Adaptation au changement climatique : quels principes clés ?
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En quoi consiste l’adaptation et pourquoi prend-elle une forte dimension territoriale ?
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Comme le rapporte le chercheur américain Ben Orlove dans un article retraçant l’évolution du concept d’adaptation au changement climatique (Orlove, 2022), dès les premières mobilisations de chercheurs, de responsables publics et d’organisations de la société civile autour de la menace du changement climatique à la fin des années 1970, s’exprime la nécessité de « prendre des mesures pour faire face aux risques ou aux impacts du changement climatique qui se produiraient dans le futur ou qui commençaient déjà à se produire dans le présent ». Utilisé depuis le 19e siècle pour décrire différents processus biologiques, psychologiques et sociaux, le terme « adaptation » va rapidement cristalliser cet autre versant de l’action climatique.
Pour autant, l’adaptation aux impacts du changement climatique est longtemps restée dans l’ombre de l’enjeu de réduction des émissions de gaz à effet de serre (atténuation, ou mitigation en anglais).
Présente dans les travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) dès sa création à la fin des années 1980, il faut attendre 2001 pour qu’un groupe de travail dédié à l’adaptation soit constitué.
Les débats resteront vifs sur le bien-fondé de considérer sur un pied d’égalité atténuation et adaptation, à la fois parce qu’il semble logique de donner la priorité à la réduction des émissions afin de réduire l’ampleur de la menace climatique globale, et parce qu’existe la crainte que les efforts en faveur de l’adaptation se fassent justement au détriment de ceux en matière d’atténuation.
Toutefois, avec les manifestations de plus de plus fortes des impacts du changement climatique année après année, et le développement des travaux scientifiques visant à intégrer dans un même cadre d’analyse les enjeux d’atténuation et d’adaptation, la nécessité de l’adaptation en tant qu’objectif structurant des politiques climatiques finit par s’imposer. 2007 marque une étape importante avec l’apparition d’une formule qui va cristalliser la complémentarité entre atténuation et adaptation : éviter l’ingérable et gérer l’inévitable (Holdren et coll., 2007).
En 2015, l’Accord de Paris enfonce le clou à travers son article 7 qui définit un « objectif mondial en matière d’adaptation » visant à « renforcer la capacité d’adaptation, à renforcer la résilience et à réduire la vulnérabilité au changement climatique ». L’Accord de Paris oblige les pays à s’engager dans des processus de planification de l’adaptation et stipule que les pays doivent soumettre et mettre à jour périodiquement des communications sur l’adaptation. Il reconnaît la nécessité d’un financement et d’un soutien technique pour l’adaptation, en particulier dans les pays en développement.
Comme le démontrent les travaux du GIEC (IPCC en anglais), les concepts d’atténuation et d’adaptation font l’objet d’un solide consensus scientifique et peuvent être définis de la manière suivante :
L’atténuation du changement climatique (IPCC, 2022a) : elle recouvre les actions de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) et d’élimination des GES présents dans l’atmosphère par la préservation et le développement des puits de carbone naturels (forêts) ou artificiels (technologies de captage et de stockage du CO₂). En ligne avec l’Accord de Paris, l’objectif d’atténuation consiste, à l’horizon de la seconde moitié du siècle, à réduire les émissions anthropiques de GES pour atteindre le zéro net (les émissions résiduelles sont compensées par les puits de carbone).
L’adaptation au changement climatique (IPCC, 2022b) : elle désigne le processus d’ajustement au climat réel ou prévu et à ses effets, afin d’en atténuer les dommages ou d’exploiter les opportunités potentielles pour les sociétés humaines et les systèmes naturels. Le GIEC précise que l’intervention humaine peut faciliter le processus d’ajustement des systèmes naturels au changement climatique.
Parce que l’atténuation s’attaque aux causes du changement climatique et l’adaptation à ses conséquences, la première est souvent jugée prioritaire à la seconde. Il semble pourtant important de souligner que l’atténuation et l’adaptation sont non seulement complémentaires, mais indissociables et non substituables.
