurore (Grands Voisins, Paris), Habitat et Humanisme (village mobile, Lyon), ALYNEA (Autre Soie, Villeurbanne), Le Mas (La Base, Villeurbanne) gèrent des centres d'hébergement au cœur de projets temporaires, occupent temporairement des bâtiments pour de l’hébergement mais aussi des sites non-bâtis, en attente de projet d’aménagement, via des dispositifs mobiles. Ces initiatives, qui restent envisagées comme une étape pour l’accès au logement, supposent de nouvelles coopérations entre propriétaires, État, collectivités et structures gestionnaires.
Créée en 2013, Communa est une association qui pratique l’occupation temporaire de bâtiments vacants à Bruxelles. Elle crée des espaces mixtes, abordables, occupés par des porteurs de projets artistiques, sociaux, culturels et de l’ESS. L’association facilite l’accès à un logement sous forme d’habitats collectifs et groupés et de logements pour des personnes dans le besoin. En lien avec des acteurs historiques de la question à Bruxelles (FEBUL), le logement occupe le cœur du projet (70-Treize à Forest, Deux-Ponts ou Binôme à Ixelles) ou s’inscrit plus en mixité comme à Maxima. Ce lieu ouvert en 2020 regroupe ateliers, bureaux, studios de musique, de photo, radio, un espace sportif et un hébergement pour femmes.
L’urbanisme transitoire produit souvent des lieux ouverts sur leur quartier, support d'activités économiques, d’événements plus ou moins locaux et de services de proximité (restauration, locaux à louer, aménagement extérieur, activités associatives, etc.), stimulant la rencontre entre visiteurs, curieux, clients, occupants et habitants. Ils sont, pour partie, des projets supports d’initiatives citoyennes et d’expérimentations sociales (monnaie locale, cafés suspendus, collaborations entre institutions, etc.). Inscrite dans un projet urbain à venir, l’occupation temporaire et ses aménagements peut servir des démarches de participation plus ou moins ouvertes en fonction du degré de définition préalable de la programmation : accueil d’ateliers de concertation, lieu de communication du projet, lieu de mémoire du quartier, laboratoire d’usage de bâtiments préservés, co-production et test d’aménagement des espaces extérieurs, etc. Le temporaire facilite l’expérimentation et la rencontre locale, et peut stimuler des initiatives qui perdureront.
Depuis 2012, le projet temporaire de l’hôtel Pasteur, porté par l’Université Foraine, est une co-construction (chantiers ouverts, gouvernance collégiale, réemploi, don de temps et de compétences, etc.) hébergeant des projets pluridisciplinaires (art, sciences, sport, santé, économie, action sociale) de manière gratuite. Le principe de permanence architecturale, stimulant l’expérimentation et la réflexion continue sur le projet, a peu à peu construit le lieu, en lien avec son environnement, comme un véritable équipement public avec un fort portage de la ville. Il est aujourd’hui pérennisé après un chantier de réhabilitation ouvert et la construction d’une école maternelle, un Edulab et un Hôtel à Projets entre autres.
L’urbanisme temporaire s’inscrit dans un urbanisme circulaire (renvoyer à l’ITW Grisot) consistant à réutiliser le foncier existant, bâti ou non , pour de nouveaux usages. Il participe, par ricochet, à la réduction de l'artificialisation des sols. Certains projets visent directement la valorisation des sols fertiles et la renaturation des villes, avec des activités de maraîchage et de vente aux riverains à l’exemple du Paysan Urbain, qui a pu expérimenter son projet d’agriculture de jeunes pousses sur un terrain mis à disposition temporairement à Romainville par le programme TempO’ d’Est Ensemble. Plusieurs projets temporaires soutiennent la préservation de la biodiversité à l’image des Oasis Nature Éphémères testés à Roubaix sur des friches en attente de construction. Certaines initiatives installent des jardins partagés ou pépinières éphémères sur des emprises au cœur de projets de requalification urbaine et avant construction. Cette logique circulaire est aussi celle du réemploi de matériaux, de la réduction des déchets de démolition et de la déconstruction sélective dans les projets, à l’image de l’Autre Soie à Villeurbanne.
Inaugurée à l’été 2020, cette ferme urbaine est installée au cœur de la ZAC Gratte-Ciel à Villeurbanne pilotée par la SERL. Portée par Pystile et Atome, elle expérimente un potager de 800 m2 pendant trois ans accueillant des ateliers grands publics (plantation géante de légumes, fabrication de compost) et des événements, dans une démarche solidaire (production destinée à l’aide alimentaire) et éco-responsable (0 chimie, circuit-court, sensibilisation). Un village de containers (matériaux biosourcés, récupération, énergie renouvelable) s’y installera en 2021 pour accueillir une pépinière urbaine, de l’artisanat, et des commerces et de la restauration sur la base d’invendus.
