Adaptation au changement climatique : quels principes clés ?
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En quoi consiste l’adaptation et pourquoi prend-elle une forte dimension territoriale ?
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Interview de Julie Roussel
Docteure en aménagement et urbanisme, Julie Roussel est cheffe du département Adaptation au changement climatique au sein de direction de la Transition écologique et du Climat de la Ville de Paris.
Dans cet entretien, elle met en lumière les impacts en cascade découlant des vagues de chaleur extrême, principal risque climatique pour le territoire parisien.
Si l’adaptation au changement climatique fait l’objet d’une forte impulsion politique et de nombreux dispositifs d’intervention, en écho aux attentes des habitants, les défis à relever sont de grande ampleur.
Ils invitent à la fois à une grande efficacité et une grande humanité d’action, pour déployer massivement les solutions disponibles tout en apportant un accompagnement prioritaire aux populations les plus vulnérables face aux climats futurs.
Et si tout ne peut être adapté techniquement, l’évolution des modes de vie offre un potentiel d’adaptation important qui reste encore à concrétiser.
Les impacts du changement climatique deviennent un sujet de plus en plus prégnant à Paris avec notamment l’intensification des vagues de chaleur depuis une dizaine d’années. Que peut-on dire de l’appropriation politique de l’enjeu d’adaptation ?
Même si elle représente une politique publique encore jeune, l’adaptation au changement climatique n’est pas un sujet nouveau pour la Ville de Paris. Depuis le premier plan climat de 2007, encore non réglementaire à l’époque, la municipalité a mené plusieurs diagnostics de risques climatiques et élaboré plusieurs plans d’adaptation successifs. Ces travaux ont permis une montée en compétences et une mobilisation croissante des élus sur le sujet en leur mettant à disposition une photographie de plus en plus étoffée des enjeux pour le territoire et ses habitants, des vulnérabilités les plus saillantes et leurs effets en cascade.
C’est par exemple comprendre que le réseau électrique présente une faiblesse à tel endroit du réseau électrique qui pourrait avoir de multiples conséquences, comme une coupure de courant chez des habitants dépendant d’appareils électriques pour leur santé. Ces éléments de diagnostic permettent ainsi aux élus de prendre à bras le corps la nécessité de l’adaptation à long terme, mais aussi à court terme à travers des mesures à déployer dès à présent dans le cadre de leur mandat. J’ajoute qu’un effort important de mise en forme pédagogique des grands enseignements des diagnostics est apporté pour les rendre accessibles aussi bien aux élus qu’au grand public.
Un autre élément moteur de l’attention portée par les élus au sujet de l’adaptation est que ce dernier occupe une place croissante dans les préoccupations des Parisiens et des Parisiennes. Le succès des réunions publiques sur le sujet ou les multiples projets proposés par les habitants pour adapter telle rue ou tel bâtiment lors du budget participatif en témoignent très clairement. Pour les élus, c’est évidemment le signal qu’il y a du sens à mettre davantage de moyens sur l’adaptation au changement climatique.
Il faut mentionner enfin la Mission d’Information et d’Évaluation (MIE) « Paris à 50 °C » impulsée par Alexandre Florentin et Maud Lelièvre, qui sont conseiller-e-s de Paris. Ce travail est important pour plusieurs raisons. Parce qu’il est porté par deux élus disposant d’une expertise et d’une conscience aiguë du sujet de l’adaptation. Parce que la MIE se voulait transpartisane en réunissant des élus de tout bord. Et enfin parce que la MIE se positionnait dans une logique d’évaluation, de mise en perspective à la fois des enjeux d’adaptation aux vagues de chaleur et de l’action déployée par la municipalité pour y répondre. Ces travaux ont eu un réel écho et contribuent à rendre le sujet de l’adaptation aux vagues de chaleur incontournable aux yeux de l’ensemble des élus, en mettant en lumière toutes les actions à l’œuvre, mais aussi les marges de progrès.
Finalement, il y a deux points qui me semblent résumer la situation en matière d’appropriation politique. Désormais ce sont les élus qui sont en demande à l’égard des services pour avancer en matière d’adaptation alors que c’était plutôt l’inverse il y a quelques années. Ensuite, les élus ont bien compris que l’adaptation offrait davantage de prise que l’atténuation à l’échelle d’une ville comme Paris. L’adaptation se joue avant tout localement en fonction des enjeux et des leviers spécifiques au territoire et ses bénéfices profitent directement à ce dernier. Ce n’est pas un hasard si le prochain Plan Climat qui sera adopté en fin d’année donne une place centrale à l’adaptation. C’est un vrai parti-pris pour démontrer l’urgence de la question et l’ampleur des moyens à mobiliser pour y répondre.