L’atténuation vise à éviter l’ingérable : Les travaux scientifiques montrent que la poursuite du réchauffement climatique au-delà de 2 °C pourrait se traduire par des impacts d’une ampleur et d’une imprévisibilité telles qu’ils pourraient dépasser les capacités d’adaptation des sociétés humaines et des systèmes naturels (voir plus bas la notion de « limites à l’adaptation » au changement climatique). Contenir d’ici à 2100 le réchauffement climatique nettement en dessous de 2 °C tel que le prévoit l’Accord de Paris a ainsi pour objectif ultime de préserver l’habitabilité de la planète pour l’humanité et l’ensemble du vivant.
L’adaptation vise à gérer l’inévitable : le climat actuel et ses évolutions jusqu’en 2050 sont largement déterminés par les quantités de GES qui ont déjà été envoyées dans l’atmosphère jusqu’à présent. Compte tenu de ce phénomène d’inertie, tout l’enjeu de l’adaptation est de se préparer à ces aléas inéluctables afin d’en réduire les impacts négatifs pour les sociétés et les écosystèmes. Du reste, parce que les impacts du changement climatique peuvent constituer un frein aux efforts d’atténuation, par exemple en entraînant des coûts venant grever les investissements dans la transition énergétique, l’adaptation est aussi une condition facilitant la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Si l’adaptation vise à réduire les risques climatiques pesant sur les sociétés et les écosystèmes, que signifie au juste cette notion de risque ? Dans la terminologie du GIEC (IPCC, 2022c), elle correspond au « potentiel de conséquences néfastes pour les systèmes humains ou écologiques », comprenant « celles sur les vies, les moyens de subsistance, la santé et le bien-être, les actifs et investissements économiques, sociaux et culturels, les infrastructures, les services (y compris les services écosystémiques), les écosystèmes ».
Quels facteurs influencent le niveau de risque climatique ? L’amplification des aléas climatiques bien sûr, mais pas seulement. Les travaux du GIEC considèrent en effet que le risque résulte des interactions entre trois composantes (IPCC, 2022c) :
L’évaluation du risque climatique s’avère particulièrement complexe en raison du caractère dynamique et de la disparité spatiale des aléas, de l’exposition et de la vulnérabilité, et des interactions entre eux (IPCC, 2022c). Alors que les aléas sont soumis à une incertitude en termes d’ampleur et de probabilité d’occurrence, l’exposition et la vulnérabilité peuvent changer elles aussi en raison des changements socio-économiques.
La géographie des aléas (l’exposition et la vulnérabilité) s’avère quant à elle extrêmement hétérogène d’un territoire à l’autre, au sein d’un territoire et même d’individu à un autre. De plus, l’exposition et la vulnérabilité d’un territoire peuvent être indirectes en raison des échanges économiques mondiaux : par exemple, l’accès à tel produit dans tel territoire peut être affecté par un aléa climatique touchant en amont la fabrication de ce produit à l’autre bout de la planète. Pour tenir compte des réalités du terrain, il est donc essentiel de territorialiser les stratégies d’adaptation au changement climatique.
Enfin, la complexité du risque climatique résulte des effets de combinaison et de cascade dans les interactions aléas, exposition et vulnérabilité. Le changement climatique apparaît comme un multiplicateur de risques susceptible d’exacerber les risques existants et les crises en cours. Plusieurs événements climatiques récents ont montré comment un événement unique peut se répercuter en cascade d’un système ou d’une région à l’autre. Ces cascades de risques sont d’autant plus probables lorsque surviennent plusieurs aléas climatiques simultanément ou de manière successive.
Dans ce contexte, les stratégies d’adaptation visent à réduire le niveau de risque climatique en mobilisant différents leviers permettant de (Haut Conseil pour le Climat, 2021) :
Plus concrètement, l’action d’adaptation peut prendre différentes formes (Centre de ressources pour l’adaptation au changement climatique). On distingue par exemple, les actions dures qui mobilisent l’ingénierie lourde (ex. : ouvrages de gestion d’eau, rénovation du bâtiment), les actions douces qui relèvent de réponses financières ou politiques (ex. : évolution des normes de construction), et les actions vertes qui s’appuient sur la nature et le bon fonctionnement des écosystèmes (ex. : végétaliser une place pour rafraîchir). Ces dernières figurent parmi les actions « sans regrets » permettant de contribuer simultanément aux objectifs d’atténuation et d’adaptation (voir partie suivante).
