Adaptation au changement climatique : quels principes clés ?
Article
En quoi consiste l’adaptation et pourquoi prend-elle une forte dimension territoriale ?
< Retour au sommaire du dossier
Article
Un constat unanime s’impose au regard des études existantes et des entretiens réalisés : l’impulsion politique sur le sujet reste encore faible, pour plusieurs raisons. Si l’attention concernant le changement climatique et l’enjeu de réduction des émissions de gaz à effet a fortement progressé ces dernières années parmi les élus, et plus largement dans la population, on constate en revanche un déficit d’acculturation concernant le versant adaptation.
Cet intérêt limité est sans doute à relier à un autre frein important, à savoir la crainte tenace qu’une politique en faveur de l’adaptation aux impacts du changement climatique se construise au détriment des nécessaires efforts d’atténuation. Par ailleurs, les élus peuvent manifester une réticence à se frotter à un sujet — l’adaptation — par nature complexe et anxiogène, et pour lequel le gain politique se mesure à moyen-long terme.
Toutefois, les personnes interrogées invitent à se montrer optimiste sur la capacité des élus à s’emparer de la question de l’adaptation. D’abord parce que l’acculturation, sur l’adaptation comme sur d’autres sujets, ça se travaille ! La Région Grand Est a par exemple réalisé en interne un travail de sensibilisation sur l’adaptation depuis 2019, au cours duquel l’intervention du climatologue Jean Jouzel a fortement marqué les élus et abouti ensuite à une commande politique pour réaliser un stress test climatique.
Cet effort d’acculturation peut s’appuyer également sur plusieurs arguments. Le plus direct est que le besoin d’adaptation devient une évidence avec l’accélération et l’intensification des aléas climatiques ces dernières années. Si pendant longtemps les impacts du changement climatique sont restés limités en France comparativement à d’autres régions du monde, ce n’est plus le cas. Face à l’expérience, parfois traumatisante, des assauts du changement climatique sur leur territoire, les élus ne peuvent rester dans une posture attentiste et souhaitent se donner les moyens de passer à l’action.
« Ce qui nous a fait nous lancer, c’est notre posture d’anticipation. Être élu ce n’est pas seulement gérer les affaires courantes. Notre rôle c’est aussi d’avoir un ou deux temps d’avance. » Ce témoignage de Blandine Delaporte, 1re Vice-Présidente du Département de la Nièvre en charge des transitions rappelle qu’une autre motivation des élus à se saisir de l’adaptation est d’assumer leur responsabilité dans l’anticipation des enjeux à long terme de leur territoire.
Enfin, un autre argument plus pragmatique mentionné du côté de Glasgow et Calgary est celui du « retour sur investissement » de l’adaptation. Dans une optique coûts-bénéfices, objectiver le fait que les coûts des actions d’adaptation (notamment lorsqu’elles impliquent des investissements) sont inférieurs aux coûts de l’inaction (impacts des aléas sur les populations, le territoire et l’économie), voire peuvent présenter des bénéfices, constitue un levier important pour justifier une ambition forte en matière d’adaptation.
Rappelons que l’adaptation constitue un volet obligatoire des Plans Climat Air Énergie Territoriaux (PCAET) et des Schémas régionaux d’Aménagement, de Développement durable et d’Égalité des Territoires (SRADDET). Mais obligation n’est pas nécessairement synonyme d’ambition, rappellent les experts interrogés. Encore perçu comme secondaire par rapport aux efforts d’atténuation, l’adaptation reste bien souvent un volet cloisonné et fourre-tout des stratégies climatiques territoriales.
Dans la pratique, très peu de PCAET abordent l’adaptation de manière stratégique et intégrée. Aux diagnostics de vulnérabilité généralement superficiels et peu territorialisés viennent s’ajouter des actions d’adaptation « à la Prévert », peu ambitieuses et figées pendant la durée du Plan Climat. Articulation avec les actions d’atténuation, approche systémique et indicateurs de suivi font également largement défaut.
Est-ce à dire que l’adaptation gagnerait à s’affranchir de ses cadres réglementaires pour vivre sa propre histoire ? Les retours d’expérience indiquent en effet que d’autres options sont possibles. Plusieurs des démarches étudiées ont fait de l’adaptation une stratégie dédiée : Département de la Nièvre, Communauté de Communes du Bocage Bourbonnais, Région Grand Est. Ce parti-pris apparaît payant, car il permet de faire de l’adaptation un chantier à part entière et de lui donner une visibilité plus grande que s’il est fondu dans une stratégie plus englobante.
Cette approche facilite du même coup la transversalité avec les autres politiques publiques : l’adaptation devient à la fois une plateforme pour accueillir les initiatives des autres services et une catapulte pour prendre en compte les climats futurs dans les autres champs d’intervention de la collectivité. Autre avantage, une stratégie d’adaptation dédiée permettrait également d’en faciliter l’actualisation en fonction de l’évolution des impacts climatiques.
