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Métabolisme de l’économie (4/4) - Quels enjeux et quels leviers pour les villes ?

Photo de containers ouverts
© Adobe Stock

Article

En première ligne face à la contrainte de ressources et aux dépendances économiques, les villes européennes ont un rôle majeur à jouer dans la transformation économique à opérer.

Parce qu’elles concentrent les populations et les activités économiques, les villes génèrent une large partie des consommations d’énergie et de matières et des rejets vers l’environnement. À l’échelle mondiale, les villes représentent 60 % de la consommation de ressources et 70 % des émissions de gaz à effet de serre. Elles sont également largement dépendantes des chaînes de valeur mondiales, aussi bien pour satisfaire leurs consommations que pour valoriser leurs productions.
Accélérer la transition vers une économie soutenable et plus autonome implique de réduire les flux d’importation à fort impacts/dépendances en activant le circuit économique local.

Cela suppose de combiner réduction des consommations énergétiques et matérielles à satisfaire, augmentation de la part de la demande locale satisfaite par la production locale, et développement des ressources locales durables nécessaires à cette production. Cette ambition appelle la définition de politiques de transformation économique réorientant les leviers classiques de l’action économique et décloisonnant les dispositifs des politiques de transition de manière à dépasser l’effet « patchwork » et à s’appuyer sur une approche réellement systémique du métabolisme territorial.

Consolider le circuit économique local nécessite également de construire de nouvelles alliances entre les villes et les territoires de proximité. Ce qui implique d’enrayer le mouvement de mise à distance de leur métabolisme induit par la mondialisation et la désindustrialisation, en construisant de nouvelles relations de réciprocité et de nouvelles coopérations avec les territoires environnants pour assurer une mise en commun des ressources, capacités productives et besoins à satisfaire.
Date : 25/04/2023

Concilier soutenabilité et autonome stratégique des villes

 

Les limites planétaires et les dépendances économiques invitent à redéfinir les objectifs stratégiques des villes ainsi que l'échelle géographique de leur mise en œuvre.

Les principes clés d’un métabolisme soutenable définis au niveau de l’économie mondiale peuvent s'appliquer au niveau des territoires. Ces principes impliquent un approvisionnement énergétique fondé sur les énergies renouvelables et décarbonées, un approvisionnement en matières premières provenant principalement de boucles circulaires et de la biomasse, des flux de consommation de ressources et de rejets dans l’environnement restant en deçà des limites planétaires ; et une stabilisation du stock de biens matériels en usage.

Moins dépendre des ressources du reste du monde est aussi un enjeu de résilience. Carrefours des échanges économiques mondiaux, les villes sont directement exposées aux risques d’approvisionnement induits par leurs dépendances matérielles, industrielles et technologiques. L’émergence du principe d’autonomie stratégique à l’échelle européenne ouvre une brèche dans la doctrine économique en vigueur en plaçant la question de la dépendance aux importations à l’agenda politique.

En somme, assurer une plus large maîtrise des ressources (matières et énergies), des process industriels et des technologies stratégiques pour la souveraineté économique devient un objectif politique à part entière.

 

Une alliance à construire entre les villes et les territoires environnants

 

Mais, si chaque territoire peut développer son autonomie, il ne s’agit pas pour autant de chercher à produire localement tout ce dont on a besoin à cette échelle. L’autonomie stratégique suppose d’articuler les échelles (locale, régionale, nationale, européenne) et de faire jouer les complémentarités de ressources et de capacités productives entre territoires. Il s’agit en d’autres termes de passer du métabolisme urbain au métabolisme territorial.

Rapprocher des villes les territoires dont elles dépendent pour leur métabolisme peut permettre aux citoyens, élus, entreprises, etc. de percevoir de manière plus directe et quotidienne les implications des modes de production et de consommation en termes de pression sur les ressources et de rejets vers les milieux. Elle favorise également la recherche active de solutions au plan de la production (process et produits à moindre impact, etc.) et de la consommation (pratiques plus sobres et responsables, etc.) et permet de contrôler plus rapidement l’impact de l’action (boucle de rétroaction courte).

