Cycle de conférences : Accompagnement éducatif
Étude
Pour aider les travailleurs sociaux en accompagnement éducatif du territoire de Vénissieux et Saint-Fons à faire face aux situations professionnelles critiques.
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Texte de Benjamin LIPPENS
Travail de thèse en cours
Emmanuelle Santelli a constitué ce que l’on appelle en sciences-sociales une cohorte, c’est-à-dire un groupe d’individus ayant vécu un même évènement sur une même période, faisant l’objet d’une enquête longitudinale. Les critères retenus permettent de tester un ensemble de questionnements et d’hypothèses :
Chiffres clés de l’enquête : en 2003, 473 personnes correspondaient à ces critères. Elles ont été identifiées via les registres des écoles primaires. Environ 200 ont répondu à une enquête par questionnaire. Puis, une trentaine d’entretiens ont été menés. Aujourd’hui, ces personnes ont entre 36-45 ans.
Principaux résultats de l’enquête de 2003, « Grandir en banlieue » :
À partir des parcours professionnels, Emmanuelle Santelli a dressé une typologie distinguant cinq catégories de jeunes, toutes représentant aux alentours de 20% des enquêtés.
Il est important de garder à l’esprit que ces catégories sont fluides et non figées : ces jeunes adultes étaient à un âge où leur situation professionnelle était susceptible d’évoluer, car leur entrée sur le marché du travail était récente. Depuis un vingtaine d’années, les enquêtes Génération du Céreq (Génération 2013 pour la dernière [1]) ont montré que le temps nécessaire aux jeunes adultes pour se stabiliser sur le marché du travail s’allongeait, a fortiori parmi la population des descendants d’immigrés et des habitants des ZUS. Ainsi, les « intellos précaires » ont pu devenir des « actifs stables », et parmi les « exclus » d’hier, on compte probablement des « prolétaires invisibles » voire des « actifs stables ».
Par rapport à la première enquête, la sortie de la jeunesse et le passage dans l’« âge adulte » [2] est un changement majeur de situation et a plusieurs conséquences :
Deux axes vont structurer cette nouvelle recherche :
Cette enquête se distingue du grand nombre de travaux sur « la banlieue » qui ont tendance à se focaliser sur une catégorie particulière d’habitants plus visibles : les bandes de jeunes ou les étudiants qui réussissent. Cette thèse, tout comme la première phase de l’enquête, vise à restituer la diversité des parcours des descendants d’immigrés maghrébins ayant grandi dans un quartier populaire.
Un deuxième panel ? Un objectif de cette recherche serait d’ouvrir l’enquête à des « français d’origine ». L’enquête TeO réalisée conjointement par l’INED et l’INSEE parle de « population majoritaire » pour désigner les « personnes nées en France métropolitaine de parents français eux-mêmes nés en France métropolitaine » [4]. Cette enquête a suscité certaines polémiques en raison de la construction de catégories dites ethniques, qui sont indispensables pour pouvoir évaluer l’ampleur des discriminations subies. Depuis une quinzaine d’années, plusieurs enquêtes statistiques ont prouvé les traitements inégaux réservés aux descendants d’immigrés notamment maghrébins, sub-sahariens et turcs. Être perçu comme « blanc » n’expose pas aux mêmes conséquences qu’être perçu comme « arabe » ou « noir ». Par exemple : les résultats d’une enquête sur les contrôles de police à Paris montrent que les chances de contrôle sont 6 à 8 fois supérieures si l’on est perçu comme « noir » ou « arabe » [5].
L’enjeu de ce panel serait de saisir, non pas statistiquement, mais plutôt qualitativement par des entretiens, quel est le vécu de ces adultes d’origine française ; en quoi se distingue-t-il de celui des individus d’origine maghrébine ? Les deux groupes partagent peut-être des discriminations liées à l’origine sociale et/ou au territoire, mais il reste une part de discrimination qui peut être liée au pays d’origine des parents, à l’apparence physique « arabe » et à la pratique de la religion musulmane. La comparaison permettrait de le mettre en évidence. Autrement-dit, comment l’obstacle supplémentaire des discriminations ethno-raciales s’ancre dans les trajectoires sociales et professionnelles ?
Quelques questionnements animent cette recherche
La première enquête a montré que pour les membres de la cohorte, alors âgés de 20 à 29 ans, le départ du quartier était souvent un vecteur de réussite sociale. Ce constat est-il toujours valable quinze ans après ? Il était vécu comme un moment de rupture qui ouvre vers de nouveaux horizons, de nouvelles relations et expériences. À l’inverse, pour ceux dont le passage dans le quartier s’éternise, il devient un espace enfermant de relégation à l’extrémité de la société et du centre-ville et l’avenir laisse entrevoir les contours d’une précarité professionnelle, économique et sociale durable.
