Qu’est-ce que l’hospitalité à l’échelle d’une ville ?
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Investigations théoriques et pratiques sur l'exclusion dans la ville, par le laboratoire de recherche et création LALCA.
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Interview de Pascale Antonelli
La Direction de la Prospective et du Dialogue Public s’interroge sur les réalités vécues par les personnes sans-abri, en analysant leurs besoins, leurs usages et leurs conceptions de la vie à la rue.
Les Permanences d’Accès aux Soins de Santé (PASS) sont des dispositifs de prise en charge médicale et sociale pour les personnes en situation de précarité sociale. Les PASS fonctionnent sur le principe d’un accueil inconditionnel et permettent un accès aux soins y compris pour les personnes sans couverture médicale.
Pascale Antonelli nous reçoit dans son bureau, situé à l’entrée du groupe hospitalier. Elle décrit son quotidien de travail auprès de personnes, très largement des femmes et qui sont majoritairement à la rue. Elle s’inquiète d’une dégradation de la situation générale dans l’accès aux soins des personnes en précarité.
Tout d’abord, pouvez-vous nous présenter les missions de la PASS de Vénissieux ?
La PASS est une Permanence d’Accès aux Soins de Santé, qui vise à ce que toute personne puisse se faire soigner et accéder aux soins, même durant le délai d’attente des ouvertures de droits de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM). Les PASS ont été créées par la Loi du 29 juillet 1998 de lutte contre les exclusions.
La PASS œuvre donc à la fois sur l’accès aux droits de santé et sur l’accès aux soins : pour qu’elle vienne nous voir, il faut que la personne ait donc besoin de soins. En ce qui concerne l’accès aux droits, au sein de notre PASS, nous aidons à la constitution de dossiers pour obtenir, par exemple, la Couverture Maladie Universelle (CMU), l’Aide médicale d’État (AME) ou encore pour rétablir des droits de sécurité sociale. Nous constituons un dossier que nous archivons au départ de la personne, pour une durée de 5 ans. Parfois, la personne revient nous demander si nous avons conservé son dossier, notamment pour prouver qu’elle était bien bénéficiaire d’une aide pour l’aider dans la constitution de son dossier.
Sur le volet santé, la PASS organise le relais entre les différentes institutions et les professionnels locaux de la santé. En premier lieu, nous recherchons les relais au sein de notre établissement hospitalier.
Les personnes arrivent souvent à la PASS par le service des urgences de notre hôpital, ou de notre service obstétrique. Mais nous avons aussi un réseau qui est assez étayé et qui nous oriente des personnes. Je travaille avec le Centre de Planification et d’Éducation Familiale (CPEF), avec Médecins du Monde, avec Forum Réfugié-COSI, avec les médiatrices santé de l’ADES (Association Départementale d’Éducation pour la Santé). Au niveau des collectivités, nous travaillons avec les services de la Métropole comme le service de Protection Maternelle Infantile (PMI) de Vénissieux mais aussi d’autres communes, dont Lyon, et avec la Sécurité Sociale. Localement, nous faisons partie de l’Atelier Santé Ville de Vénissieux. Enfin, de nombreuses personnes viennent nous voir directement parce qu’elles ont entendu parler de nous sur Vénissieux.
Quels sont les publics que vous recevez et comment les aidez-vous ?
Les publics que nous recevons sont très variés. Nous avons toutefois une majorité de personnes en situation irrégulière, vivant dans le bassin de Vénissieux. Ces personnes peuvent arriver clandestinement ou bien peuvent tenter de rester après une arrivée avec un visa touristique.