L’évaluation des risques climatiques concernant le territoire parisien a été actualisée en 2021. Quel horizon temporel et quels scénarios climatiques ont orienté ce travail de diagnostic ?
Pour ce travail de diagnostic lancé en 2020, nous avons collaboré avec plusieurs experts et chercheurs et entre autres avec Robert Vautard de l’Institut Pierre-Simon Laplace. La Ville de Paris a opté pour une actualisation des projections climatiques à partir de la base de données du projet CMIP6 du programme mondial de recherche sur le climat (WCRP). Les résultats des recherches basées sur ces simulations sont pris en compte dans l’évaluation de l’état des connaissances sur le climat par le groupe intergouvernemental d’experts sur le climat (GIEC) et ont alimenté son 6e rapport d’évaluation publié en 2021.
Plus précisément, ces travaux permettent de définir toute une gamme de trajectoires socioéconomiques, appelées SSP pour Shared Socio-economic Pathways en anglais, qui constituent des visions plus ou moins durables du monde futur en fonction notamment des efforts d’atténuation et d’adaptation consentis par la communauté internationale. Chaque SSP aboutit à un certain niveau de réchauffement climatique.
Dans le cadre du diagnostic, il a été décidé de retenir 3 SSP à même d’illustrer le panel des futurs possibles et des incertitudes pour la ville de Paris. Le SSP1 - 2.6 correspond à un scénario volontariste en matière de développement durable et à une augmentation contenue de la température aux alentours de 2 °C à la fin du siècle. Le SSP2-4.5 correspond à un scénario intermédiaire caractérisé par la poursuite des tendances actuelles à un niveau de réchauffement aux alentours de +2,7 °C. Le SSP5-8.5 quant à lui illustre le scénario du « pire », marqué par l’absence de politique climatique et donc de fortes émissions de gaz à effet de serre, ce qui aboutit à un réchauffement supérieur à +4 °C.
Le diagnostic de 2021 offre ainsi à la fois une photographie du climat actuel au regard du climat passé, ainsi que des projections climatiques à l’horizon 2030, 2050 et 2085. Il permet de croiser les différents aléas climatiques actuels et futurs avec les grands systèmes qui composent le territoire parisien : réseaux énergétiques, cycle de l’eau, parc bâti, espaces publics, transport, santé publique, etc.
Au-delà de l’objectivation des aléas climatiques, la plus-value de ce type de diagnostic ne réside-t-elle pas d’abord dans l’analyse des vulnérabilités et des seuils de rupture propres à chaque système impacté (réseaux, bâtiments, santé publique…) ?
L’analyse climatique est un prérequis pour mener un diagnostic dont l’objectif central en effet est de comprendre les impacts du changement climatique sur les différents systèmes. Ce qui nous intéresse ce n’est pas de savoir qu’il fera 42 °C en 2040, mais d’anticiper les conséquences possibles d’un tel niveau de température : quel surcroît de mortalité ? Quel impact sur la capacité de fonctionnement des hôpitaux ? etc.
Les projections climatiques sont donc indispensables pour pouvoir les croiser avec la sensibilité des différents systèmes et aboutir à un indice de risque. Ce qui permet de dire par exemple que les hôpitaux présentent un risque élevé face aux vagues de chaleur, mais beaucoup plus faible sur l’aléa inondation. C’est en procédant de la sorte que l’on peut prioriser l’action municipale sur les systèmes qui concentrent les risques climatiques et construire un plan d’action spécifique.
Les projections climatiques ont aussi un rôle important à jouer en matière de sensibilisation des acteurs du territoire, et notamment des habitants. Cela permet par exemple d’expliquer lors de réunions publiques qu’une vague de chaleur à 37 °C que l’on a connu l’été dernier est bien en deçà des températures que l’on pourrait connaître dans quelques années. Ces projections permettent ainsi aux habitants de se projeter dans les climats futurs, ce qui peut être source d’inquiétude lorsque l’on souffre déjà de la chaleur.