Tout l'enjeu pour les villes est de construire de nouvelles alliances avec les territoires qui les environnent afin de faire émerger une approche commune des besoins à satisfaire, des ressources à valoriser et des impacts environnementaux à réguler au sein d’aires d’approvisionnement et d’exutoire partagées. La notion de biorégion peut trouver ici tout son sens. Ces coopérations interterritoriales peuvent bien entendu s’envisager à des échelles géographiques variables en fonction des ressources et capacités productives disponibles à proximité des villes.

 

Réduire les flux d’importation à fort enjeu en misant sur le circuit économique local

 

Progresser vers la soutenabilité et l’autonomie stratégique implique pour les villes de réduire les impacts écologiques (prélèvements et rejets dans l’environnement) et les dépendances (énergétique, matérielle, technologique, industrielle) liés aux importations. Comment y parvenir ? En misant davantage sur le circuit économique du territoire. Concrètement, il s'agit d’une part d'accroitre la part de la demande locale satisfaite par la production locale ; et d’autre part d'accroitre la part des ressources locales durables (renouvelables, biosourcées, circulaires, décarbonées) dans les ressources utilisées par la production locale.

En termes économiques, la consolidation du circuit économique local passe donc par le déploiement de filières tournées vers la demande locale et articulant les capacités productives (savoir-faire, outils de production…) et les ressources durables du territoire.

Il y a cependant une limite physique à la possibilité de substitution des flux d’importation par la production domestique. Il suffit pour s’en convaincre de comparer le contenu matières des importations avec l’extraction domestique à l’échelle nationale : cela représente respectivement 633 et 808 millions de tonnes en 2019. On imagine mal d’augmenter de 80 % l’extraction nationale pour remplacer les ressources importées ; sans compter que pour certaines ressources (telles que les métaux) l’extraction de la France est aujourd’hui quasi-nulle. Même en considérant les villes comme autant de « mines urbaines » et en ajoutant à leurs ressources énergétiques et matérielles celles de leur hinterland, et même en tablant sur une réduction de l’intensité énergétique/matières de la production domestique à l’avenir, l'écart demeurerait vraisemblablement important.

La réduction des importations à fort impact/dépendance passe donc d’abord par une réduction des consommations matérielles et énergétiques qui en sont à l’origine : combustibles fossiles, produits alimentaires d’origine animale, équipements électriques et électroniques, automobiles, granulats et produits en ciment, produits textiles, etc. Pour le dire autrement, une demande locale réduite sera plus facile à satisfaire par la production et les ressources locales.

 

Transition vers une économie soutenable et plus autonome : réduire la demande locale et la satisfaire davantage par la production et les ressources locales. Les importations à forts impacts et dépendances sont les resultats de consommations énergétiques et matérielles à satisfaire, de la part de l demande locale satisfaite par la production locale, et par la part des ressources locales durables dans les ressources nécessaires à la production locale

 

6 leviers pour consolider le circuit économique local

 

L’élaboration de stratégies d’activation du circuit économique local implique de renouveler et de fusionner les diagnostics économiques et environnementaux afin de :

  • Prendre en compte l’ensemble des flux qui font l’économie des territoires : production, consommation, exportations, importations, échanges locaux, etc. ;
  • Évaluer ces flux à la fois dans leurs dimensions économiques (montant, contenu en emplois, effet multiplicateur sur le reste de l’économie, etc.) et biophysiques (contenu matières et énergétique, impact carbone, impact biodiversité, etc.)
  • Décomposer l’analyse par secteurs d’activités (secteurs producteurs, consommateurs, d’importation et d’exportation) afin de pouvoir cibler l’action sur les flux qui concentrent les enjeux.

Parmi les nouveaux outils, l’analyse entrées-sorties étendue à l’environnement (environmentally extended input–output analysis dans la littérature) constitue un cadre méthodologique de référence au sein de la communauté scientifique et statistique.