Une autre approche consiste à faire de l’adaptation l’un des volets d’une stratégie de résilience territoriale. Comme l’illustre par exemple la stratégie de résilience de Paris, cette approche permet d’articuler les aléas climatiques à d’autres risques pouvant affecter les territoires et de concevoir des actions permettant d’adresser ces différents risques simultanément.
Peu se risquent à trancher parmi ces options (non exhaustives). « Je ne suis pas sûr qu’il y ait une porte d’entrée unique ou privilégiée vers l’adaptation. L’important c’est de faire en sorte que l’adaptation s’imbrique étroitement avec les projets de territoire que portent les élus » indique Vivian Dépoues, responsable de la thématique Adaptation au changement climatique au sein d’I4CE (Institut de l’Économie pour le Climat). Selon les contextes territoriaux et politiques, la bonne porte d’entrée pour l’adaptation ne sera pas la même. Du reste, il est possible de combiner les formats pour faire atterrir l’adaptation, comme en témoigne par exemple la Région Grand Est qui combine une stratégie d’adaptation intégrée au SRADETT et un plan d’action opérationnel spécifique à l’adaptation.
En revanche, les personnes interrogées s’accordent à considérer que, quel que soit leur format, les stratégies d’adaptation doivent impérativement être transversales — approche systémique des enjeux et des leviers, contribution des différentes politiques publiques, etc. — et dynamiques — articulant mesures de court terme, transformation de long terme, évolution des actions en fonction de l’évolution des impacts, etc.
Enfin, pour revenir sur le cadre réglementaire de l’adaptation, tout l’enjeu des PCAET et SRADDET est de rechercher une synergie entre atténuation et adaptation afin d’éviter les situations de mal-adaptation/mal-atténuation, et de définir au contraire des actions capables d’adresser ces deux versants de la question climatique (voir article de cadrage du concept d’adaptation dans ce dossier).
Élaborer et mettre en œuvre une stratégie d’adaptation à la hauteur des enjeux nécessite un investissement important en matière de portage politique et de pilotage technique. Les retours d’expérience montrent en effet que plus la démarche d’adaptation est portée à un haut niveau dans l’exécutif et l’organisation de la collectivité, et plus elle aura de chances de fédérer les élus, d’irriguer l’ensemble des politiques de la collectivité (logement, aménagement, mobilité, cadre de vie, éducation, économie, etc.) et d’embarquer les acteurs du territoire (partenaires, citoyens, entreprises, etc.).
À condition bien entendu que les élus et agents porteurs de la démarche soient eux-mêmes acculturés au sujet (inertie du changement climatique, synergies entre atténuation et adaptation, principes de vulnérabilité et de trajectoire d’adaptation, etc.).
L’articulation politique/technique constitue un autre point d’attention comme l’indique Catalina Duque Gomez, Directrice générale adjointe en charge de la stratégie territoriale à la Communauté de communes du bocage bourbonnais : « L’analyse technique de l’adaptation est sans fin. Mais au bout d’un moment, il faut être capable de dire stop, maintenant il faut se mettre autour de la table. C’est là où le politique permet une bascule entre le volet très technique et le choix de 3 sujets sur lesquels les élus souhaitent travailler et mobiliser le territoire. »
Parce que l’adaptation ne se réduit pas à une approche technique « 1 problème = 1 solution » et parce que la plupart des acteurs d’un territoire peuvent être impactés par le changement climatique, la collectivité seule ne peut apporter des réponses suffisantes aux enjeux. Si elle fait figure d’évidence pour construire une combinaison d’actions complémentaires portées par différents acteurs du territoire, la gouvernance de l’adaptation ne s’improvise pas.
Elle amène en effet à mettre en discussion des sujets potentiellement sources de tensions, voire de conflits. Les acteurs mobilisés n’ont pas le même niveau de maturité ni les mêmes perceptions des enjeux d’adaptation. De même, ils ne sont pas exposés de la même manière aux aléas climatiques et n’ont pas les mêmes capacités d’adaptation.
De plus, la responsabilité de certains acteurs/secteurs peut être pointée face à des situations de mal-adaptation, tandis que les actions d’adaptation mises en place par certains peuvent nuire à l’adaptation d’autres acteurs (exemple des tensions autour de la création de « bassines » à des fins de stockage d’eau pour l’agriculture). Enfin, l’adaptation amène à requestionner des modes d’organisation et des modes de vie fortement ancrés et auxquels les acteurs peuvent être très attachés.
