Cycle de conférences : Accompagnement éducatif
Étude
Pour aider les travailleurs sociaux en accompagnement éducatif du territoire de Vénissieux et Saint-Fons à faire face aux situations professionnelles critiques.
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Interview de Fatima GHOURABI
<< La première chose si l'on veut favoriser la mixité et le lien social est de mener une politique de justice sociale qui n'abandonne pas les personnes de la petite classe moyenne >>.
De nombreux chercheurs ont étudié l’impact des phénomènes de mondialisation, de marchandisation et d’individualisation et ont notamment montré comment l’incertitude face à l’avenir, la peur du déclassement, pouvaient générer des attitudes de méfiance entre les classes sociales, favoriser des stratégies d’évitement, notamment scolaire, et de repli (communautaire, entre-soi) et donc conduire à un délitement de la société. Face à ces réalités les pouvoirs publics ont développé des politiques qui facilitent la mixité dans l'habitat notamment à travers la loi SRU et la Politique de la ville (ANRU). Dans l'agglomération lyonnaise, cet objectif constitue l'axe majeur des documents de planification (SCOT, Plan Local d'Urbanisme, PLHabitat...) et il a été renforcé par la mise en œuvre des SMS - Secteurs de mixité sociale (obligation de 20% de logements sociaux dans les programmes neufs des promoteurs privés).
La mixité résidentielle devient une réalité, mais produit-elle systématiquement de la mixité sociale ? La focalisation sur l’enjeu de mixité ne cache t’elle un certain abandon de la question sociale, de la prise en compte des inégalités, au profit d’une logique territoriale plus (ou trop) concentrée sur des objectifs urbanistiques ? La transformation urbaine des grands ensembles d’habitat social n’est-elle pas un passage obligé pour marquer symboliquement et fortement le changement, pour agir sur les consciences, pour offrir un cadre de vie décent et pour éviter que se recréent de trop grandes concentrations ?
C’est à cet ensemble de questions que Fatima Ghourabi, kinésithérapeute à Vaulx-en-Velin puis à Mermoz dans le huitième arrondissement de Lyon, apporte des éléments de réponses dans cette interview.
Pourquoi avez-vous fait le choix d’implanter votre cabinet de kinésithérapeute à l’entrée du quartier Mermoz où vous avez grandi mais où vous n’habitez plus ?
Je ne voulais pas aller en centre ville difficile d’accès et cher. Je voulais de l’espace et j’ai ici, en plus de mon bureau, quatre grands espaces de travail. On se gare facilement et l’immeuble est de plain-pied. Par ailleurs, j’apprécie d’avoir une clientèle sympathique et fidèle. C’est vraiment agréable. Ici, quand on créé un lien, on créé un lien !
Ma clientèle est assez mixte, certaines personnes viennent du quartier mais c’est une minorité. D’autres m’ont suivie lorsque j’ai quitté Vaulx-en-Velin, et la grande majorité vient de tout le huitième arrondissement.
Dans le quartier de Mermoz, comme à Vaulx-en-Velin où vous exerciez ces dernières années, avez-vous constaté des phénomènes de repli communautaire et des volontés d’entre-soi ?
Je ne constate pas de formes de repli communautaire particulièrement marquées. Les anciens immigrés ont vieilli et les jeunes sont plutôt bien intégrés. Par contre, je sens se développer une identité de quartier qui tient plus d’une histoire commune qu’à une appartenance ethnique ou communautaire. On est de « Mermoz », de « Vaulx-en-Velin », de la « Duchère », des « Minguettes » avant d’être d’origine italienne ou algérienne, avant d’être catholique ou musulman. Personnellement je suis d’abord perçue comme une habitante de Mermoz, et non comme originaire de Tunisie.
Il me semble que ce phénomène était moins prégnant auparavant, peut-être parce qu’en vivant au cœur d’un quartier, je ne le percevais pas, et probablement aussi parce nous étions moins mobiles. Nous avions moins besoin de l’être. On vivait et travaillait dans le quartier. Nos pères travaillaient dans les usines qui se trouvaient à proximité, et qui ont d’ailleurs toutes fermé, nous étions tous scolarisés dans les écoles du secteur et de fait, les quartiers de Vaulx-en-Velin comme celui de Mermoz, vivaient plus sur eux-mêmes. Les grandes familles sont restées dans les quartiers et les jeunes, même si aujourd’hui ils vivent ailleurs, gardent un lien fort avec leur quartier d’origine. Ce lien est d’autant plus fort que nombre de jeunes habitent souvent à proximité pour des raisons d’entraide familiale car ils sollicitent leurs parents notamment pour s’occuper de leurs enfants.
