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Habitat social et participation citoyenne des habitants : quelles pratiques pour quels objectifs ?

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Illustration de personne manifestant
© Céline Ollivier Peyrin - Métropole de Lyon

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En 2017, près de 9 français sur 10 se disaient favorables à la démocratie participative.

Au milieu de ces « indicateurs positifs » de la confiance exprimée (amélioration de la transparence, de l’efficacité des décisions des élus, etc.), près des deux tiers partagent le sentiment que ces dispositifs sont peu pris en compte lors des prises de décision (Respublica/Harris).

Ces chiffres contrastés révèlent la complexité des enjeux et des effets réels de la « participation ».

Au-delà des opportunités de mise en débat qu’ils offrent, ces dispositifs participatifs font en effet l’objet de nombreuses critiques : à la fois sur le fond, concernant les principes politiques mis en jeu, et sur la forme, concernant les moyens humains, financiers, matériels et techniques engagés et leurs effets réels.

Si le champ de l’habitat n’échappe pas à cet impératif participatif, il n’évite pas non plus les critiques, que la démarche soit mise en œuvre par des institutions publiques ou privées.

En somme, ces revendications posent, à quelques nuances près, toujours la même question : « la participation produit-elle plus ou moins de démocratie ? » (G. Gourges, 2013).

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Date : 21/09/2022

Malgré l’hétérogénéité des dispositifs dits « participatifs », il semble difficile aujourd’hui de concevoir un projet sans avoir recours à un processus de consultation ou de co-construction. Historiquement, la participation est liée à l’aménagement et à la rénovation urbaine, donc in fine, à la politique de la ville. Elle fait aujourd’hui partie du référentiel d’une majorité de projets politiques, associatifs, citoyens, privés ou publics, et ce dans n’importe quel domaine.

S’inspirant des « luttes urbaines, ouvrières et environnementales à partir des années 1960 » (Gourgues, 2018), la participation s’est peu à peu imposée comme un modèle de gestion des territoires. Avec la loi Démocratie de proximité de 2002, les conseils de quartier deviennent même obligatoires pour les villes de plus de 80 000 habitants. Pour le dire autrement, la participation semble aujourd’hui indissociable de la gestion des affaires publiques.

Parler de participation, c’est aussi utiliser un terme générique qui recouvre des réalités très diverses : entre la simple information, la consultation, la concertation et la codécision, les pratiques et objectifs soutenus ne sont pas les mêmes. En variant les échelles, les publics ou les cadrages (Gourgues, 2018), ces dispositifs prennent des formes très différentes : atelier citoyen, débat (local ou même national), ou d’un conseil de quartier.

 

 

Des rôles à redéfinir, des objectifs à mieux expliquer

 

Tout en déplorant le manque de prise en compte de leur parole, les blocages et temporalités longues ou le manque de clarté de ces dispositifs, les citoyens perçoivent encore assez mal les objectifs visés par la participation et l’efficacité réelle de leur engagement au service d’un projet ou d’une décision. Au-delà des principes sous-tendus, ces dispositifs reposent sur un ensemble de pratiques plus ou moins professionnelles, plus ou moins pertinentes, mais nécessaires, au moins au niveau réglementaire. Ici aussi, les critiques révèlent des incohérences : l’animation de groupe, l’information des participants au juste niveau pour mener le débat et la discussion dans des conditions équitables requièrent des compétences spécifiques, auxquelles les animateurs ne sont pas toujours suffisamment formés.

Toutefois, ces critiques ne sont pas unilatérales. Du côté de ceux qui ont la responsabilité de mettre en œuvre la participation dans le cadre d’une politique publique, les enjeux tout aussi sont forts. D’un point de vue organisationnel, les élus peuvent voir dans ces dispositifs un risque de ralentir l’action. Dans sa forme symbolique, cette méfiance peut aussi prendre la forme d’une délégitimation de leur rôle de représentants, de leur expertise et de leur capacité à prendre des décisions allant dans le sens de l’intérêt collectif. Au-delà de sa mise en œuvre, la participation de toutes et tous nécessite donc de repenser la place que les uns et les autres occupent dans ces processus, ainsi que les enjeux pour chacun de s’y impliquer et les rôles à répartir.