Les études de cas montrent que plusieurs scènes de réflexion collective peuvent être déployées pour élargir progressivement la dynamique de mobilisation en interne et sur le territoire : mobilisation interne, direction par direction, séminaire avec le conseil communautaire/départemental/régional, ateliers avec les intercommunalités ou les communes, ateliers multipartenariaux, réunions publiques avec les habitants. De manière plus spécifique, on peut souligner l’exemple de la Mission d’information et d’évaluation « Paris à 50 °C » impulsée par deux élus pour construire un consensus politique transpartisan sur l’enjeu d’adaptation de la ville de Paris à un scénario de très forte chaleur.
Adossés à des temps de sensibilisation et de formation, ces espaces de discussion sont essentiels pour construire une vision partagée des vulnérabilités climatiques territoriales, souligne Vivian Dépoues : « Les démarches qui fonctionnent sont souvent celles où l’on observe une “mise en enquête collective” où chacun peut s’interroger sur ses propres vulnérabilités et les partager collectivement, ce qui permet in fine de comprendre collectivement pourquoi tel acteur sera à risque dans telle situation ou pourquoi un autre le sera dans une autre situation. Ces échanges, entre des acteurs qui souvent ne se connaissent pas ou peuvent avoir des a priori les uns vis-à-vis des autres, me paraissent particulièrement précieux pour dépasser les conflits et construire une vision partagée des vulnérabilités. »
Vivian Dépoues précise que la mobilisation des acteurs représentant les systèmes clés des territoires — services publics (santé, éducation, social…), infrastructures essentielles (électricité, eau, télécommunications, transport…), agriculture, industries… — doit permettre d’évaluer leur sensibilité aux aléas climatiques, c’est-à-dire « identifier s’il y a des seuils au-delà desquels tel ou tel système du territoire ne peut plus fonctionner. Je pense par exemple à la mission d’information “Paris à 50 °C” qui avait mis en évidence le fait que le système de refroidissement des hôpitaux fonctionnait jusqu’à une certaine température extérieure qui pourrait être dépassée à l’avenir. C’est bien à partir du moment où vous avez identifié ce seuil de température critique que vous pouvez exploiter les projections climatiques pour anticiper à quel moment il pourrait être dépassé. Il s’agit ici d’un seuil technique, c’est assez précis. Mais il existe bien d’autres seuils à identifier en termes de moyens humains, de coordination…, en prenant en compte les effets en cascade : si on a un problème à tel endroit, quelles seraient les conséquences par ailleurs ? »
Plusieurs facteurs peuvent aider au succès de ces dynamiques d’intelligence collective, parmi lesquels une attention toute particulière à la composition et à l’animation des ateliers. Par exemple, le Département du Lot s’est assuré de répartir les différentes organisations et catégories d’acteurs dans différents groupes de travail pour les obliger à discuter entre elles, tandis que la Communauté de communes du Bocage Bourbonnais s’est montrée très attentive à la manière avec laquelle les sujets étaient formulés lors des ateliers pour éviter de cibler la responsabilité d’un type d’acteur et favoriser l’engagement de tous les participants. S’appuyer sur les actions existantes de la collectivité et des partenaires qui contribuent déjà à l’adaptation facilite également la mise en mouvement de l’écosystème d’acteurs.
Autant de points de vigilance qui soulignent la nécessité pour la collectivité de disposer des savoir-faire indispensables à ce rôle d’animateur et de médiateur : formats de sensibilisation, outils d’intelligence collective, processus de négociation et remédiation des conflits, construction de visions partagées…
Qu’elle prenne la forme d’un réseau interne de référents adaptation pour assurer le partage de bonnes pratiques (Département de la Nièvre,), d’une déclaration d’engagement politique en faveur de l’adaptation (Lisbonne), d’un observatoire participatif du changement climatique (Communauté de Communes du Bocage Bourbonnais), d’un guide destiné aux habitants, ou encore d’un évènement annuel sur le climat ouvert à tous (Calgary), la mise en récit de l’adaptation du territoire au changement climatique permet de répondre à plusieurs enjeux :
Alexandre Florentin, président de la Mission d’information et d’évaluation « Paris à 50 °C » se montre convaincu de la capacité mobilisatrice de l’adaptation : « Les conférences grand public sur l’adaptation cartonnent, car elles n’attirent pas que des écolos ! Il y a un vif intérêt pour le sujet, les gens ont besoin de comprendre et de trouver des réponses. Les retours du terrain montrent que c’est justement lorsque l’on ne parle pas d’adaptation que c’est angoissant. »
Au-delà d’une stratégie ad hoc, inscrire la démarche d’adaptation dans la durée et dans le quotidien des politiques publiques
Comme le soulignent les travaux d’I4CE, une grande partie du défi de l’adaptation consiste à passer d’une approche ponctuelle et fragmentaire, à une stratégie globale construite sur une temporalité longue et régulièrement mise à jour. Or, cette logique adaptative implique un changement de paradigme dans le travail des élus et des services :
Comment opérer ce changement de posture ? Plusieurs éléments peuvent y aider. Tout d’abord, au-delà d’un premier diagnostic des risques climatiques, il paraît important de mettre en place une capacité d’analyse pérenne. Déclencher et ajuster les actions d’adaptation en continu suppose de se tenir à jour des projections des modèles climatiques tout en consolidant la connaissance des vulnérabilités propres à chaque composante/acteur du territoire.