Le repli s’opère en ce sens quand il y a un manque d’argent ou de travail et que les gens ont besoin de se rapprocher de leur famille pour trouver de l’aide.
Mais si les jeunes reviennent vivre à proximité de leur quartier d’origine, c’est aussi parce qu’ils ont vu qu’ailleurs les solidarités n’étaient pas les mêmes. En effet, en quittant leur quartier populaire, les jeunes ont souvent été déçus par l’anonymat et l’individualisme qui règnent dans d’autres quartiers. Dans un quartier populaire on est connus comme la fille ou le fils de telle famille qui habite tel bâtiment et les solidarités entre les familles restent bien vivaces. Il existe de véritables réseaux d’entraide, et les anciennes familles ont un rôle important dans la pérennisation de cette tradition de solidarité.
Cependant, il est à craindre qu’avec la disparation progressive des grandes familles, le lien social ne soit plus le même, et ce n’est pas de la nostalgie, c’est une réalité. Déjà, il y a moins de mariages mixtes et moins de mixité à l’école ou dans le travail. Beaucoup de personnes de ma génération me disent qu’avant il y avait bien plus de mélanges.
Comment décririez-vous l’évolution des quartiers et notamment de Mermoz ces trente dernières années ?
On est passé d’une période où il y avait du travail à une période où le chômage de masse s’installe durablement, d’une période où l’on aimait être ensemble en rêvant à demain à une période où l’on se retrouve seul face à un avenir plutôt noir. Lorsque nous étions jeunes, il y avait moins de choses, mais plus de sécurité. La consommation d’alcool et de cannabis était déjà présente mais en moindre quantité et consommée dans un autre état d’esprit. Aujourd’hui, les jeunes ont des addictions plus profondes et consomment souvent seuls. Ils ne font pas la fête ensemble, ils se « défoncent » les uns à côté des autres. Si l’un tombe dans le caniveau, personne ne pensera à le relever. La drogue est très facilement accessible et la force publique laisse faire. Les réseaux de drogue se développent tranquillement sans que la justice ne s’en préoccupe. Si les peines étaient lourdes, peut-être que cela marquerait les esprits. Par ailleurs, il y a un vrai problème de prévention dans les quartiers. Les îlotiers comme les structures d’accueil pour les adolescents font cruellement défaut. Cette réalité conduit les jeunes au repli communautaire, mais aussi religieux.
Comment sont accueillies les nouvelles populations ?
Les nouvelles populations qui arrivent à Mermoz sont d’origine asiatique et souvent d’Europe de l’Est. En fait, parce que les logements sont assez grands et pas chers, le quartier accueille de nombreuses personnes en situation de précarité qui ne peuvent se loger ailleurs. Il se développe des tensions interethniques car ces nouvelles populations venues de l’Est n’ont pas vécu la même histoire, une histoire partagée, celle du plein emploi, d’une forte activité associative, d’une riche vie collective, d’une autre politique de la Ville. Les familles qui arrivent n’ont pas le même schéma et ont souvent des parcours de vie bien différents et chaotiques. J’ai des clients de l’Europe de l’Est qui ne savaient pas que les magrébins étaient en France depuis longtemps, qu’ils avaient travaillé dans les usines, élevé leurs enfants et que ceux-ci étaient aujourd’hui français. Les gens ne se connaissent pas. Et la cohabitation est d’autant plus difficile que les modes de vie varient. La relation au bruit, à la propreté, au vivre ensemble est bien différente.
Pourtant des quartiers comme Mermoz ont une tradition d’accueil. Ne pourraient-ils pas, à condition d’être organisés pour cela, être dédiés à l’accueil et à l’accompagnement des publics fragiles et notamment des immigrés ?
C’est une question difficile. Les gens qui restent volontairement à Mermoz, qui y ont vécu, qui sont heureux d’y vivre aujourd’hui, qui se sont complètement approprié le quartier ont du mal à cohabiter avec des nouveaux arrivants qui ne partagent ni leur histoire, ni leur mode de vie. Cependant, il est vrai aussi que les populations des quartiers populaires sont accueillantes et solidaires. Pour que le lien se fasse entre les populations, il faudrait des « passeurs » et que l’accueil et l’accompagnement des nouvelles familles soient réellement assurés par des structures sociales efficaces. Et puis, il faudrait aussi pouvoir en partir. Mermoz a toujours été un quartier tremplin, mais il l’est de moins en moins. Car aujourd’hui, il est très difficile de trouver un logement abordable ailleurs et les gens attendent parfois très longtemps. La question du logement est un réel et gros problème.