Trop souvent décevante, quel que soit le contexte, la participation pose à la fois la question de la compétence politique (tout le monde est-il compétent pour donner son avis ?) et son corollaire : l’encapacitation des citoyens, nécessaire à la prise de parole de tous. Une critique forte de la participation repose sur l’observation du fait que ceux qui sont à même de se mobiliser sont ceux que l’on entend déjà le plus : les plus revendicatifs, les plus militants, les mieux dotés scolairement et mieux insérés socialement, etc. Il s’agit par ailleurs d’arriver à maintenir la discussion autour d’un projet commun, au-delà des revendications individuelles des participants. À tout point de vue, la mise en œuvre de la participation s’avère complexe, d’autant qu’elle se heurte à des difficultés structurelles : pour écouter vraiment, il faut du temps et des moyens financiers, que les institutions ne semblent pas être toujours prêtes à mettre à disposition.

 

 

« Du locataire au client » : l’exemple de la gestion HLM

 

Dans le cadre d’une enquête sur les organismes HLM, la chercheuse Jeanne Demoulin montrait en 2014 que la participation des locataires, apparue dès les années 1980, s’inscrit dans un contexte particulier : « L’ambition sociale n’est pas absente des discours des dirigeants de l’Union et des organismes, mais la volonté d’intégration ou d’insertion des locataires à des fins productives domine ».

La crise financière et politique qui traverse les organismes au cours des années 1980 force à revoir leur modèle de fonctionnement, passant de l’économie administrée à celui de la rationalité économique. L’État repense alors sa politique publique de logement social en ne finançant plus qu’à la marge sa construction, pour privilégier les aides directes et individualisées : c’est la création des Aides Personnalisé au Logement (APL). De fait, l’État aligne alors sa politique de logement sur le principe économique de l’offre et de la demande (les habitants feront le meilleur choix pour eux). Si la mission sociale tient toujours lieu de fil rouge du « projet » HLM, elle se soumet à une logique gestionnaire de relation de service, où le locataire devient un client qui doit être écouté. Parallèlement, la récession, et la précarité qu’elle génère, diversifient fortement les profils des populations à loger (familles monoparentales, d’origine étrangères, etc.), alors que les bailleurs s’avèrent peu à l’aise avec ces « populations spécifiques », supposées insolvables ou coupables de dégradations. 

C‘est dans ce contexte que la rhétorique de la participation prend forme. Le lien entre participation et gestion tient dans l’idée, rappelée au cours du Congrès HLM de 1990, que « plus le locataire sera "citoyen”, plus le peuplement sera “satisfaisant” pour les organismes ». Au milieu des années 1990, des « développeurs de quartiers » sont ainsi recrutés pour accompagner socialement les habitants et contribuer, de manière générale, à la qualité du cadre de vie. Entre lutte contre les dégradations, études de la rentabilité d’un immeuble, ou actions marketing censés revaloriser le patrimoine, les démarches qualités deviennent l’outil privilégié d’attrait et de stabilisation du peuplement satisfaisant, le plus solvable, le plus respectueux du bâti, mais aussi celui qui participe, supposé de ce fait plus apte à la vie en collectivité.

 

 

La participation, toujours au service de celui qui la propose ?

 

In fine, la participation doit-elle être au service de celui qui la propose ou de celui qui y est invité ? Le (non)transfert du pouvoir décisionnaire aux citoyens-habitants est au cœur de la question et peut permettre de comprendre pourquoi il existe un tel écart entre l’idéal participatif et sa réalisation.

Pour les opérateurs, l’enjeu consiste à rationaliser les moyens engagés à hauteur des gains obtenus. Mais en matière démocratique, si cette ambition est revendiquée, les critiques soulignent à quel point ces dispositifs réunissent essentiellement les mêmes profils, correspondant encore à la vision datée du « peuplement satisfaisant ». Quelle place pour les autres, celles et ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas participer ? L’injonction à la participation suppose de reconnaître la valeur de l’expérience des habitants. En contrepartie, ne gagnerait-on pas à assumer tant le risque de conflit, que le degré de pouvoir à accorder à ces instances ?