Par exemple, la Région Nouvelle-Aquitaine a lancé en 2020 le réseau de recherche « FUTUR-ACT » afin de mettre en lien les différents acteurs concernés par l’adaptation (chercheurs, décideurs, techniciens, porteurs de projets, etc.) et faire émerger des projets de recherche-action visant à caractériser les impacts futurs et co-construire des scénarios d’adaptation aux changements climatiques. Un point d’attention ici, l’essor des travaux sur les « transboundary climate risks » incite à prendre en compte non seulement les risques climatiques concernant directement les territoires, mais également les risques auxquels ils sont exposés de manière indirecte à travers les échanges internationaux.
Autre levier qui gagne à être pérennisé : la gouvernance de l’adaptation. Par exemple, la ville de Calgary a mis en place deux instances : le Calgary Climate Panel, composé de représentants des principales industries, des universités et des citoyens afin de leur permettre de travailler ensemble sur l’adaptation ; le Climate Advisory Commitee, organe officiel qui conseille et critique le travail de l’administration sur les sujets d’adaptation et d’atténuation. La Région Grand-Est, quant à elle, a mis en place, avec l’appui de l’Ademe et de la Dreal, un Groupe régional sur l’adaptation au changement climatique (GRACC), réunissant une trentaine de structures, avec pour objectif de faire émerger et d’accompagner des projets d’adaptation de qualité sur les territoires.
Les éclairages qui précèdent mettent en lumière de multiples leviers pouvant être actionnés par les collectivités pour s’emparer de l’enjeu d’adaptation de leur territoire. Particulièrement complexe, ce dernier pose également un questionnement existentiel. Les limites de l’adaptation — tout ne peut être adapté à n’importe quel niveau d’impacts climatiques ni à n’importe quel coût — mettent le doigt sur la nécessité d’opérer de nombreux arbitrages dès à présent et dans les décennies à venir, entre ce qui relève des biens, infrastructures et services jugés essentiels et donc à adapter en priorité ; et ceux que l’on considère plus secondaires. Cela souligne la dimension éminemment politique de l’adaptation, en ce qui concerne aussi bien le rôle décisionnel des élus que les modalités de participation démocratique des citoyens à ces choix de société structurants.
Article
En quoi consiste l’adaptation et pourquoi prend-elle une forte dimension territoriale ?
Article
il ne suffit pas de réduire considérablement les émissions de gaz à effet de serre, il faut également mener de front des politiques d’atténuation et d’adaptation.
Article
Enfin, le 3e Plan national d’Adaptation au Changement climatique est arrivé. Est-il à la hauteur des attentes… et des enjeux ?
Article
En quoi ces retours d’expérience mettent en lumière l’éventail des possibles ? quels difficultés et leviers de réussite peut-on en tirer ?
Interview de Vivian Dépoues
responsable de la thématique Adaptation au changement climatique au sein de l'Institut de l’Économie pour le Climat (I4CE)
Interview de Julie Roussel
Docteure en aménagement et urbanisme
Article
Ouvert aux citoyens, la Convention métropolitaine pour le climat a pour mission de réfléchir à une stratégie d’adaptation du territoire au réchauffement climatique.
Article
Les migrations climatiques, internes ou transnationales, constituent déjà un phénomène démographique important.
Article
Quand il faut se battre chaque jour pour joindre les deux bouts, peut-on encore trouver l’énergie de se préoccuper de son empreinte carbone ?
Neutralité carbone à l’horizon 2050. Atteindre un tel objectif oblige chacun d’entre nous à adapter son mode de vie.
Article
Comment et avec qui imaginer le futur de la sécurité au travail ?
Article
Quelles sont les ressources mises à disposition des décideurs par l’Organisation mondiale de la Santé ?
Article
Jusqu’à quelle température peut-on rester optimiste, et que penser des mesures déjà prises ?
Article
Quels nouveaux dangers pourraient être provoqués par la hausse des températures, et en quoi le sport pourrait-il être un levier pour éveiller les consciences ?
Article
Dans son fonctionnement actuel, notre système assurantiel ne pourrait-il pas devenir l’un des principaux facteurs d’injustice climatique ?