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Bibliothèque et sans-abrisme 3/3

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Portrait de Mme Pallud-Burbaud
© DR
Directrice du service au public pour les 16 bibliothèques municipales de Lyon

Interview de Béatrice Pallud-Burbaud

<< Les personnes sans-abri cherchent à être des utilisateurs comme les autres et ont d’ailleurs nombres d’usages de la bibliothèque qui ne se distinguent pas des autres >>.

Le service au public du réseau des 16 bibliothèques lyonnaises est chargé de définir un cadre d’accueil, des procédures découlant de cet accueil, de l’inscription des lecteurs. Il réalise également les enquêtes auprès du public et met en réflexion les pistes d’évolution des services.

Madame Pallud Burbaud détaille pour nous comment l’accueil de personnes sans domicile et plus largement, de personnes en précarité, se fait au sein du réseau des bibliothèques.

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Date : 26/07/2019

Les bibliothèques accueillent, en tant qu’équipement publique, des personnes en situation de précarité et des personnes sans-abri. Est-ce vous constatez une fréquentation de personnes en situation de précarité ou sans-abri au sein des 16 bibliothèques de la ville de Lyon ?

Concernant ces personnes, on en connait certaines depuis de longues années. On observe également qu’elles peuvent disparaître, ne plus venir à la bibliothèque.

Nos bibliothèques accueillent une grande variété de personnes, en fait tout le monde. Nous menons une grande enquête sur nos publics de façon régulière, tous les 2 ou 3 ans. On observe dans cette enquête une surreprésentation des enfants jusqu’à 12 ans, comparé à la population lyonnaise. A l’inverse les 18-29 ans, les personnes de plus de 75 ans sont moins présents. Au niveau des catégories socio-professionnelles, nous sommes également représentatifs de la population lyonnaise avec toutefois une surreprésentation des employés et une sous-représentation des ouvriers.

Si on s’intéresse plus particulièrement aux personnes en précarité, on constate une grande variété mais ces personnes sont plutôt des hommes, plutôt jeunes et jusqu’à 35-45 ans. Concernant ces personnes, on en connait certaines depuis de longues années. On observe également qu’elles peuvent disparaître, ne plus venir à la bibliothèque. Nous accueillons également des familles de migrants. Parfois, il peut s’agir d’une famille entière qui va fréquenter la bibliothèque pendant 3 mois puis va également disparaître, en lien avec l’évolution de sa situation, sur le logement ou autre.

Nous accueillons également des personnes qui ne sont pas sans-abri mais qui sont dans des situations précaires, vivent dans des foyers. Elles peuvent être en chômage de longue durée. Certaines sont là tous les jours. Elles sont connues par le personnel, des liens se sont noués.

Nous pouvons noter que ces personnes sont souvent parmi les premières personnes qui rentrent à la bibliothèque de la Part-Dieu le matin.

Que recherchent ces personnes en venant dans les bibliothèques et que leur proposez-vous ?

[...] au sein des bibliothèques de quartier, il peut être plus dur de conserver l’anonymat rassurant qu’offre la bibliothèque de la Part-Dieu. C’est souvent ce qui est recherché dans nos bibliothèques : pouvoir être anonyme parmi les usagers de la bibliothèque, être un usager à pied d’égalité avec les autres

Comme je le disais, les agents connaissent assez bien une partie de ces personnes qui ont un intérêt en général pour ce qui est proposé au sein des bibliothèques. Cet intérêt peut être variable en fonction des personnes : la connexion Wifi, l’accès à un ordinateur, la consultation de dvd, la lecture sur place. On a parmi eux de grands lecteurs, certains se font également des revues de presse. Ils peuvent également emprunter des livres.

Les personnes sans-abri cherchent à être des utilisateurs comme les autres et ont d’ailleurs nombres d’usages de la bibliothèque qui ne se distinguent pas des autres : elles fréquentent différentes bibliothèques, elles sont emprunteuses de livres. Par contre, au sein des bibliothèques de quartier, il peut être plus dur de conserver l’anonymat rassurant qu’offre la bibliothèque de la Part-Dieu. C’est souvent ce qui est recherché dans nos bibliothèques : pouvoir être anonyme parmi les usagers de la bibliothèque, être un usager à pied d’égalité avec les autres.

Sur la bibliothèque de la Part-Dieu, une dizaine de salles sont ouvertes au public, soit une dizaine de façons de faire et d’accueillir. Nous n’avons pas mené une étude spécifique sur les personnes en précarité, il peut y avoir des situations différentes en fonction des salles.

