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L'association Tilelli, comme exemple de politique d’intégration à Gand

Interview de Amar SADAT et Luna SADAT

<< La participation des immigrés à la politique d’intégration >>.

Amar et Luna Sadat, présentent l’association Tilelli créée à Gand par des Kabyles. Cette  association  a un rôle de valorisation de la culture berbère et d’intégration de  sa population auprès des Flamands. Ils le font ici dans le contexte de la politique d’intégration de Gand et donnent les grandes lignes  de la politique de la Ville en matière de participation des étrangers.

Propos recueillis pour le Cahier Millénaire3, n° 28 (2002)

Réalisée par :

Date : 14/05/2002

Pourriez-vous nous décrire l ’association Tilelli ?
L’Association Tilelli a été créée en juillet 1995 par des Kabyles vivant à Gand et sa région. Tilelli est une association sans but lucratif (ASBL), indépendante de tout gouvernement, de toute conviction religieuse ou politique. Tilelli a pour vocation, d’une part, la promotion de l’histoire, de la langue et de la culture berbères au sein de la communauté berbère et auprès des Flamands et, d’autre part, l’intégration des Berbères grâce à la connaissance et au respect mutuels des Berbères et des Belges. Il est important d’ajouter que la Flandre est une région très accueillante pour les Berbères : beaucoup de Flamands ont trouvé des similitudes entre la lutte des Berbères contre la domination arabe et le combat d e s Flamands contre la domination d’abord française puis francophone. En outre, nous trouvons intéressant d’inviter également d’autres communautés à participer à nos activités : des groupes espagnols et un chanteur flamand nous ont ainsi permis de rapprocher à travers la musique des personnes d’horizons et d’intérêts différents. L’association Tilelli édite trimestriellement la revue Izoran en trois langues (néerlandais, français et berbère). Pour pouvoir organiser ces activités, l’association Tilelli bénéficie d’une aide financière de plusieurs instances : de la ville de Gand, de la Communauté flamande et parfois de la Province (Flandre Orientale).

Comment définiriez-vous la politique d ’intégration à Gand ?
Tous les trois ans, le Service Municipal de l’Intégration élabore un plan d’intégration qui a pour but d’améliorer les relations entre les diversités ethniques et culturelles, et de favoriser l’exercice des droits fondamentaux de ces minorités. En juin 2002, le plan pour les années 2003-2005 a été approuvé par la municipalité. Il est axé autour de trois éléments : l’émancipation des allochtones, des réfugiés reconnus et des nomades, l’accueil des nouveaux venus et l’accueil convenable des personnes sans papiers. Parmi les problèmes abordés nous retrouvons : la citoyenneté, l’enseignement, l’emploi, le logement, la santé, la culture, le sport et le loisir, la religion,… De l’analyse de ces éléments, le Service Municipal de l’Intégration peut conclure que le rôle et la participation des immigrés sont nettement insuffisants. La Ville propose donc des projets pour mieux atteindre les allochtones. la Ville de Gand stimule par diverses mesures les employeurs à embaucher des immigrés. Remarquons que de telles mesures existaient déjà pour les non qualifiés et qu’elles ont connu beaucoup de succès. Toutefois, nous ne pensons pas que ces mesures, par rapport aux immigrés, puissent avoir les mêmes effets, du moins dans une période relativement courte de trois ans. Aux jeunes, la Ville propose une diversité de formations techniques qui devraient leur permettre de trouver plus facilement un emploi. Nous touchons là au problème de l’enseignement. À notre avis, beaucoup de jeunes immigrés sont mal orientés et se retrouvent anormalement nombreux dans des formations techniques ou professionnelles, bien peu s’inscrivant à l’université. Si les jeunes allochtones n’ont déjà pas les mêmes chances que leurs copains d’âge, autochtones, il est évident que leurs chances sont inégales au niveau de la recherche d’un emploi. la ville de Gand assume également sa responsabilité en tant qu’employeur. sur plus de 5 000 fonctionnaires, 90 employés seulement sont des allochtones. Parmi ceux-ci 61 travaillent dans le Service des Affaires Sociales (dont font partie le Service Municipal de l’Intégration, le Centre Interculturel, les centres d’activités liés aux quartiers,…) Le but est donc d’embaucher plus d’immigrés dans les différents services de la ville. Par conséquent, l’idéal serait que la ville arrive plus ou moins à une représentation proportionnelle des diverses composantes ethniques de la population.