Alors qu’une étude de 2023 avait montré que Paris était la capitale européenne la plus mortelle en cas de canicule, la chaleur est-elle le principal risque climatique pour la capitale ?
Les vagues de chaleur constituent clairement le risque le plus significatif au regard des projections climatiques. C’est la chaleur à tous les étages si je puis dire ! Elle met à risque nos dispositifs d’accompagnement social qui apparaissent insuffisants pour aider toutes les personnes vulnérables qui en auront besoin, à commencer par celles qui sont à la rue et sont directement exposées au risque de mourir de chaleur.
De même, les bâtiments parisiens, que ce soient des logements, des bâtiments publics ou des bureaux, n’ont pas été construits pour être adaptés à de fortes chaleurs. Suite aux travaux de la Mission d’Information et d’Évaluation « Paris à 50 °C », on ne parle plus seulement de confort d’été, mais d’habitabilité estivale pour avoir une vision plus large des conditions qui font qu’un bâtiment répond aux usages attendus. Cela renvoie à toute la question de la rénovation du parc bâti existant.
La chaleur fait également peser des risques physiques sur tous les réseaux d’infrastructures : routes, voies ferrées, électricité, eau… Une rupture du réseau électrique peut par exemple entraîner un arrêt des infrastructures de distribution d’eau. De même, les revêtements de voirie peuvent fondre et empêcher les déplacements. Le risque pèse aussi sur les usages eux-mêmes. Qu’est-ce que ça veut dire prendre le bus quand il fait 40 °C à Paris ? Est-ce que l’on veut mettre la clim dans tous les bus ?
Qu’en est-il du risque d’inondation ?
C’est l’autre risque climatique majeur. Les projections indiquent que nous devons nous préparer à des volumes des précipitations stables sur l’année, mais concentrées sur des épisodes pluvieux plus intenses car moins nombreux. Lorsque l’on parle d’inondation, on pense bien entendu au risque de débordement de la Seine. Mais il est important également d’avoir en tête le risque d’inondation par ruissellement, lorsque les quantités de pluie sont telles qu’elles ne peuvent être absorbées par les systèmes d’évacuation d’eaux de pluie.
Ce risque pointe le fait que la surface de Paris est encore largement imperméable. De plus, la capacité d’absorption des sols est moindre lorsque les pluies font suite à des épisodes de sécheresse. C’est la raison pour laquelle la Ville mise fortement sur la désimperméabilisation et la végétalisation des sols pour répondre à la fois au besoin de rafraîchissement, d’évacuation des eaux de pluie et de préservation de la biodiversité.
Quelles sont les principales briques de l’action de la Ville de Paris pour répondre aux risques soulevés par les vagues de chaleur ?
Comme je l’évoquais précédemment, l’adaptation est un volet du plan climat que la Ville a fortement investi depuis une dizaine d’années. Cela a permis de construire plusieurs volets d’intervention. Un Plan Paris frais maillant le territoire de plus de 1 400 îlots de fraîcheur urbains dans Paris, que ce soit des espaces verts ou des lieux frais ouverts au public. Un Plan Arbre visant un objectif de plantation de 170 000 arbres et la renaturation de 30 hectares d’ici 2026, avec une attention particulière quant au choix des arbres.
Par ailleurs, le Plan Climat prévoit le développement des espaces ombragés, la création de cinq nouveaux espaces de baignades ou encore la mise à disposition de 1 200 fontaines d’eau potable sur l’espace public. Il prévoit aussi la prise en compte de l’habitabilité estivale et l’amplification du rythme de rénovation thermique des bâtiments.
De manière plus emblématique, l’adaptation à Paris c’est aussi le déploiement des écoles Oasis, c’est-à-dire des cours rénovées proposant des espaces plus naturels, davantage de végétation, une meilleure gestion de l’eau de pluie et des points d’eau, des aménagements plus ludiques et adaptés aux besoins des enfants.
Certaines cours accueillent également un public plus large en dehors des temps éducatifs, et peuvent devenir notamment des « refuges » pour les personnes vulnérables durant les vagues de chaleur. Ces cours Oasis trouvent leur prolongement à travers la piétonnisation, la désimperméabilisation et la végétalisation des rues qui les desservent. Sachant que nous avons 750 écoles, on mesure l’effet de levier de ce type d’action lorsque nous l’aurons déployé sur l’ensemble du territoire parisien.