Par ailleurs, l’adaptation ne consiste pas seulement à mettre en œuvre des actions dédiées à cette finalité (« projets d’adaptation »). Il est tout aussi essentiel d’intégrer l’adaptation dans des projets dont la finalité première est tout autre (Dépoues, 2022), c’est-à-dire prendre en compte systématiquement les évolutions du climat dans les choix stratégiques et de conception de manière à concevoir des « projets adaptés » (par exemple, des projets d’investissements dans des infrastructures et des bâtiments).
Enfin, l’adaptation peut recouvrir différents niveaux d’intervention (Haut Conseil pour le Climat, 2021). Si l’adaptation incrémentale procède par actions ponctuelles et sectorielles sans modifier fondamentalement le système (par exemple, mettre en place une digue face à la montée des eaux et aux inondations côtières), l’adaptation transformative engage des modifications structurelles pour agir à la racine de l’exposition et de la vulnérabilité (par exemple, abandonner des bâtiments situés en bord de mer et les relocaliser à l’intérieur des terres).
Or, si les actions d’adaptation à l’œuvre sont largement incrémentales, la poursuite du réchauffement climatique va de plus en plus nécessiter la mise en place d’action de nature transformationnelle (IPCC, 2022c).
Les impacts des actions d’atténuation et d’adaptation ne sont pas étanches. Certaines mesures en faveur de l’atténuation peuvent se révéler contre-productives au plan de l’adaptation, et inversement. On distingue ainsi les situations de :
Ainsi, un nombre croissant de travaux encourage aujourd’hui à décloisonner atténuation et adaptation afin d’éviter de désastreux et coûteux effets contre-productifs, mais aussi (et surtout) pour exploiter leurs multiples synergies potentielles (Adaptation Commitee, 2022). Par exemple :
À l’issue de ce tour d’horizon, rappelons que les impacts climatiques vont continuer de s’accroître tant que la concentration atmosphérique de GES continuera d’augmenter à l’échelle mondiale, c’est-à-dire tant que ne sera pas atteinte la neutralité carbone. Or, comme indiqué plus haut, repousser cet objectif de neutralité carbone à plus tard au motif qu’il sera possible de s’adapter à n’importe quel niveau de changement climatique serait une grossière erreur.
La capacité de l’adaptation à réduire les risques climatiques peut atteindre des limites. Selon le vocable du GIEC (IPCC, 2022c), celles-ci désignent « le point à partir duquel les objectifs d’un acteur (ou les besoins du système) ne peuvent pas être garantis contre les risques intolérables par des mesures d’adaptation ». Elles aussi dynamiques et hétérogènes selon les territoires, ces limites peuvent être « relatives » lorsque des solutions d’adaptation existent, mais ne sont pas encore disponibles (en raison de différentes contraintes) pour éviter les risques intolérables : par exemple, des personnes vulnérables peuvent connaître un risque mortel lié aux vagues de chaleur parce qu’elles n’ont pu isoler leur logement contre les canicules.
Les limites à l’adaptation peuvent être absolues (ou dures) dans les situations où aucune action d’adaptation n’est possible pour éviter les risques intolérables : par exemple, la montée des eaux peut rendre entièrement inhabitables certaines îles et entraîner la perte d’un héritage socioculturel et d’un écosystème spécifique.
Si les limites à l’adaptation soulignent encore une fois l’importance cruciale des efforts d’atténuation pour éviter les situations où l’adaptation est irréalisable, elles ont également des conséquences sur les négociations climatiques dans le cadre des COP. Sous la pression des pays en développement, globalement plus exposés et vulnérables aux impacts climatiques (et beaucoup moins responsables des émissions de GES accumulées), la communauté internationale a reconnu le principe des « pertes et dommages » (loss and damage), c’est-à-dire le fait que certains impacts sont si graves ou irréversibles qu’ils ne peuvent être maîtrisés par l’adaptation et doivent être appréhendés comme un pilier de l’action climatique distinct de l’atténuation et de l’adaptation (Orlove, 2022).
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