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Mini-lexique de la sobriété numérique

Illustration d'un ordinateur avec pleins d'indicateurs différents (durabilité, réparabilité, reconditionné)
© Céline Ollivier Peyrin - Métropole de Lyon

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En cette ère numérique, comment les acteurs de l’innovation technologique travaillent-ils à réduire l’empreinte énergétique de leurs inventions ?

Dès aujourd’hui, comme le monde de la « tech » cherche-t-il à faire de la notion de sobriété l’un des atouts des outils digitaux de demain ?

Entre impératif de réduction de nos consommations, et objectif de mise en œuvre d’une économie toujours plus circulaire, ce secteur, conscient du coût écologique de ses activités, explore déjà quelques pistes prometteuses…

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Date : 01/02/2023

L’expression « sobriété numérique » désigne la recherche d’un équilibre entre d’une part le déploiement et les usages des technologies de l’information et de la communication (TIC), et d’autre part la préservation de l’habitabilité de notre planète.

Le poids croissant de ces technologies a non seulement des implications énergétiques, avec une consommation effrénée et qui génère donc une empreinte carbone considérable, mais il suscite aussi un extractivisme intense en matières premières, et la production massive de déchets polluants en cours de fabrication et lors de la fin de vie de tous ces appareils.

Élaboré davantage comme une intention générale qu’une approche homogène, le terme de sobriété numérique renvoie à tout un ensemble de principes, de démarches ou de technologies à propos de la conception et des usages de nos systèmes techniques.

En voici un tour d’horizon, pour comprendre la diversité des possibles, et saisir le répertoire d’action à notre disposition.

 

 

Suivi énergétique : Parmi les voies explorées pour atteindre une sobriété numérique, c’est sans doute le déploiement de moyens de mesurer l’empreinte carbone qui a donné lieu au plus grand nombre de prototypes de recherche et d’entreprises en tout genre.

En premier lieu, la conception de dispositifs de quantification et de suivi, sur les compteurs ou via des applications mobiles, permettant à l’utilisateur lambda de se rendre compte de la consommation énergétique des différents appareils du quotidien, ou plus largement du foyer, mais aussi plus récemment de de la composition du mix électrique consommé.

L’objectif consiste en général pour les concepteurs de ces interfaces à ce que les usagers modifient leurs comportements de façon plus vertueuse, à la fois en prenant conscience de leur consommation énergétique, mais encore plus en les influençant au moyen d’incitations économiques, de récompenses diverses, ou d’une logique ludique (gamification). Les résultats restent encore mitigés d’après les enquêtes sur le thème.

Relevons néanmoins que si la conception et le déploiement de moyens de mesure, parfois nommés « calculateurs carbone », n’est pas suffisante pour amener à elle-seule une sobriété numérique, le recours à de tels outils demeure pertinent pour se rendre compte des enjeux, mais également agir plus concrètement sur la conception des médias numériques.

 

 

Conception centrée sur l’énergie : Si la conception de sites web, d’applications mobiles ou d’objets connectés a pendant longtemps reposé sur l’optimisation de la densité d’informations à présenter aux utilisateurs, de choix graphiques et d’enjeux de bande-passante, les designers numériques accordent une attention croissante au poids énergétique de leurs propositions.

Minimiser la consommation électrique nécessaire à la consultation de ces médias peut être pensé au niveau des sites et des applications eux-mêmes : on parle alors de design web à basse consommation (energy responsive design), comme dans le cas pionnier du Low-tech Magazine avec son site web hébergé sur un serveur alimenté par des panneaux solaires, et par conséquent conçu pour avoir besoin d’un minimum d’électricité.

Cette approche nécessite un traitement des images permettant une réduction de leur poids, un recours minimal aux couleurs et aux caractères typographiques inclus de base dans les navigateurs.

La conception centrée sur l’énergie peut également consister à créer des sites et applications qui s’adaptent à l’intermittence des connexions, ou à la qualité du réseau, et in fine atténuer la consommation électrique et ses impacts, par exemple à des débits différents.

Une telle conception adaptée au réseau (network-responsive design) propose notamment d’afficher des versions différentes suivant le type de connexion employé (5G, 4G, 3G, Wifi).

Le designer Gauthier Roussilhe propose enfin la notion de conception adaptée au carbone (« Carbon-responsive design ») pour désigner le fait de créer un contenu numérique dont l’allure et l’expérience évoluent suivant l’intensité carbone de l’électricité qui alimente le serveur les hébergeant.

Ce type de conception adaptative peut aussi permettre de repenser les infrastructures très gourmandes en énergie, comme le propose la méthode des batteries dites « informationnelles » (Information Batteries). Celle-ci propose de penser le fonctionnement des serveurs informatiques avec l’idée de stocker l’énergie sous forme d'informations, par exemple en hébergeant les résultats réalisés au préalable de tâches de calcul effectuées, en anticipant ceux qui seront effectués dans le futur. Il s’agit là d’une technique potentiellement pertinente pour diminuer la consommation électrique, ou afin de faire face à l'intermittence des énergies renouvelables.

 

 

Informatique contrainte (constrained computing) : Terme correspondant aux différents types de conception numérique à faible impact, reposant sur l’idée d’une prise en compte des contraintes dès la conception. On parle ainsi de numérique situé, pour désigner la prise en compte des contraintes en ressources énergétiques et infrastructurelles d’un territoire donné : la présence plus ou moins continue du soleil dans le cas du Low-Tech Magazine implique ainsi le fonctionnement intermittent de son site web.