Piloter le développement de filières locales et la réduction des consommations à la source suppose tout d’abord d’identifier les flux d’importation soulevant les principaux enjeux en termes de :

  • Potentiel économique : Quelles importations représentent les gisements d’activités et d’emplois les plus importants ?
  • Dépendance extérieure : De quelles importations le territoire est-il le plus dépendant et lesquelles proviennent davantage de l’étranger (VS reste du pays), et plus particulièrement de pays hors-UE ?
  • Empreinte environnementale : Quelles importations sont les plus impactantes au plan environnemental (consommation de ressources, émissions de gaz à effet serre, etc.) ?

La « short list » résultant de l’analyse croisée de ces trois dimensions permet d’identifier les filières locales stratégiques, c’est-à-dire celles qui sont à l’origine, via leurs achats, d’une large partie des flux d’importations à fort enjeu. Enfin, l’analyse doit permettre d’évaluer dans quelle mesure les filières retenues répondent aujourd’hui à la demande locale qui leur est adressée.

Accélérer la transition vers une économique soutenable et plus autonome en misant sur le circuit économique local exige également de revisiter la boite à outils de l’action économique et environnementale territoriale.

6 leviers d’action peuvent être mobilisés, détaillés ci-dessous. Des pistes d’actions concrètes propres à chaque levier et des exemples inspirants sont disponibles dans l’étude complète (en ligne sur Millénaire 3 le 2 mai 2023).

 

6 leviers pour consolide rle circuit économique local. 1 sobriété des modes de vie, 2 densification des échanges locaux, 3 diversification du tissu économique, 4 bifurcation vers des modèles économiques soutenables, 5 valorisation du terroir de ressources (énergies matières), 6 développement des compétences

 

Levier #1 : Sobriété des modes de vie

 

La transition vers une économie soutenable et plus autonome passe par des modes de vie plus sobres. La sobriété doit permettre en particulier d’aboutir à une stabilisation du stock de biens en usage (bâtiments, infrastructures, véhicules, équipements, textiles, etc.) afin d’enrayer la croissance des consommations d’énergie et de matières nécessaires à son fonctionnement, son entretien et son renouvellement. Favoriser des modes de vie plus sobres implique de réorienter les habitudes de consommation et de cibler les postes de consommation générant les principaux impacts et dépendances, de plusieurs façons :

  • Réduire sa consommation individuelle annuelle : par exemple, réduire le nombre de kilomètres parcourus par an, la température de chauffage de son logement, la quantité de viande consommée, le nombre de vêtements achetés, etc.
  • Réorienter sa consommation vers les biens et services les moins impactant (moins intensifs en ressources et/ou émetteurs de rejets) : par exemple, se déplacer en transport en commun ou en vélo plutôt qu’en voiture individuelle, décarboner le chauffage de son logement, privilégier les produits éco-conçus, de seconde main, reconditionnés, remanufacturés, fabriqués à proximité, éviter les produits surdimensionnés, etc.
  • Allonger la durée d’usage des produits consommés pour réduire le besoin de renouvellement : par exemple, privilégier l’achat de produits plus durables et les faire réparer, revendre ou donner les produits inutilisés, etc.
  • Mutualiser l’usage des produits avec d’autres particuliers afin réduire le nombre total de produits nécessaires pour répondre au besoin : par exemple, utiliser des services de covoiturage, de location de matériel, etc.

Quelques précisions s’imposent :

  • La sobriété n'est acceptable que si elle est équitable : la réduction de l’empreinte de la consommation finale ne peut s’appliquer de manière identique à tous les individus. En effet, certains modes de vie entraînent des impacts beaucoup plus élevés que d’autres : l’intensité des impacts a tendance à s’élever avec le niveau de vie des personnes. En conséquence, le principe d’équité face aux efforts à accomplir constitue une condition essentielle de la transition des modes de vie. Celui-ci incite à responsabiliser davantage les personnes qui génèrent le plus d’impact en requestionnant le droit à une consommation illimitée. Il invite également à garantir la satisfaction des besoins essentiels de chacun, comme en témoigne par exemple la proposition de sécurité sociale de l’alimentation ou la mise en place de tarifications progressives sur l’eau et l’énergie. Ce double principe de plafond maximum et de plancher minimum de consommation est au cœur du concept émergeant de « consumption corridors ».
  • La sobriété implique une évolution de l’environnement économique, social et culturel : la sobriété des modes de vie dépend également de la mise à disposition par les entreprises et les acteurs publics d’une offre de biens et de services elle-même favorable à la sobriété. De même, il semble difficile de progresser vers la sobriété sans renouveler les normes sociales et les valeurs culturelles de la société de consommation, ce qui appelle une évolution du cadre règlementaire (régulation de la publicité notamment).
  • La sobriété ne peut être « décrétée d’en haut » : un large débat démocratique s’impose afin de construire une vision partagée des cobénéfices de la sobriété, des sources immatérielles de bien-être, des consommations nuisibles, des besoins essentiels à assurer et de la manière de les satisfaire, ou encore de la répartition des responsabilités entre individus, entreprises et acteurs publics.