Enfin, on peut mentionner l’accompagnement des plus vulnérables avec le dispositif Reflex. Les personnes âgées, malades ou isolées, peuvent s’inscrire au dispositif afin d’être contactées par téléphone en cas de déclenchement du Plan Canicule pour s’assurer de leur état de santé et envisager une aide si nécessaire. Aujourd’hui, plus de 10 000 personnes sont inscrites dans ce fichier et bénéficient d’une aide personnalisée en cas de forte chaleur.
Comment éviter un scénario de climatisation individuelle généralisée des bâtiments à l’avenir à Paris ?
Il faut souligner tout d’abord à quel point l’habitabilité estivale des bâtiments dans un climat plus chaud a longtemps été un impensé de la réglementation de la construction neuve et de la rénovation, et des acteurs de la construction eux-mêmes, avec de nombreux exemples de bâtiments récents inadaptés au changement climatique. Nous avons longtemps regardé ailleurs, fascinés par la promesse de confort hi-tech de bâtiments étanches régulant automatiquement la température. Mais on se rend compte qu’au moindre coup de chaud, le fait de ne pas pouvoir ouvrir les fenêtres lorsque la climatisation ne fonctionne pas est un sacré problème !
Du côté de la rénovation thermique des bâtiments, nous sommes confrontés à Paris à la contrainte patrimoniale. C’est un sujet que la MIE a longuement discuté avec le Comité du vieux Paris, avec les Architectes des Bâtiments de France. Lorsque l’on propose de mettre des pavés enherbés plutôt que de l’asphalte, de repeindre les toits en blanc, de végétaliser les façades ou de les isoler par l’extérieur pour faire face à la chaleur, on nous oppose l’impératif de préservation de l’identité esthétique de la ville de Paris.
Donc pour répondre à votre question, si l’on ne prend pas à bras le corps cette question de l’habitabilité estivale alors oui, nous aurons une climatisation massive, car ce sera une condition de survie pour de nombreux habitants. On sait que ce scénario serait une catastrophe en termes d’élévation des températures en ville en raison de la chaleur rejetée par les climatiseurs, mais pour l’instant la réponse de la puissance publique en France n’est pas en mesure de l’éviter.
On sait que la rénovation des bâtiments est un levier clé de l’atténuation du changement climatique. Mais à vous entendre, elle devient finalement une urgence vitale du point de vue de l’adaptation ?
Absolument ! Les passoires thermiques ne posent pas seulement problème parce qu’elles entraînent une surconsommation d’énergie et des factures excessives pour leurs occupants. Elles sont aussi un facteur d’augmentation du nombre de décès lors des vagues de chaleur. La rénovation thermique des bâtiments est donc un enjeu sanitaire de premier plan.
Ne pas isoler massivement les bâtiments, et en premier lieu les logements des personnes les plus vulnérables, c’est-à-dire celles qui n’ont pas d’alternatives — résidence secondaire, famille… — pour quitter Paris pendant l’été, revient donc à laisser un nombre croissant de personnes exposées à un risque sanitaire aigu.
Comment changer de braquet sur ce sujet ?
Les collectivités ont évidemment un rôle clé à jouer pour rénover leur parc de bâtiments publics et soutenir les efforts de rénovation des propriétaires privés. Mais on voit bien qu’il s’agit d’un sujet qui les dépasse largement. Cela implique de définir un plan de rénovation global au niveau national, avec des échéances claires à 2030, 2040… et des leviers de financement à la hauteur des enjeux. Sur le financement, il y a un point de vigilance à avoir pour éviter que l’adaptation ponctionne les budgets consacrés à d’autres enjeux clés comme la mise en accessibilité des bâtiments publics pour les personnes en situation de handicap.
Il faut aussi faire en sorte que tous les acteurs tirent dans le même sens. À Paris, les considérations esthétiques des bâtiments prévalent jusqu’à présent sur les questions de santé publique. Mais jusqu’à quand cette position est-elle tenable ? Jusqu’à quand va-t-on accepter les niveaux de surmortalité ou d’entrée aux urgences d’enfants vivant dans des logements en surchauffe tels que le mesure chaque année Santé publique France ? Il devient urgent que l’ensemble des acteurs publics aient la même feuille de route en matière d’adaptation au changement climatique, y compris les Architectes des Bâtiments de France, qui doivent mieux prendre en compte cette question pour l’adaptation des centres urbains à forte valeur patrimoniale.