 

Longévité matérielle et logicielle : Allonger la durée de vie du matériel informatique et des applications est un impératif pour atteindre l’objectif de sobriété numérique, ou plus largement ce que les chercheurs en informatique nomment Informatique décroissante (Degrowth computing), informatique bénigne (Benign computing) ou Permacomputing, par analogie avec la permaculture et sa vision holistique. Comme l’a montré une étude de l’ADEME, c’est à ce niveau que la grande majorité de l'empreinte carbone de l'industrie du numérique est générée, de l'extraction des matières premières à la fabrication, en passant par la gestion des déchets.

Un tel objectif peut d’abord se décliner sur le versant des usages, en incitant les utilisateurs à renouveler moins souvent leurs appareils, ou en contraignant les industriels sur ce point. Mais c’est également par la conception même des objets numériques qu’il peut être atteint. C’est l’objectif que se sont donné ingénieurs et designers promouvant cette idée d’une conception pour la longévité (design for longevity) encore très peu appliquée aux ordinateurs, consoles et autres objets électroniques, à l’exception notable du fabricant néerlandais de smartphone Fairphone.

C’est par contre dans le secteur de l’informatique professionnelle que ces questions sont les plus discutées, notamment autour de l’objectif de concevoir, déployer et maintenir des systèmes d’information durables.

Il est par exemple possible d’agir en modernisant les plateformes sans les changer entièrement, ou en faisant évoluer certaines composantes de ces systèmes, en s’assurant de leur compatibilité avec les dernières versions existantes, ou encore en s’interrogeant sur le bien-fondé du recours aux technologies de l’information et de la communication pour automatiser ou sous-tendre des activités diverses de notre quotidien.

Ces approches rejoignent en cela les tenants d’une dénumérisation plus ou moins intense, qui critiquent le poids croissant du numérique, en contradiction avec le contexte de crise environnementale.

 

 

Maintenance et réparation : Si les volets de la conception ou à propos des usages sont fondamentaux pour atteindre l’objectif de sobriété, il est également pertinent de prolonger la longévité du numérique, en lien avec les possibilités plus ou moins grandes d’intervention pour dépanner, entretenir ou reconditionner des appareils et des applications.

En complément des enjeux de régulation, par exemple autour du droit à la réparation souvent peu courant pour les objets numériques, ou de la mise en place d’indicateurs de réparabilité, promouvoir cette dimension de la maintenance implique une dimension technique de mise à disposition d’outils matériels ou logiciels pour pouvoir intervenir, ou encore d’une « conception pour le désassemblage » (Design for Disassembly) qui s’assure que tous les éléments d'un produit peuvent être désassemblés pour être réparés ou réutilisés.

Et si cette double intention existe dans les débats académiques sur ce thème, il s’agit enfin d’une opportunité entrepreneuriale à saisir pour des organisations qui se limitent actuellement à des PME et des boutiques de quartier.

 

Réutilisation : Au-delà des questions d’entretien des objets numériques, une piste suscitant un intérêt croissant consiste à réutiliser des machines ou leurs pièces détachées, et surtout à concevoir les prochaines générations d’ordinateurs et autres objets connectés comme favorisant cette forme de réutilisation.

Un tel objectif correspond par exemple à la création de chaînes de production d’objets numériques avec des pièces détachées de machines antérieures, parfois de manière stricte, comme le propose de façon radicale les tenants d’une informatique de récupération (salvage computing), ou parfois de façon partielle, en combinant composants recyclés et pièces détachées nouvelles.

Pour les ingénieurs et designers, il peut s’agir aussi d’imaginer une conception encourageant son hacking, plus connue sous le vocable de design for hackability. Les objets techniques sont ainsi pensés de telle sorte à ce que ceux-ci, ou leurs composants conçus de manière modulaire, donc interchangeables, puissent être réemployés dans d’autres buts.

 

 

Low-tech : Qualificatif qui décrit la volonté d’adopter un idéal de simplicité et de se mettre en conformité avec les limites planétaires. Et en particulier de produire des objets techniques ou des services plus économes en ressources matérielles et énergétiques, moins polluantes, plus maîtrisables en termes de maintenance, de réparation, de transformation. Donc à envisager des trajectoires plus pérennes.

Le terme s’est progressivement construit en opposition au qualificatif de « high-tech » longtemps considéré avec une connotation positive sans égards aux injustices sociales ou environnementales sur lesquelles l’innovation technologique s’appuie. L’intention générale consiste ici à repenser l’équilibre entre performance et technicité, en choisissant des voies sans doute plus rudimentaires. Prenant le relai de propositions antérieures, comme celles de technologies conviviales ou libératrices, l’intérêt pour cette logique de développement à basse intensité s’est renforcé depuis une dizaine d’années au travers de différents textes dont les ouvrages de l’ingénieur Philippe Bihouix, ou des initiatives telles que le Low-Tech Magazine.

Le mérite principal de cette notion réside dans sa capacité à interroger des déséquilibres flagrants causés par le développement technologie à tout crin. Il s’agit donc de la considérer moins dans une logique binaire d’opposition au high-tech que comme moyen de discuter collectivement sur la place à accorder aux objets et aux infrastructures techniques dans nos sociétés contemporaines.

C’est la raison pour laquelle les débats en matière de conception ou d’innovation se situeront moins à l’avenir sur le bien-fondé ou non d’un objectif « low-tech », qu’à propos du comment l’atteindre, avec par exemple dans le champ du numérique le répertoire de pistes décrit dans ce court lexique.