Malgré l’importance de la reproduction sociale (de nombreuses enquêtes en témoignent), la société n’est pas figée pour autant. Certains s’en sortent mieux que d’autres, grâce à une combinaison de facteurs favorables. L’enjeu est d’identifier ces variables et les différentes dispositions sociales qui orientent les trajectoires dans un sens ou dans un autre : les ressources financières, scolaires, familiales, conjugales institutionnelles, les petits capitaux sociaux (notamment les réseaux de connaissances), les effets de lieux, les effets de contexte local, les effets de génération, les effets de socialisations différenciées selon le genre, etc.
Quels rapports les personnes enquêtées entretiennent-elles avec les institutions publiques ? Ces institutions concourent-elles à la reproduction de l’ordre social ou favorisent-elles des formes de mobilité ascendante ? Comment ont évolué les relations aux administrations publiques ? Comment les rapports et les types d’institutions fréquentées ont été transformés par le passage à l’âge adulte ?
Cette recherche est aussi une façon d’évaluer l’effet des politiques publiques, dont celle de la Ville, sur un temps long et l’impact des mesures du droit commun pour cette population qui a pour particularité d’avoir grandi dans un quartier de banlieue mais qui, à la date de cette nouvelle phase de l’enquête, vit très majoritairement hors de ce quartier.
Dans la précédente enquête, Emmanuelle Santelli avait montré que les descendants d’immigrés sont tentés de mobiliser plusieurs références identitaires (par exemple, se définir par l’appartenance nationale et la religion) et de rechercher ailleurs cette reconnaissance (notamment dans le pays d’origine des parents) ; dans une société française ne reconnaissant pas sa dimension multiculturelle. Qu’en est-il aujourd’hui ? Notamment dans un contexte, depuis les attentats de 2001, où être musulman expose à de nombreux amalgames et où certaines politiques publiques mettent en spectacle des décisions telles que l’arrêté « anti-burkini », au nom d’une « laïcité » instrumentalisée, et contribuent à alimenter un contexte « islamophobe » [6].
Plus généralement comment se construit la citoyenneté des personnes enquêtées ? On peut envisager la citoyenneté selon ses dimensions juridiques (ensemble de droits et de devoirs conféré par l’appartenance à un corps de citoyens), sociales (sentiment d’appartenance, rôles et normes) et politiques (participation à la vie et aux décisions collectives).
Méthodologie de la nouvelle enquête :
Retrouver les membres de la cohorte : les 473 membres de la cohorte construite en 2003 représentent la base des personnes à interroger dans ce travail. Le premier objectif est d’en retrouver le maximum.
Concernant la méthode d’enquête :
[1] Pour une analyse des résultats de l’enquête 2016 auprès de la Génération 2013 : Émilie Gaubert, Valentine Henrard, Alexie Robert, Pascale Rouaud, « Enquête 2016 auprès de la Génération 2013 - Pas d'amélioration de l'insertion professionnelle pour les non-diplômés », Céreq Bref, n°356, 2017, 4p.
[2] Le sociologue Olivier Galland définit le passage à l’âge adulte une fois franchi ces trois étapes : la décohabitation, l’obtention d’un emploi stable, la mise en couple.
[3] Pour exemple : afin d’éviter de prendre en compte des situations socioprofessionnelles susceptibles d’évoluer, l’INSEE, a choisi de calculer la mobilité sociale intergénérationnelle des fils et des filles âgés de 40 à 59 ans.
[4] BEAUCHEMIN, Cris ; HAMEL, Christelle ; SIMON, Patrick (coordonnée par), Trajectoires et Origines : enquête sur la diversité des populations en France, Paris : INED - INSEE, 2010, 151 p., Document de travail n° 168 (voir le glossaire, p. 7).
[5] Se référer à l’enquête suivante : GORIS Indira, JOBARD Fabien, LEVY René, Police et minorités visibles : les contrôles d’identité à Paris, New York, Open Society Institute, 2009
[6] Se référer à l’ouvrage suivant : Abdellali HAJJAT, Marwan MOHAMMED, Islamophobie. Comment les élites françaises fabriquent le "problème musulman", Paris, La Découverte, coll. « Cahiers libres », 2013
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