Nous recevons ensuite une variété de situations parmi lesquelles des personnes arrivées par la procédure du rapprochement familial qui sont en attente d’ouverture de droits. Nous recevons également des personnes déboutées du droit d’asile pour une aide à la reconduction de leurs droits ou à résoudre un problème sur des droits déjà ouverts. Plus rarement, nous pouvons aider des demandeurs d’asile. Nous recevons aussi des ressortissants européens. Il peut par exemple s’agir d’une famille où seul le mari travaille. Dans ce cas, les enfants peuvent être rattachés à son dossier de sécurité sociale mais pas son épouse car il n’y a plus de possibilité de rattachement de majeurs depuis 2016. Cette épouse doit donc ouvrir ses droits. Ce sont souvent des cas compliqués car elles doivent fournir un certificat de radiation du pays d’origine qu’elles ont rarement demandé avant de partir.
Je précise bien que les touristes sont exclus de ce dispositif : ils doivent avoir leur propre assurance, liée au visa, ou leur propre carte de sécurité sociale comme la carte européenne d’assurance maladie. Ils doivent payer leurs soins et ne peuvent pas bénéficier de la PASS.
Une grande majorité des personnes qui viennent à la PASS sont des femmes et, parmi elles, des femmes enceintes. Viennent ensuite des hommes isolés. Nous nous sommes réorganisés récemment au sein du groupe hospitalier afin que je sois l’assistante sociale de la PASS et de la maternité. Cela me permet de voir les personnes que j’oriente en soins obstétriques jusqu’au bout.
La problématique principale que nous rencontrons, c’est celle de l’hébergement. 80% des personnes suivies n’ont pas d’hébergement fixe.
Quelles sont leurs situations au regard de l’hébergement ?
Les personnes que nous accompagnons peuvent être hébergées par de la famille ou des proches, mais du jour au lendemain, elles peuvent être dehors. Des femmes isolées provenant d’Afrique noire sont parfois logées dans des Églises, parfois hébergées.
Il y a également certaines personnes à la rue ou en squat. Il s’agit souvent de personnes déboutées du droit d’asile. Je donne régulièrement la liste des points d’alimentation et des points d’hygiène et de repos : la maison de Rodolphe à Lyon 8e pour se reposer ou laver son linge, par exemple. Il n’y a rien à Vénissieux pour se reposer.
Nous rencontrons parfois des situations dramatiques de personnes logées chez des marchands de sommeil. Il y a 10 ans, nous aurions pris notre téléphone pour signaler ces marchands de misère. Mais maintenant si nous dénonçons ces situations, où ces femmes vont-elles aller ? À la MVS (Maison de la Veille Sociale), ils sont saturés. Nous percevons également des situations d’esclavagisme. La personne nous l’indique le plus souvent quand elle en est sortie. Elle est à la rue et vient à la PASS nous expliquer où elle était, qu’elle gardait les enfants, faisait le ménage, qu’elle ne pouvait pas prendre de douche par exemple. Cela peut aller jusqu’à des services sexuels. Nous avons un psychologue dans le service pour accompagner ces personnes. Parfois certaines personnes s’expriment, mais ce n’est pas le cas pour toutes. Je leur explique tout de suite le respect de la confidentialité : j’appelle le commissariat uniquement si elles le souhaitent. Souvent, elles ne veulent pas.
Les urgences sont régulièrement utilisées par les personnes dans la rue. Plutôt les urgences des grands hôpitaux, où cela est plus simple : si la salle d’attente des urgences n’est pas très grande, ils sont plus rapidement remarqués. Les personnes qui ont des enfants vont à l’HFME (Hôpital Femme Mère Enfant), où c’est plus usuel de voir des gens avec des enfants. Je peux vous donner l’exemple d’une femme enceinte avec une petite fille, arrivées en France il y a deux ans. Elles sont en situation irrégulière. Sans autre solution, elles dorment dans le parc de Vénissieux. Parfois, elles vont dormir dans la salle des urgences de l’Hôpital Femme Mère Enfant. La petite fille est scolarisée.
Auprès de ces femmes enceintes, il n’existe donc aucun dispositif spécifique qui leur permettrait d’être mise à l’abri, le temps de la grossesse puis à la naissance de l’enfant ?