Un des besoins importants est celui des postes informatiques mis à disposition des publics. Les espaces numériques sont énormément sollicités sur les procédures d’accès aux droits. Nous avons par ailleurs deux modalités d’accès différentes pour les postes informatiques à libre disposition. Un accès libre de 20 minutes est disponible. C’est important à nos yeux de maintenir cet accès libre, gratuit, sans contrainte. La seconde modalité est un accès d’une heure sur inscription (procédure allégée, sans formulaire de demande d’inscription).

La bibliothèque est souvent un lieu utilisé pour l’hygiène : faire sa toilette, laver son linge. Nous avons dû faire un affichage spécifique car nos bâtiments ne sont pas adaptés pour cela. De fait, nous sommes parfois confrontés à un problème d’odeurs, qui est très délicat à traiter. Nous l’abordons toujours en présentant des solutions : la liste des établissements qui proposent des douches, la liste des accueils de jour.

Pouvez-vous nous indiquer plus précisément les conditions et modalité d’accueil pour ces personnes ? Est-ce que des conditions spécifiques ont été définies ?

L’accueil doit pouvoir s’adapter, trouver une forme de souplesse par des ajustements constants, pour ne pas exclure les personnes en situation de précarité.

L’accueil des personnes précaires et sans-abri est une préoccupation constante des bibliothèques de Lyon. Entre mi 2013 et 2015, nous avons travaillé sur le règlement de visite, un règlement intérieur d’accueil au sein des bibliothèques. Il s’agissait de définir nos règles, de s’assurer qu’on n’excluait personne. A cette époque, nous nous sommes inspirés du travail réalisé par Serge Paugam au sein de la bibliothèque du Centre Pompidou [1]. Il a réalisé un important travail d’observation des personnes en précarité. Nous y avons bien retrouvé nos publics et nos problématiques.

Nous avons axé notre politique d’accueil auprès des personnes en précarité sur quelques axes forts :

  • La bibliothèque, en tant que service public, doit proposer des services adaptés aux personnes en précarité (et quand les demandes sortent du champ de compétences, nous devons pouvoir les orienter vers d’autres structures, nous avons donc créé une boite à outil pour l’accueil des bibliothèques)
  • L’accueil doit pouvoir s’adapter, trouver une forme de souplesse par des ajustements constants, pour ne pas exclure les personnes en situation de précarité.

Il fallait tout d’abord leur garantir l’accès à la bibliothèque. Le justificatif de domicile constitue pour eux un frein à l’inscription. Nous avons donc opté pour une déclaration sur l’honneur, sans besoin de présenter un justificatif de domicile. De la même manière, l’accès aux postes informatiques pour une heure peut se faire en présentant par exemple, une carte TCL. L’accès n’est pas soumis à présentation d’une pièce d’identité officielle. On s’adapte également aux besoins spécifiques des personnes. Des demandeurs d’emplois, par exemple, peuvent avoir besoin d’un poste informatique sur une plus longue durée, nous cherchons à répondre à ce besoin en fonction des possibilités.

On attire aussi l’attention sur leurs responsabilités, notamment dans le prêt de livres : comme tout le monde, ils sont responsables des livres qu’ils empruntent.

Nous devons aussi réguler. C’est en particulier le cas pour les personnes qui s’endorment à la bibliothèque. Les gens qui dorment dans nos établissements le font pour des raisons diverses et variées, allant du « petit coup de barre » à des gens qui viennent précisément à la bibliothèque pour dormir en journée. On intervient auprès de ces personnes dès lors que l’on constate une sieste prolongée car ce n’est pas notre vocation et que cela gêne les autres utilisateurs. Parmi les ajustements que nous avons réalisés, nous avons progressivement enlevé les canapés, qui permettent de s’allonger, pour les remplacer par des fauteuils. En outre, nous avons une règle d’intervention spécifique qui concerne le hall de la bibliothèque de la Part-Dieu où nous intervenons dans les 5 minutes car nous avons connu des situations avec jusqu’à une vingtaine de personnes installées, ce qui perturbait notre fonctionnement (et au final nuisait à notre vocation d’accueil tous publics).

Enfin, nous avons observé que de nombreuses personnes s’adressaient à nos agents pour régler des questions administratives qui les préoccupaient. Nous avons décidé de mettre en place un service d’écrivain public pour répondre à ce besoin.

La bibliothèque fonctionne comme un lieu un peu à part où les croisements et les rencontres sont possibles, ce que nous voulons conserver.

 

[1] Des pauvres à la bibliothèque, enquête au centre Pompidou, Serge Paugam, Camilla Georgetti, PUF Le lien social, 2013.