Qu’est-ce que l’hospitalité à l’échelle d’une ville ?
Article
Investigations théoriques et pratiques sur l'exclusion dans la ville, par le laboratoire de recherche et création LALCA.
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Interview de Jérôme Triaud
<< Au fur et à mesure, un rapport de confiance s’installe avec le personnel de la médiathèque, qui permet, doucement, de faire des choses >>.
Jérôme Triaud est directeur des 4 médiathèques de Vénissieux.
Deux médiathèques situées sur le quartier des Minguettes, sont orientées sur la jeunesse ; les deux autres, à Desnos au nord de Vénissieux et la médiathèque Lucie Aubrac, en centre-ville sont généralistes.
Au sein de certaines bibliothèques ou médiathèques, on peut repérer une fréquentation par des personnes à la rue qui y trouvent un lieu de repos et des commodités comme l’a décrit Serge Paugam et son équipe d’enquêteurs sur la bibliothèque du Centre Pompidou [1]. Est-ce que vos médiathèques sont concernées ?
Avant de prendre la direction de la médiathèque de Vénissieux, j’ai travaillé à la bibliothèque de la Part-Dieu. J’étais au 4e étage, à la documentation régionale. Des personnes, certainement sans-abri, venaient dès l’ouverture et s’installaient à l’écart des collections et pouvaient passer leur journée là. On pouvait clairement les repérer, surtout parce qu’ils avaient avec eux leurs sacs, parfois de nombreux sacs. Certains, même, nous demandaient de surveiller leurs sacs pendant une absence, ce qui créait des débats entre nous, professionnels de la bibliothèque : fallait-il accepter ou pas, alors que nous étions en vigilance vigipirate ? Ils utilisaient également les lavabos des toilettes pour se laver. On était souvent interpelés sur cette question, entre nous ou par des utilisateurs de la bibliothèque, c’était un sujet de discussion. Au sein de l’équipe, nous avions une diversité de positions et des ressentis opposés. C’était des personnes qui semblaient dans une extrême précarité.
Au sein de la médiathèque Lucie Aubrac, ce n’est pas simple de s’installer pour être isolé : la configuration ne le permet pas. Nous avons un « espace détente », situé dans ce que nous appelons la « rue centrale » qui est un couloir situé juste après l’accueil qui permet de desservir différents espaces de la médiathèque. Cet espace est constitué de quelques fauteuils et canapé. Il est donc situé sur un passage, mais permet tout de même de se mettre un peu à l’écart. Il n’existe pas de lieux plus tranquille ou intime, comme ça peut être le cas de la Part-Dieu. C’est donc dans cet espace que nous pouvons trouver des personnes qui pourraient être en grande précarité et chercheraient un lieu pour se poser, se reposer, bénéficier du WIFI, etc… Nous les voyons, mais il faut tout de même noter que ces installations sont saisonnières : elles ont plutôt lieu l’hiver, à la mauvaise saison. Il y a quelques temps, j’avais repéré une dame qui passait ainsi une grande partie de sa journée là, dans cet espace détente et j’ai pu discuter avec elle. D’autres utilisent les ordinateurs à disposition. Une personne a fait un jour un malaise qui a conduit à appeler les pompiers et nous avons découvert que cette personne était un habitué, très discret, qui était en grande précarité.
[1] Des pauvres à la bibliothèque, enquête au centre Pompidou, Serge Paugam, Camila Georgetti, PUF Le lien social, 2013
Auprès de ces personnes, quelles actions un équipement culturel comme le votre peut-il mettre en place ?
Au sein des médiathèques de Vénissieux, cette question n’est pas travaillée en tant que telle. On sait qu’il y a des gens qui fréquentent la médiathèque et qui sont dans une extrême précarité, mais rien n’est fait de façon très formelle. Au fur et à mesure, un rapport de confiance s’installe avec le personnel de la médiathèque, qui permet, doucement, de faire des choses. La première, c’est souvent une demande sur l’accès aux droits qui vient après un contact régulier avec ces personnes. On va donc travailler l’activation des droits en indiquant les structures de Vénissieux qui peuvent les aider, comme le CCAS et la Ville, juste en face de la médiathèque. A partir de la rentrée de septembre 2019, nous pourrons également les orienter vers la permanence de l’écrivain public numérique qui aura lieu dans la médiathèque. Son objet est de travailler sur l’accès aux droits pas uniquement du point de vue de l’outil numérique (prendre en main un ordinateur), mais aussi d’aider à utiliser les services en ligne (naviguer sur un site, créer une adresse mail…). C’est une évolution de nos services pour répondre à une demande. Nous allons aussi les aider à se connecter à internet, à utiliser un ordinateur que nous pouvons mettre à disposition au sein de la médiathèque. C’est dans notre mission sur l’inclusion numérique. Nous observons des personnes qui semblent venir pour bénéficier du WIFI, toutefois la mise à disposition du WIFI est assez récente au sein de la médiathèque.
Nous ne travaillons pas spécifiquement sur la question du sans-abrisme, mais nous avons une action forte sur la précarité et la grande précarité. Au sein de la médiathèque, nous n’avons pas de personnel spécialisé sur une fonction sociale comme cela peut être le cas dans certaines médiathèques. Par contre, nous avons une action en direction des foyers d’hébergement : nous nous déplaçons dans les foyers pour présenter ce que nous faisons, comment nous pouvons être ressources. En outre, en 2016, nous avons réalisé une importante exposition sur les squats de Vénissieux. Nous avons alors travaillé avec les familles vivant dans ces squats pour écrire avec elles l’exposition et un recueil de témoignages sur des familles qui étaient essentiellement des familles roms.
Faut-il définir une politique d’accueil et d’hospitalité au sein d’une médiathèque pour les personnes à la rue ?
Il faut dire clairement que l’accueil des personnes en grande précarité est un impensé de l’accueil dans notre médiathèque, comme de celles des bibliothèques de la métropole. Des choses se font, mais rien n’est écrit, pensé, discuté. Il n’existe rien à ce sujet dans notre règlement intérieur. Nous agissons donc au cas par cas. Nous nous questionnons par exemple sur les personnes qui s’endorment à la médiathèque : que devons-nous faire ? Certains viennent à l’ouverture des bibliothèques, précisément pour cela. Là encore, nous discutons beaucoup en équipe mais rien n’est formalisé. Autre exemple, celui de l’inscription à la médiathèque : selon le règlement intérieur, il faut présenter un justificatif pour s’inscrire dans les bibliothèques de Vénissieux. Une domiciliation au CCAS n’est a priori pas acceptée. Cela va donc dépendre de la souplesse qu’on s’accorde au moment de l’inscription.
Nous sommes en cours de rédaction de notre nouveau projet éducatif et culturel et c’est une question que nous allons tacher de mieux prendre en compte. Nous allons travailler sur la question de l’accueil : nous avons une charte d’accueil, que nous avons l’ambition de mieux faire vivre en recrutant un personnel cadre qui sera chargé de sa bonne application. Il sera également chargé de mieux penser l’accueil des personnes handicapées.
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Investigations théoriques et pratiques sur l'exclusion dans la ville, par le laboratoire de recherche et création LALCA.
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