 

Illustration d'une rue en ville, partagée entre une surconsommation d'énergies et de matériaux, et une autre moins polluante
© Céline Ollivier Peyrin - Métropole de Lyon

 

Levier #2 : Densification des échanges locaux

 

Accroître la part de la demande locale satisfaite par la production locale passe par une amplification des échanges locaux : faire en sorte que les achats des habitants, des entreprises et des acteurs publics se tournent davantage vers la production locale, et inversement. Or, face à l’essor du e-commerce, à la mondialisation des marchés et des chaines d’approvisionnement, aux règles de la commande publique, ce « réflexe local » n’a rien d’évident. Il existe donc des marges de progrès importantes en la matière.

La densification des échanges locaux apparaît d’autant plus cruciale qu’elle est au cœur d’un ressort clé (mais souvent négligé) du développement économique : l’effet multiplicateur local. À l’image du jeu de flipper, plus les entreprises s’approvisionnent localement et répondent aux besoins du territoire, plus les habitants se tournent vers l’offre locale, plus les acteurs publics s’appuient sur les fournisseurs de proximité, et plus les richesses « ricochent », circulent et se démultiplient, la somme des échanges (et l’activité et l’emploi associés) se révélant supérieure à la dépense initiale.

Faciliter le rapprochement entre l’offre et la demande locales constitue donc un enjeu clé pour développer le circuit économique local. Cela passe par la mise en place de dispositifs d’information, d’incitation, d’intermédiation et de coopération ciblant trois types d’échanges :

  • Encourager les habitants à « consommer local » : si les habitants affichent de plus en plus une aspiration à « consommer mieux et plus local », celle-ci pourrait se diffuser davantage au-delà des premiers cercles de convaincus. Cet essor dépend également de la disponibilité, de la visibilité et de l’accessibilité de l’offre de commerces et de services : comment donner une plus large place aux produits « made in local/région/France » parmi l’assortiment proposé par les commerces du territoire ? Comment permettre aux habitants d’identifier facilement les commerces où ils vont pouvoir trouver ce type de produits ? Comment rendre ces produits accessibles à tous ?
  • Booster les échanges interentreprises : les entreprises manquent souvent de temps, de réseau ou d’organisation interne pour identifier les solutions offertes par leur territoire d’implantation. Tout l’enjeu est de favoriser des échanges qui n’auraient pas lieu spontanément. Cela suppose d’être en mesure de mieux cerner les logiques d’approvisionnement des entreprises et les freins et leviers au développement de l’achat local/régional. Il s’agit également de jouer un rôle de facilitateur des échanges en rapprochant besoins d’achat et solutions locales, et en favorisant la construction de relations de confiance entre entreprises.
  • Faire de l’achat public un levier de développement local et de transition : la commande publique représente un potentiel économique important pour les entreprises locales, ainsi qu’un levier d’exemplarité en matière d’achat local et responsable. Bien que la politique de la concurrence de l’UE interdit toute utilisation d’un critère de provenance géographique en matière de commande publique, un certain nombre d’initiatives montrent que les règles de la commande publique offrent de réelles marges de manœuvre pour aller vers une commande publique plus favorable au tissu économique local et aux solutions durables.