À titre d’exemple, la loi de 2002 précise qu’il appartient au conseil municipal de fixer « la dénomination, la composition et les modalités de fonctionnement » des conseils de quartier. Comment, dans cette perspective, imaginer la création d’espace potentiellement conflictuels, où le débat serait ouvert, ou a minima organisé autour des attentes des citoyens eux-mêmes ? Comme le rappelle Guillaume Gourgues, « la démocratie est un régime de règles et un état social, dont la protestation publique et la conflictualité sont des baromètres de bonne santé ».

 

 

Repenser la participation

 

Le risque est grand de voir l’objectif de la participation se retourner contre lui-même. À défaut de renforcer le dialogue entre les institutions et les citoyens, il peut au contraire concourir à renforcer la défiance de ces derniers envers leurs représentants, et envers les institutions de manière générale. Alors que l’abstention ne cesse de progresser, élections après élections, une incapacité à écouter les revendications ou à prendre réellement en compte la parole des citoyens dès l’échelle de proximité ne peut qu’aggraver une dynamique qui fragilise de plus en plus notre modèle démocratique.

Dans l’objectif de passer d’un travail fait pour le locataire à un travail fait avec lui, la Métropole rennaise (à travers l’Office Public d’Habitat, Archipel Habitat) s’est inspirée des principes portés par l’habitat participatif  comme nouveau mode de production de l’habitat et comme ressource opérationnelle pour faire participer les habitants. Les projets de réhabilitation d’immeubles sont notamment au cœur de ces dispositifs, dans lesquels les équipes de maîtrise d’œuvre tentent de mieux impliquer les participants, d’un bout à l’autre du projet, à travers des réunions publiques, des ateliers participatifs ou encore des diagnostics « en marchant ».

Si les moyens mis en œuvre comportent les mêmes travers qu’évoqués plus haut, « c’est plutôt dans la reconstruction d’un lien entre les habitants et leur bailleur, et entre eux, que se situe la plus-value majeure » (Souquet 2017). En effet, remettre l’habitant au cœur du projet permet à ces organismes de revenir vers leur mission originelle d’intérêt général, « de réaffirmer le travail social du bailleur et son approche égalitaire de l’accès au logement pour tous » (Souquet).  

Les ambitions participatives peuvent aussi se heurter à des difficultés structurelles qui dépassent le cadre des missions confiées aux organismes HLM. Plutôt pensé sous la forme d’une période transitoire en attente de l’acquisition d’un logement, le logement social constitue de plus en plus, et face à une tension croissante du marché immobilier, une solution pérenne pour les foyers. Les bailleurs doivent donc s’adapter à ces nouvelles modalités d’habiter, où les aspirations ne sont plus tout à fait les mêmes et où les habitants « espèrent une capacité plus grande à maîtriser [leur] environnement » (Souquet).

 

 

À travers un certain nombre d’améliorations, dans la formation des élus et des professionnels, dans la diffusion de retours d’expérience qui valorisent les résultats obtenus, dans l’approfondissement du partage du pouvoir, dans une plus grande pédagogie des enjeux et problématiques liées aux questions débattus, il est possible d’envisager une forme de démocratie renouvelée, dont les dispositifs participatifs pourraient constituer les laboratoires. En matière de logement social, alors que les financements semblent de plus en plus difficiles à trouver, peut-être est-il temps d’investir avant tout dans le sens à donner au simple fait d’habiter.

 

Pour aller plus loin :

  • Demoulin Jeanne, « Du locataire au client, tournant néolibéral et participation dans la gestion des HLM ». Participations 10, no 3, 2014, pp 13‑37 ;
  • Gourgues Guillaume, « La participation publique, nouvelle servitude volontaire ? » Hermès, La Revue 73, no 3, 2015, pp 83‑89 ;
  • « Participation des habitants », Dictionnaire du logement (https://politiquedulogement.com) ;
  • Dicopart : Dictionnaire Critique et Interdisciplinaire de la Participation (https://www.dicopart.fr)
  • Daniel Gaxie, Le Cens caché, Le Seuil, 1978« Baromètre de la concertation et de la décision publique ». Harris Interactive, Respublica, ICPC, 2017
  • Souquet Vincent, « S’engager dans une démarche participative. Archipel Habitat, Office Public pour l’Habitat de Rennes Métropole, face à de nouveaux besoins », Idées et Territoires #1, RésoVilles, 2017Warin Philippe, « Les HLM : impossible participation des habitants ». Sociologie du travail 37, no 2 (1995): 151‑76