Comment cibler cet effort de rénovation sur le territoire ?
La ville de Paris a engagé un travail de cartographie des vulnérabilités pour identifier de manière précise à la fois les bâtiments qui semblent déjà robustes face à la chaleur ou aux inondations, ou dont le besoin d’adaptation apparaît limité, et les bâtiments qui, à l’inverse, concentrent les risques au regard des fonctions et des caractéristiques du bâti, de l’état de santé et de précarité des occupants, etc.
Ce diagnostic d’envergure n’est pas simple, car il implique de croiser beaucoup de données. Mais il est indispensable pour apporter aux élus des éléments de chiffrage du coût de l’adaptation et donc leur permettre de mieux prendre la mesure des besoins de financement. Il vise aussi à leur donner des critères de ciblage des lieux à adapter en priorité — insalubrité, surchauffe, pauvreté et santé dégradée des habitants… — a contrario d’autres bâtiments où bon nombre de leurs habitants ont une résidence secondaire.
Les enjeux d’adaptation sont nombreux et d’ampleur… Peut-on tout adapter aux climats futurs ? N’y-t-il pas des limites à l’adaptation ?
Les risques climatiques qui se présentent à nous mettent à l’épreuve notre capacité d’adaptation et donc ses limites… Cette idée de limites à l’adaptation n’est pas nouvelle. Les travaux du GIEC évoquent le fait que, dans certaines situations, l’action adaptative n’est plus en mesure de protéger contre les risques climatiques. Pour revenir au contexte parisien, il semble illusoire de penser que l’on sera en mesure de tout adapter techniquement, de remplacer ou de modifier tout ce qui pourrait l’être pour le rendre fonctionnel sous de très fortes chaleurs.
Il y a plusieurs limites. Une limite technique lorsqu’une action adaptative — par exemple, mettre des volets et repeindre les toits en blanc — n’est plus suffisante au-delà d’un certain niveau de chaleur. Une limite économique au regard des coûts d’investissement. Une limite en matière de gestion de projets. Adapter la ville, cela veut dire impulser et soutenir de front une multitude d’actions sur tout le territoire. Or notre capacité à faire rencontre elle aussi des limites. On peut ajouter une limite en matière de disponibilité des matériaux et de la main-d’œuvre pour réaliser l’ensemble des travaux.
Parler de limites à l’adaptation peut être vécu comme un constat d’échec pour les collectivités en charge de l’adaptation de leur territoire. C’est difficile de communiquer sur cet aspect de l’adaptation. Comment évoquer que certains bâtiments devront être abandonnés, au moins une partie de l’année, parce qu’ils s’avèrent trop coûteux ou impossibles à être adaptés ?
C’est pour cela qu’une partie de l’adaptation se joue dans l’évolution des modes de vie à certaines périodes de l’année. Par exemple, on sera sans doute amené à nous déplacer différemment ou à moins nous déplacer lors des épisodes de fortes chaleurs. De même, les fermetures d’école pourraient obliger les parents à travailler à la maison pour pouvoir garder leurs enfants. On peut penser aussi à l’eau : est-ce que l’on est prêt à raccourcir ou à prendre moins de douches en cas de stress hydrique aigu, alors que c’est précisément le moment où l’on a besoin d’en prendre davantage ? Parler des modes de vie soulève évidemment la question des leviers pour les faire évoluer, des plus softs aux plus coercitifs…
Ce volet « évolution des modes de vie » paraît encore peu visible dans les politiques d’adaptation au changement climatique…
En effet, il est encore difficile à mettre en lumière et, plus encore, en œuvre. Mettre en place des dispositifs permettant aux habitants de faire autrement s’avère pour le moins ardu. Il est difficile de changer les habitudes si les personnes n’ont pas envie, pas le temps, si elles n’y sont pas obligées… Parce exemple, inciter les personnes en télétravail dans des logements non adaptés à se rendre dans un espace de coworking climatisé pour se protéger de la chaleur ne vas pas de soi si cela est perçu comme une perte de confort ou de temps.