 

Illustration de deux personnages devant une mairie

 

Levier #3 : Diversification du tissu économique

 

L’insertion des pays et des territoires dans la mondialisation s’est traduite par la mise en place de politiques économiques visant à renforcer la compétitivité des entreprises et des filières à l’export. Ces stratégies reposent généralement sur des logiques de spécialisation sur certaines activités à forte valeur ajoutée (R&D, design, marketing, services, etc.) des chaines de production afin d’approfondir l’exploitation d’économies d’échelle et d’avantages comparatifs, au détriment des activités de fabrication, jugées moins stratégiques et moins rentables.

Comme l’ont révélé les chocs d’offre et de demande provoqués par les crises récentes, les gains de productivité et de rentabilité permis par la spécialisation ont pour contrepartie une vulnérabilité croissante des territoires aux chocs transmis par les échanges économiques mondiaux. Il devient urgent pour eux d’inverser la logique de spécialisation en réinvestissant la diversité de leur tissu économique. Trois pistes d’action ressortent :

  • Miser sur les bénéfices multiples de la diversité productive : indispensable pour consolider des filières « du champ à l’assiette », la diversification économique est une condition clé pour favoriser un élargissement de l’offre locale susceptible de se substituer aux biens et services aujourd’hui importés. En offrant un éventail d’options et d’alternatives, la diversité économique apporte également une agilité de nature à renforcer la résilience des territoires face aux différents chocs rencontrés ces dernières années et pressentis dans celles à venir. Enfin, la diversification constitue un levier essentiel pour favoriser la bifurcation des activités locales dont le devenir est remis en question par la transition écologique (cimenterie, raffinerie, etc.).
  • Orienter les porteurs de projet vers l’entrepreneuriat de territoire : réduire l’évasion de la demande locale passe par le soutien et l’accompagnement des « entreprises de territoire », tournées vers les besoins locaux et valorisant les savoir-faire et les ressources du territoire.
  • Redéployer les capacités productives locales : souvent présentée comme le retour dans le pays d’origine d’unités de production antérieurement délocalisées dans les pays à faibles coûts salariaux, la relocalisation présente un faible potentiel de diversification du tissu économique local. En revanche, chaque territoire dispose d’un tissu productif (savoir-faire, outils, usines, compétences, etc.) qui ne demande qu’à se déployer vers de nouvelles activités et de nouveaux produits en prise avec la demande locale. Ce redéploiement des savoir-faire passe en particulier par la mise en réseau verticale et horizontale entre entreprises.

La diversification économique passe également par le développement de coopérations économiques entre les villes et leurs territoires voisins afin de tirer parti de leurs complémentarités en termes de savoir-faire et d’outils de production, et de freiner le phénomène de métropolisation des activités et des emplois par une meilleure répartition spatiale des activités productives (économie distribuée).

 

Illustration d'un cycle répétitif avec une ampoule allant vers le signe € et le signe € allant vers l'ampoule.

 

Levier #4 : Bifurcation vers des modèles économiques soutenables

 

La diversification de la production locale ne peut se résumer à proposer une copie d’un produit importé, générant les mêmes impacts environnementaux et les mêmes dépendances aux ressources et technologies critiques.

Accélérer la transition des entreprises vers des modèles économiques soutenables et résilients doit permettre de proposer au territoire et au marché extérieur une offre sobre et résiliente. Un renouvellement des politiques de soutien au développement et à l’innovation des entreprises doit permettre d’accompagner trois transformations majeures :