Il y a quelques mois, j’ai participé avec toutes mes collègues des PASS et des personnes du groupe AURORE à un groupe de travail sur l’hébergement des jeunes mères et de leur enfant, piloté par le Docteur Dejour-Salamanca de l’ARS. Suite à ce travail, nous avons mis en place un système de nuitées d’hôtel sur la métropole au bénéfice des femmes sans solution d’hébergement à la sortie de la maternité. Ce dispositif leur permet d’être mises à l’abri jusqu’au 28e jour de l’enfant. C’est une solution très temporaire mais, malheureusement, je l’utilise maintenant de façon régulière, voire routinière. C’est très dur de se dire qu’on a pensé une solution pour quelques situations difficiles - il y a 3 ou 4 ans nous avions seulement quelques situations de demandes sur l’ensemble de la métropole - et qu’on l’utilise désormais de façon récurrente. Il faut malheureusement le dire : la situation sur l’hébergement s’est globalement dégradée. Je me souviens d’un temps où l’on pouvait appeler directement les foyers et où c’était beaucoup plus facile de trouver un hébergement.
On se conforte dans l’idée que le bébé va sortir de la maternité avec une petite solution. Et nous faisons attention à ce qu’aucune mère et son bébé ne sorte sans solution d’hébergement. Pour cela, les PASS sont parfois insistantes auprès des maisons de la métropole pour obtenir ces nuitées d’hôtel. Sur notre PASS, nous sommes ainsi victimes d’une représentation selon laquelle les possibilités d’hébergement sont suffisantes sur Vénissieux alors que ce n’est pas si évident.
Au 28e jour de l’enfant, que se passe-t-il ? Nous n’intervenons plus, d’autres acteurs peuvent éventuellement prendre le relais. Toutefois, nous n’avons pas de nouvelles de ces personnes. Parfois, on apprend qu’une maman avec son bébé de 30 jours se retrouve de nouveau à la rue.
Outre les nuitées d’hôtel, quelles sont les autres solutions d’hébergement que vous pouvez mobiliser directement ?
Si la femme enceinte rencontre des problèmes de santé sur le dernier mois de sa grossesse, nous arrivons à trouver des solutions par le 115 pour la stabiliser…mais uniquement s’il y a assez de places. Il existe une structure de Lit Halte Soi Santé (LHSS) dans le Rhône, la villa d’Hestia. Il faut constituer un dossier médical et social. En conséquence, une femme enceinte ne peut entrer que si elle a un problème obstétrique ou une maladie comme un diabète par exemple. En outre, ils sont eux aussi saturés : il faut donc faire le dossier longtemps à l’avance. Pour ajouter aux freins, l’établissement a plus de places pour hommes que pour femmes. Ils accueillent principalement des personnes qui arrivent par le service des urgences, qui vont être mises en lit post-urgence pendant un certain temps.
Il reste encore un établissement géré par des sœurs qui héberge exclusivement des femmes, seule ou avec enfant de moins de 3 ans et qui est en dehors du 115. Elles prennent une personne à 1 mois ½ de la fin de grossesse. Sinon, pour les femmes qui ne sont pas enceintes, elles ont un système de rotation où la personne est obligée de s’en aller au bout de 15 jours ou 3 semaines, qu’elle ait une solution ou non. C’est pour cela qu’il y a toujours une rotation. J’appelle le matin à 9h pour savoir si elles ont de la place. Elles accueillent régulièrement des femmes africaines enceintes avec des parcours migratoires difficiles.
Enfin, des initiatives citoyennes émergent. Pour les demandeurs d’asile qui n’avaient pas encore de places en CADA, l’association SINGA se mobilise pour les accueillir chez des particuliers sur 2 ou 3 jours aux personnes. J’ai pu leur envoyer des personnes mais c’est assez compliqué puisqu’il peut s’agir de propositions d’hébergement dans l’Azergue : comment la personne peut aller là-bas depuis Vénissieux ?
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