C’est difficile également de faire venir les personnes plus vulnérables dans les salles de fraîcheur ouvertes par la Ville de Paris. Si on ne va pas chercher les personnes chez elles, ça ne marche. Cela questionne directement nos politiques d’accompagnement social. Il faut considérer que, face au changement climatique, il y a des personnes qui ne peuvent pas se prendre en main : les personnes âgées, en situation de handicap physique ou mental, souffrant de problèmes psychologiques… Or mettre en avant ce besoin social va plutôt à l’encontre de la tendance que l’on observe dans le service public ces dernières années à réduire les moyens humains en relation directe avec les usagers.
En matière de gestion de crise, la Ville a réalisé un exercice « Paris à 50 °C » en octobre 2023. De quoi s’agit-il et quels enseignements en ressortent ?
Sous l’impulsion de l’adjointe en charge de la résilience et de l’adjoint en charge du climat, la Ville de Paris a organisé l’exercice de crise « Paris à 50 °C » dans deux arrondissements le 13 octobre 2023, avec l’objectif est de renforcer la préparation des acteurs parisiens aux canicules extrêmes par une mise en situation grandeur nature.
L’idée de cet exercice de crise découle d’échanges avec les scientifiques Jean Jouzel et Robert Vautard en 2021. Nous étions dans le contexte du dôme de chaleur avoisinant les 50 °C que venait de subir la côte ouest-canadienne. Ils étaient fortement préoccupés par cet évènement qui apparaissait inattendu au regard des projections climatiques existantes. On ne pouvait imaginer qu’il se produirait un tel évènement climatique dès 2021. C’est à ce moment-là qu’ils nous ont recommandé de nous préparer à ce type de situation. Les élus se sont tout de suite saisis de l’idée.
Nous avons donc demandé aux scientifiques d’élaborer un scénario climatique pour réaliser l’exercice de crise. Concrètement, il s’agissait de se confronter à un pic à 50 °C, précédé et suivi de plusieurs semaines à 40 °C. On comprend dès lors que ce que l’on a à gérer ce n’est pas seulement le pic à 50 °C, mais une période de canicule beaucoup plus longue.
À partir de ce scénario climatique, avec les services de la Ville et plusieurs partenaires, nous avons réfléchi à un scénario de crise décrivant l’ensemble des conséquences en cascade : effondrement et incendies des espaces verts, dégradation de la qualité de l’air, saturation des services de santé, dégradation de l’asphalte des routes, difficultés sur l’approvisionnement en nourriture, en eau, en médicament, mise à l’arrêt du réseau de froid en raison de la baisse du niveau de la Seine, mise à l’arrêt de nombreux services publics (écoles, crèches, etc.)…
Ce scénario de crise a permis ensuite d’élaborer un jeu de rôle dans le 13e et le 19e arrondissement auquel nous avons fait participer des habitants, des résidents d’Ehpad, des classes d’école élémentaire et de collège, et une cinquantaine de partenaires de la Ville comme la préfecture de police de Paris, les associations de sécurité civile, les opérateurs de réseaux ou encore la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris.
Cela a demandé une longue période de préparation puisque l’exercice mobilisait plus de 300 personnes sur chacun des quartiers et chaque personne a été briefée sur le rôle qu’elle devait jouer. Sans compter par ailleurs les personnes intervenant à distance dans les cellules de crise des différents organismes impliqués.
Tout l’intérêt de ce type d’exercice est de pouvoir observer en direct les conséquences d’un tel évènement extrême sur la vie des habitants et de tester la fluidité et la pertinence des décisions de la municipalité et de ses partenaires. Le sujet de la coordination de l’ensemble des acteurs intervenant dans la gestion de crise est apparu comme une vraie difficulté.
C’est un problème classique dans un contexte multiacteurs, mais d’autant plus lorsque les communications téléphoniques sont coupées à cause de la chaleur… Les médias aussi ont été mobilisés dans l’exercice, pour voir comment ils étaient en mesure d’informer la population sur la situation dans ce contexte particulier. Cela nous a permis de travailler avec des journalistes sur le rôle de la presse dans la gestion de crise.
Cet exercice fait apparaître un besoin de le réitérer de manière régulière pour renforcer le niveau de préparation et développer une culture du risque auprès de l’ensemble des acteurs, y compris les habitants, qui sont rarement associés à ce type d’exercice. D’ailleurs, à notre connaissance, cet exercice grandeur nature est une première mondiale. J’ajoute que plusieurs livrables tirant les enseignements de cet exercice seront disponibles prochainement, notamment un kit méthodologique détaillé pour aider d’autres territoires à organiser ce type d’exercice de crise.
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