De quelle manière la ville reconnaît-t-elle le rôle d ’une association dans la politique d ’intégration ?
Pour que la ville de Gand reconnaisse une association comme organisation socioculturelle d’une minorité ethnique, il faut satisfaire à plusieurs critères. Les deux plus importants sont : être reconnu comme association par la Communauté Flamande et être inscrit au Moniteur Belge. Ces deux conditions remplies, l’association peut faire une demande à la ville pour être reconnue comme organisation socioculturelle. Afin de recevoir une subvention de base, l ’association est tenue d ’ organiser des activités régulières qui f a v o r i s e n t l’intégration des immigrés, les contacts entre les différentes communautés et la participation à la vie sociale et qui répondent à d e s besoins sociaux tel l’enseignement, l’emploi, le logement, etc. Chaque année, les associations reconnues doivent rendre des comptes par un rapport d’activité et un bilan financier. Beaucoup d’associations n’ont pas été reconnues : certaines se sont vues obligées de se dissoudre, d’autres ont trouvé un autre moyen de survie. C’est certainement à cause de cette sélection de la ville que ces dernières années nous assistons à la création d’une multitude de cafés turcs ou marocains qui ont pris, à tort ou à raison, le nom d’ASBL. Ces cafés foisonnent partout en ville et surtout dans les quartiers qui connaissent une grande concentration d’immigrés. Les associations reconnues par la ville ont la possibilité de louer, à prix très réduit, du matériel et des salles. Le Centre Interculturel, “la Centrale”, par exemple, met à la disposition des associations des locaux pour des cours. La mise à disposition gratuite de certains locaux nous permet d’organiser des cours de langue et de danse et de faire des répétitions avec notre groupe de musique. Grâce à une collaboration plus poussée avec la ville, nous avons pu disposer de salles plus importantes et plus prestigieuses pour quelques-unes de nos activités. Ajoutons encore que le Centre Interculturel joue un rôle prépondérant dans la politique d’intégration et la politique culturelle de la Ville de Gand. Malheureusement, nous avons constaté, avec plusieurs autres organisations, deux défauts. En premier lieu, le Centre n’atteint qu’une partie des immigrés et ce sont toujours les mêmes personnes qui participent aux activités. En outre, les activités organisées s ’ a dressent presque exclusivement à la communauté turque. Il est bien évidemment incontestable que la majorité des immigrés est d’origine turque (plus de 12 000 personnes), mais cela n’est pas une raison pour oublier les autres communautés, comme les 3 000 personnes d’origine nord-africaine.

Quel projet la ville a-t-elle développé pour une meilleure participation des étrangers et des associations ?
Pour la préparation du nouveau plan d’intégration pour les années 2003-2005, la Ville de Gand a consulté le Forum des minorités ethniques et culturelles et elle fera également appel au Forum pour l’élaboration de ce plan. Le Forum des minorités ethniques et culturelles a été créé en décembre 2000. Il est constitué de 21 membres, subdivisés en trois délégations de sept personnes: la Fédérationdes Associations de la Flandre Orientale et la Fédération des Associations Turques Progressistes (avec chacune sept représentants) et sept membres cooptés. Les membres cooptés représentent des associations qui ne sont pas membres d’une fédération ou sont des  personnes indépendantes de toute organisation . Plusieurs nationalités (turque, marocaine, éthiopienne, algérienne,…) sont représentées dans le Forum. Il est clair que les fédérations, de par leur structure, ont plus de poids que les membres cooptés, présents à titre individuel ou comme représentant de leur communauté. Les fédérations ont une convention avec la ville de Gand : chaque année, elles sont obligées d’organiser 500 heures de formation pour leurs membres et de remettre trois dossiers concernant des problèmes auxquels sont confrontés les immigrés (la participation des parents dans l’enseignement des enfants, le sport et la récréation pour les femmes et les jeunes filles, la discrimination dans l’emploi, le logement…). Pour réaliser cela, les fédérations reçoivent une aide financière de la Ville. Le Forum travaille régulièrement avec un groupe restreint : le comité exécutif compte neuf membres (trois personnes par délégation).

Le but principal de la création du Forum est d’encourager la participation des immigrés dans la politique d’intégration de la Ville. Ainsi, il est important pour la municipalité de parvenir à une bonne communication dans les deux sens. Elle peut par exemple demander l’opinion du Forum sur un de ses projets, ou encore, sur sa politique d’intégration, comme elle l’a fait récemment (le plan d’intégration pour les années 2003-2005). Le Forum, de son côté, après l’analyse de certains thèmes dans le cadre de la constitution des dossiers par les fédérations, peut soumettre des propositions à la Ville. Par conséquent, tous l e s immigrés vivant à Gand devraient pouvoir participer à la politique d’intégration de la Ville à travers le Forum. Il est donc important que les membres du Forum soient des personnes ayant des contacts avec toutes les communautés qu ’ elles représentent. Les principaux atouts du Forum sont, en premier lieu, d’être un organisme indépendant et, en deuxième lieu, que la Ville consulte ainsi plus facilement les immigrés. Toutefois, la Ville fait ce qu’elle veut des conseils du Forum : elle n’est pas obligée d’en tenir compte. La Ville donne plutôt l’illusion aux immigrés qu’ils ont quelque chose à dire, mais jusque-là, le Forum n’a rien obtenu de concret.