Comment faire vivre la mixité ?
Je pense qu’aujourd’hui la solidarité doit effectivement s’exprimer en faveur des plus démunis, mais aussi et peut-être surtout, à l’égard de la petite classe moyenne trop souvent délaissée. C’est par elle que se fait la mixité. La tension aujourd’hui est sur le revenu, le niveau social, pas sur des questions ethniques. Or, les personnes qui composent la petite classe moyenne, qui travaillent, mais qui ont des petits revenus par rapport au coût de la vie et notamment celui du logement, sont probablement celles qui subissent le plus difficilement la crise. Et plus elles se sentent méprisées, mal aidées dans les efforts qu’elles produisent alors que d’autres sont plus aidées sans faire autant d’efforts, plus le sentiment d’injustice est fort et génère des réactions violentes. Politiquement il y a là un véritable danger car cette réalité conduit nombre de ces personnes vers un vote pour des extrêmes et notamment pour l’extrême droite. C’est une histoire de justice sociale. Par exemple, un couple qui travaille devrait pouvoir bénéficier en priorité d’une place en centre de loisirs au centre social le mercredi. Je pense également à ces mères de famille dont les enfants ne trouvent pas de travail, dont le mari est parfois au chômage ou qui n’a qu’une petite retraite, et qui font des ménages aux quatre coins de la ville. Ces femmes, souvent originaires d’Afrique ou du Maghreb, travaillent entre 6 et 8 heures du matin avant l’ouverture des bureaux et repartent à 16 heures avec de grands temps dans les transports en commun. Il demeure très difficile de se déplacer d’un quartier périphérique à un autre en transport en commun. On est souvent contraint de passer par le centre ville. Améliorer les transports en commun entre les quartiers et les zones d’activités faciliterait grandement la vie quotidienne de ces femmes. La politique familiale française n’est pas assez attentive au nécessaire accompagnement des ménages et notamment des femmes qui travaillent. La première chose si l’on veut favoriser la cohésion sociale et le lien social est de mener une politique de justice sociale qui n’abandonne pas les personnes de la petite classe moyenne. Par ailleurs, la mixité, le vivre ensemble, c’est-à-dire le respect des uns et des autres dans leur différence, devrait avoir une plus grande place dans l’éducation.
Comment l’important projet urbain de Mermoz Nord est-il perçu ?
Ici nous sommes à Mermoz Sud. L’autopont qui séparait physiquement les deux sous quartiers a été démoli, mais la ligne de démarcation existe toujours !
Aussi, on ne parle pas ou très peu de ce projet. D’ailleurs l’information diffusée dans les journaux municipaux est très peu claire et les plans difficiles à lire. Les habitants de Mermoz Nord qui ont dû ou vont être relogés doivent être mieux informés. C’est d’abord un projet qui les concerne. Le projet de Mermoz Nord ne changera pas l’image de Mermoz Sud. Par contre, je pense que des gens pourraient être intéressés par les programmes en accession sociale à la propriété, mais il faudrait qu’une information plus large soit donnée.
Comment d’après vous la Politique de la Ville devrait-elle évoluer ?
Cette politique mérite d’être poursuivie notamment sur le plan urbain, et l’exemple du projet de Mermoz est une bonne illustration. Les logements seront de meilleure qualité et le cadre de vie ainsi que l’image du quartier grandement améliorés. Le quartier sera clairement plus agréable à vivre, plus écologique et plus beau. La mixité résidentielle créée est un élément très positif qui permettra de créer de la mixité sociale d’abord à l’école, mais aussi, et c’est à souhaiter, à la crèche et dans les autres lieux publics du quartier.
Par ailleurs, pour favoriser la mixité sociale dans les immeubles sociaux, il ne faut pas seulement prendre en compte le revenu des gens, mais leur situation par rapport au travail. Il me paraît important de mélanger des personnes qui travaillent avec celles qui sont sans emploi dans les immeubles. La mixité résidentielle est une excellente chose et il faut aller plus loin encore en ce sens. Cependant, cette politique n’est pas en soi suffisante pour garantir le lien social et la cohésion sociale. Il me semble indispensable aujourd’hui de mieux accompagner les familles et pas seulement les plus précaires. A mon sens il ne peut y avoir de Politique de la Ville efficace sans une politique de solidarité plus juste.
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