  • Transformer les modèles de création de valeur : les modèles industriels dominants reposent bien souvent sur une logique de vente en volume de produits neufs via la conquête de nouveaux clients et l’incitation des clients actuels à renouveler leurs achats. Ces modèles encouragent la surconsommation et entrainent des flux massifs de produits sous-utilisés ou mis au rebut. L’enjeu ici est d’encourager les entreprises à renouveler leur proposition de valeur en s’assurant de son utilité sociale et en misant sur la vente de produits neufs à longue durée de vie ; de services d’allongement de la durée de vie des produits ; de services liés à l’accès aux produits ; de produits de seconde main, reconditionnés ou remanufacturés ; ou de services de réduction des consommations (économies d’énergie, d’eau, etc.).
  • Transformer les logiques d’innovation : l’écrasante majorité des produits consommés à l’ère industrielle n’est pas conçue pour préserver les ressources et les écosystèmes, mais privilégie plutôt la minimisation des coûts et/ou la recherche permanente de puissance, d’espace, de fonctionnalités, de personnalisation, etc. Pourtant, on estime que 80 % des impacts environnementaux d’un produit tout au long de son cycle de vie sont déterminés par la manière avec laquelle il est conçu. Les politiques d’innovation doivent inciter les entreprises à porter une nouvelle ambition visant à réduire radicalement l’empreinte environnementale des produits en :
    • maximisant l’intégration de matières biosourcées, recyclées, décarbonées, avec des composants réutilisés, remanufacturés disponibles à proximité ; la sobriété des phases de production et de d’usage (consommation de matières, énergie, eau, etc.) ; la durabilité, la réparabilité, l’évolutivité, le réemploi et la recyclabilité des produits, le caractère intemporel du design ;
    • minimisant l’usage de ressources à fort impact environnemental (combustibles fossiles, plastiques, métaux, ciment, soja, huile de palme, coton, substances toxiques, etc.) ;
    • limitant les fonctionnalités du produit à celles véritablement utiles à l’utilisateur final, la complexité des technologies embarquées, le coût d’accès pour les personnes modestes.
  • Transformer la chaine de production : la densification des échanges locaux (levier #2) et la valorisation des ressources locales (levier#5), peuvent aider les entreprises à privilégier l’usage de ressources, composants, équipements et procédés durables, provenant de fournisseurs (re)localisés à proximité de l’entreprise. Cela suppose également d’accorder une attention particulière à la mise en place d’une logistique inversée et d’incitations (consigne, offre de réduction, rachat, reprise, etc.) permettant de récupérer les produits, composants et matériaux usagés auprès des clients.

 

Photo de chaussures empilés dans un magasin avec des clients autour
© Magharebia (Flickr)

 

Levier #5 : Valorisation du terroir de ressources

 

La capacité des territoires à développer un socle de ressources locales renouvelables, circulaires et décarbonées apparait cruciale pour assurer durablement la satisfaction de la demande locale et la résilience du tissu économique. Cela soulève plusieurs points d’attention :

  • Définir une « stratégie ressources » à l’échelle de la ville et de son hinterland, qui couvre d’un côté la production de ressources locales (énergies renouvelables et de récupération, biomasse, minéraux, produits et matières secondaires, et leur potentiel de développement futur) et de l’autre côté, les volumes et la composition des consommations d’énergies et de matières des ménages, des entreprises et des acteurs publics (ressources critiques, besoins futurs au regard des objectifs de sobriété et d’autonomie du territoire). Il s’agit enfin de définir une trajectoire permettant d’ajuster l’offre et la demande de ressources.
  • Faire de l’allongement et de l’optimisation de la durée d’usage du stock existant la première ressource locale. Le stock de bâtiments, infrastructures, véhicules, machines, équipements, textiles, etc. accumulé au cours des dernières années/décennies représente un volume considérable de ressource et d’énergie grise (celle qui a été nécessaire à sa production) dont les territoires ont tout intérêt à faire bon usage afin de réduire les besoins de renouvellement à neuf et repousser l’étape de recyclage des déchets. Priorité doit donc être donnée aux leviers de circularité permettant de préserver le plus longtemps possible la valeur d’usage du stock en place (réparation, réemploi, reconditionnement, remanufacturing, etc.), de manière à conserver les matières sur le territoire et limiter la pression sur les ressources primaires locales et importées.
  • Prendre en compte les enjeux de dépendance matérielle et technologique liés au déploiement des énergies renouvelables (panneaux PV et solaire thermique, éolienne, poêles et chaudières bois, pompes à chaleur, etc.). Cette situation invite à privilégier le recours à des équipements made in France/Europe et favoriser le développement de capacités locales de fabrication / remanufacturing, en s’appuyant sur les recommandations du plan national de programmation des ressources minérales de la transition bas carbone.
  • Prévenir les conflits d’usage autour de la valorisation de la biomasse locale. L’agriculture et la forêt font face à des attentes potentiellement contradictoires qu’il devient urgent d’arbitrer : fournir des matières à usage alimentaire et non alimentaire, contribuer à la réduction des émissions de GES, à la préservation de la biodiversité, etc.