Historiquement, les pratiques artistiques et festives alternatives se sont saisies des espaces vacants en ville (lien hypertexte vers le doc ressources existantes M3). Ses acteurs se retrouvent en bonne place dans l’urbanisme transitoire, accompagnés parfois d’activités culturelles et événementielles et d’offres de restauration (Ground Control à Paris). La concrétisation des nombreux besoins de ces activités dans des bâtiments vacants (ateliers de médiation, pratiques artistiques spécifiques, lieux de création, lieu de diffusion, co-working, stockage) s'accompagne d’obligations drastiques à respecter en termes d'accueil des publics et de sécurité. Plus largement, l’urbanisme temporaire est un levier de soutien au monde de la culture par la mise à disposition de lieux, parfois atypiques, dans le cadre d’une contraction des finances publiques. Inversement, ce type d’installation participe à reconstruire l'attractivité d’un lieu et/ou d’un quartier, à relancer une animation locale pouvant, parfois, préfigurer ou accompagner des projets de requalification urbaine. L’événementiel est aussi source de recettes non négligeables pour équilibrer un modèle économique de lieux mixtes et conserver des prix de location très bas pour de petites structures ou résidences d’artistes (Halles du Faubourg à Lyon).
Si les occupations festives se sont multipliées, la Gare des Mines se distingue. Situé à proximité du périphérique dans le nord de Paris, le lieux consacré aux artistes émergents et porté par le Collectif MU a su allier culture, art et fête. Inclus dans le cadre d’une démarche transitoire artistique de SNCF Immobilier (Sites Artistiques Temporaires), le projet est soutenu notamment par la Région Île-de-France, la Ville de Paris et Centre national de la musique. Il accueille des artistes en résidence, un studio de musique, une radio, une programmation festive, et s’ancre dans son territoire en mutation en développant, par exemple, un programme d’activités intitulé « Chantier Permanent » pour 2021.
Le sport en tant que tel est encore peu présent dans l’urbanisme temporaire, alors que les activités de loisirs sportifs, créatifs, culturels, y trouvent une bonne place, notamment dans les espaces ouverts des projets de renouvellement urbain (Prenez-du Bois Emile, Aubervilliers). Nombreuses sont les occupations qui s’apparentent à un équipement public en favorisant un accès aux loisirs pour tous, par des espaces ouverts, familiaux et de proximité, favorisant la vie locale et la détente. Structures en bois et toiles d’ombrages, jardins partagés et banquettes plantées, balades découvertes et sports improvisés, concerts estivaux et ateliers créatifs, artistiques et ludiques, animent des terrains abandonnés. Ces bases de loisirs en plein air, entre les bâtiments, ont un caractère expérimental, faussement improvisé et peu institutionnel qui attire le public et élargit l’offre des centres sociaux, conservatoires, équipements sportifs.
Depuis 2017, cette occupation temporaire d’un vaste terrain vague ensauvagé de 9 000 m², destinée à préfigurer le futur quartier de Nanterre, est animée par Yes We Camp. Fort de ses partenaires (Nanterre, Paris la Défense, TN Paysagiste), des bénévoles, porteurs de projets et des voisins, ce vaste terrain de jeu collectif, ouvert et partagé s’anime d’activités de loisirs pour tous les âges, d’ateliers divers (cuisine, jardinage, bricolage, etc.), de soirées, de maraîchage et de temps sportifs en cœur de quartier.
Qu’il soit envisagé à travers les activités qui l’animent (économie, insertion, hébergement, loisirs, etc.) ou les méthodes qu’il installe (participation, expérimentation, préfiguration, transversalité, projets négociés, etc.), l’urbanisme temporaire croise, autant qu’il peut soutenir, nombre d’objectifs de politiques publiques et territoriales. D’un côté, les études en termes de retours d’expériences et les études d’impact se multiplient sur des critères sociaux, urbains, économiques (Etude Approches !, Etude Plateau Urbain, Etude Intermède pour USH) et demain environnementaux, pour justifier leurs intégrations et prises en compte par les institutions. D’un autre côté, certaines collectivités, notamment métropolitaines, avancent sur l’intégration et la reconnaissance de l’urbanisme temporaire via des chartes de valeurs partagées, guichets uniques pour les projets, cartographie des patrimoines vacants, planifications stratégiques sur les territoires, etc. Cette dynamique soulève alors de forts enjeux d’organisation interne des services, car les projets temporaires sont souvent transversaux : multiacteurs, multiscalaires et multisectoriels. Comme la vie d’un quartier en somme !
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