 

Photo de tronc d'arbre empilés dans une forêt

 

Levier #6 : Développement des compétences

 

La mise en œuvre des cinq leviers précédents dépend de la disponibilité des compétences nécessaires. Mieux anticiper ces mutations est d’autant plus crucial qu’elles laissent entrevoir aussi bien des créations que des destructions d’emplois, ainsi que des impacts différenciés selon les secteurs et donc selon les réalités territoriales. Parce que les entreprises et les actifs prospectent le plus souvent au sein d’un marché du travail localisé, les territoires ont tout intérêt à se saisir du sujet. Ce qui soulève pour eux trois enjeux clés :

  • Anticiper les impacts de la transition et de la relocalisation de l’économie sur l’évolution des emplois, des métiers et des compétences. Du côté des opportunités de créations d’emplois, la mise en œuvre de la Stratégie Nationale Bas Carbone pourrait engendrer la création de 700 000 à 900 000 emplois d’ici 2050. À l’inverse, la nécessité de réduire certaines productions et consommations à fort impact environnemental se traduira inexorablement par la diminution, voire la fermeture, de certaines activités : centrales électriques à charbon, raffineries, construction neuve, automobile etc. L’évaluation des impacts sur l’emploi des scénarios Transition(s) 2050 de l’Ademe se traduit ainsi par des résultats contrastés. Reposant sur une baisse drastique de la production de biens carbonés et de la construction neuve, le scénario le plus sobre (S1 - Génération frugale) se traduit par un recul de 1,5 million d’emplois en 2050 par rapport au scénario tendanciel. Tandis que le scénario le plus pourvoyeur d'emplois (S4 - Pari réparateur) en génère 800 000 de plus que le scénario tendanciel, en maintenant la consommation de masse grâce à un large recours aux solutions technologiques.  Tout l’enjeu est donc de prévoir l’évolution quantitative et qualitative des métiers et des compétences en déclin, en mutation, en émergence, en croissance pour être en mesure d’accélérer la transformation de l’économie ainsi que le recyclage des compétences et les reconversions des personnes dont l’activité est menacée à terme.
  • Articuler adaptation de l’offre de formation, attractivité des métiers et accompagnement des transitions professionnelles. S’il est essentiel de développer les formations initiales, continues et professionnelles nécessaires aux emplois de demain, il convient à l’inverse de dimensionner à la baisse les formations dans les secteurs en décroissance afin d’éviter « d’enfermer » de nouveaux actifs dans des métiers à l’avenir étroit. La capacité à sécuriser et accompagner les mobilités professionnelles entre les métiers/emplois sur le déclin et ceux en émergence/croissance constitue une condition clé pour favoriser une transition juste au plan social. Mais il ne suffit pas de disposer d’une offre de formations adaptées : encore faut-il que des actifs soient motivés par les métiers et emplois auxquels elles conduisent, alors même que l’industrie subit un déficit d’attractivité de longue date et rencontre aujourd’hui des difficultés de recrutement inédites depuis le début des années 1990, tout comme certaines activés clés pour la transition (réparation, gestion des déchets, construction, agriculture, sylviculture, etc.). Cette question de l’attractivité des métiers prend une acuité particulière au moment où l’on constate une perte de sens du travail, notamment parmi les jeunes générations.
  • Encourager à une plus forte implication des entreprises : Si les entreprises ont un intérêt direct à s’investir dans le développement des compétences de leurs salariés (pour gagner en compétitivité, agilité, attractivité, etc.), seuls un quart d’entre elles ont mis en place une politique de formation systématique.

 

Photo d'un seau en métal contenant du bois, à destination du chauffage urbain du Grand Lyon
© Thierry Fournier // Métropole de Lyon

 

Retrouvez la version longue de ce texte et la bibliographie dans l’étude complète ici